D. L’ambivalence de l’approche collective et les effets « domino » 

Le principe de la caution mutuelle comporte un double tranchant [Huppi et Feder, 1991 ; Stiglitz, 1990]. La sanction collective ne joue son rôle d’incitation que si elle est acceptée par tous. Il suffit qu’un membre ne respecte pas pour que les autres aient tout avantage à ne pas respecter non plus. Lorsque le système est pyramidal, c’est-à-dire que la caution mutuelle joue également entre différents groupes, cette ambivalence est d’autant plus marquée. Il devient plus avantageux pour un groupe de ne pas rembourser lorsque la défaillance d’un des groupes bloque l’ensemble du système. Et plus le nombre de membres ou de groupes défaillants augmente, plus l’incitation à ne pas rembourser est forte puisque les chances d’octroi d’un crédit diminuent. On assiste alors à un effet « domino » [Huppi et Feder, 1990], dans la mesure où la défaillance de quelques-uns uns provoque l’effondrement progressif du système405. Du fait du rôle déterminant des anticipations croisées, une simple rumeur suffit à déclencher un processus en chaîne. L’effet domino peut avoir deux origines : une interdépendance forte du niveau de risque des activités financées ou bien une attitude de coalition de la part des emprunteurs.

Bon nombre de modèles théoriques élaborés postulent que l’hétérogénéité des activités financées par les différents membres d’un groupe est un moyen de diversifier les risques406. Or l’homogénéité sociale des emprunteurs va souvent de pair avec une homogénéité des activités productives menées. Nous avons vu plus haut les effets possibles de saturation des marchés locaux, particulièrement marqués en milieu rural. Toujours en milieu rural, de mauvaises conditions climatiques peuvent affecter la solvabilité de l’ensemble d’un village. Dans le PPCR, le village de Banh a connu une défaillance généralisée suite à une sécheresse. En milieu urbain, la dépendance vis-à-vis des aléas de l’environnement est moins forte, mais il peut suffire d’un incident pour provoquer une attitude généralisée de rejet, dont l’effet va se propager comme une boule de neige. Dans le programme Crédits rotatifs au Sénégal, il est arrivé que des agents de caisse ne respectent pas la sutura (discrétion) ; dès les premiers retards de paiement ils se sont rendus chez les responsables. Vécu comme un manque de respect par les retardataires qui se sentent humiliées, mais également par les présidentes de groupes qui se sentent déresponsabilisées puisque leur rôle est ainsi remis en cause, cet incident a provoqué rapidement un sentiment généralisé de méfiance. Les retards de remboursements se sont cumulés, la zone est devenue rapidement une zone de « mauvais payeurs ».

Notes
405.

Remarquons que ce résultat, plutôt intuitif, est finalement l’une des principales conclusions du « jeu du remboursement », modélisé par T. Besley et S. Coate [1995]. Les auteurs montrent que deux équilibres sont possibles : soit tous les emprunteurs acceptent de rembourser car ils anticipent que les autres vont rembourser (premier équilibre possible), mais il suffit qu’un des membres anticipe la défaillance d’un de ses partenaires pour que le défaut de remboursement soit collectif (second équilibre possible). La modélisation ne permet guère d’aller plus loin, on retrouve ici l’éternel problème de la théorie des jeux, déjà évoqué à plusieurs reprises : si le jeu met en évidence ces deux équilibres, il ne fournit aucun critère permettant de privilégier l’un ou l’autre équilibre.

406.

Voir par exemple les modèles proposés par Diamond [1994] ou J. Conning [1997]