V - L'INSTALLATION LYONNAISE

‘"... Il n'est pas en Europe de situation plus naturellement commerciale que celle de Lyon ; et l'on comprend, que dès qu'il a existé des hommes dans ce pays, ils ont dû la choisir d'abord pour s'y donner rendez-vous, afin d'échanger leurs produits de leurs grossiers travaux, et plus tard, pour s'y établir et commercer. Aussi, bien avant l'alliance avec Rome, Lyon et ses habitants étaient déjà célèbres dans les Gaules par leur commerce. Cette alliance augmenta beaucoup l'importance de la ville de Lyon, et, pendant longtemps, elle fut le marché le plus fameux de l'empire romain186."’

Ainsi Arlès entreprend-il d'approfondir, par le détail, le passé de la ville qui l'accueille. Et de poursuivre :

‘La chute de Rome entraîna aussi la chute du commerce de Lyon ; mais les avantages de la position l'y rappelèrent bientôt, et ce furent les Italiens qui, étant à cette époque, les plus habiles commerçants du monde le rétablirent. Comme ils avaient obtenu de grands privilèges, le commerce et l'industrie de Lyon restèrent longtemps dans leurs mains et ils devinrent, pour ainsi dire, maîtres de la ville où ils étaient cantonnés par nations : les Florentins, les Génois, les Piémontais qui, tous, avaient des privilèges particuliers. Peu à peu les Suisses et les Allemands s'introduisirent à côté des Italiens, leur firent concurrence et devinrent presque aussi puissants qu'eux.
A la fin, les Lyonnais, instruits par ces divers étrangers, furent assez forts pour se passer d'eux ; et tous les privilèges qu'on leur avait accordés leur furent successivement retirés. Les Italiens ne relevèrent pas seulement le commerce de Lyon, ils fondèrent son industrie.
A côté de celle de la soie, bien d'autres ont fleuri, qui peu à peu se sont éteintes [...]. Il paraît certain qu'après avoir été introduite à Avignon et dans le Comtat, au XIVe siècle, par les papes, et près d'un siècle après, vers 1480, à Tours, par Louis XI qui avait fait venir des ouvriers d'Italie, cette industrie fut importée à Lyon sous François 1er, au commencement du XVIe siècle, par Alexandre Turquet - quelques auteurs les nomment Etienne Turquet et Paul Noris - et J.F. Nariz, Florentins ou Lucquois selon quelques auteurs, Génois selon d'autres.
Elle dut acquérir en peu d'années une assez grande importance ; car, en 1554, Henri II fit des règlements concernant la manufacture des soieries de la ville et faubourgs de Lyon. Henri IV en 1596 et Louis XIII en 1619 la confirmèrent ; mais, en 1666, Colbert qui affectionnait particulièrement Lyon refit entièrement ces règlements, entra dans les plus minutieux détails et donna à l'industrie lyonnaise un véritable code commercial dont les fabricants lui avaient eux-mêmes indiqué les bases. Ce travail remarquable forme bien certainement encore le traité de fabrication le plus complet qui existe de nos jours. Comme jusqu'à l'abolition des maîtrises, ces règlements n'ont cessé de régir nos manufactures de soieries, beaucoup d'écrivains ont souvent, par erreur, attribué à Colbert la fondation de notre industrie.
Tous les documents consultés tendent à prouver que, de 1600 à 1686, époque de la Révocation, le nombre des métiers s'était élevé de 6 à 9.000, et même 12.000 ; plus tard, et entre autres années, en 1699, il était au-dessous de 4.000. D'après M. Roland de la Platière, inspecteur des manufactures, de 1750 environ jusqu'en 1786, il s'éleva et se maintint à peu prés à 12.000, variant cependant quelquefois de 2 à 3.000, par suite de la disette des soies, des deuils trop prolongés, des guerres ruineuses, des changements du goût et de la mode, etc. De 1786 à 1788, le nombre des métiers s'éleva, momentanément, de 15.000 à 18.000 ; c'était sans doute une des conséquences du traité de commerce de 1786. Par ce traité, l'Angleterre maintenait bien la prohibition des soieries françaises ; mais, comme beaucoup d'autres articles étaient admis, la contrebande dût devenir plus facile et plus considérable.
En 1789, le nombre de métiers fut réduit à 7.500. De 1795 à 1800, conséquence du siège et des guerres, il varia de 2.500 à 3.500. De 1801 à 1812, beaux temps de l'Empire, il se releva sans presque jamais dépasser 11 à 12.000. Mais, dès la paix de 1815, l'échange des produits avec tous les pays du monde étant devenu facile, l'impulsion donnée à la fabrique fut prodigieuse et le nombre de nos métiers s'éleva bientôt à 20.000. De 1820 à 1823, il fut porté à 24.000 et de 1824 à 1825, époque des plus fortes expéditions pour l'Amérique, il dépassa 27.000 dont 18.000 pour la ville et 9.000 dans les faubourgs ou la banlieue. [...]’

Telle est l'histoire commerciale de cette ville, tel est le contexte dans lequel notre rapatrié trouve la "fabrique" où il vient exercer la profession de commissionnaire en soieries pour le compte de la Maison Dufour frères de Leipzig. Et c'est en ces termes, reproduits très partiellement, que François Arlès, après avoir interrogé longuement les Archives municipales et celles de la Chambre de commerce, les décrira, sous les initiales A.D., quelques années plus tard, dans un ouvrage intitulé Un mot sur les fabriques étrangères de soierie, à propos de l'exposition de leurs produits faite par la Chambre de Commerce de Lyon 187 . Dans cet ouvrage vendu au profit de la Fondation Jacquard, il soulignera aussi l'essentielle raison des vicissitudes rencontrées périodiquement par la fabrique : ‘ "La grande valeur de la matière que nous employons est une des causes principales de la précarité du travail, précarité qui ’ ‘ désespère souvent l'ouvrier et le fabricant, en les exposant à de fréquentes alternatives de calme et d'activité ’ ‘ 188 ’ ‘ ."

