D. Retour sur la question de la légitimité de l’intervention

Les effets observés ne sont positifs qu’à une condition : le soutien de l’autonomisation dans sa triple dimension, l’autonomie en tant que rapport à soi par une connaissance et une maîtrise de ses choix, l’autonomie en tant que rapport à autrui et interdépendance, l’autonomie en tant qu’acceptation d’une loi commune. Ceci n’est possible qu’en respectant la conciliation entre le pôle de l’individuel et du collectif, celui du collectif et du général.

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Figure 17. La légitimité de la médiation.

Même lorsqu’il est acquis, ce que nous avons observé dans la plupart des groupes rencontrés, cet équilibre est fragile et mérite une attention permanente. Nous n’avons pas rencontré ce cas de figure, mais on peut imaginer le cas d’un groupe se donnant une finalité subversive, au sein duquel les personnes seraient incitées, plus ou moins contre leur gré, à s’enfermer dans une opposition revendiquée à l’égard de leur environnement. On peut aussi faire l’hypothèse d’un groupe soumis aux injonctions des bailleurs de fonds et instrumenté par ces derniers, qui finirait ainsi par perdre toute souveraineté et toute souplesse, celle-ci étant garante d’une aptitude à l’innovation et à la créativité, essentielles à la résolution de problèmes sans cesse nouveaux. Enfin, il n’est pas non plus exclu que certaines animatrices, même si nous n’en avons pas rencontrées, se sentent investies d’une certaine forme de « républicanisme moral » de type rousseauiste372, qui consiste à éduquer les personnes à l’exercice de la citoyenneté en essayant de les rendre moins égoïstes, davantage respectueuses de leurs obligations, et de les inciter à s’impliquer en faveur du bien-être général. Ce dernier point, nous l’avons souligné à plusieurs reprises, est particulièrement délicat dans la mesure où toute transmission de connaissance n’est jamais exempte de jugements de valeurs.

Venons-en maintenant à l’épineuse question du caractère quasi-exclusivement féminin du dispositif. N’est-ce pas le meilleur moyen de renforcer les responsabilités féminines en matière de budget familial et plus largement en matière d’obligations familiales, puisque la question des enfants est, elle aussi, très largement évoquée ? Au risque de décevoir le lecteur, nous estimons qu’il ne saurait y avoir de justification unique et définitive.

Dans certaines situations, la spécificité féminine se justifie dans la mesure où elle répond à une demande. N’y a-t-il pas une contradiction, à faire l’apologie de groupes féminins après avoir dénoncé les avatars du communautarisme ? Il ne s’agit pas d’énoncer des droits collectifs et de plaider pour un droit spécifiquement féminin, encore moins un droit pour les femmes pauvres, à suivre des cours d’économie ménagère. Il s’agit simplement de constater que, si certaines femmes ont retrouvé une certaine estime d’elles-mêmes, c’est précisément parce qu’elles se sont regroupées entre femmes. Elles n’hésitent pas à le reconnaître : elles disent que c’est parce qu’elles sont entre femmes qu’elles peuvent s’exprimer en toute liberté sur leur vie affective et familiale, le poids des tâches matérielles, la gestion du temps et du stress, etc. En revanche, il nous semble que cette étape doit être couplée avec d’autres mesures permettant aux femmes de s’exprimer dans un univers mixte.

Nous rejoignons ici les conclusions d’une étude réalisée par la Commission européenne sur cette question de la mixité des formations destinées à la réinsertion et au retour ou à l’accès à l’emploi : une recherche comparative menée auprès de divers dispositifs de formations montre que c’est au sein de formations spécifiquement féminines et animées par des femmes que la reprise de confiance est la plus prononcée, tout en les préparant moins que les formations mixtes à « affronter l’univers masculin » [Commission européenne, 1990, p. 72]. L’étude en concluait à la nécessité de développer des passerelles entre différentes formes de formations373. Ce constat n’apporte rien de nouveau aux promoteurs du dispositif, dont les objectifs actuels portent précisément sur ces deux aspects : favoriser davantage la mixité lorsque c’est possible, développer des passerelles afin que les Écoles servent réellement de « tremplin » vers d’autres activités associatives, rôle qu’elles jouent actuellement de manière encore limitée374.

Notes
372.

Nous reprenons l’expression employée par S. Mesure et A. Renaut [1999].

373.

Notons d’ailleurs qu’une directive de la Commission européenne, dont on sait qu’elle participe activement à la promotion et au soutien de l’égalité des chances entre hommes et femmes, se prononce en faveur de formations spécifiquement féminines (directive 85 / 517).

374.

C’est ce que montrent les résultats du questionnaire quantitatif (voir annexe 4).