XIV - LYON, TREMPLIN DE L'ORIENT

"Votre rôle à vous, dans tout ceci, prend une gravité considérable690" ’. Michel Chevalier, par lettre du 24 octobre 1832, en avait averti Arlès-Dufour. La famille saint-simonienne devait être regroupée à Lyon et chacun de ses membres y faire oeuvre de prolétaire.

Dans certains milieux de la ville, il paraissait préférable de ‘ "passer pour un voleur et assassin que pour saint-simonien691" ’... Indifférents à ce jugement arbitraire, Arlès-Dufour, Derrion et Drut, sans aucunement se décourager, avaient loué une salle, place de Sathonay, pour y faire de la propagande individuelle et y ouvrir des cours gratuits de lecture, d'écriture, de musique, de dessin, etc.692 Pour cette raison et la même violation du droit de réunion qu'à Paris, la justice lyonnaise poursuit, elle aussi, de ses rigueurs, sinon le groupe, du moins Derrion nommément. ‘ "Il faut que vous ayez la bonté de veiller au procès entamé contre Derrion, ’ ‘ demande le 28 octobre Michel Chevalier à Arlès-Dufour ’ ‘ . Il me paraît impossible que le parquet l'abandonne. Vous sentez qu'il y aura un bon parti à tirer d'un bon procès en cour d'assises. La parole de Duveyrier, ou celle de Barrault, ferait à Lyon une sensation très vive : si le procureur du roi tient à ce qu'on les entende chez vous, merci, grand merci ; on n'est pas plus prévenant693."

Sensiblement dans le même temps, Ménilmontant perd ses derniers cénobites, qu'ils soient voltigeurs ou torys, comme Michel Chevalier les appelle, : les premiers délaissent le costume et, pour y reprendre leurs activités, rentrent dans le monde ; les autres le rejoignent, mais avec une mission bien précise : celle d'y enseigner ‘ "en tout lieu et au nom de Dieu, ’ ‘ père et mère ’ ‘ , la fraternité universelle, l'égalité de l'homme et de la femme, le classement selon la capacité, la rétribution suivant les oeuvres, l'amélioration morale, l'élévation intellectuelle et le bien-être matériel de TOUS et de TOUTES, et notamment de ’ ‘ la classe la plus nombreuse et la plus pauvre694."

"Deux voies étaient ouvertes au prosélytisme saint-simonien, celle de la rénovation morale et celle des grandes créations industrielles. [...] Tandis que Bruneau et Hoart conduisaient les groupes prolétaires dans le midi de la France, et qu'Emile Barrault s'apprêtait à leur ouvrir la porte de l'Orient, l'oeuvre des chemins de fer était commencée et ardemment poursuivie par Flachat, Lamé, Clapeyron, Pereire, etc. ’ ‘ 695 ’ ‘ "

Bien entendu, Arlès-Dufour, homme de progrès, incline depuis longtemps vers cette dernière voie ; mais ces torys, par vagues successives, il se fait un devoir, avec ses amis lyonnais, de les accueillir et de leur apporter son plus large concours.

Le 7 novembre, à la barrière du Trône, un premier détachement composé de Massol, Rogé, apôtres, et de Dumolard et Casimir, ouvriers saint-simoniens, s'ébranle, accompagné durant deux lieues par la famille et par ses chants dont ceux de Vinçard. Enfantin, qui est accompagné d'Holstein, a souhaité que ce départ se fasse sur cette même route de Vincennes où il a ‘ "tiré le canon, en 1814, avec Hoart et Bruneau696" ’ ‘ "qui ont fait leurs preuves sur les champs de bataille et de paix697" ’. Après le salut, il s'adresse à tous : ‘ "Dieu ne veut affranchir le travailleur qui souffre que par la douceur et la bonté qu'il a mises en nous. Dites-le à Lyon aux combattants du 21 novembre, à ceux qui ont écrit sur leur drapeau : "Vivre en travaillant, ou mourir en combattant". Marchons698 ! "

Trois jours après, une autre "petite armée pacifique", avec le même cérémonial, sous une pluie battante et aussi à pied, lui emboîte le pas, par la barrière d'Italie. ‘ "Notre dernière montre en or a servi à acheter des guêtres et des souliers aux apôtres qui sont partis ce matin699" ’, souligne Michel Chevalier auprès de son fidèle correspondant lyonnais. Appel financier discret à sa bourse ? Cette seconde mission comprend Machereau, peintre, Terson, ex-curé catholique, Desloges, ancien garçon boucher, tous trois apôtres et plusieurs ouvriers saint-simoniens, précise, sous le titre "Mission saint-simonienne", un article, anonyme, paru dans L'Echo de la Fabrique du 18.

La semaine suivante, c'est le retour du Languedoc de Hoart et Bruneau que ce journal annonce, pour le jour même, soit le 25 novembre, sous titre identique mais, cette fois, sous la signature de Cognat ; rendez-vous au Moulin-à-Vent à midi pour "communier avec leurs pères." Et comme ce dimanche voit, par le pont de la Mulatière, l'arrivée de la seconde mission venue de Paris, celle de Machereau, le cortège, constitué des deux groupes en costume saint-simonien très remarqué, cantiques chantés à pleins poumons, emprunte les faubourgs et le pont de la Guillotière pour rejoindre les Brotteaux, où un banquet est préparé700. ‘ "Voyez votre banquet de Lyon701" ’, avait bien recommandé Michel Chevalier à Arlès-Dufour, dans son courrier du 24 octobre...

Cognat remet la direction de la famille lyonnaise, ‘ "formée avec son frère Derrion" ’, à ses nouveaux chefs Hoart et Bruneau. Des toasts - ‘ "Au Père" ’, ‘ "A l'association pacifique des travailleurs" ’ - sont portés par eux à l'issue de ce "repas fort simple" servi par des apôtres, devant un auditoire ‘ "de plus de cent personnes, hommes, femmes, enfants" ’. Un bal improvisé, salle Casati, termine la soirée.

Tous ces agissements de la secte lyonnaise, ces défilés, ces chants en ville, ces réunions, ne cessent d'inquiéter la police. Le 1er décembre, elle fait apposer les scellés sur une salle, au 17 rue Masson, où deux saint-simoniens, Germain et Romano, donnaient des leçons gratuites de mathématiques aux ouvriers702. Pour autant, l'activité de l'église lyonnaise ne se ralentit pas, multipliée au contraire, en cette fin d'année 1832, par l'arrivée de nouvelles missions, parties de la capitale les 28 novembre, 3 et 15 décembre.

Bien tristement, cette dernière mission de quinze hommes - dont le compositeur Félicien David - conduite par Barrault, prend le départ, sitôt le prononcé de l'arrêt de la cour de cassation : le pourvoi est rejeté et, comme il l'avait prédit, Enfantin reçoit, aussitôt, "le baptême de la prison" Sainte-Pélagie703 ; Michel Chevalier également.

