La question du droit à la différence et à l’autonomie

En choisissant d’analyser spécifiquement les pratiques féminines, choix qui s’est finalement imposé puisque les femmes, en tant que responsables des budgets familiaux au sein des familles en situation précaire, sont les premières confrontées à la gestion de la précarité, nous touchons du doigt un débat qui n’a probablement jamais été autant d’actualité, notamment en France. Aujourd’hui, les débats sur la reconnaissance des différences sont particulièrement vifs. Entre la valorisation des particularismes les plus divers et la défense d’un universalisme infaillible, nous avons opté pour une voie médiane, celle d’une société pluraliste, c’est-à-dire qui soit à l’écoute des différences et des diversités.  Si aujourd’hui il est admis que l’égalité n’a de sens que dans la différence, comment reconnaître ces différences, ici en l’occurrence il s’agit des différences de sexe, sans renforcer des spécificités qui sont en même temps source d’inégalité ? Aucune vérité ne s’impose : il s’agit de trouver la justification la plus acceptable compte tenu du contexte, tant spatial que temporel. Non seulement chaque société a son histoire, qu’il convient de prendre en compte si l’on souhaite que l’idéal d’autonomie ne soit pas vide de sens, mais chaque étape vers l’égalité entre les deux sexes soulève de nouvelles interrogations ; d’où la nécessité d’une démarche progressive, faite d’ajustements et d’adaptations. Dès lors qu’elle répond à une demande et qu’elle s’accompagne de propositions visant progressivement à pallier des spécificités source d’inégalités, alors la reconnaissance des différences s’avère justifiée, même si cette justification doit sans cesse être remise l’épreuve.

Enfin, à l’heure où l’argument de la responsabilité des pauvres revient en force en France, jusque là relativement épargnée par la notion de workfare des Anglo-saxons, il devient vital de prendre en compte l’autonomie comme un idéal à atteindre et à promouvoir et donc comme un droit, et non pas comme une donnée de départ. Nous avons montré à quel point les femmes étaient capables de volonté et de détermination sans pour autant être autonomes, au triple sens tel qu’il a été défini dans cette thèse. Comment peut-on exiger des personnes, hommes ou femmes, d’être autonomes et d’élaborer des projets alors que, dans certains cas, c’est précisément cet élément vital qui leur fait défaut ? Plaider en faveur d’une autonomie construite et non pas innée est d’autant plus nécessaire que l’on se donne rarement les moyens de comprendre les comportements et les processus de décision. Nous avons vu à quel point une conception plus réaliste de l’action revient, certes à souligner leurs faiblesses, mais aussi et surtout à donner beaucoup plus de poids aux actes des personnes et à montrer de quoi elles sont capables, quelles que soient les contraintes auxquelles elles sont confrontées.