Section 1. La microfinance au Sud : état des lieux

S’interroger sur les moyens de rendre le crédit accessible aux pauvres n’est pas complètement inédit [Adams et Pischke, 1992]. Au XIXe siècle, en Europe et en Amérique du Nord, le crédit dit « populaire » semble une voie possible d’autonomisation des classes paysannes et ouvrières. Les caisses Raffeisen en Allemagne et Desjardins au Canada font progressivement figures de modèle [Vallat, 1999]. Aux lendemains des indépendances dans les pays du Sud, ce sont ces mêmes expériences qui tentent de remédier à la pauvreté paysanne et aux échecs des banques de développement [Gentil et Fournier, 1993]. Si les succès ont été très variables selon les pays, une chose est certaine : les femmes en sont exclues. Du fait du principe d’épargne préalable, les caisses d’épargne restent axées sur les classes moyennes, voire aisées. Les instances de décisions sont monopolisées par les hommes, lesquels ont tendance, plus ou moins délibérément, à exclure la clientèle féminine [Fournier et Ouadréago, 1996].

Si la microfinance a donc déjà une histoire, il reste que depuis la fin des années soixante-dix, elle suscite de toute évidence un regain d’intérêt. L’échec des banques de développement et des systèmes bancaires importés du Nord, l’exacerbation des « coûts sociaux » des plans d’ajustement structurel, la prise de conscience du dynamisme et des vertus de l’« informel » et enfin la très forte médiatisation de la Grameen Bank relancent les débats. Au début des années soixante-dix au Bengladesh, un professeur d’économie, Mohammed Yunus, fait le pari de prêter un peu d'argent à quelques femmes trop pauvres pour avoir accès à un quelconque système de crédit. S’inspirant des pratiques financières informelles locales, il propose de substituer des garanties morales à des garanties matérielles. Le principe du cautionnement mutuel, qui avait fait ses premiers pas avec le crédit populaire et agricole au siècle dernier, est remis au goût du jour. De cette première initiative naîtra la Grameen Bank, devenue aujourd’hui le symbole du crédit aux pauvres. L’idée est simple ; il n’empêche qu’elle révolutionne le monde de la finance en montrant qu’il est possible d’octroyer du crédit à des pauvres dépourvus de terre, de biens et d’épargne.

Cette seconde vague du « crédit aux pauvres » se distingue à plusieurs égards de la précédente : en premier lieu par ses ambitions, vouloir en faire un véritable outil de développement (§1), en second lieu par l’accent mis sur la clientèle féminine (§2) en troisième lieu par l’accent mis sur le prêt collectif, notamment auprès des femmes (§3).