Avec certitude, on peut dater du mois de février ou de mars 1825 l'installation du jeune ménage à Lyon. Cette ville, toute nouvelle pour Pauline, il s'empresse de la lui faire visiter, avec grands ménagements pour sa santé. En même temps, pour celle de l'enfant que, déjà, elle attend. En raison de son état, il a fallu hâter le départ de Leipzig, pour éviter, plus tard, les cahots des diligences, les fatigues de l'interminable odyssée, ‘ "sans compter la marée et les truffes, au petit profit du courrier, et pour le grand supplice des voyageurs189." Pauline a souvent entendu son père évoquer ses souvenirs lyonnais remontant à 1812, lorsqu'il assumait la responsabilité de la succursale locale. Peut-être, était-il accompagné de sa femme, peut-être aussi l'étaient-ils de leur fille. Si tel est le cas - nous l'ignorons -, celle-ci n'en a vraisemblablement conservé que peu la mémoire.

Aux dires de certains contemporains, la ville est peu avenante. ‘ "Jamais je n'ai vu de cloaque pareil à cette ville-ci et les maisons ne sont guère plus propres que les rues" ’ avait écrit à son fils le nouveau préfet, le comte René de Brosse, dès son arrivée, deux ans auparavant190. Et si ce haut fonctionnaire s'emploiera à remédier à cet état de choses, son sentiment se trouvera encore partagé, une dizaine d'années plus tard : ‘ "Le quai du Rhône est admirable, le quartier Bellecour superbe ; mais l'intérieur de la ville offre un aspect peu flatteur ; les rues sont étroites, obscures et mal pavées191."

Sur la rive droite du Rhône, pris sur une boucle asséchée du fleuve, le Port Saint-Clair, déjà promenade plaisante et à la mode192, accueille le jeune ménage, dans le quartier du même nom. Ce nom, d'une chapelle dédiée à ce saint, évoque dans la pensée d'Arlès le souvenir de sa ville natale, plus loin, vers là où coule le fleuve... Depuis quelques décennies, aménagé par différents architectes dont Soufflot - "architecte et contrôleur des bâtiments du Roi" -, le quartier est moderne, séduisant. En 1810, Mazade d'Aveize s'extasie : ‘ "Tout le quartier Saint-Clair forme une nouvelle et superbe ville : il y a quarante ans à peine il n'existait pas une seule ’ ‘ maison sur ce quai, qui est aujourd'hui le plus agréable et un des mieux bâtis de Lyon. La rue Royale, les rues de Berry, Dauphine, etc., sont toutes du même temps, elles sont larges, alignées et beaucoup mieux à tous égards que les rues des deux anciennes villes193 ! "

L'installation se fait au numéro 22 dudit Port Saint-Clair194, dans la maison Milanois. Cette maison, bâtie vers 1770 comme ses voisines, fut la seule à être "renversée" comme "repaire de l'aristocratie", lors du siège de la ville, sous la Terreur en 1793. Ses propriétaires l'ont reconstruite au même endroit, à l'angle du quai et de la place Tolozan, perpendiculairement à la magnifique maison du même patronyme, celui du Prévôt des Marchands en 1784 et Président de la Chambre de commerce de Lyon de 1785 à 1788. Comme précédemment, elle lui cache un peu ces choses rares à l'époque, l'air, le soleil, la vue195. Cette vue, ‘ "avec devant soi la belle plaine du Dauphiné, se perd au fond d'une magnifique perspective que termine la chaîne des Alpes ; de toutes parts, on voit sur le fleuve des moulins, des foulons et de grands artifices hydrauliques, dont le mouvement et le bruit annoncent les travaux d'une grande ville de fabrique196."

Arlès en est proche. Dans le même immeuble, la Maison Dufour a ses magasins et bureaux. Ils se situent en plein centre des affaires, à proximité de la place des Terreaux, point de départ et d'arrivée des diligences, au pied de la "colline qui travaille", la Croix Rousse. ‘ "Banquiers, fabricants, agents de change, tout est là. On n'entend que le son des écus, on ne rencontre que des hommes riches... Les enfants de huit ans, élevés dans la crainte de Dieu et des banqueroutes, y connaissent déjà le cours du change et la tenue des livres en partie double197..." Les moeurs ne changeront pas. Stendhal, dans ses Mémoires d'un touriste, conclura son observation des moeurs locales d'un péremptoire ‘ "J'offense le dieu du pays : l'argent ! ". ’ Au moins, aura-t-il trouvé chez les Lyonnais ‘ "de grands traits assez nobles", ’ les rives de la Saône ‘ "à deux lieues de Lyon, pittoresques, singulières, fort agréables", ’ un paysage lui rappelant ‘ "les plus jolies collines d'Italie". ’ Même si, pas plus que Grenoble ou Paris, il n'aime Lyon dont il ‘ "n'aspire qu'au bonheur d'en sortir".

C'est évidemment loin d'être le cas de François ; mais à peine l'installation matérielle achevée, commence la ronde folle de ses "tribulations", comme il l'écrivait alors à sa fiancée. De cette période, une des premières lettres d'époux que nous lui connaissons est expédiée, le 18 avril 1825, de Leipzig.

