B. La dimension publique de l’information

On aurait tendance à penser que plus le groupe s’élargit, plus il est tentant et facile de se comporter comme un « passager clandestin ». C’est d’ailleurs ce que suggèrent Monika Huppi et Gerson Feder [1990], ainsi que Joseph Stiglitz [1990] : une taille minimale faciliterait la circulation de l’information et la coordination des activités. L’inventaire réalisé par la Banque mondiale confirme cette hypothèse : plus les groupes sont de taille importante et plus les taux d’impayés augmentent [Banque mondiale, 1997]. Certaines études de cas montrent toutefois que cette corrélation n’est pas systématique. Un groupe plus large permet parfois une pression sociale plus forte, et celle-ci compense l’éventuelle perte d’information. C’est sur ce principe que repose le système de caution pyramidal du PPCR : la responsabilité conjointe au sein de petits groupes est doublée d’une responsabilité entre groupes du même village.

L’importance de la dimension publique de l’information a été soulignée au sujet d’expériences menées au Bangladesh, au Malawi et à Madagascar [Lapenu et alii, 2000]. C’est également ce que nous avons constaté pour le dispositif Crédit rotatifs au Sénégal. Officiellement, deux modes de garantie sont prévus : un fonds de garantie et une responsabilité sectorielle, c’est-à-dire entre les différents groupes à l’échelle d’un quartier. La plupart des femmes ne connaissent pas ces deux modalités. On observe qu’une certaine pression sociale s’exerce au niveau du quartier, mais il s’agit davantage d’un processus d’émulation, animé par des sentiments de rivalité, de compétition et d’honneur que d’un sentiment de responsabilité à l’égard des autres groupes. Dans les quartiers où les groupes se réunissent régulièrement pour échanger des expériences et faire le bilan de leurs activités, si la propension à rembourser est excellente, c’est parce que la moindre défaillance devient publique. À une échelle plus large mais non moins incitative, citons la « journée de la femme », organisée chaque année par la fédération des groupes féminins et à laquelle tous les groupes sont conviés à participer : c’est l’occasion de reconnaître le dynamisme et les capacités d’innovation collective, mais c’est aussi l’occasion de dénoncer les « mauvais payeurs »404.

Notes
404.

Dans les caisses autogérées du Mali, même si des garanties physiques sont exigées, les entretiens menés auprès des emprunteurs et l’observation du fonctionnement des caisses montrent que c’est essentiellement la pression sociale exercée par le village dans son entier, qui incite aux remboursements [Fruman, 1998]. De la même manière, l’organisation de réunions inter-caisses se révèle être un outil d’incitation particulièrement efficace. Les différentes caisses comparent leurs résultats, échangent leurs problèmes. C’est l’honneur du village qui est en jeu ; il est donc difficile d’afficher de mauvaises performances. On observe le même processus d’émulation lors de l’ouverture des caisses. Les dernières caisses mises en place ont procédé à une ouverture officielle, à laquelle l’ensemble du village est convié. On constate une véritable effervescence ; certains villages atteignent 95% d’adhésion dès l’ouverture.