Introduction

La microfinance est aujourd’hui reconnue comme un instrument à part entière du développement, notamment auprès des femmes du Sud, et cette légitimité nouvelle laisse entrevoir l’idée d’un droit au crédit pour les femmes. Ce droit a ceci de spécifique qu’il s’apparente à un droit collectif, même si ce n’est pas énoncé en ces termes. Les femmes du Sud sont de plus en plus nombreuses à avoir droit au crédit, à condition toutefois qu’elles s’associent en groupes et qu’elles se portent mutuellement caution. Aujourd’hui, d’après les statistiques de la Banque mondiale [1997], 65% des dispositifs de microfinance reposent sur une approche collective et plus des deux tiers de leur clientèle sont des femmes.

C’est une question d’efficacité, puisque à travers la réduction des coûts de transaction et des asymétries d’information, le prêt collectif est supposé assurer l’efficacité de l’intermédiation financière et autorise ainsi l’espoir d’une viabilité des dispositifs. C’est également une question de soutien à la mobilisation et à l’émancipation des communautés féminines, puisque à travers la gestion collective du crédit, on espère renforcer leurs capacités d’auto-organisation. En réconciliant les partisans du néolibéralisme, préoccupés par les problèmes de rationnement de crédit et l’inefficience des marchés financiers, avec les partisans du développement dit participatif, soucieux de revaloriser le pouvoir des communautés locales, le prêt collectif suscite ainsi des attentes et des espoirs autant multiples qu’ambitieux.

Si les atouts de ce mode d’approche sont incontestables, en reconnaître les limites n’en reste pas moins essentiel afin de lui donner davantage de portée. Du point de vue des femmes, le prêt collectif peut tout aussi bien favoriser l’autonomie personnelle que la nier en confortant les liens de dépendance voire en en forgeant de nouveaux ; il peut consolider les réseaux sociaux comme les déstabiliser, appuyer les compétences collectives d’organisation et de gestion comme susciter et encourager la création de groupes fictifs ou monopolistiques. Du point de vue des prêteurs, le prêt collectif peut s’avérer être un excellent outil de gestion des risques et de l’information comme un facteur possible de défaillance généralisée issue de mécanismes de coercition et de coalition de la part des emprunteurs.

On retrouve ici la pertinence d’une lecture en termes d’espaces de médiation. Pour les groupes qui jouent véritablement ce rôle, l’accès au crédit participe à la promotion de l’autonomie des femmes et à l’acquisition de capabilités. Dès lors que les intérêts des membres sont négligés au profit d’une minorité (déficit de médiation interne), dès lors que le groupe est instrumentalisé par son environnement ou au contraire clos sur lui-même (déficit de médiation externe), l’accès au crédit ne favorise en rien l’accès à l’autonomie.

Une première section propose un état des lieux sur la microfinance, et précise dans quelle mesure cette nouvelle vague du crédit au pauvres se distingue des précédentes. Une seconde section se penche sur les enjeux actuels, essentiellement axés sur les questions d’impact et de viabilité, à partir d’une étude de cas particulière, celle du programme Crédits rotatifs du Crédit mutuel du Sénégal. Une troisième section s’interroge sur la légitimité du prêt collectif à responsabilité conjointe.