Mais de Charles Duveyrier, pas la moindre trace ! Pourtant, L'Echo de la Fabrique 704, annonçant cette double incarcération, rappelle bien, et les trois condamnations à un an de prison prononcées, et les trois pourvois en cassation formés. Quel est le sort réservé à ‘ "ce fou à lier" ’, comme Enfantin le qualifiait deux ans plus tôt, car, ajoutait-il, ‘ "il nous aime comme un amant aime sa maîtresse, une fille sa mère705" ’ ? Parmi les dernières lettres - de la période présente - que lui adressait ‘ "l'un des fils les plus aimants et les plus aimés706" ’, celle du 10 novembre savourait auprès du Père, avec quelque impudence, la liberté retrouvée ‘ : "Le monde m'appelle, le monde luxueux, aristocratique, le monde où les femmes laissent à l'homme la puissance de nom et se contentent de la puissance de fait. Je deviens mondain et moi le poète de Dieu, je vais sabrer le monde comme je vous ai caressé, vous mon père, qui avez été longtemps l'unique objet de mes affections... Le premier fait que je veux réaliser, c'est de gagner assez ’ ‘ d'argent pour pouvoir m'installer à l'Opéra, aux Bouffes, au Café de Paris, etc., et par les choses que j'aurais écrites m'ouvrir les portes des riches et des aristocrates ; une fois les portes ouvertes nous verrons bien..." ’ Cependant, il ajoutait : ‘ "Oui, je vais sabrer le monde, le sabrer et le baiser, sans autre boussole que ce que vous avez mis en moi. Je vous prie de ne me juger que sur mes oeuvres, et non pas sur ce que ’ ‘ je n'aurai pas fait ’ ‘ , mais sur ce que je ferai. [...] En tout cas, Père, je sens VOTRE OEUVRE et je l'aime en vous avouant que ’ ‘ vous seul ’ ‘ me la faites aimer707..."

Toujours est-il qu'Enfantin, seulement quatre jours après le début de sa détention, ironise : "Si tu vois Charles, écrit-il à Lambert, tu peux lui dire que la prison est charmante, qu'on y mange et qu'on y dort à ravir, que personne n'y maigrit, car Michel engraisse ; si tout cela le tente, il lui est facile d'en faire l'essai708." ’ "L'essai" ne fut pas tenté ! Les Oeuvres de Saint-Simon et d'Enfantin jettent un voile pudique sur le sujet. De même, et de leur côté - sauf omission de notre part -, les principaux historiens du saint-simonisme cessent, pour le moment, d'évoquer la figure du fils de l'un des membres les plus actifs du Tribunat. Brutalement, elle sombre dans un oubli général.

C'est que, dans la mesure où elle est connue, la raison de ce silence est faiblement avouable. Le père de Charles709, dans le pénible souvenir de ses emprisonnements à Luxembourg - par les Autrichiens après la fuite à Varennes -, puis à l'Abbaye - sur ordre de Robespierre710 -, avait imploré la clémence de Louis-Philippe711. Il n'avait pas hésité à plaider la folie de son fils et à demander qu'il fut placé en maison de santé; sa famille, seule, pourrait l'y visiter et le calmer et, bien entendu, assurait-il, seraient rigoureusement exclus tous les membres de la "Société anti-sociale"". Le coeur du roi y fut sensible et Duveyrier ne subit, nous dit-on, qu'une partie de sa peine712. Vraisemblablement, le paiement de la seule amende de cent francs !

Cette grâce accordée à son ami, Chevalier ne semblait pas l'ignorer le 18 novembre ; encore confiant en la sentence, il écrivait à Enfantin : ‘ "Et je ne crois pas que, pour vous ni pour moi, ce soit la prison713." ’ Duveyrier y échappe ! Il est piquant de noter qu'une douzaine d'années plus tard, le "poète de Dieu" sera nommé, sous le même souverain et par Montalivet, ministre de l'Intérieur, inspecteur général adjoint des prisons...

Quant à ses anciens catéchumènes, toujours fidèles à leur foi, à peine arrivés à Lyon,les voici, les uns et les autres, qui s'emploient comme manoeuvres, treize heures par jour ; pourtant, pour la plupart, ils sont bien peu habitués à d'aussi rudes labeurs. Pour ces hommes qui veulent ‘ "réhabiliter, honorer le travail" ’, ‘ "les actes viennent à l'appui des discours714" ’ se félicite L'Echo de la Fabrique. ‘ "Sublime apostolat auquel nous applaudirions si des idées mystiques ne venaient mal à propos" ’ rappelle-t-il dans un autre article du même jour, fidèle à sa ligne de conduite impartiale.

Les détracteurs ne font pas défaut. Moins laudatives, et de beaucoup, les attaques du Courrier de Lyon ne manquent pas. Par contre, Le Journal du Commerce du 28 décembre, catégorique, rassure ses lecteurs : ‘ "Jamais dans les prédications saint-simoniennes, il n'est dit un mot qui tendit à l'anarchie, à la désobéissance aux lois, au renversement ou au mépris même du gouvernement établi... Bien au contraire, des missionnaires catholiques ont toujours prêché la révolte contre la loi, contre les hommes, contre les choses, ils faisaient de Dieu le génie du mal dont ils étaient les dignes ministres."

Parfois, les tracasseries journalistiques se transforment en violences physiques. En témoignent les avanies et insultes subies, sur la route de Nogent à Méry, par Rigaud, à la tête de sa compagnie d'ouvriers, de la part de quelques soldats du 1er régiment de ligne. Barrault, sur la route de Lyon où son arrivée est prévue le 1er janvier, par une lettre adressée de Troyes, se plaint, aussitôt, auprès de leur colonel, de cette ‘ "conduite scandaleuse" ’, rapporte L'Echo de la Fabrique du 30 décembre 1832. En annonçant l'insertion prochaine de cette doléance, il ajoute que Barrault ‘ "vient dresser copie de cette lettre à M. Arlès-Dufour, négociant à Lyon, qui nous l'a remis[e]."

Jusqu'à présent, le "chef d'état-major" n'a jamais été nommément cité ; nulle part. Encore ne l'est-il ici qu'à titre professionnel, sans arrière-pensée, presque par inadvertance. Il est vrai qu'il est devenu un familier des bureaux de la place de la Boucherie des Terreaux, siège de l'hebdomadaire, et un chroniqueur de plus en plus prolixe dans ses colonnes. Indépendant d'esprit, sans doute ne s'arrête-t-il pas à ce genre de détail : animé du souffle de ses profondes convictions, il entend bien les assumer, même au-delà ; la fidélité en amitié commande ! De plus en plus d'ailleurs, face à l'afflux massif des missionnaires et aux préoccupations et dispositions qui s'ensuivent. H.-R. d'Allemagne note qu'en ce début de 1833, Arlès-Dufour fait preuve ‘ "d'une ardeur que sa famille et ses amis s'efforçaient souvent de modérer715."

Les matinées musicales, avec Félicien David et Rogé, et les bals qui se succèdent sont autant d'occasions d'attirer l'intérêt de la population, jusqu'au jour où tombe l'interdiction du procureur du roi. Un bal, "charmant", avait été organisé, ‘ "avec un ordre, une décence et une tranquillité admirables716" ’, pour la première fois à la Rotonde de Perrache. Il sera, hélas, le dernier. Se fondant sur l'arrêt de la Cour de cassation dissolvant la Société saint-simonienne, défense est faite au propriétaire d'ouvrir le dimanche 20 janvier. La force armée est requise pour exécuter cet ordre et ‘ "renvoyer chez eux les danseurs et les danseuses, fort peu satisfaits d'en être pour leurs frais de toilette et de leur course. Si le pouvoir veut rendre les saint-simoniens intéressants et grossir le nombre de leurs prosélytes, il ne pouvait trouver un meilleur moyen que la persécution ! " ’ Par deux lettres au maire, Barrault, à Lyon depuis le début du mois et à qui Bruneau et Hoart ont, naturellement, cédé la direction du centre local, s'insurge, contre l'interdiction désormais faite d'organiser bals et promenades en costumes dans la ville717. Bien entendu, ses suppliques resteront vaines. Décidément, les difficultés s'amoncellent tandis que les saint-simoniens font l'objet d'une surveillance accrue.

Une occasion macabre va leur permettre, une nouvelle fois, de faire parler d'eux. Depuis quelques années, le nombre de condamnations à la peine capitale suivies d'exécutions est en forte diminution. En 1829, 68 exécutions pour 89 condamnations, en 1830 38 pour 92, en 1831 28 pour 108718, soit respectivement 76%, 41%, 26%. Malgré cela, c'est, à n'en pas douter, la peine de mort qu'encourt celle qui se proclame régente de France, la duchesse de Berry ; rentrée clandestinement en France avec l'aide des légitimistes, elle a été arrêtée à Nantes dans des circonstances vaudevillesques.

