A. Les dispositifs de microfinance comme « arènes politiques »

Comme tout projet de développement, les dispositifs de microfinance peuvent être considérés comme de véritables « arènes » politiques où s’affrontent les intérêts des différents groupes sociaux [Olivier de Sardan, 1995]. Nous sommes en présence d'acteurs relevant de catégories et de statuts variés ( plus ou moins ouverts aux réalités extérieures, plus ou moins riches), de jeunes (qui ont parfois fait des études), de femmes, de notables, de représentants locaux de l'administration, d'agents de crédit, de personnel d'ONG, d'experts de passage, etc. Certains cherchent à préserver leur pouvoir, d'autres cherchent les moyens de l'acquérir. Chacun va réagir individuellement, selon l'enjeu et l'opportunité que représente le projet pour lui et les ressources qu'il peut en tirer. Les responsables politiques, les chefs traditionnels, les leaders religieux peuvent craindre qu'un tel projet ne remette en cause leur pouvoir. Des hommes, anciens et adultes, peuvent refuser que les femmes et les jeunes soient consultés ou qu'ils aient un accès direct aux moyens de production, échappant ainsi à leur contrôle. Des paysans nobles, grands propriétaires fonciers, peuvent redouter qu’une telle démarche conteste ouvertement leurs avantages traditionnels. Par exemple, ceux qui peuvent se permettre d'octroyer des crédits à taux usuriers aux plus pauvres n'auront pas intérêt à ce qu'un système de microfinance se mette en place. Enfin, les petits producteurs, vulnérables, dépendant de gros propriétaires fonciers, peuvent hésiter à s'impliquer par crainte d'éventuelles mesures de rétorsion de leurs « aînés ».

Toute intervention extérieure se trouve alors confrontée à cet enchevêtrement de pouvoirs, à l'affrontement de groupes et d'individus aux intérêts plus ou moins compatibles. L’issue de cet affrontement est le fruit d’un compromis, qui dépend de la capacité de chacun à s’imposer dans la négociation.

Dans le dispositif Crédits rotatifs, les groupes bénéficiaires du crédit préexistent au projet ; ils sont déjà imbriqués dans un enchevêtrement de réseaux mêlant service public, personnalités politiques et religieuses, commerçants, etc. Le mode d’appropriation dépend étroitement des rapports de pouvoir antérieurs, même s’il participe à leur évolution. Ici, c’est un fonctionnaire de l’animation rurale qui décide de prendre en main le projet et de s’interposer comme interlocuteur privilégié. Là, c’est un élu qui cherche à mobiliser l’électorat féminin. Plus généralement, deux types d’acteurs occupent une position privilégiée : les agents de crédit et les présidentes de groupements.