A. L’absence de cohésion sociale : les groupes artificiels

La première dérive possible est celle de groupes artificiels. Depuis quelques décennies, dans le cadre des politiques de soutien à l’émergence d’une société civile, le discours ambiant d’aide au développement préconise une approche communautaire et incite les populations à se regrouper. En l’absence de réseaux préexistants, il est alors fréquent que le groupe demeure entièrement « assisté ». Créés au départ par une personne extérieure, le chef du village, l'instituteur, la monitrice rurale, ou encore une personne influente politiquement, ils ont alors chacun leur « parrain » (ONG, mission religieuse, politicien(ne)), dont l'influence conditionne l'insertion du groupe dans le paysage institutionnel et son accès aux ressources extérieures. Peu d'initiatives ont une origine endogène, ces groupes vivent au rythme des aides extérieures. À l’instar de toute prise de décision, la répartition du crédit se fait conjointement avec le « parrain ». Dès lors que le groupe est artificiel, la pression sociale ne joue plus du tout son rôle. Nous n’avons pas rencontré cette situation, mais il arrive que le système soit complètement détourné à travers la mise en place de groupes fictifs et l’utilisation de prête-noms. Dans le Programme fleuve rouge au Vietnam, les notions de solidarité et de caution solidaire sont parfois inexistantes, le groupe est perçu comme « un grossiste de crédit dont l’utilité est surtout de diminuer les coûts de transaction » [Kléber, 1999]. Les risques de tels groupes fictifs sont généralement plus prononcés en milieu urbain, et c’est la raison pour laquelle l’approche collective concerne davantage le milieu rural [Banque mondiale, 1997].

Au-delà de la distinction urbain / rural, c’est aussi l’histoire des migrations qui détermine en partie le degré de cohésion sociale locale. C’est par exemple le cas au Mali. Ne pas rembourser n’a pas du tout les mêmes conséquences en termes de dignité personnelle et de réputation en pays dogon et dans la province de Niono. En pays dogon, chacun sait d’où il vient, la société est un entrelacs de droits et d’obligations mutuelles. Les Dogons sont profondément liés par une histoire et des valeurs communes. Il y a place pour l’honneur et le souci de préserver sa dignité. S’appuyer sur la pression sociale est donc possible. En revanche, le périmètre rizicole de Niono regroupe une population beaucoup plus hétérogène. Il s’agit d’un « colonat », c’est-à-dire d’une zone qui regroupe des migrants venus de manière plus ou moins volontaire s’installer pour travailler dans les rizières. Différentes ethnies cohabitent ; certains viennent d’autres pays, notamment du Burkina-Faso. En l’absence de sentiment d’appartenance à une même communauté, il est difficile de s’appuyer sur la pression sociale. Le Centre international de développement et de recherche (CIDR), promoteur des caisses autogérées d’épargne crédit, a donc mis en place des approches différentes et adaptées à chaque contexte. L’approche reste dans chaque cas très décentralisée. En revanche les modes de garanties diffèrent. En pays dogon l’approche coopérative prédomine, tandis que dans la province de Niono les opérateurs ont privilégié une approche de type bancaire.