Deux jours après, le 9 novembre 1832, Enfantin qui ne doute jamais de rien, s'adresse directement à la reine : ‘ "[...] Une FEMME, mère et fille de ROI, une FEMME de votre sang va être condamnée à MORT. REINE ! FEMME ! Que toutes les FEMMES, à votre voix, nous délivrent du BOURREAU ! Toutes sont prêtes. Plus d'ECHAFAUD ! DIEU m'ordonne de faire retentir publiquement, hautement, ce cri de ma foi, afin que tous et TOUTES l'entendent719." ’ Dès le lendemain, prenant la plume à l'adresse de Hoart et Bruneau, il leur recommande ‘ "la plus grande publicité possible" ’ autour de sa supplique : ‘ "Ce fait est le point de départ de l'introduction des femmes dans la politique, sentez-en promptement l'importance720..."

Lors de la dernière session d'assises du Rhône, un certain François Guerre, convaincu de double assassinat suivi de vol, a été condamné à mort. Le 20 février 1833, l'échafaud est dressé sur la place Louis XVIII721, dans le quartier Perrache, ‘ "où l'on a heureusement relégué les exécutions capitales722" ’, rappelle, deux jours après le supplice, Le Journal du Commerce. C'est aussi pour relever que les saint-simoniens, dont l'habitation est située dans ledit quartier, ont masqué la façade de leur maison d'une tenture noire portant ces mots "Plus de sang723", comme l'avait écrit le Père condamnant l'échafaud. Et, là aussi dans ce journal, ‘ "bien que nos doctrines sociales, gouvernementales et autres ne soient pas celles des saint-simoniens" ’, on loue leur initiative : ‘ "Nous ne pouvons qu'applaudir aux sentiments nobles, généreux et humains que leur ont inspiré un tel voeu, à la réalisation duquel nous mettons toutefois une restriction en ce qui concerne les assassins724."

Cependant, la banderole ne reste pas longtemps en place, rapidement enlevée par la police. Lemême quotidien, le surlendemain, en rend compte et commente : ‘ "C'est ainsi que l'on rencontre toujours la police partout où elle n'a que faire, et qu'on ne la voit jamais là où sa présence, où son action serait indispensable. C'est ainsi qu'elle s'occupe de politique et de prétendues conspirations... C'est ainsi qu'elle fait arracher la tenture noire des saint-simoniens ’ ‘ qui émettent un voeu d'humanité, de morale et de paix, en manifestant leur horreur du sang et qu'elle livre scandaleusement aux regards du public indigène la tête et le corps du supplicié traversant la ville, ouverte de toutes parts." ’ Le tombereau où devaient être reçus la tête et le tronc du guillotiné n'était pas arrivé à temps !

Dans leurs cellules, Enfantin et Michel Chevalier ne restent pas inactifs. Ils pensent, rêvent, méditent, écrivent inlassablement, recopient et annotent les textes du passé, préoccupés déjà d'assurer la pérennité de leurs archives. L'imagination toujours débridée, outre un calendrier saint-simonien - commémoratif des ‘ "faits remarquables de notre vie725" ’ - , ils conçoivent un collier ‘ "dont chaque anneau se rattache aux phases de notre vie ; chacun d'eux désignant les hommes qui, jusqu'ici ont marqué leur passage parmi nous726." ’ De cette ‘ "chaîne, signe de la triple servitude du célibat, du prolétariat et de la prison que le Père et ses fils ont subi pour le peuple" ’, Duveyrier n'en est pas absent !

Par lettre du 6 février 1833, Holstein, chargé d'apporter cette ‘ "nouvelle marque distinctive de l'admission des néophytes éprouvés727" ’ aux "enfants" de Lyon, reçoit de Chevalier le protocole de la cérémonie de remise. Les consignes sont minutieusement élaborées. Avant de recevoir l'accolade et le collier, chaque récipiendaire doit prononcer un acte de foi en Dieu, selon un texte préétabli, et proclamer notamment : ‘ "Je crois que Dieu a suscité le Père pour appeler la Femme-Messie qui consacrera l'union par égalité de l'homme et de la femme, de l'humanité et du monde." ’ Quant aux destinataires, Michel Chevalier désigne, d'accord avec Enfantin, Barrault, Bruneau et Hoart. Et c'est pour ajouter aussitôt : ‘ "Tu le mettras toi-même à Arlès." ’ La distribution eut lieu à Lyon ‘ "à la fin de février728" ’, plus exactement le 17729, à l'occasion d'un grand banquet de trois cent cinquante couverts730.

Nous avons peine à penser qu'Arlès-Dufour put se prêter publiquement à cette solennité. Enfantin, lui-même, semble en douter. Soucieux de la composition de cette assistance, il ajoute : ‘ "Y avait-il quelques bourgeois ? Arlès y paraît-il quelquefois731 ? " ’ Ce collier, lui fut-il remis au cours de cette séance plénière ou plutôt en privé, par son ami Holstein qui avait lui-même souri à l'annonce de cette ‘ "puérilité732" ’ ? Toujours est-il que ce ‘ "rêve de chaudronnier en délire733" ’ fut accepté... En témoigne sa présence parmi ses souvenirs pieusement conservés, d'abord par sa femme, leurs descendants ensuite.

Malgré la symbolique parfaitement orchestrée de la réunion, malgré la nombreuse assistance, la famille lyonnaise est apparue froide et fatiguée. En fait, le foyer saint-simonien se consume lentement. Les disciples, éparpillés dans la région au gré des chantiers, peinent à la tâche pour des salaires de misère ; leur bel exemple peu couronné de succès, ils se lassent. Certains autres, peu attirés par la ville, préfèrent poursuivre leur apostolat ailleurs. La "famille" lyonnaise va ainsi s'effilocher au cours des quelques mois suivants avant que Hoart, le 30 mai, se résigne à prononcer sa dissolution.

"Les lisières sont coupées" ’ ; ‘ "je veux éviter [...] de donner une direction fixe à qui que ce soit de mes enfants" ’, avait écrit Enfantin à Holstein, le surlendemain de son entrée à Sainte-Pélagie. A chacun désormais - et pour le moment - de propager sa foi comme il l'entend. Duguet rêve d'évangéliser l'Amérique, rien moins. Cayol, à peine arrivé à Lyon, prend le chemin de Marseille, avec sept compagnons, dont Thomas Urbain. De là, à la tête de son ‘ "Armée des Pyrénées et Loire" ’, ‘ "je regarde Lyon, je veille sur Paris, à ma droite l'Italie, à ma gauche l'Ibérie, en réserve l'Afrique et l'Asie" ’, mande-t-il, dans son ‘ "premier bulletin734", ’ à Arlès-Dufour, le 4 janvier 1833. Lui est-il reconnaissant de quelques biens matériels ? Est-ce simplement la manifestation désintéressée d'une amitié rapidement nouée lors de son passage ? Ou bien encore l'indice de relations d'affaires antérieures, ou... à venir ? Ne dit-on pas de lui qu'il est ‘ "commerçant habile, prêt à tout et bon à tout faire depuis la commission des soieries jusqu'à l'oiseau du maçon735" ’ ? En moins de trois mois, il visite Nîmes, Montpellier, Béziers, Toulouse, puis Toulon, Ajaccio, Bastia et, de nouveau, Marseille, le 14 mars, avant de s'embarquer pour l'Egypte. D'Alexandrie, le 21 mai, il tient à faire partager à Arlès-Dufour sa satisfaction devant le succès de ses prédications736. Mais le but de l'équipée est d'atteindre Le Caire et les difficultés financières sont grandes...