La foire de Pâques l'a déjà ramené en Saxe. Cette foire ‘ "s'étant beaucoup calmée" ’, il aurait eu le temps d'écrire la veille et le matin, ‘ "mais je ne me sentais pas disposé, je suis tout triste, tout découragé par ton silence ’". Le début de sa lettre manifeste un lourd dépit ; il est vrai que le futur père attend vainement les nouvelles de Lyon, quittée dix à douze jours plus tôt : ‘ "J'avais espéré recevoir une lettre de toi aujourd'hui ; mais le courrier est là et il n'y a rien. Je ne puis te décrire dans quel état de déplaisir et dans quelle inquiétude ce silence impardonnable me jette. Si tu es malade, il fallait faire écrire un mot par ta mère ou Albert198, et, si tu ne l'es pas, il fallait écrire toi-même et envoyer ta lettre directement si la maison n'écrivait pas, ce dont tu aurais pu t'informer sans te déranger ; et d'ailleurs, tu n'as pas tant à faire que tu puisses oublier une chose qu'il est de ton devoir de ne pas oublier. Je voudrais te gronder encore, ma bonne amie, mais je crains que tu sois malade et que ce soit la cause de ton silence ; je vais être sur les épines jusqu'à jeudi, j'aurai donc été douze jours sans lettre de toi. Est-ce pardonnable dans un moment aussi critique, après une indisposition dont tu ne m'as pas annoncé la fin ! Il paraît que le plaisir de revoir ta mère te fait oublier tes autres devoirs qui maintenant sont les premiers que tu dois remplir199."

Il reprend sa lettre le lendemain, puis le surlendemain. Cette journée lui amène deux courriers, l'un du jeudi 7 - sans doute déposé trop tard - l'autre du mercredi 13. Est-il satisfait? En tout cas, tranquillisé, mais, ajoute-t-il, ‘ "sans t'excuser d'un silence de douze jours qui est et reste impardonnable. Je n'en suis pas moins enchanté comme toi des signes de vie qu'a donnés notre Lette [?], mais je te plains, ma pauvre vieille200, des malaises que tu dois souffrir de ces gesticulations. Dans quatre ou cinq mois, ma bonne vieille, tu en seras quitte et alors la Lette ne tardera pas à te dédommager par ses caresses du mal qu'elle t'aura fait."

Et d'enchaîner aussitôt sur ce surprenant avertissement : ‘ "Mais pourvu que tu n'ailles pas aimer cette Lette plus que ton herr ! Sais-tu que je serais capable d'en être jaloux ; c'est que je n'aime ’ ‘ personne au monde tant que ma vieille et que je serais malheureux si elle aimait quelqu'un, même notre enfant, plus que son bon vieux." ’ ‘ Et "maintenant que sa fièvre d'inquiétude est apaisée ’ ‘ ", il se décide à lui narrer ses activités. Le dimanche, après un déjeuner ou plus exactement "un dîner presqu'en famille", il était de retour dès deux heures et demie au magasin ; ‘ "le soir, les affaires le permettant, nous avons fermé", ’ il est allé au spectacle voir une pièce très gaie ‘ et "jouée à la perfection par M. et Mme Devrieu". ’ A la sortie, il donne un souper, ‘ "chez [lui]201 à MM. Lieber, Baudoin, Knoblauch de Berlin, Schweichel de Konigsberg et quelques autres pratiques202." Presque quotidiennement, il dîne à l'Hôtel de Saxe ‘ "pour soigner quelques pratiques et cela m'a réussi." ’ De la bonne politique des déjeuners d'affaires et des relations publiques ! Tous les acheteurs allemands sont partis. Il peut enfin passer quelques soirées chez les amis Sellier203, Mayer204 et autres, faire une promenade en tilbury, organiser une partie de boston. Le retour est prévu pour le dimanche 8 ou le lundi 9 mai à Lyon où il sent qu'il sera encore plus utile qu'ici. Et puis, ‘ "le grand qui aime plus que lui-même" ’ sa Pauline a bien hâte de la retrouver.

Hâte partagée par sa "vieille" qui connaît la richesse de son coeur, sa bonté infinie. Pas davantage, elle n'ignore sa franchise naturelle, le besoin incoercible d'exprimer ses sentiments, spontanément, rudement parfois, même la plus franche vérité. Il ne s'en départira jamais. Tenta-t-il seulement un jour de se corriger ?

A Leipzig, il acquiert la certitude que la mère de Pauline, venue à Lyon pour les couches de sa fille, et bientôt rejointe par son mari, y restera non seulement l'été mais aussi l'hiver. ‘ "Douze mois, ma foi, c'est beaucoup ! ’ " Il insiste pour que chacun ait son ménage à part. En attendant, il note avec sympathie que sa belle-mère partage les frais du ménage. Les débuts d'un jeune couple, c'est vrai, sont toujours difficiles. ‘ "Mais tout l'argent du monde ne vaut pas, à mes yeux, l'indépendance et surtout la paix dont nous ne pourrons jouir quand des tiers se mettront entre nous."

Il est bien exclusif, Arlès ! Il ne veut pas que l'enfant attendu soit plus aimé par sa mère que lui ; il se refuse à ce que ses beaux-parents distraient, à son détriment, un peu de l'affection de sa femme. Par la suite, leur séjour provisoire se transformera en installation définitive à Lyon, auprès de leur fille unique, Paul Emile ayant pris sa retraite depuis un an et demi205. On devait discuter de la fin éventuelle de cette cohabitation à son retour. Nous ne saurions trop nous avancer quant au résultat. En eurent-ils seulement le temps ?

