B. Incitation et asymétrie des positions sociales

Les modèles principal / agent supposent en outre que la prise de décision dépend des menaces de sanction du groupe. Lorsque le groupe présente une certaine cohésion, il est certain que cette menace existe, toutefois elle est très variable selon le statut social des emprunteuses. Dans certains cas, c’est plus l’influence et le pouvoir de certaines qui vont déterminer leur acception par le groupe que leur réelle solvabilité. Les femmes influentes sont généralement des personnes âgées qui ne mènent plus d’activité économique, mais à qui il est difficile de refuser l’adhésion au groupe, et sur qui il sera difficile de faire pression lors du remboursement. Personne n’ira faire pression sur une présidente de groupe qui utilise le crédit pour financer le mariage de sa fille. Inversement, celles qui sont en situation de dominées peuvent être poussées à adhérer au groupe et à bénéficier d’un crédit alors qu’elles n’en ont pas besoin. Ce constat a été fait ailleurs. Par exemple, dans le Projet de petit crédit rural (PPCR)403 au Burkina Faso, les femmes disent qu’elles préfèrent accéder individuellement à un prêt, notamment car elles savent qu’elles ne pourront pas faire pression sur celles qui sont en position hiérarchique supérieure [Banque mondiale, 1998b]. Dans un programme guinéen basé sur la responsabilité conjointe des emprunteurs, de multiples groupes fictifs sont créés par des personnes influentes, généralement de grands commerçants ; les membres du groupe sont tenus de lui reverser l’ensemble des crédits obtenus [Enda/Europact, 1993].

Le tableau ci-dessous récapitule le déroulement du processus de décision.

Tableau 39. Choix de l’activité financée et rôle d’autosélection du groupe. Le décalage entre la théorie et la pratique.
Raisonnement postulé par les modèles Raisonnement réel limité par l’incertitude et l’appartenance sociale
Choix de l’activité financée Liberté de décision
Arbitrage entre rendement espéré d’une activité productive risquée, d’une activité productive non risquée, d’un usage personnel
Pénalités sociales du groupe
Liberté de décision limitée par :
• capacités cognitives et environnement incertain :
difficulté à prévoir le rendement des activités
⇒ tendance à adopter des comportements mimétiques
• aléa extérieur obligeant à un usage du prêt en partie « improductif » 
• recherche de sécurité conduisant les emprunteurs à réserver une partie du prêt au remboursement
• appartenance sociale déterminant les libertés de décision
Rôle d’autosélection du groupe Des pénalités sociales suffisamment fortes permettent d’éviter les comportements opportunistes Les pénalités sociales, quelles qu’elles soient, ne peuvent lutter contre :
les aléas de l’environnement
l’asymétrie des positions sociales
Notes
403.

Le PPCR est une tentative d’adaptation du principe de la Grameen Bank dans un contexte sahélien. Le projet été mis place en 1988 à l’initiative d’un promoteur français (le CIRAD), en partenariat avec une ONG locale et la Caisse nationale de Crédit agricole burkinabée, qui se charge du refinancement des caisses. Le dispositif s’est donné comme objectif de viser la clientèle la plus pauvre : les femmes en milieu rural. Le montant moyen des prêts est de 50$US. En 1996, le dispositif comptait 25 000 clients, dont 98% de femmes et 60% en milieu rural.