A Marseille, le chemin de Cayol avait croisé celui de Barrault et sa mission, eux en partance pour Constantinople. A cet ancien professeur de lettres, Enfantin, dès ses premiers jours d'internement, écrivait : ‘ " A vous Lyon, à vous la France, à vous le ’ ‘ monde737 ! " ’. Et le 26 janvier 1833 : ‘ "J'entends, du fond de ma prison, l'Orient qui s'éveille et qui ne chante point encore, qui crie. [...] La grande communion se prépare ; la Méditerranée sera belle cette année depuis Gibraltar jusqu'à Scutari ; cette côte brûlante se soulève, et appelle l'Occident endormi sous la parole de ses phraseurs de tribune. [...] Le temps est venu. Tu peux M' ’ ‘ annoncer ’ ‘ à l'Orient et ’ ‘ y appeler ’ ‘ la MERE738 ..."

Dans le même temps, plus précisément le 28 janvier, Barrault qui décidait l'institution de l'association des "Compagnons de la femme", déclarait à ses amis lyonnais avoir reçu une révélation : ‘ "Je sais où est la Mère : en Orient ! " ’ Cette coïncidence jugée curieuse, voire mystérieuse, fut vue par l'un et par l'autre comme un signe divin... A vrai dire, l'idée était déjà dans l'air. Cet "appel de l'Orient" cheminait dans les esprits depuis plusieurs mois. Barrault, comme Duveyrier, y avait déjà songé. Michel Chevalier, dans Le Globe du 5 février 1832, construisant son Système de la Méditerranée, avait écrit : ‘ "La Méditerranée doit être désormais un vaste forum sur tous les points duquel communieront les peuples jusqu'ici divisés. La Méditerranée va devenir le lit nuptial de l'Orient et de l'Occident739."

L'Orient ! Mais quel Orient740 ? L'Algérie741 ? Ce pays, pourtant en début de conquête et de mise en valeur, où tout est à créer, personne n'y pense ; dans l'instant du moins742. Pour cause : Le Globe saint-simonien du 10 novembre 1831, au moment où l'on commence déjà à s'interroger sur le sort à réserver à cette conquête743, n'a-t-il pas envisagé de ‘ "laisser à ’ ‘ l'Angleterre le soin de civiliser les côtes barbaresques en commençant par Alger744" ’ ? Ceci, même si ce fameux "Système de la Méditerranée" espère, pour prochain, le jour où ‘ "un voyageur, parti du Havre de grand matin, pourra venir déjeuner à Paris, dîner à Lyon et rejoindre le soir même à Toulon le bateau à vapeur d'Alger" ’ ; il est vrai que c'est pour ajouter aussitôt : ‘ "ou d'Alexandrie745." ’ Nous l'avons dit, si pour Cayol c'est l'Egypte, l'Orient, pour Barrault, c'est Constantinople. Ainsi en avait-il décidé en quittant Lyon le 4 mars 1833 ; le 22, il s'embarque à Marseille sur La Clorinde 746 à la tête d'un compagnie de douze hommes. Ils ‘ "portent tous un nouveau costume qui consiste en un gilet écarlate à manches, une tunique blanche, un pantalon écarlate collant, des bottes molles sur le pantalon, des gantelets noirs et une écharpe noire autour du cou747." ’ Le groupe est composé entre autres de Cognat, Rigaud, des polytechniciens Félix Tourneux, Jean Prax et Pierre Decharme, Urbain - qui avait quitté Cayol -, aussi Félicien David et... son piano ! Le présent d'un admirateur des apôtres748.

Le saint-simonisme ne prône-t-il pas le rôle social de l'artiste ? Du poète qui ‘ "chantera désormais l'espoir du peuple qui travaille" ? Du "musicien dont la musique enivrante et puissante [...] s'emparera, par toutes ses mélodies, par toutes ses variations, de la puissance d'émotion réservée à la musique749" ’ ? Le généreux donateur de l'instrument n'est pas celui auquel on pourrait penser750..., malgré les encouragements et soutiens divers prodigués au futur compositeur du Désert.

Le piano de David va accompagner la petite troupe de Barrault tout au long de ses tumultueuses pérégrinations. Arrivée à Constantinople le 15 avril, en plein conflit turco-égyptien, elle en est expulsée huit jours plus tard à destination des Dardanelles, de là d'îles en îles avant de se retrouver à Smyrne. Dans cette ville, ils nouent une relation avec Lamartine, en exil depuis la chute de Charles X et sur le point de rentrer en France. La documentation saint-simonienne qui lui est remise ne séduit pas le poète. ‘ "Mais si je ne puis partager vos ’ ‘ jeunes illusions sur la réalisation d'un âge d'or ici-bas, je partage plus que personne vos nobles désirs d'amélioration sociale751." ’ Leurs destins se rencontreront, plus tard...

Avant Alexandrie où l'on retrouve Cayol et ses compagnons, Smyrne ne sera qu'une étape de plus dans ce long périple. En définitive, ce ne sera qu'un périple de plus, parmi d'autres. L'Egypte va devenir l'unique destination, le centre d'une agitation brownienne accélérée, un lieu d'arrivées, d'allées et venues continuelles, de départs définitifs aussi... C'est à ce pays, en effet, que ‘ "l'Orient des saint-simoniens se réduit en fin de compte : ce pays est le seul, du fait du passage de Bonaparte, à donner prise à la science et à la technique françaises752." ’ Avec Prosper Enfantin va être donné le signal de ‘ "la seconde expédition culturelle française en Egypte753."

Alors que Barrault et ses Compagnons de la Femme guettent infatigablement l'apparition de la Femme-Messie dont Enfantin ‘ "pouvait se croire destiné à en devenir l'époux754" ’, le détenu est extrait de Sainte-Pélagie, ainsi que Michel Chevalier, pour comparaître une seconde fois, le 8 avril 1833, devant les assises de la Seine. Toujours de façon théâtrale ! ‘ "Un riche manteau de velours orné d'hermine est jeté avec grâce sur ses épaules. Des bottes confectionnées avec art montent jusqu'à ses genoux ; un cachemire enlace son cou et tombe sur sa poitrine, sa barbe est longue et arrangée avec le plus grand soin755." ’ En définitive, l'article 291 du code pénal est jugé inapplicable aux réunions saint-simoniennes et le caractère religieux du mouvement reconnu implicitement dans les limites du maintien de l'ordre public. Ils sont donc acquittés sur le même délit qui les a fait condamner, au moins sur ce chef, à la prison. Ils n'en rejoignent pas moins leur "cage" commune, en fait un appartement de quatre pièces au premier étage de Sainte-Pélagie...

A l'occasion du procès, on avait remarqué que Michel Chevalier avait ‘ "quitté le costume de saint-simonien756" ’ et, ‘ "avec l'assentiment du Père" ’, coupé sa barbe, complément indispensable de ce costume. Ces quelques signes d'indépendance, prise après un cas de conscience de l'un, les objurgations de l'autre - ‘ "sa religieuse fidélité" ’ presque brutalisée757 -, précédaient une rupture consommée définitivement le 5 mai. Pour Michel, l'heure de l'"émancipation" avait sonné, celle de sa libération, pour raisons de santé approchait ; elle intervenait le 6 juin.

