B. Les « dépendantes »

En termes de revenus générés, l’impact est bien moins marqué pour les « dépendantes ». Les activités les plus rémunératrices restent réservées aux précédentes : il s’agit soit d’opérations risquées, soit d’activités exigeant un minimum d’immobilisation du capital (c’est le cas notamment de la spéculation sur les céréales en période de soudure). Or le remboursement du crédit est mensuel. Seules celles qui disposent d’un minimum d’avance ou d’autres sources de revenus peuvent donc se le permettre. En revanche, si l’on raisonne en termes d’augmentation relative des revenus, c’est ici que l’impact est susceptible d’être le plus prononcé. Ainsi pour les « dépendantes » en milieu urbain, près de la moitié d’entre elles (13 femmes sur 28) parviennent à augmenter leur revenu de manière ponctuelle de 30 à 50%, et certaines estiment que cette augmentation est durable. Ceci n’est toutefois possible que si les pratiques financières collectives évoluent et que les groupes adoptent un système d’avance permanente, nous y revenons plus loin. En milieu rural, il est plus difficile d’enclencher une trajectoire d’accumulation, nous y revenons également plus loin.

Par ailleurs, si l’on considère l’impact global en termes de bien-être, c’est aussi pour les « dépendantes » que l’impact est le plus important dans la mesure où le crédit permet de répondre à des besoins bien plus prioritaires. Quel que soit le profil des femmes, une partie du crédit est affectée à des dépenses sociales. Le type de dépense selon les profils ne fait que reproduire la hiérarchisation des besoins : survie pour les unes, accumulation pour les autres. Les « dépendantes » sont davantage préoccupées par les dépenses d’alimentation, d’habillement, de santé, de scolarité, de cérémonies, tandis que les grandes commerçantes vont réinvestir pour développer leur activité, construire leur maison, envoyer leurs enfants à l’étranger, etc. En milieu rural par exemple, plus de 75% des « dépendantes » disent avoir utilisé une partie du crédit à des dépenses d’alimentation.

Tableau 33. L’utilisation sociale du crédit
Dépendantes en milieu rural Dépendantes
urbain
Grandes commerçantes
milieu rural
Grandes commerçantes milieu urbain
Alimentation et participation à la dépense Prioritaire

Moyennement prioritaire
Moyennement prioritaire



Non prioritaire
Scolarité
Moyennement prioritaire
Non prioritaire
Santé Moyennement prioritaire
Ustensiles de cuisine Non prioritaire Non prioritaire
Vêtements Moyennement prioritaire
Bijoux, boubous Non prioritaire
Dons Moyennement prioritaire
Cérémonie Moyennement prioritaire
Source : Enquêtes Guérin [1997a]

Une observation plus originale, déjà évoquée dans un chapitre précédent, réside dans la transformation des pratiques collectives vers un système « d’avance permanente », que les femmes ont choisi d’instaurer afin de stabiliser leur propre activité commerciale. Rappelons brièvement le principe : contrairement au lot tontinier attribué à tour de rôle, les femmes bénéficient toutes en même temps d’une somme qu’elles rembourseront à échéance régulière, éventuellement avec intérêt ; sitôt la somme remboursée, elles la récupèrent immédiatement pour réinvestir dans leur activité, l’intérêt principal du système étant de les « obliger » à travailler. Tous les groupes qui pratiquent ce système ont bénéficié d’une ligne de crédit extérieure. Celle-ci, à travers l’effet de levier qu’elle suscite, accélère considérablement les capacités de médiation financière des groupes. Nous avons également observé que les femmes profitent de l’obligation de rembourser un crédit formel pour se prémunir contre les sollicitations de leur entourage. Notons enfin l’influence probable des recommandations dispensées par les promoteurs du programme de microfinance, incitant les femmes à professionnaliser leur activité.

Cependant, quelle que soit l’énergie dépensée par les promoteurs du dispositif, le résultat reste du ressort des femmes : elles s’approprient le dispositif qui leur est proposé, l’adaptent à leurs propres aspirations et lui donnent une tonalité qui n’est pas toujours conforme à ce que les promoteurs avaient imaginé. Tous les groupes ne profitent pas de l’effet de levier du crédit. Entre les « assistés » ne vivant qu’au rythme des aides extérieures, les « courtiers du développement » cherchant essentiellement à cumuler les partenaires extérieurs, ou encore les groupes « artificiels » créés par un leader local pour élargir sa surface sociale, le risque est grand que l’usage du crédit, au même titre que toute aide extérieure, ne profite qu’à une minorité, voire soit totalement détourné.

Notes
393.

Le tableau doit être lu comme suit : compte tenu de la difficulté à évaluer de manière préciser les dépenses sociales induites par le crédit, nous nous sommes contenté d’évaluer les domaines prioritaires dans lesquels les femmes considéraient avoir affecté une partie du crédit (soit dès l’octroi du crédit, soit au cours des six mois de sa durée d’utilisation).