Une autre lettre du futur père, datée du 19 juin 1825, nous vient cette fois de Zurich où il est arrivé, la veille, en passant par Belfort et Bâle. Dans cette ville, il visite MM. Dobler ‘ "qui n'ont rien pu lui dire concernant les gros de Florence" ’ et Richter, malheureusement parti à Lyon. Quant à la maison Bassenge [?], elle attend de toute urgence ‘ "cinq à six pièces de satin blanc et 1 à 2 pièces 4/25, 1 à 2 4/50". ’ ‘ Ses courses en fabrique terminées à Zurich et ’ ‘ , "selon toutes probabilités ’", il reviendra par Genève où il espère bien trouver un mot chez Ferd. Melly. En attendant, il multiplie les recommandations : ‘ "Ménage-toi bien ; point d'imprudence ; fais beaucoup d'exercice et ne te gâte pas l'estomac." ’ Et de conclure : ‘ "Dans neuf jours, j'espère t'embrasser. Alors, je ne te quitterai que lorsque Monsieur notre fils sera venu te tenir compagnie [...]. Je t'embrasse de toute mon âme. Ménage-toi pour ton héritier et pour ton vieux qui t'aime tant."

Lorsque le 28 août 1825, à dix heures du matin, à son domicile du 22 Port Saint Clair, il entend les premiers vagissements d'un enfant, grande est son émotion, à lui si sensible ; à la mesure, peut-être, de sa déception face à cette fillette ! C'est le surlendemain qu'il déclare la naissance de Pauline Claire à la mairie206, accompagné de ‘ "Frédéric Guillaume Boell, âgé de quarante deux ans, négociant, audit Port N° 23, et Benjamin Emmanuel Dufour207, âgé de trente quatre ans, du même état, quai de Retz N°51".

Depuis cet événement, une quinzaine s'est à peine écoulée. Dans la perspective de la Saint-Michel, le voici en transit à Strasbourg208, à six heures du matin. Il attend son passeport avant d'entrer dans la Confédération germanique. Malgré la fatigue, malgré le froid matinal, il considère que son voyage a été "très heureux". Il se réjouit qu'il ait été également économique ; il ne lui a coûté que 285 F. ! Toujours l'impatience de recevoir des nouvelles à bonne date, au bon endroit, et les calculs de délais qui s'ensuivent : ‘ "A peine t'ai-je quittée et déjà je meurs d'impatience de recevoir de tes nouvelles. Cependant, la lettre que tu m'écriras aujourd'hui n'arrivera à Leipzig209 que de vendredi en huit, ainsi cinq jours après mon arrivée et presque quatorze après mon départ." ’ Il s'inquiète de la santé de la jeune mère, lui recommande de se ménager. Pour lui, l'état de santé de sa fille ne peut qu'être satisfaisant, car il le passe sous silence. Il ne l'oublie pas pour autant ; heureusement ! ‘ "Adieu, dis bien des choses à notre bonne petite fille ; embrasse-la pour son père qui l'aime déjà, bien toute petite qu'elle est." ’ A l'étape suivante de Francfort, comme prévu, un mot est hâtivement tracé. Les nouvelles recueillies sont bonnes : ‘ "On augure bien de la foire de Leipzig. On dit même que les affaires y ont commencé et j'éprouve l'impatience d'un vieux soldat qui entend le canon et craint d'arriver trop tard à l'action. Dimanche au soir, je serai sur le champ de bataille [...]. Adieu, ménage-toi bien pour ta fille et ton bon vieux qui t'embrasse bien, bien." ’ En principe, il sera de retour à Lyon le 18 octobre.

Avec la fougue que l'on commence à lui bien connaître, Arlès affronte ainsi ses nouvelles fonctions. Il bénéficie de la totale confiance de ses beaux-parents et de leurs associés pour défendre et faire prospérer leurs intérêts ; à lui de la mériter : il lui appartient de faire ses preuves, maintenant qu'il a le pied à l'étrier et qu'il fait cavalier seul, semble-t-il, à la tête de l'entreprise lyonnaise ; d'autant que se perçoivent les prémices d'une crise économique qui, effectivement, éclatera en fin d'année. Ses nombreux et longs voyages ne font que débuter, il le sait. Ils constituent l'un des impératifs absolus dans le dédale de son activité, au plan national quelque peu, mais surtout international, en raison de l'ampleur des opérations de la firme.

Entre la sériciculture et le tissage, soit entre le ver et l'étoffe, le circuit est spécifique et complexe. Y concourent les marchands de cocons et/ou de soie, les filateurs, les mouliniers, les marchands fabricants qui leur achètent le fil et le fournissent, en vue d'une commande déterminée, aux chefs d'atelier et à leurs ouvriers. Au milieu de tous, le commissionnaire en soierie ‘ "est devenu le symbole même de ce lien entre la production et la consommation : il est le ’ ‘ véritable banquier de l'industrie textile, car, maniant des capitaux considérables, il ne subit aucune des charges de l'industriel. Il distribue en grande partie les commandes ; il peut imposer son prix aux plus faibles il peut soutenir ou couler telle maison selon qu'il distribue ou non des crédits. La situation s'est renversée. Ce n'est plus l'industriel, c'est le commerçant qui dirige la production210." ’ De plus, il peut arriver que, selon la demande, le commissionnaire se substitue à l'un ou à l'autre de ces agents ; par exemple, acheter de la soie en France ou à l'étranger (Suisse, Piémont, etc.), la faire transformer le cas échéant, et la revendre sur la place de Lyon ou l'exporter à destination des divers marchés européens et américains. Enfin, cet intermédiaire couvre les opérations financières par des avances aux producteurs de soie ou aux fabricants et garantit, par sa situation personnelle, les acheteurs et les vendeurs211. En soulignant que le fabricant lyonnais, à l'inverse de ceux d'autres villes (Mulhouse, Sedan, etc.), est uniquement manufacturier, Le Courrier de Lyon du 10 mars 1833 ajoute que ‘ "la vente en France et à l'étranger des produits de notre fabrique a lieu par l'entremise du commerce de commission qui existe à Lyon sur une grande échelle."