Peu après, Enfantin confie, tristement, à son vieil ami Holstein : ‘ "Six mois encore de prison et complètement ignorant de ce que je ferai en sortant d'ici758" ’. Mais, la "coque de silence" ne tarde pas à être percée. Il s'agit de faire sonder l'ancien apôtre Henri Fournel, polytechnicien, ancien directeur du Creusot, afin de ‘ "provoqu[er] des ingénieurs des ponts ou des mines à venir visiter l'Egypte pour y méditer quelque oeuvre à faire plus tard, l'année prochaine, par exemple." ’ Leurs vues, leurs rêves, à l'un et à l'autre, se rejoignent. ‘ "La route d'Alexandrie au Caire va bientôt s'exécuter" ’, s'enthousiasme Enfantin auprès de Petit, un des anciens "novices" de Ménilmontant, ex-avocat, qui leur a servi d'intermédiaire. ‘ "Le canal de Suez se fera certainement aussitôt que Méhémet759 songera un peu moins à ses armées. [...] Il y a donc à offrir à Méhémet cinq cents travailleurs, ’ ‘ au moins ’ ‘ , pour commencer, conduits par cinquante hommes, dont ’ ‘ moitié ’ ‘ , au moins, sortiraient de l'Ecole polytechnique. C'est une oeuvre qui ne saurait encore ’ ‘ me ’ ‘ concerner activement, quoiqu'elle doive être faite par des saint-simoniens, sur l' ’ ‘ invocation ’ ‘ du PERE en prison et de la MERE attendue760.

Le canal de Suez ! Un ouvrage déjà entrepris par l'Egypte des Pharaons, trois mille cinq cents ans plus tôt et rapidement tombé en ruines, puis par Darius, roi des Perses, vers 500 avant notre ère, relayé par les empereurs Trajan et Adrien, en l'an 100, désensablé au VIIe siècle, sous le nom de "canal du Prince des Fidèles". Seuls, quelques vestiges demeurent. Mettre aussi ses pas, avec émotion, dans ceux de Bonaparte, de Monge et Berthollet, et de l'ingénieur J.-M. Le Père761 dont les travaux sont fébrilement scrutés par Fournel à la bibliothèque du Jardin des Plantes. Quelle ‘ "manifestation incontestable et gigantesque de la puissance de la doctrine762" ’ ! A Rodrigues, quelques instants avant de mourir, Saint-Simon avait murmuré : ‘ "Souvenez-vous que pour faire quelque chose de grand, il faut être passionné763."

Enfantin allait s'employer à son projet avec d'autant plus de passion qu'une heureuse nouvelle lui parvient : ‘ "Dieu ne veut pas que vous respiriez plus longtemps l'air étouffé de la prison764" ’, lui écrit, le 23 juillet, Cécile Fournel. Une ordonnance d'amnistie particulière signée par le roi, les portes de la prison s'ouvrent, en effet, devant lui le 1er août 1833765.

Retiré à Ménilmontant dans la plus grande solitude, il ne tarde pas à annoncer à Barrault sa dernière inspiration et sa prochaine venue : ‘ "Je ne sais quand l'Orient me verra, mais ce sera bientôt." ’ Egalement : ‘ "C'est à nous de faire, entre l'antique Egypte et la vieille Judée, une des deux nouvelles routes d'Europe vers l'Inde et la Chine ; plus tard, nous percerons aussi l'autre à Panama766."

Un double hommage, au passage, à la mémoire de Saint-Simon qui avait déjà songé à relier, au travers du Mexique, l'Atlantique au Pacifique - et, là aussi par un canal, Madrid à la mer -, avant d'ajouter, programme d'instructions fermes et détaillées à l'appui : ‘ "Suez est le centre de notre vie de travail ; là, nous ferons l'acte que le monde attend pour confesser que nous sommes mâles."

Cet acte, il entend le faire partager à Michel Chevalier ; celui-ci se récuse. Il n'est plus question pour lui de se placer sous la tutelle du Père, sans rompre pour autant avec ses anciens amis. Le contact est d'ailleurs conservé avec Arlès-Dufour à qui, avec scepticisme, il s'adresse : ‘ "Le Père Enfantin part avec Fournel, Lambert, Holstein, Ollivier, Alexis pour l'Egypte. Il part demain. Ils veulent faire oeuvre d'ingénieurs, percer l'isthme de Suez. L'idée est belle et grande assurément. Leur projet, d'ailleurs, tel que Fournel me l'a exposé [...] n'a pas le sens commun. Il est possible, d'un autre côté, que s'il avait le sens commun il avortât et qu'il soit réservé au Père Enfantin de réaliser de ces choses qui n'auront le sens commun que dans six cents ans767."

Très vraisemblablement, Arlès-Dufour est averti directement du prochain passage à Lyon de son ami Enfantin qui ne pouvait pas ne pas le retrouver à cette occasion, ni descendre chez lui ; d'autant que le Père y a convoqué les ex-capitaines Hoart et Bruneau, en leur assignant une tâche bien définie : ‘ "Je n'aurai pas besoin d'argent ici ; mais il faut m'en préparer pour Alexandrie, et le plus possible. Vous verrez Montpellier. Mais déjà Lyon et Grenoble devront s'exécuter. Il n'y a plus à reculer ; je veux ’ ‘ pratiquer768, et l'on dit assez que je suis fort en ’ ‘ théorie ’ ‘ pour avoir quelque ’ ‘ confiance ’ ‘ . Ce n'est plus de l'argent perdu, j'en réponds769." ’ Arrivé le 1er septembre pour y ‘ "recevoir l'offrande de ses fidèles770" ’, il quitte la ville peu après pour s'embarquer, avec ses compagnons, le 23 à Marseille.

L'Echo de la Fabrique du 15 septembre 1833 commente : ‘ "Au dire de tous les journaux, l'oeuvre que ces hommes méditent est colossale et au-dessus de leurs forces, et surtout de leurs moyens financiers depuis longtemps épuisés. Faire un chemin ou un canal à travers un désert de plus de trente lieues afin de réunir la Mer Rouge à la Méditerranée et de rendre ainsi l'Europe toute voisine de l'Inde, voilà le travail qu'avec des hommes d'une grande valeur, il est vrai, mais sans argent, le père Enfantin veut entreprendre."

Derrière lui, l'émigrant laisse ceux qui prépareront les hommes devant, plus tard, répondre à son appel. Et il ordonne : ‘ "Hoart et Bruneau, vous vous occuperez du personnel et du matériel des travailleurs. Rogé et Massol, de la ’ ‘ musique ’ ‘ et des ’ ‘ costumes ’ ‘ [...]. Vous devez chercher les ressources nécessaires à l'équipement et au départ de l' ’ ‘ armée771."

Avec clairvoyance, la position du gouvernement français à son égard ne lui échappe pas. Celui-ci, dit-il, ‘ "voit avec plaisir mon départ, non seulement par raison de ’ ‘ police ’ ‘ , mais parce que je le délivre ainsi d'un élément, sinon de trouble, au moins d'émotion ; il le voit encore avec plaisir pour le but que je me propose, et ceci dans un intérêt national, politique et industriel772." ’ Avec lucidité également, il observe : ‘ "Le seul obstacle pourra être la volonté du gouvernement anglais773."

De son côté, la veille de quitter Lyon, Fournel qui, parmi d'autres, accompagne Enfantin, tient à exposer longuement à ‘ "[s]on cher Arlès" ’ ‘ "la pensée profonde de l'expédition sous le rapport industriel" ’. Pour lui aussi, ‘ "la première pensée qui se présente est celle de l'opposition de ce ’ ‘ grand négociant" ’, même si l'Angleterre ‘ "pourrait comprendre qu'elle devait ’ ‘ faire une affaire ’ ‘ à Suez" ’.

