A. L’évolution des politiques financières macroéconomiques

Aux lendemains de la seconde guerre mondiale, les politiques mises en oeuvre, légitimées à la fois par les courants dépendantiste, structuraliste et post-keynesien, accordent un rôle prééminent à l’État. L’orientation donnée aux marchés financiers répond surtout à une préoccupation de développement et d’investissement ; c’est l’heure des banques de développement, des taux subventionnés et du crédit à l’animation rurale. Les remboursements sont catastrophiques, les coûts exorbitants. Les modes de fonctionnements, importés du Nord, sont certes inadaptés, mais c’est aussi la généralisation des « crédits-dons » qui participe largement à la perversion des systèmes : l’échec de cette première phase est patent. Incriminés de laxisme en matière de gestion bancaire, de « prédation » et de « recherche de rente », les États sont en première ligne sur le banc des accusés. La crise économique et financière, relayée par les théories du Public Choice et de la bureaucratie, sonne le glas de la planification [Hugon, 1999b].

Au cours des années soixante-dix, face aux dysfonctionnements et à la délégitimation des États, le consensus « classico-keynesien » cède alors la place au « consensus de Washington » : à une économie administrée par les règles, se substitue une économie de marché régulée par les prix. L’utopie de « l’État développeur » devient celle du marché autorégulateur [Hugon, 1999b]. Commence ainsi le règne des politiques libérales de stabilisation et d’ajustement, légitimées cette fois par des soubassements néoclassiques [Coussy, 1993]. En vertu de l’hypothèse dite de la répression financière, la libéralisation des taux d’intérêt est encouragée. On suppose que cette libéralisation va favoriser la mobilisation de l’épargne et susciter une répartition optimale des capitaux. Ici encore, les résultats sont plus que mitigés. L’objectif du marché autorégulateur n’est pas remis en cause, mais on se rend compte que le contexte d’incertitude exacerbé et d’information imparfaite freine, voire bloque la marche vers le libéralisme.

Dans la mouvance des approches néo-institutionalistes, inspirées notamment par les travaux de Joseph Stiglitz et d’Oliver Williamson, le débat se focalise alors sur ce qu’il est convenu d’appeler la « good governance » et l’environnement institutionnel nécessaire au marché. Le raisonnement est le suivant : le contexte d’information imparfaite explique à la fois les déviances des comportements individuels par rapport à l’hypothèse de rationalité, et l’hétérogénéité des structures de marché par rapport à l’hypothèse de concurrence parfaite. Seul un environnement institutionnel « efficace » peut conduire à une efficience informationnelle, à la fois individuelle et collective. Le mot d’ordre n’est plus « getting the right prices » mais « getting the right institutions » [Williamson, 1995]. Qu’entend-on par efficacité ? Diminuer les coûts de transaction, limiter les asymétries d’information et garantir le respect des engagements sont les trois fonctions principales que doivent remplir les institutions, celles-ci étant entendues à la fois au sens d’organisations et de règles. Non seulement le contexte d’information imparfaite implique une rationalité limitée, mais il ouvre aussi la voie à l’exacerbation des comportements opportunistes, à la fois individuels et collectifs. Il devient donc essentiel de contrôler les « passagers clandestins ». L’internalisation par un mode de coordination hiérarchique des transactions ou par des réseaux, est préférable dès lors que les coûts (coûts de recherche d’information, de négociation et de contrôle) sont inférieurs aux coûts du marché. La dichotomie État / marché laisse ainsi la place à une dichotomie public / privé à travers la reconnaissance d’une interdépendance entre État, marché, et organisations. L’État est réhabilité mais son rôle reste strictement instrumental et fonctionnel398, et surtout, toute organisation susceptible de prendre en charge le collectif est désormais prise au sérieux [Hugon, 1999b].

Les groupes de villageois acquièrent alors une nouvelle légitimité. On se demandait jusque là pourquoi les paysans acceptaient d’y participer, puisqu’ils étaient généralement payés en deçà de leur productivité marginale. L’approche néo-institutionaliste permet de justifier l’existence de ces groupes sans remettre en cause l’hypothèse de rationalité. Ces groupes apparaissent comme une réponse au partage des risques et au problème d’incitation auxquels sont confrontés les propriétaires. L’interdépendance entre les paysans évite au propriétaire de mettre en place un système coûteux de supervision et de contrôle. Le groupe est une solution intermédiaire entre le salariat (où le propriétaire supporte l’ensemble des risques) et le travail indépendant (où le travailleur supporte l’ensemble des risques).

Notes
398.

Établir un système de prix, maintenir un environnement de politiques non discriminantes y compris la stabilité macroéconomique, investir dans les services de base et l’infrastructure, protéger l’environnement et favoriser l’équité. L’intervention de l’État ne peut être efficace que s’il est capable de mettre en place des règles et surtout de les faire appliquer [Hugon, 1999a].