C. L’auto-gestion collective des problèmes particuliers

Les Écoles de Consommateurs sont également des lieux d’auto-gestion collective des problèmes de chacun. Émerge localement un espace où se règlent les affaires de la vie courante. Découvert bancaire, situation de surendettement, interdit de chéquier, problème de facture à payer, menace d’huissier, menace d’expulsion, violence scolaire, violence intra-familiale, etc. : tous les problèmes rencontrés quotidiennement par les uns et les autres sont débattus et analysés collectivement. Quelle issue possible, à qui s’adresser, et surtout quels sont les droits de chacun et comment faire valoir ses droits ? Quels arguments utiliser pour que le sens de la justice ne soit pas outragé ? Comment s’exprimer pour être considéré et entendu ? Dans certaines situations, une action collective est envisagée (par exemple pour des logements défectueux) ; ailleurs, le groupe conseille de recourir à un médiateur (par exemple pour un problème de violence conjugale) ou à quelque autre personne spécialisée dans le respect des droits individuels. Se met ainsi en place un espace de discussion où sont expliqués, débattus et argumentés les droits des personnes.

Les Écoles ne sont donc pas des espaces publics au sens habermassien du terme. Les personnes ne se séparent pas de leurs propres intérêts : elles viennent précisement dans le but d’exposer leurs propres problèmes et dans l’espoir de les régler. En revanche, on retrouve l’idée d’Habermas selon laquelle la communication et la discussion facilitent la prise d’autonomie, à l’égard des appartenances comme à l’égard des règles publiques.

Non seulement les personnes parviennent à mieux faire valoir leurs droits, mais leur action participe aussi à la transformation du regard porté sur elles par les représentants des administrations. Ainsi les responsables des Caisses d’allocations familiales, impliqués dans le comité de pilotage de la plupart des Écoles, reconnaissent qu’ils ont changé de point de vue à l’égard du surendettement. Ils ont pris conscience que le problème était beaucoup plus profond qu’une simple question de déresponsabilisation ou de déficit de gestion. Dans le quartier de Wazemmes, les représentants de la Politique de la ville reconnaissent que le regard qu’ils portent sur les mères de famille monoparentales s’est modifié : ils ne les considèrent plus comme des « mères défaillantes » ; ils ont appris à mesurer les contraintes auxquelles elles avaient à faire face à et évaluer leur potentiel de résistance et de dynamisme.

En observant la vie quotidienne des Écoles de Consommateurs, nous avons suggéré qu’elles jouent le rôle d’espaces de médiation, permettant aux femmes de transformer les relations qu’elles entretiennent, à la fois avec elles-mêmes, avec leur entourage proche, et avec leur entourage institutionnel. Il reste à aborder une question essentielle, esquissée en introduction, celle de la légitimité de ce type d’intervention.