Au destinataire, bien convaincu déjà de cette évidente nécessité, il prêche l'union des deux nations. ‘ "Si la hiérarchie des hommes s'est successivement modifiée, croyez-vous que la hiérarchie des nations n'accomplisse pas des évolutions semblables" ’, lui demande-t-il, avant de se prononcer de façon prémonitoire, plus de cent ans avant, sur "les Amériques" : ‘ "Quelle que soit la force maritime actuelle de l'Angleterre, je ne comprendrais pas comment elle ne serait pas dépassée un jour par les flottes de cette île gigantesque qui, suspendue au pôle, partage l'Océan lui-même en deux océans [...]. La marine américaine deviendra, par rapport à celle de l'Angleterre, ce que fut la marine de l'Angleterre par rapport à celle de la Hollande." ’ De même, voit-il, à l'autre bout du monde, ‘ "cet espace immense qui obéit à l'autocrate et qui baigne, comme un océan, presque toutes les contrées de l'Europe" ’, la Russie ‘ "transformant d'un seul signe ses nombreux bataillons en bras producteurs" ’. Telles sont les raisons pour lesquelles la France et l'Angleterre doivent être toujours ‘ "rattachées par un lien matériel aux deux centres qui grandissent devant nos yeux" ’ ; et ‘ "c'est parce que la communication des deux mers, exécutée comme nous le concevons, serait un puissant mobile au mouvement industriel européen, que l'Angleterre, ’ ‘ dans son intérêt bien entendu ’ ‘ , devrait nous seconder774."

Dans ses bagages, Fournel a pris soin de ranger son bel uniforme d'ingénieur des Mines. Comme il l'avait fait à l'embarquement un mois avant à Marseille, à Alexandrie, il le revêt, ainsi que Lambert, pour quitter le bord du Principe Ereditario, aux côtés d'Enfantin. La suite qui les accompagne est composée de Holstein, Ollivier et Petit. Pour les accueillir, ils sont là, près d'une dizaine, parmi lesquels Duguet, envoyé quelques jours auparavant en éclaireur, Barrault, David - avec son piano... Cécile Fournel n'allait pas tarder à rejoindre Henri, son mari, accompagnée de Clorinde Rogé, l'une et l'autre bonnes saint-simoniennes. Urbain, Cognat sont au Caire à la quête de renseignements pour "l'oeuvre". D'autres sont partis à destination de Constantinople et de la Grèce. Cayol, Rigaud, Tourneux, Touché, eux, sont rentrés définitivement en France.

Peu après l'accostage, une première visite protocolaire s'impose parmi les contacts à prendre auprès de la colonie française, celle à rendre au représentant de notre pays, M. Mimaut, consul général, assisté de son jeune vice-consul ; ils y reçoivent le plus obligeant accueil. ‘ "Un excellent jeune homme qui nous aime775" ’, assurera Enfantin, quelques mois après, parlant du frais émoulu diplomate, âgé de 27 ans, en poste depuis l'année précédente. Il a pour nom Ferdinand de Lesseps.

Entre l'Egypte et la France, l'ambiance est des plus favorables. Le vice-roi Méhémet-Ali n'est pas oublieux : ‘ "C'est votre père qui a fait de moi ce que je suis. Souvenez-vous que vous pouvez toujours compter sur moi776" ’, rappellera un jour, au jeune diplomate qui lui est présenté, le pacha d'Egypte. Aussi, entreprenant et énergique, s'est-il entouré d'un certain nombre de Français afin de moderniser le pays. Soliman Bey - alias Joseph de Sèves, né à Lyon en 1788, ex-commandant français licencié par la Restauration et réfugié en Egypte où il est promu général et pacha777 -, a réformé et instruit l'armée ; une armée que, sous les ordres du fils du vice-roi, il a dernièrement conduite à la victoire contre les Turcs. Clot Bey s'occupe de la santé et des hôpitaux. Cerisy est en charge de l'arsenal et de la marine. Linant, ancien officier de marine, a la mission d'explorer les sources du Nil. Toutes les chances de réussite paraissent réunies, dès lors que notre pays jouit de la considération générale. Enfantin, peu de jours après son arrivée, quitte Alexandrie à destination du Caire. Il se lie d'amitié avec Soliman Bey qui lui offre, durant deux mois, "une prodigieuse hospitalité", et le "bon gros" général Hattein Bey, commandant de l'artillerie dont les affinités avec notre pays sont connues.

Pendant ce temps, l'ingénieur Fournel, présenté à Méhémet Ali par le consul général Mimaut, le 13 janvier 1834, multiplie ses efforts pour faire admettre le principe du canal. Il se heurte à la sempiternelle préoccupation de son interlocuteur de projet de barrage sur le Nil. De plus, un autre projet est formé, celui de relier Suez au Caire par un chemin de fer pour la construction duquel un ingénieur anglais Galloway est déjà sur les rangs ; Fournel s'y met aussi. La lutte d'influence entre la France et l'Angleterre se poursuit sur le territoire. Cinq longues rencontres ne suffisent pas pour convaincre l'interlocuteur et les membres du grand conseil qui, le 31 janvier, se prononcent définitivement contre le percement de l'isthme, en faveur du barrage, après avoir arrêté leur choix sur le chemin de fer de Galloway.

Les courriers eux-mêmes ou leurs copies, partielles ou intégrales, circulent toujours fort entre les membres de la communauté saint-simonienne. Une lettre d'Holstein adressée à Decaen permet à Arlès-Dufour de recevoir les ‘ "premières nouvelles d'Orient778" ’. Rogé, violoncelliste, lui en avait bien communiqué, ‘ "mais c'était un style d'artiste et trop fleuri pour que moi qui connais ces couleurs-là, j'aie pu les prendre au sérieux" ’, commente-t-il auprès d'Holstein, dans une lettre du 1er février 1834, reprise ‘ "pour des raisons indépendantes de sa volonté" ’ le 21. ‘ "Ta lettre est bien et nous donne une idée de votre position réelle779." ’ Mais, il ignore, pour l'heure, que la situation évolue peu favorablement.

Bien que les dépenses aient été jusqu'alors minimes, ‘ "j'espère bien qu'Hoart et Bruneau nous enverront quelque chose780" ’, avait souhaité Enfantin, à peine arrivé au Caire, auprès de Fournel, Lambert et Barrault laissés à Alexandrie. Arlès-Dufour s'en soucie justement avec ponctualité. Dans le courrier ci-dessus, il en donne le détail à Holstein : ‘ "En janvier, j'ai envoyé, à Vincent [?] à Marseille, 500F d'Hoart et 100F de Drut et de moi. Aujourd'hui je lui envoie 500 F de Marie Talon781 et 100 F de Drut et de moi. J'espère que tout cela (1200 F) vous parviendra heureusement et que bientôt j'aurai de vos nouvelles." ’ Toujours prévenant et cordial, quelque peu nostalgique aussi, c'est pour ajouter : ‘ "Si le Père, par suite des égards et attentions qu'on lui montre, désirait faire de ces cadeaux qui ont plutôt une valeur morale intrinsèque, je lui enverrais ou de jolis ouvrages de femmes, ou des choses qu'on ne doit pas trouver là-bas pour de l'argent. Dans le moment où mon atmosphère me pèse, je regrette que vous soyez si loin de moi car j'aimais bien souvent me reposer ou me ranimer auprès de vous. ’"

Là, "l'atmosphère" devient bien pesante également, même si, quelques jours auparavant, Enfantin considérait encore que l'oeuvre ‘ "est plus avancée que nous ne pouvions raisonnablement l'espérer à Alexandrie et à Marseille782. ’" Le ménage Fournel, bien que depuis longtemps converti à la secte au point de lui avoir versé, dans le passé, l'énorme somme de 80.000 F783, sombre dans le pessimisme. Cécile éclate : ‘ "Ah, pardonnez, Père, mais je ne crois ’ ‘ plus à ces espérances trompeuses que chacun de nos pas est venu démentir784." ’ De son côté, son mari consigne dans son Journal : ‘ "Ce que je veux, c'est sortir de l'inactivité qui règne sous les drapeaux du Père, inactivité que je crois devoir se prolonger et que je suis sûr de faire cesser pour moi en me plaçant dans une position individuelle785." ’ Et aussi, ce reproche direct à l'adresse d'Enfantin : ‘ "J'étais venu en Orient pour y déployer l'activité qui fait ma vie. Vous n'avez pas pu donner l'aliment à cette activité786 ! " ’ Le retour du couple en France est décidé ; celui aussi d'Holstein, tout autant découragé.