Afin d'être plus concret encore et mieux approcher le genre particulier de la "Fabrique" de Lyon, voici en quels termes la Chambre de commerce en décrit la constitution au préfet Gasparin, nouvellement entré en fonctions : ‘ " La production des tissus de soie n'est pas, comme celle de la plupart des autres tissus, concentrée dans quelques grands ensembles réunissant des masses d'ouvriers [...]. La production dont il s'agit se répartit, au contraire, entre plusieurs centaines de maisons qui reçoivent, en premier lieu, les commandes des mains des commissionnaires, leurs intermédiaires avec les pays de consommation. Elle est ensuite distribuée par chaque maison entre des chefs d'atelier qui, possédant chacun un ou plusieurs métiers exploités par eux-mêmes ou par des ouvriers logés chez eux, sont de fait à la tête de petites manufactures dont la réunion compose à proprement parler la fabrique de Lyon212." ’ ‘ A ajouter qu'un même chef d'atelier est souvent employé par diverses maisons.

"N'oublions pas que si la vieillesse a pour elle le savoir, l'expérience, la renommée, la jeunesse, en compensation, possède à un degré supérieur, l'activité, l'énergie, l'ambition213" ’. C'est ce qu'Arlès-Dufour écrira plus tard. Dans l'immédiat, ces dernières dispositions, apanage de son âge, Arlès va, avec acharnement, les déployer, tout en acquérant simultanément les autres, du moins celles qui pourraient lui faire défaut. A force d'un travail sans relâche, il lui faut, entre autres, :

Tel est le programme attendu du nouveau titulaire qui, à l'école de l'importante firme de Leipzig, arrive tout à fait rompu à ces complexes rouages et parfaitement à l'aise face à sa nouvelle charge cette compétence s'avèrera d'autant plus nécessaire que, généralement, le rôle d'intermédiaire va s'accroître au cours du XIXe siècle et, partant, sa puissance économique. Ce sera particulièrement le cas de l'entreprise qui nous intéresse, en raison de cet essor général ; ce le sera, aussi et surtout, grâce à son dirigeant, à sa dynamique et intelligente personnalité, à sa vivacité d'esprit, à sa rapidité d'adaptation.

Ce jour-là, il prend un cahier à couverture cartonnée. Sur la première page, il calligraphie, en écriture ronde, : Livre particulier de F.B. Arlès, né le 15 prairial an V ou 3 juin 1797, commencé le 1 mai 1825 214 ; ce qui, au passage, paraît éliminer, si elle demeurait encore, l'incertitude relative à l'année de son arrivée à Lyon et à sa prise de fonctions dans cette ville. Par la suite, cette page sera complétée, à trois reprises, de ses instructions "en cas de mort". Sur ce cahier, il se propose de tenir ses comptes financiers personnels ; il en sera ainsi durant de nombreuses années, pas toujours clairement toutefois. Le premier compte ouvert est celui de "Dufour frères & Cie de Leipzig" ; sa première ligne fait apparaître au débit de l'entreprise, le report d'un montant de 872,12 thalers215 en 1824, au 24 novembre, date habituelle de clôture d'exercice annuel. Arlès, dès avant son mariage, est donc intéressé aux résultats de Leipzig. Ce montant reste en compte puisque, au 24 novembre 1825, sur la ligne suivante, il apparaît productif d'intérêts au taux de 5%, soit 43,15 thalers. Les bénéfices annuels de la maison s'étant élevés à 44.862,13 thalers, Arlès est crédité de 3.739,13 thalers (soit 14.021 F), à raison d'un douzième. Mais s'agit-il des résultats cumulés de Leipzig et de Lyon ou seulement de la première exploitation ? Si nous penchons pour cette dernière hypothèse, la réponse n'apparaît pas clairement dans l'immédiat.

Indépendamment, de 1825 à 1828 inclus, Arlès bénéficie annuellement d'un fixe de 5.000 F et d'une bonification "pr étrangers" de 200 F la première année, 300 F la seconde et 600 F pour chacune des deux autres. Fort heureusement, car cet intéressement d'un douzième s'étend évidemment aux pertes dans la même proportion ; elles se produisent consécutivement en 1827 et 1828. Le remboursement des pertes de cette dernière année est généreusement épargné au jeune ménage.

L'ensemble de cette situation financière se résume comme suit :

C/ Dufour LeipzigC/ Arlès (1/12°)
  Bénéfices Pertes Bénéfices Pertes
1825 44.862 - 3.739 -
1826 17.446 - 1.453 -
1827 - 28.509 - 2.375
1828 - 28.509 - 2.375
Total 62.308 Thr 49.853 Thr 5.192 Thr 2.375 Thr

Bénéf. 1825/28 : 12.455 Thr 2.817 thr

Part Bénéf. Arlès 1825/28 : 2.817 thalers

Fixe & Bonif .= :5.747 thalers

Total = : 8.564 thalers

Soit 32.152 F et une moyenne annuelle de 8.038 F.

Au passage, nous ajouterons que les "levées", couvrant besoins familiaux et frais de voyages, se montent à 6.845 F en 1826, 8.208 F en 1827 et 9.562 F en 1828.

A l'arrêt du même 24 novembre 1828, le compte d'Arlès se voit crédité d'une participation complémentaire. Elle porte, à raison d'un quart, sur les bénéfices de la maison de Lyon, à savoir 25% de 13.208 thalers = 3302 thalers, soit 12.382 F, élevant le total ci-dessus de 32.152 F à 44.534 F. Il semble donc que la participation aux résultats susvisés ne concernait bien que les affaires leipzigoises. Ceci sans parler de l'intérêt des sommes laissées en compte, ni de celui versé, au même taux de 5%, pour la première fois au titre de l'exercices 1826/1827, puis du suivant, sur un montant de 10.000 thalers (37.500 F), celui de la dot de Pauline. L'écriture ‘ "pr la dot de Madame Pauline Arlès-Dufour" ’ sera portée, de la main de son mari, au cours de l'année 1829. Au passage, nous ne manquerons pas de relever cette toute première dénomination de "Arlès-Dufour", jusqu'alors tout à fait inusitée.

