§1. Le problème de la conversion

La conversion peut apparaître comme un problème secondaire : l’idéal serait que les personnes n’aient pas à convertir pour qu’elles se reconstruisent le plus vite possible un nouveau référentiel de prix. C’est tout à fait la position de La Poste qui a opté pour le double affichage généralisé et dès janvier 1999 de telle sorte que ses clients lorsqu’ils sont dans un bureau de poste n’aient pas besoin d’une calculette. Nous partageons tout à fait cette position. D’une part limiter la conversion favorise le plus vite possible la reconstruction d’un référentiel. L’usage de la calculette, sans autre forme d’accompagnement, ne ferait que reporter dans le temps le nécessaire effort apprentissage des nouveaux prix. D’autre part l’argument des calculettes mises à disposition du public supposé rassurer engendre parfois des effets pervers, en renforçant le sentiment d’exclusion des personnes pour lesquelles la calculette n’est pas un objet familier.

Mais il semble nécessaire de convaincre le personnel de l’importance d’une telle position dans la mesure où une large partie d’entre eux aura tendance à conseiller l’utilisation des calculettes.

Par ailleurs pour que les personnes n’aient pas besoin de convertir, il faudrait au préalable qu’elles comprennent le mécanisme de conversion et qu’elles aient confiance dans le mécanisme pour ne pas avoir peur de « se faire avoir ». A l’heure actuelle on constate de grandes confusions qui ne font qu’entretenir cette peur d’y perdre. Tout d’abord une large fraction des personnes ne comprend pas la manière dont est fixé le taux de conversion. Elles pensent que ce taux a été fixé de manière arbitraire. Et il y a surtout une forte confusion entre valeur nominale et pouvoir d’achat : nombreux sont ceux aussi qui assimilent le passage à l’euro à une dévaluation, même si le terme n’est pas employé de manière explicite.

C’est ensuite la conversion qui pose problème. La règle de trois qui peut paraître évidente pour des personnes disposant d’un minimum d’éducation ne l’est pas pour une large fraction de la population. Il y a certes le niveau de formation qui importe, ainsi que l’âge mais aussi le « degré d’angoisse » vis-à-vis des mathématiques. Pour certains, notamment les femmes et les personnes âgées, le côté émotionnel limite fortement les capacités de raisonnement. On assiste alors à de véritables blocages.

Encadré 25. Les ‘difficultés’ de conversion

  • La virgule accroît de toute évidence le sentiment d’incompréhension. Certaines personnes y arrivent avec un taux de change rond (6 frs par exemple) mais sont bloquées dès lors qu’il y a une virgule. La valeur de l’euro est plus difficile à retenir et le fait qu’il y ait une virgule donne le sentiment que l’opération est impossible. Remarquons ici les difficultés cognitives liées aux nombres décimaux, liées notamment à la confusion entre la valeur du nombre et le nombre de décimales (par exemple 6, 458 sera considéré comme supérieur à 6,5).
    Certaines personnes sont incapables de se représenter la manière dont on passe d’un montant à l’autre. Elles ont le solde en francs, le solde en euros, et la valeur d’un euro, mais elles n’arrivent pas à savoir comment utiliser les trois nombres : « Ma fille m’a dit ça fera tant, elle m’a assuré que ce sera équivalent en euro. Je lui ai demandé quand je vais toucher les allocs comment ça va faire, j’ai pas tellement confiance. Elle m’a dit tu peux toujours multiplier, mais multiplier par quoi ? » (F, 33 ans, divorcée, bénéficiaire du Rmi, 5 enfants à charge, sans diplôme) ;
    Certaines personnes ne comprennent pas à quoi correspondent les deux chiffres : « l’euro j’y comprends rien, le petit chiffre, le gros chiffre »(F, 46 ans, célibataire, bénéficiaire du Rmi, niveau d’éducation non connu).
    « L’euro n’a aucune valeur il est plus petit » (H, 41 ans, mariée, 4 enfants, mari salarié, sans diplôme) ;
    « Ils expliquent rien ils disent qu’on va pas y perdre mais l’euro il vaut moins » (Y, 42 ans, divorcée, 1 enfant, femme d’entretien, sans diplôme.
    « La Poste indique le solde de mon compte en euros. Par exemple, s’il me reste 230 francs dans mon compte, La Poste me dit qu’il me reste 35 euros. Et donc l’euro n’a aucune valeur, il est plus faible » (F, 39 ans, niveau d’enseignement secondaire, employée, sans enfants, mariée, nationalité sénégalaise).
    « la Poste indique aussi le solde de mon compte en euros. Par exemple, s’il me reste 230 francs dans mon compte, la Poste me dit qu’il me reste 35 euros. Et donc l’euro n’a aucune valeur, il est plus faible » (F, 39 ans, niveau d’enseignement secondaire, employée, sans enfants, mariée, nationalité sénégalaise).
    « Chaque fois que je reçois mon relevé de compte il y a le montant en euros en bas du relevé. Je n’y connais rien mais j’ai toujours l’impression que l’argent diminue de plus en plus » (F, 45 ans, niveau d’enseignement élémentaire, femme au foyer en quête d’emploi, 3 enfants, mari salarié, nationalité sénégalaise).

Or cette difficulté semble largement sous-estimée par le personnel. Il semble nécessaire de les sensibiliser au fait que la conversion est un véritable problème pour beaucoup.

Toute la difficulté consiste à expliquer la notion de pouvoir d’achat sans pour autant employer de termes qui n’évoquent rien, et qui font partie du « jargon » technique qu’il vaut mieux éviter pour ne pas effrayer d’avantage les personnes.

On peut supposer que le principe des relevés à double colonne (double affichage des opérations de débit et de crédit) diffusés par La Poste dès janvier 1999 va permettre de lever un certain nombre d’inquiétudes. Ne serait-il pas nécessaire de tester les réactions de la clientèle vis-à-vis de ce type de relevé ?

Mettre en relation niveaux de revenus et niveaux de prix, consigne donnée par La Poste dans son journal interne, est probablement la meilleure méthode à adopter. Et c’est d’ailleurs ce que font déjà certains membres du personnel. Mais ce n’est le cas pour tous. Beaucoup se sentent démunis pour expliquer qu’il n’y a pas de perte ; d’autres font eux mêmes la confusion et assimilent l’euro à une dévaluation. Il semble nécessaire ici d’insister d’avantage sur cette notion de pouvoir d’achat et sur la nécessité d’utiliser des images.

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Figure 25. Le problème de la conversion