Tel n'est pas le cas d'Enfantin ; apparemment du moins : ‘ "Si Méhémet préfère le barrage du Nil au percement de Suez, l'inspirateur suprême du percement ira au barrage787." ’ Il veut n'y voir aucun échec, au contraire un moyen pour l'avenir. Courant mars, estimant approcher de ‘ "l'ère des miracles788" ’, il convie à ce travail, ‘ "la préparation de la grande oeuvre de Suez789" ’, Hoart et Bruneau - à Lyon - avec au moins trois autres ingénieurs, surtout hydrauliciens ; ils seront ingénieurs "volontaires", acceptés avec joie par le pacha. ‘ "L'homme qui est chargé du travail, Linant, et plus encore celui qui a la haute main dans tous les travaux de ce pays, Hattein Bey, nous aiment et comptent sur nous autant que sur eux-mêmes790."

Petit, Duguet et Holstein sont chargés de porter en France cet appel du maître et d'y expliquer le retour des époux Fournel791. Les deux premiers ont pour mission l'organisation matérielle et financière et la venue d'artistes, peintres, architectes, etc. ; ‘ "Rogé et Massol continuent leur oeuvre, je ne tarderai à demander aussi la musique792." ’ ‘ "Seulement, l'argent manquait pour le voyage ; il en vint de Lyon793" ’, précise laconiquement la Notice historique qui enchaîne, sans transition, sur la lettre que, dans le même temps, le 17 mars 1834, Enfantin adresse à Arlès-Dufour : ‘ "Les choses marchent comme je pouvais le désirer ; mon pied est sur bon sol et ma tête en bon air" ’, assure-t-il à son ami qui sera averti de tous détails par les porteurs. En fait, ce ne pourra être le cas immédiatement ; après avoir traversé une période chargée et difficile, dans le courant de ce mois d'avril, le commissionnaire en soierie est à Leipzig, pour la traditionnelle foire.

Quelque peu insidieusement, Enfantin poursuit : ‘ "Quand vous aurez vu Duguet, je serai bien aise que vous teniez Michel au courant de tout ce que vous aurez appris, si vous êtes en correspondance avec lui794..." ’ Tel est effectivement le cas. Malgré la distance qui les sépare, les deux hommes entretiennent un échange épistolaire suivi. ‘ "Michel continue à m'écrire presque par chaque ’ ‘ packet795" ’. A sa sortie de prison, il a reçu de Thiers une mission d'étude aux Etats-Unis. Des milieux gouvernementaux apparemment, Arlès-Dufour tient qu'‘ "on est très content de lui et [que] la prolongation de séjour est accordée". "Je le pousse pour qu'il voie la république du Sud et en revienne qu'au printemps prochain796" ’, écrit Arlès-Dufour, le 23 août 1834, à Hoart et Bruneau, se félicitant au passage du dernier article - ‘ "l'un de ses plus remarquables" ’ - de l'ancien rédacteur du Globe sur la fabrique de Howell, publié dans Les Débats 797.

En raison des délais de route, cette lettre ne parvient vraisemblablement à ses destinataires que réexpédiée sur le lieu même des travaux du barrage où, depuis la mi-mai, Enfantin et Lambert campent sous la tente. Les "capitaines" retrouvent là, quelques volontaires arrivés depuis peu.

Avec le sens de la mise en scène et de la propagande, Enfantin a aussi celui de la publicité. Il a souhaité disposer du talent du fidèle Machereau, peintre et dessinateur, ‘ "pour des vues du chantier qu'il lithographierait [...] un moyen de proposer le barrage sans parler798." ’ Aux côtés de l'illustrateur, du musicien David et de quelques autres, trois représentantes du sexe féminin - non banni ici, à l'inverse des heures de Ménilmontant et de l'ultérieur ‘ "célibat plus sévère que jamais799" - dont la lyonnaise Agarithe Caussidère.

Bien que sa vertu soit parfois mise en doute800, c'est à la complicité d'Arlès-Dufour et du défroqué Jean Terson qu'elle doit de fouler, en plein été, les sables du désert ! Non pas, bien sûr, afin d'y exercer ses charmes - ce dont elle ne se privera pas, loin de là - mais dans un but philanthropique. Lors de la récente insurrection des Canuts d'avril, elle avait pris une part active aux combats, distribuant cartouches, vivres et secours aux ouvriers. Son père et l'un de ses deux frères avaient été tués, l'autre emprisonné ; elle faisait l'objet d'un mandat d'amener. Malgré ce lourd passif, Arlès-Dufour et Terson - sans doute davantage le premier, mieux connu, que le second - étaient parvenus à attendrir le préfet du Rhône - depuis peu élevé à la dignité de Pair de France et nommé officier de l'Ordre de royal de la Légion d'honneur801 -, Gasparin en personne. A un point tel que, outre 100 francs de ses deniers personnels, le représentant de l'Etat faisait délivrer à Agarithe un passeport sous un faux nom à destination de l'Egypte802 !

Une autre femme, quelques mois plus tard, rejoindra l'équipe du barrage. A son passage à Lyon, mi-juillet, un banquet de 104 couverts803 avait été organisé en son honneur. En P.S. de sa correspondance du 23 août, Arlès-Dufour annonce sa venue en termes réticents : ‘ "Vous verrez sans doute deux dames, j'allais dire deux particulières. Deux femmes de la Mère, l'une fort bien, paraissant convenable et naturelle804, l'autre une dame veuve ou je ne sais quoi, Voilquin, prétentieuse et laide. Elles veulent voir l'Egypte et voudront vous voir aussi." ’ Trente ans plus tard, oublieux de son appréciation péjorative, mais non dénuée tout à fait de fondement, son auteur volera, en compagnie de son ami Enfantin, au secours financier de Suzanne Voilquin, au soir de sa vie805.

Cette longue correspondance adressée aux deux exilés, Hoart et Bruneau, impatients de rejoindre le Père, fourmille en détails ; Arlès-Dufour les en sait avides. Aussi, livre-t-il, en vrac, les échos tels que recueillis, de-ci de-là, à l'occasion de divers contacts et courriers reçus. Par Flachat, il a appris qu'Holstein espère rentrer dans l'assurance. ‘ "L'affaire de Dreveu ’ ‘ [?] est définitivement arrangée et j'espère qu'elle ne se dérangera plus." ’ Au détour d'une phrase, simple mention d'une lettre adressée au Père "pour Galloway", l'ingénieur britannique des chemins de fer. La généreuse libraire lyonnaise de la rue des Célestins, le dévoué diffuseur des publications saint-simoniennes, Mme Durval806, est à Paris ; on n'en sait pas davantage. Dans la capitale justement, l'ex-avocat Charles Duguet, de retour d'Egypte aux fins de recrutement d'ingénieurs, ‘ "parait fort content et [...] dit aussi que le saint-simonisme est en hausse à Paris." ’ Mais toujours réaliste, notre lyonnais - d'adoption - ajoute : ‘ "Comme je compte y aller sous peu, je vous dirai ce qu'il en est. Vous savez que je ne me laisse pas illusionner."

Malgré certains rêves entretenus, c'est qu'il a bien les pieds sur terre ! Au milieu de ses multiples occupations - dont nombre encore à découvrir -, il n'a évidemment garde d'oublier l'exercice de sa profession. Songer à importer des cocons d'Egypte semble prématuré ; par ordre de Méhémet, le pays commence seulement à se couvrir de plantations de mûriers807. Mais les pays environnants ?

