Les pratiques comme mode de gestion de l’incertitude

La monnaie représente un lien entre le passé, le présent et l’avenir ; plus précisément, disposer d’avoirs monétaires stabilise le présent ainsi que l’avenir, en autorisant les anticipations. Si les femmes sont confrontées à la précarité et à un contexte d’incertitude exacerbée, c’est précisément du fait d’une insuffisance d’avoirs monétaires ; la manière qu’elles ont d’employer les rares avoirs à leur disposition participe à une volonté de stabiliser cette incertitude. Dans la théorie économique standard, l’épargne en est l’outil privilégié. Dans le contexte étudié ici, du fait de revenus limités, du fait également de sollicitations difficiles à refuser, l’épargne dans sa forme usuelle n’est guère envisageable. L’aversion à l’égard du risque obéit donc à d’autres critères et prend d’autres formes. Les femmes connaissent leurs propres limites et sont capables de s’imposer des contraintes pour remédier à leurs propres faiblesses. Elles prennent des engagements qui, par la suite, les amènent à limiter leurs dépenses voire à épargner de manière détournée. Au Nord, elles multiplient les comptes bancaires, au Sud, elles multiplient les formes d’épargne tontinières ; au Nord, elles évitent les instruments de paiement qui les incitent à trop dépenser, au Sud, elles privilégient l’épargne en nature et évitent l’épargne liquide. Dans les deux cas, elles emploient des techniques d’équivalence entre revenus et dépenses afin d’équilibrer leurs comptes, mais aussi parce que tous les flux monétaires n’ont pas la même signification et par conséquent, se prêtent à des usages distincts.