L'année 1828 est une année charnière ; elle marque la fin de son intéressement dans l'entreprise ‘ "Dufour frères & Cie de Leipzig" ’. Mais c'est l'ouverture d'un nouveau folio ‘ : "Dufour frères & Cie de Lyon" ’. Par rapport à l'année précédente, les résultats bénéficiaires de la maison s'avèrent, en retrait d'environ 9% (45.294 F contre 49.528 F) ; le compte d'Arlès est crédité des 11.323,54 F correspondants, indépendamment de deux sommes importantes : 29.089 F et 100.000 F.

Celle-ci constitue ‘ "mon compte de fonds responsable pendant la durée de ma société avec Dufour frères & Cie ’ ‘ et dont à partir du 24 novembre 1829 je paierai à M. [Paul Emile] Dufour 6% d'intérêt" ’ ; l'autre, de 29.089 F (7.517 thalers au taux de 3,86F), provient de l'apurement de son compte chez "Dufour frères & Cie de Leipzig". Ainsi commandité par son beau-père, sa part, dans l'affaire de Lyon, passera de 25 à 30%, au début de l'exercice 1829/1830216.

Pendant ce temps, la jeune mère s'occupe avec tendresse d'élever sa petite fille. Malheureusement, l'année de cette naissance est celle d'une "grave maladie" entraînant de longues nuits de veille pour son mari. Les devoirs maternels accaparent Pauline mais ne la privent pas de participer à la vie sociale lyonnaise. Elle retrouve de nombreux compatriotes parmi les familles implantées, depuis des décennies, ici comme ailleurs, voire davantage, où ‘ "les colonies étrangères font partie intégrante de la vie commerciale" [depuis] l'Ancien régime217." D'ailleurs, bien souvent, il s'agit des ‘ "fils ou petit-fils mêmes de ces Français réfugiés, mis à l'abri de l'intolérance religieuse par leur nouvelle nationalité et par les privilèges des négociants étrangers218", comme l'écrit Herbert Luthy. ‘ Leur domaine de prédilection est, bien sûr, celui de la soierie pour y figurer parmi les "élites du commerce219", soit donc parmi les personnalités locales. Pour cette ‘ "minorité entre deux cultures220" à la fervente pratique religieuse, le lieu de rencontre privilégié reste son église. Raoul de Cazenove estime que ‘ "la société protestante de Lyon ne s'est réellement constituée qu'au commencement de ce siècle. La plupart des familles qui la composent aujourd'hui sont d'origine étrangère221", ’suisse ou allemande. Elles sont généralement installées dans le même quartier, celui de Saint- Clair, à l'est de la ville ; comme si, instinctivement, au souvenir du passé, elles avaient choisi de se rapprocher le plus possible de la Suisse... En dehors de leurs origines et de leur foi communes, de nombreux mariages les unissent les unes aux autres ; des alliances se forment aussi entre cousins. Pauline a retrouvé sur place les siens, Ferdinand et Gustave Platzmann, et, si elle ne l'est déjà, se trouvera apparentée, de près ou de loin, aux familles Belz, Brölemann, Bontoux, Cazenove, Devillas, Fitler, Morin-Pons. Un certain nombre de noms que l'on retrouve parmi les membres agissants du Consistoire protestant, depuis sa création en 1803, ou, l'année suivante, au nombre des souscripteurs de l'orgue du nouveau temple222, l'ancienne Loge des Changes. La personnalité et la fonction de certains de ces alliés - souvent notables et, aussi, comme lui, commissionnaires en soierie - ont-elles été de nature à influencer favorablement l'avenir d'Arlès ? Nous ne saurions répondre avec précision, mais il est à penser qu'elles ont pu, au moins, lui faciliter l'accès à de nouveaux contacts ou relations. En tout état de cause, il est loin d'être certain que la majorité de ses idées ait été partagée par eux...

La fréquentation de cette société, quasi familiale, offre à Pauline quelques moments de distraction, surtout lors des nombreuses et longues absences de son mari ; pour autant, ils ne sont pas exempts d'impressions désagréables. De Paris, ‘ "d'un triste vraiment étonnant", ’ où ‘ "le commerce, les fabriques, tout va mal et tout le monde perd de l'argent223", il tente de la réconforter : ‘ "La soirée des ..... m'étonne et me peine ; ces gens-là n'ont donc ni coeur, ni décence ! On dirait que la fortune gâte. Si jamais nous sommes riches, souvenons-nous en afin de rester tels que nous sommes224." ’ Et, aussitôt, de mettre en pratique : ‘ "Ce brave monsieur de Lodève225 qui t'a si fort ennuyée est le fils d'un ancien ami de mon père. Ce pauvre diable aura eu besoin d'argent, comme tu l'as fort bien deviné, et il m'aura cherché ; c'est une position bien triste et je suis fâché de ne m'être pas trouvé chez moi." ’Il a bien hâte de se retrouver dans ‘ sa "petite famille, [s]a bonne femme à [s]on côté, [s]a petite fille sur les genoux."

Hélas ! il ne profitera pas longtemps de la joie que lui procure cette enfant. Elle meurt, à l'âge de quatre ans, le 15 septembre 1829226. Soucieux d'épargner à la famille ces douloureuses formalités, Ferdinand Platzmann s'acquitte, le jour même, de la déclaration de décès et, le lendemain, au nom de son cousin par alliance, de l'acquisition, au prix de cent francs227, d'une concession à perpétuité de deux mètres carrés au cimetière de Loyasse. Longtemps après ce deuil, on évoquera encore le souvenir de la fillette : ‘ "Nous avons fait aujourd'hui la prière tous ensemble pour ma soeur Clarice (sic) qui naquit aujourd'hui228", écrira Gustave, le 24 août 1840, à son père en voyage. Chaque année, Arlès déposera personnellement - ou fera déposer en cas d'absence - une couronne, aux côtés de celle de sa femme et de leurs enfants, sur cette petite tombe de la circulaire nécropole lyonnaise. La famille évitera toujours d'évoquer devant lui cet accablant souvenir.

