On a ensuite des personnes qui ont un système de pensée que l’on peut qualifier de « pratique » lié à leur niveau d’éducation, mais aussi, et peut-être surtout, à des préoccupations quotidiennes qui laissent peu de place à la théorie. Le discours sur l’euro comme concept est alors difficilement compréhensible, l’euro est surtout appréhendé comme un souci supplémentaire dans leur quotidien : compter, gérer, évaluer les prix, etc. C’est ici que les attitudes négatives sont les plus manifestes : il y a non seulement incompréhension vis-à-vis de l’euro en tant qu’enjeu collectif mais il y a appréhension vis-à-vis de l’euro en tant qu’objet de manipulation. Le problème essentiel qui se pose ici (et qui justifie de se focaliser sur ce type de public) réside dans le fait que l’inquiétude est parfois telle qu’elle bloque toute capacité de raisonnement. La peur de ne pas y arriver devient autoréalisatrice.
Encadré 22. Les difficultés pratiques anticipées face au passage à l’euro
Nos propres constats sont confirmés par une étude réalisée en 1997 auprès d’un échantillon représentatif de la population féminine française [UFCV, 1997]418. Une majorité craint avoir des difficultés au moment du changement (80%) :
- difficulté à calculer soi-même le prix d'un article en euro (63%)
- difficulté à manipuler billets et pièces de 2 monnaies différentes en même temps (57%)
Ces deux difficultés sont valables surtout pour les ouvrières et les personnes âgées.
difficulté à apprécier la valeur des choses (34%) : surtout les cadres et les femmes de plus de 65 ans, l’étude fait remarquer « on peut supposer que toutes seront concernées, mais certaines catégories (ouvrières, employées) sont trop préoccupées par des problèmes de conversion des prix et manipulation des deux monnaies en même temps »
difficulté à vérifier la monnaie rendue (38%) et à se rendre compte que les banques et les commerçants ne les « arnaquent pas » ; il s’agit ici surtout des ouvrières et des personnes âgées
Encadré 23. L’euro comme objet complexe, quelques exemples
« On ne comprend rien, c’est nul [...] mon père ma fait la leçon je n’ai rien compris » (F, 36 ans, mariée sans enfant, chômage, mari salarié)
« Il y a un gros chiffre et un petit chiffre sur les publicités » (H, 46 ans, célibataire, bénéficiaire du Rmi, niveau d’éducation non connu)
« Mais à quoi ça sert l’euro ? » (F, 36 ans, divorcée, 4 enfants, bénéficiaire du Rmi, sans diplôme).
« Je vais arriver, j’y connais rien, ah le banquier il peut me dire n’importe quoi » (F, 33 ans, divorcée, bénéficiaire du Rmi, 5 enfants à charge, sans diplôme)
« C’est l’histoire du taux, ça va être tant, j’ai rien pigé [...] Je suis plutôt contre, ce sera peut-être bien mais c’est trop compliqué. Je pense que je peux y perdre je sais pas où mais j’y comprends tellement rien. [...] J’essaie de m’informer mais je comprends rien. J’ai demandé une fois à la banque mais j’ai rien compris, je voulais savoir pourquoi un euro c’était 6,50. J’arrive pas à comprendre comment on passe de l’un à l’autre. J’ai aucune idée du montant de ma retraite [...] 3 euro ça va faire à peu près 20 francs mais ma retraite ça va faire combien ? Tout le monde dit on va perdre de l’argent, je sais pas s’ils parlent des chèques euro, des cartes euro, y a beaucoup de personnes qui ont pas compris aussi. Moi c’est pas ça, on va perdre quelque chose on est habitué au franc et pour certaines personnes ce sera encore plus difficile [...] ça m’intéresse pas mais j’écoute, il faudrait expliquer mieux détailler comment ça va aller l’argent, les prix un dessus un dessous on comprend pas pourquoi on passe d’un prix à un autre prix. Combien vaudra un billet de 100 francs, de 200 francs... » (F, 57 ans, divorcée, 8 enfants dont 1 à charge, bénéficiaire du Rmi, sans diplôme).
Enquête réalisée par l’Union féminine civique et sociale [1997] auprès d'un échantillon national de 500 femmes représentatif auprès de la population féminine âgée de plus de 20 ans en mars-avril 1997.