Les plus pauvres sont surreprésentées pour les situations de perte et c’est pour les plus aisées que les marges sont les plus importantes. Cette hétérogénéité des résultats en fonction des profils se comprend aisément : les plus aisées peuvent se permettre de prendre des risques, tandis que les plus pauvres non seulement ne prennent pas de risques, mais affectent une partie plus importante du crédit à de la consommation. De plus l’instabilité quotidienne est telle que le moindre aléa peut conduire à l’échec.
De quoi dépend la rentabilité d’une activité ? Elle dépend en premier lieu de la vitesse de rotation du capital. Plus le taux de rotation du capital est élevé, plus l’activité est rentable. Elle dépend ensuite du type d’activité : les produits transformés sont généralement plus rentables (lait caillé, arachide grillée, arachide moulue, beignets, plats cuisinés, etc.), à condition que la concurrence ne soit pas trop forte. La transformation exige de la main d’oeuvre et un investissement en capital fixe, or ces deux types de coûts ne sont généralement pas pris en compte. La main d’oeuvre est gratuite ; le matériel appartient à la famille ou à un groupe de femmes, son amortissement n’est pas pris en compte non plus.
Les « dépendantes » sont surreprésentées parmi les cas d’échec. La proportion de pertes atteint 25 dans cette catégorie (15 femmes sur 60). Comment justifier cette situation ? En milieu urbain, il n'y a pas à proprement parler d'activité non rentable, les pertes sont liées aux aléas de l'activité (notamment des défauts de paiement des clients) ou à une inadéquation de l’offre de crédit (montant du crédit trop important par rapport au niveau d’activité). En revanche, le contexte rural est plus problématique. Outre les cas d’échecs, on constate dans 30% des cas que l’activité n’est pas suffisamment rentable pour pouvoir réinvestir dans l’activité.
L’activité financée n’a rien rapporté, les femmes ont été obligées de rembourser à partir d’une autre activité commerciale, d’une activité salariée, de leur épargne, ou encore de dons. C’est toutefois rare qu’elles s’endettent, ce qui est déjà positif.
Dépendantes en milieu rural | Dépendantes milieu urbain |
Grandes commerçantes milieu rural |
Grandes commerçantes milieu urbain | |
Revenus générés par l’activité financée | 60% | 56% | 23% | 70% |
Autre source de revenu | 10% | 22% | 66% | 30% |
Tontine | 5% | 11% | ||
Don | 20% | 11% | 11% | |
Endettement | 5% | |||
100% | 100% | 100% | 100% | |
Source : Enquêtes Guérin [1997a] |
Le milieu rural est beaucoup moins propice à des activités commerciales rentables. La pertinence de l’outil est conditionnée par la présence d'opportunités d'activités génératrices de revenus. Or ici, les échéances de remboursement sont incompatibles avec des activités agricoles et le petit commerce n’est pas toujours rentable en l’absence de marchés d’une certaine taille à proximité. Le problème de l’enclavement est accentué lorsque la vitesse de rotation du fonds de roulement est faible. C'est notamment le cas du pilage de mil (rentabilité mensuelle de 10%), du couscous de mil (25%) ou encore de la vente de céréales (6%). Financer de telles activités par le crédit pourrait être rentable si le cycle de vente était journalier, mais la plupart du temps il est hebdomadaire, voire bi-mensuel dans les zones enclavées. Se posent enfin deux types de problèmes : les comportements mimétiques et la saturation des marchés, nous y revenons dans la section suivante.
Encadré 19. Les facteurs d’échec en milieu rural
- activité pas assez rentable et dont la vitesse de rotation du fonds de roulement est trop faible pour pouvoir être financée par un crédit. C'est notamment le cas du pilage de mil (rentabilité 10%), du couscous de mil (25%) de la vente de céréales (6%). Financer de telles activités par le crédit pourrait être rentable si le cycle était journalier, mais la plupart du temps il est hebdomadaire, voire bi-mensuel dans les zones enclavées.
- coût de transport trop élevé : les frais sont été sous-estimés, ce qui traduit une mauvaise gestion des activités, mais cela traduit aussi l'insuffisance des montants
- mauvaise récolte
- saturation du marché : nous avons rencontré deux situations, il s'agit de commerce de savon et de thé dans des zones enclavées où le marché est de fait très limité
- tendance forte au mimétisme : les femmes qui n'ont pas ou peu d'expérience ont tendance à imiter celles qui réussissent, mais sans disposer nécessairement des mêmes avantages (transport gratuit par exemple)
- taux d'intérêts pratiqués par le groupe très élevés, c'est surtout le cas en milieu rural que l'on trouve les taux les plus élevés, qui atteignent parfois 50 %
- montants trop importants par rapport aux opportunités, les femmes ont alors tendance à utiliser une grande partie du crédit pour des dépenses « sociales »
- mauvaise compréhension des modalités de remboursement, dans certaines situations les femmes ont rendu l'argent lorsqu'elles ont su qu'il fallait rembourser de manière régulière (mensuellement ou bimensuellement). Elles ont très peur de prendre un crédit pour se lancer dans une activité nouvelle qu'elles ne maîtrisent pas.
Les grandes commerçantes en milieu rural ne sont pas représentées, car la plupart d’entre elles emploient le crédit à des fins entièrement sociales.