La présence au foyer d'un second enfant ne parviendra pas à atténuer sa douleur ; même, s'agissant d'un premier fils, François Gustave, né quelques mois plus tôt, le 12 février 1829229.

Lors de son séjour à Lyon, en mars 1823, Arlès avait confié à Pauline, le malaise empreint de compassion qui s'emparait de lui au contact des ouvriers. Déjà, dès son arrivée, dans les derniers jours de l'année précédente, il s'était penché sur la rédaction d'un texte, daté "1822" et intitulé "Les ouvriers". Un rapport, comme il en établit de nombreux ? Non, plutôt un article - publié ou laissé à l'état de projet ? - ainsi que le laisse supposer son début : ‘ "En vérité que ce titre ne vous repousse pas ; lisez et vous verrez que je ne viens pas ranimer, par de nouveaux lieux communs, la question qui, pendant trop longtemps, a si violemment occupé notre ville. Elle est cependant loin d'avoir été résolue et elle ne pouvait l'être car, avec les théories régnantes, cette question est insoluble. Aussi, l'a-t-on tranchée de la manière la plus singulière, la plus désastreuse pour tous et surtout pour les ouvriers qu'on voulait favoriser... Oui, pour les ouvriers, car ce tarif qu'on s'est laissé imposer va les priver de tout travail et, au lieu d'un peu de pain, ils n'en auront pas du tout. Et tel est le vice de l'organisation sociale actuelle que la misère du plus grand nombre en est une conséquence irréparable230."

En 1826, nouveau brouillon, à la suite d'un appel aux armes lancé par plusieurs membres de la Chambre des Députés : ‘ "Le croirait-on, des représentants du peuple ont appelé sur lui les maux de la guerre ! Quels sont donc ces hommes ? [...] les mêmes qui voteront tout ce que le parti qui les a fait élire leur prescrira ; oui, le parti, car l'on doit à la vérité de dire que le peuple qu'ils sacrifient les a toujours désavoués. Quelle guerre demandent-ils, la plus injuste, la plus ridicule et surtout la plus ruineuse, une guerre où le peuple n'aurait que des pertes à attendre. Mais plus la guerre sera désastreuse pour l'industrie et le commerce et plus elle convient au parti qui la demande. L'aisance et la richesse du pays le gênent dans ses projets : la richesse et l'aisance rendent indépendants et la parti veut des esclaves, des mendiants ! Ah que gagne un peuple à la guerre, même la plus juste, la plus nationale, la plus heureuse : des impôts et des charges.[...] Qu'a-t-il gagné ce pauvre peuple à la dernière guerre d'Espagne ? la misère, encore la misère, son sang a coulé, les fruits de son travail ont été dépensés, [...] ’ ‘ un nouvel emprunt et un débouché de moins pour les produits de son industrie. Car, qui le croirait, avant la conquête nos marchandises entraient en Espagne, de manière ou d'autre, depuis elles n'entrent plus..." ’ Plus loin, mais toujours à la même époque, l'anticlérical pointe à nouveau le nez.

François Barthélémy Arlès à l’âge de 29 ans

Peint par J.M. Régnier, Lyon 1826

(coll. particulière)

A propos de la dégradation des routes, il interroge : ‘ "Voulez-vous arrêter la civilisation ou du moins l'entraver ?" ’, pour constater : ‘ "il y a trois hivers, les diligences faisaient le trajet de Lyon à Paris en 72 heures, l'hiver dernier en 80, et celui-ci en 96. Ce ne sont cependant pas les fonds ni les bras qui manquent ; la Chambre française et notre gouvernement éclairé ne le permettent pas. Nous payons ce qu'on veut et plus qu'on ne veut et l'industrie qui languit laisse assez d'hommes pour relever et entretenir les routes ; mais ces hommes, on préfère les accoutumer à une douce mendicité qui, en les avilissant, les livre au parti-prêtre qui espère trouver l'occasion de les employer selon le système de ses frères de la péninsule."

Sa promotion sociale, son aisance, récemment acquise, n'ensevelissent pas le passé. ‘ "Ayant vécu et souffert avec les ouvriers, je ressens une sympathie qui m'attire vers eux, et je me demande quels seraient les moyens les plus efficaces pour alléger le fardeau qui pèse sur toute leur existence231." ’ Pourtant, depuis longtemps, il a la réponse. Pour éliminer ce dénuement et la famine qui sévit périodiquement chez les ouvriers, le remède qui le taraude, c'est la libre concurrence ! ‘ "La libre concurrence a fait faire partout des progrès immenses à l'industrie", ’ écrit-il dès 1822 dans son article (ou projet d'article) ‘ "Les ouvriers232". Et parmi les progrès à en attendre, la disparition de la misère et de la famine des ouvriers.

A ces objectifs, il ne cessera pas de s'employer.

Notes
186.

A.[rlès]-D.[ufour], Un mot sur les fabriques..., op. cit., pp. 89 et s.

187.

Ibid.

188.

Ibid. p. 69.

189.

Th. Aynard, op. cit., p. 4.

190.

Cité par Gérard Corneloup, "Le préfet oublié", Lyon Figaro, 2 mars 1992

191.

J-B Champagnac, op. cit., p. 26.

192.

