Section 2. Les réactions du personnel

A l’instar de la clientèle, on constate une attitude encore très passive vis-à-vis de l’euro. Cette passivité vient à la fois du peu de réactions de la clientèle, du fait qu’il y a bien d’autres priorités à gérer au quotidien et enfin d’une attitude d’attente vis-à-vis de la hiérarchie ; on peut dire que l’euro se fait au rythme des consignes de la hiérarchie.

Cette attitude passive s’appuie toutefois sur une très grande confiance vis-à-vis des capacités de La Poste à faire face à la transition (confiance vis-à-vis de l’Institution, confiance vis-à-vis du matériel informatique, confiance vis-à-vis de leur propre expérience), ainsi que sur un sentiment fort de responsabilité dans l’accompagnement de leur clientèle lors de cette transition.

On constate par ailleurs :

une connaissance parfois très limitée des mécanismes de base de l’euro (penser que des euros « étrangers » ne sont pas valables en France, assimiler le passage à l’euro à une dévaluation, penser que la période de double circulation dure de 1999 à 2002). Ceci ne concerne probablement qu’une minorité ; les confusions montrent toutefois la nécessité d’insister une fois encore sur les mécanismes de base, voire de trouver un moyen de s’assurer qu’ils ont été mémorisés et compris.
un scepticisme plus marqué chez les femmes : d’une part elles sont moins favorables à l’euro en tant que tel (attitude citoyenne) ; d’autre part, elles anticipent plus de problèmes et sont plus nombreuses à craindre ne pas être à la hauteur.
outre le sexe, le degré d’optimisme / pessimisme dépend fortement de l’attitude citoyenne : les « pro-euro » sont systématiquement plus confiants que les « anti-euro ».
le sentiment de responsabilité est moindre dans certains bureaux où le « climat social » est tendu: l’euro est l’occasion de faire ressortir un certain nombre de revendications vis-à-vis de la hiérarchie (celle du bureau et celle de La Poste en tant qu’Institution).
le risque de considérer l’euro comme objet uniquement technique : c’est la position de certaines personnes qui ont une forte culture économique et financière et qui ont tendance à sous-estimer les problèmes susceptibles de se poser ; inversement c’est aussi la position de certains membres du personnel « de base » qui ont tendance à se décharger de toute responsabilité : l’euro ne concernerait que les financiers (réaction constatée chez certains guichetiers et préposés et plus particulièrement en milieu rural).
cette confiance vis-à-vis de La Poste s’appuie également sur une attente très forte en matière de formation, à l’exception des conseillers financiers qui estiment pour la plupart être suffisamment formés. On constate également une attente moins forte chez les personnes qui ont de l’ancienneté au sein de La Poste et qui comptent aussi sur leur expérience. Par ailleurs si cette attente est forte, le contenu reste flou, dans la mesure où « c’est encore trop tôt pour y penser ». Les seules attentes exprimées portent sur la nécessité d’informations concrètes, pour certains des informations financières (notamment chez les jeunes, et plus particulièrement encore chez les agents d’accueil) ; enfin le fait que ces formations soient assurées par des professionnels est aussi un point revendiqué, dans la mesure où l’euro est un objet complexe qui représente un enjeu important pour La Poste.
Les avis sur les formations qui ont déjà été faites sont variables selon que les personnes connaissent ou non le calendrier de distribution de l’information : celles qui ne savent pas ou qui n’ont pas retenu qu’il y aurait d’autres formations critiquent l’aspect trop général et trop abstrait ; les autres sont en général très satisfaites de cette première approche. Informer sur la logique de distribution de l’information apparaît nécessaire. Toute la difficulté ici réside dans le fait qu’une large fraction du personnel « de base » ne lit pas les affiches et les documents internes.
le problème de la double circulation :
- Une des inquiétudes manifestées concerne la double circulation (notamment chez les chefs d’établissements et les guichetiers), mais les inquiétudes sont essentiellement fondées sur des malentendus et sur un manque d’information. Les modalités prévues pour faciliter cette période de double circulation devraient suffire à rassurer le personnel. Il semble nécessaire de les informer rapidement à ce sujet. Certains ont tendance à se focaliser sur cette dimension du passage à l’euro. Ici encore, il faut bien prendre en compte le fait que le personnel « de base » lit rarement les affiches ainsi que les documents qui leur sont envoyés. Le seul moyen de les informer est de faire passer le message par les cadres.

Les préoccupations sont ensuite différentes selon les catégories de personnel, ce qui ne fait que traduire le rôle très différent qu’elles ont aujourd’hui. La distinction urbain / quartiers difficiles / rural s’avère aussi nécessaire. Le tableau ci-dessous récapitule les principaux résultats.

Tableau 9. Les réactions du Personnel de la Poste face à l’euro
Fonction	problèmes anticipés
Guichetier milieu urbain	- Double caisse - Ne pas être à la hauteur des attentes de la clientèle
Guichetier milieu urbain « difficile »	- Double caisse - Tensions dues au rallongement des opérations
Guichetier milieu rural	- Problèmes moindres dans la mesure où le temps n’est pas un problème - Double caisse - Tendance à considérer l’euro comme l’affaire des « financiers »
Préposés	Deux types de réactions : - Rôle central d’accompagnement (notamment préposés en milieu rural qui jouent déjà un rôle central d’accompagnement auprès des personnes âgées) - Tendance à considérer l’euro comme l’affaire des « financiers » (notamment en milieu urbain où il y a généralement une forte séparation entre la fonction de distribution et la fonction commerciale et financière de La Poste
Agents d’accueil	Les agents d’accueil vont jouer de toute évidence un rôle central au niveau des problèmes susceptibles de se poser avec le clientèle. Le rôle qu’ils jouent actuellement va en fait être largement renforcé : - jouer un rôle d’accompagnement, répondre aux questions, soulager les guichetiers comme ils le font déjà actuellement ; - soulager les tensions susceptibles d’être renforcées par le rallongement des opérations. Ils anticipent un surcroît de travail mais qui est vécu de manière positive, probablement car ils l’anticipent comme un surcroît de responsabilité. Et il nous semble que l’euro serait un excellent moyen d’augmenter leur responsabilité : - d’une part car ils souffrent à l’heure actuelle d’un manque de responsabilité - d’autre part car l’euro en soi est une responsabilité « glorifiante »
Chefs d’établissements	Sont généralement assez confiants (de manière plus ou moins prononcée selon leur personnel : certains mettent l’accent sur la qualité de leur personnel, d’autres estiment qu’il va falloir trouver les moyens de les motiver). Quelques inquiétudes relatives à la double caisse et au rallongement des opérations. Certains se demandent si La Poste est prête à mettre des moyens supplémentaires
Conseillers financiers en milieu urbain « difficile »	Mettent l’accent sur les problèmes que vont rencontrer la clientèle « à risque » (personnes âgées mais aussi personnes en situation de précarité). Leur rôle actuel de « traducteur » (vis-à-vis de termes techniques) et de mise en confiance ne peut être que renforcé.
Conseillers financier en milieu urbain	Ce sont les plus confiants. Par rapport au rôle qu’ils envisagent, on constate deux types de réactions : - certains pensent qu’ils vont inciter leurs clients, notamment les personnes âgées, à utiliser l’euro le plus vite possible, dès janvier 1999 avec le chéquier en euro ; - d’autres au contraire ne veulent surtout pas compliquer le message. Leur argumentaire consiste généralement à simplifier au maximum les explications. L’euro risque d’effrayer les personnes qui sont déjà toujours un peu méfiantes vis-à-vis du domaine de la finance.