"En 1827, le quai Saint-Clair était devenu le plus beau quai de Lyon ; il a gardé cette place d'honneur pendant tout le règne de Louis-Philippe." (Th. Aynard, op. cit., p. 24).

193.

Dominique Bertin & Anne-Sophie Clémençon, op. cit., p. 117. Ces deux anciennes villes sont Lyon et la Croix Rousse.

194.

Selon acte de naissance n° 3581 du 30 août 1825, Lyon, de Pauline Claire Arlès née le 28 même mois.

195.

Objet d'un procès fait par M. Tolozan à M. Milanois en 1758, lors de la première construction (Th. Aynard, op. cit., pp. 15 et s.).

196.

C. Beaulieu, op. cit., p. 615.

197.

Léon Boitel, op. cit.

198.

Dufour-Feronce vraisemblablement, comme plus haut.

199.

Lettre d'Arlès, 18 avril 1825, Leipzig, à Pauline (Archives familiales).

200.

Arlès emploiera souvent - et bien prématurément ! - ce qualificatif, qu'il juge affectueux... Il se l'attribue, aussi, fréquemment.

201.

Il a continué d'occuper la villa d'Abtnaundorf à chacun de ses passages.

202.

Entendre : clients.

203.

Il s'agit vraisemblablement de Louis Sellier, né à Paris le 25 juillet 1790. Emigré sous l'Empire, il élit définitivement domicile à Leipzig en automne 1815. Nous reviendrons sur ce personnage dont la petite-fille Hedwige épousera Alphonse, second fils d'Arlès.

204.

Famille rattachée à la branche Mauclerc descendante du quatrième enfant de Rapin-Thoyras.

205.

Paul Emile Dufour et sa femme Pauline Adélaïde décédés à Lyon respectivement le 3 septembre 1858 (Lyon 5e) et le 7 mai 1863 (Lyon 3e).

206.

Acte de l'état civil Lyon n° 3581 du 30 août 1825. A son décès, le 15 septembre 1829, l'acte correspondant n° 3818 du même jour la prénommera Clarice.

207.

Il n'a pas été possible de situer le lien éventuel de parenté, ni d'identifier le premier témoin dont le nom apparaîtra une autre fois plus loin.

208.

Lettre d'Arlès, seulement datée "Strasbourg ce mercredi matin", à Pauline (Archives familiales). Idem pour la suivante "Francfort, vendredi à 2 heures". Il en va souvent malheureusement ainsi. Les dates connues sont reportées dans le texte. Ces deux lettres sont adressées à "Madame Pauline Arlès Lyon", la première "aux soins de la maison Dufour frères et Cie", la seconde sans adresse.

209.

Il écrit toujours "Leipsic". D'une manière générale, l'orthographe contemporaine est intégrée dans les lettres d'Arlès.

210.

C. Fohlen, L'industrie textile sous le Second Empire, cité par Régine Pernoud, op. cit., p. 444.

211.

Pierre Léon, op. cit..

212.

Lettre au préfet du 21 janvier 1832 (CCL, Registre copies de lettres).

213.

A.[rlès]-D.[ufour], Un mot sur les fabriques... , op. cit., p. 7.

214.

Livre particulier de F.B. Arlès, né le 15 prairial an V ou 3 juin 1797, commencé le 1 mai 1825 (Archives familiales).

215.

Soit 3.270 F au taux de l'époque (1 Thaler = 3,75 F).

216.

La répartition des 70% restants est ignorée ; la clôture d'exercice est désormais fixée au 31 octobre de chaque année.

217.

J.-P. Poussou, "Le service du roi", La mosaïque France -..., op. cit., p. 216.

218.

Herbert Luthy, La banque protestante en France, ..., cité par J.-P. Pousssou, "A l'école des autres", ibid., p. 251.

219.

Yves Lequin, La mosaïque France -..., op. cit., p. 327.

220.

Frédéric Hartweg, "Les huguenots en Allemagne : une minorité entre deux cultures", in M. Magdelaine, R. von Thadden, op. cit., p. 191 et s.

221.

Raoul de Cazenove, Notes sur la société lyonnaise.., op. cit., p. 120.

222.

Roland Gennerat, op. cit., p. 100.

223.

Lettre d'Arlès-Dufour, 8 décembre 1826, à Pauline (Archives familiales).

224.

Ibid., 16 décembre 1826.

225.

Village natal, dans l'Hérault, de Jean François Arlès, père de François Barthélemy.

226.

Acte 3818 du 15 septembre 1829, cité. Déclaration faite par Ferdinand Platzmann, 38 ans, négociant, Place St-Clair n°19 et Edouard Gueydon, 30 ans, agent de change, Rue Royale n°20.

227.

Auquel s'ajoute une somme de 50 f. destinée à la caisse des hôpitaux. Suite à une procédure de reprise de concession, cette tombe, située masse 229 et constatée à l'état d'abandon en septembre 1968, a fait l'objet d'un procès-verbal d'exhumation en 1988 signalant l'absence de reste mortel. On en comprendra les raisons plus loin.

228.

Erreur de date ; cette naissance est bien du 28 août (1825).

229.

Déclaration de naissance faite par Arlès, 32 ans, négociant, Port St-Clair n°22, accompagné de Frédéric Guillaume Boell et Benjamin Emmanuel Dufour, mêmes fonctions et adresses que supra.

230.

Ecrit (rapport ou article ?) d'Arlès-Dufour "Les Ouvriers", daté par lui de 1822 ((Archives familiales).

231.

C[ésar] L['Habitant], op. cit., p. 27. L'époque de cet écrit n'est pas précisée mais semble pouvoir être datée de 1820-1825 selon cet auteur qui la situe au moment de la découverte de l'économie politique par Arlès-Dufour.

232.

Texte d'Arlès-Dufour "Les ouvriers 1822" cité ci-dessus.