A peine l'idée lui a-t-elle traversé l'esprit, qu'il passe à l'action ! Toujours dans la même lettre du 23 août : ‘ "Aujourd'hui, mes anciens, je viens vous demander des renseignements industriels qu'il m'importe de recevoir bientôt et cependant exactement. Le Père pourra certainement me les procurer par Soliman Bey. Il me faut aussi le ’ ‘ secret ’ ‘ . Vous comprenez que si vous étiez artistes, je ne m'adresserai pas à vous. J'ai besoin de savoir : Quels sont les marchés, villes ou villages de l'Asie Mineure ou de la Syrie où se vendent les ’ ‘ cocons ’ ‘ ? A quelle époque ? Quel est le prix moyen ? Serait-il facile de faire les achats quoiqu'étranger ? Quelqu'un des vôtres pourrait-il s'en charger si on lui envoyait de l'argent ? J'entends quelqu'un de sûr et pas un artiste." ’ Et encore, en bon commerçant averti des moeurs du pays, : ‘ "Si Atim Bey ou Soliman Bey qui sont de braves gens voulaient faire cette affaire, de compte à demi, cela irait encore - Mais, je le répète, il me faut des renseignements précis, exacts, prompts et secrets."

Cependant, la lettre, déjà fournie, ne s'arrête pas là. Elle apporte l'annonce de deux décisions importantes ! ‘ "L'homéopathie gagne du terrain en France et en Europe ; elle n'a plus besoin de l'aide d'amateurs comme moi et la part d'activité que je donnais à sa propagation reste libre..." ’. Depuis longtemps, en effet, il se passionne pour cette médecine. Nous aurons l'occasion d'y revenir, d'autant plus que la décision suivante paraît, de beaucoup, plus importante, plus inattendue.

"D'un autre côté, enchaîne-t-il, le Saint-Simonisme absorbait une autre partie de mon activité, de ma vie que sa nouvelle place ne réclame plus" ’. Par sa soudaineté, a priori, cette décision a de quoi surprendre. Est-ce à dire que, tout en confirmant sa foi, il se désengage du mouvement ? Non point. ‘ "Si vous avez besoin de mes services ici, réclamez-les" ’, recommande-t-il, à ses amis, au terme de sa lettre. De sa part, ce n'est pas parole en l'air.

Est-il influencé par la campagne de dénigrement menée par le ménage Fournel qui, dès son retour en France, dénonce la vacuité du nouveau projet de barrage, ‘ "le plus grand chantier de travail qui existe dans le monde808" ’, comme Enfantin se plaît à le penser ? Apparemment pas, restant toujours confiant dans la fermeté de l'objectif premier. A preuve lorsqu'il publie, au cours de cette fin d'année 1834, son opuscule sur les fabriques étrangères de soierie et soutient : ‘ "Bientôt, se trouvera réalisé le plan qui a occupé les plus grands génies depuis Alexandre jusqu'à Napoléon, et Paris sera aussi près de Calcutta que de Saint-Petersbourg [...]. Il s'agira pour la France de jouer son véritable rôle, celui de distribuer, au Nord, les produits du soleil de l'Inde et, à l'Orient, les fruits de la patiente industrie des populations du Nord. Alors Lyon deviendra l'un des entrepôts du commerce du monde809" ’ !

Ce rêve grandiose que partagent Arlès-Dufour et Enfantin n'est pas le seul. On le sait, bon nombre d'idées généreuses, utopiques parfois, d'amélioration sociale leur sont communes. Une forte sympathie les unit au point qu'il semble qu'une sorte de fascination mutuelle se soit exercée tout au long de la vie de ces deux hommes, de bonne taille, à la physionomie bienveillante, à l'allure sereine, réunissant chacun les qualités de l'intelligence et de la beauté physique.

Recommandant Ismaïl Urbain, retour d'Egypte, le 13 janvier 1836, Enfantin rappelle, à son "vieil Arlès", à son ‘ "vieux camarade tambour-major des voyageurs" ’, leurs anciens souvenirs : ‘ "Vous savez mon faible pour les artistes, vous homme éminemment posé et raisonnable, avec qui je me suis lié à Francfort, parce que vous étiez la sagesse même, n'écoutant pas la folle imagination et les rêves des poètes, n'aimant ni les spectacles, ni les jeux, ni le plaisir, ni les ’ ‘ femmes, ni la blague ; vous, homme de poids et grave, qui aimez ’ ‘ l'empereur ’ ‘ par calcul, la liberté par raison, le champagne par sagesse, et qui faisiez et chantiez le vaudeville avec moi par devoir et par dévouement810."

Malgré leur cordialité à tout jamais sans faille, à aucun moment, Enfantin ne se permettra d'adopter, à l'égard de son contemporain, le tutoiement "paternel" accordé à la quasi totalité de ses fidèles. Deux fortes personnalités - deux rocs - sont en présence. Pour la seconde, sans problème d'identification personnelle, il n'est pas question d'abandonner son libre arbitre, son indépendance d'esprit à l'égard de qui que ce soit ; encore moins de se soumettre aveuglément à un homme - fut-il considéré comme le meilleur -, moins encore à ses fantasmes. Et quand bien même son interlocuteur, comme Louis Blanc811 l'avait constaté, ‘ "possédait l'art de justifier, par la dialectique la plus serrée, les plus surprenantes théories."

Il cerne parfaitement le personnage, ce correspondant lointain au franc-parler rempli d'affection, Armand Aubert, depuis peu procureur du roi à Saint-Pierre de la Martinique812, solide relation de jeunesse d'Arlès-Dufour et Holstein, aussi d'Enfantin. ‘ "Vieux Bonhomme, sermonne-t-il le premier nommé, que le diable t'emporte d'être saint-simonien, encore une de ces utopies auxquelles je ne comprends rien. A première vue quelques idées sont noyées dans un flux de paradoxes, des vues sans fin, des idées de perfection impraticables dans une vieille société qu'on ne peut cependant refondre ; le tenter est folie, les voies et moyens ridicules, la chute et les risées inévitables. C'est avec bien du regret que j'ai vu notre bon Holstein se jeter dans cette entreprise. Que deviendra-t-il ? Toi, saint-simonien amateur, tu ne m'inquiètes guère813." ’ Il a bien raison, Aubert. Du Caire, en 1836, sans acrimonie, Enfantin le rappellera à son plus fidèle correspondant : ‘ "Vous-même, mon cher Arlès, qui n'avez pas porté l'habit [saint-simonien] et vécu à Ménilmontant, qui n'êtes jamais sorti du vieux monde814..."

Quelques années plus tard, ce saint-simonien, ainsi gratifié d'amateurisme, se trouvera gravement offensé, lors d'une algarade, par cet autre ami, Michel Chevalier, de retour d'Amérique : ‘ "Vous êtes du bois dont on fait les gens qu'on magnétise. Enfantin est un des grands magnétiseurs qui existent et qui aient existé. [...] Il vous a mis sous le charme et vous y êtes encore. Vous qu'il savait droit, franc, confiant, sans duplicité, il vous a employé à surexciter l'antipathie égalitaire de Gustave [d'Eichthal] contre moi815." ’ Non sans la même hardiesse, Arlès-Dufour lui rétorquera : ‘ "En me supposant fasciné et magnétisé par Enfantin, vous oubliez que lorsqu'il trônait et vous fascinait, moi je restai froid et calme... Une fois descendu du trépied où vous l'aviez juché et abandonné par vous tous, qui devait-il retrouver, sinon son vieil ami, son vieux camarade que l'apothéose n'avait pas ébloui et que la chute devait réchauffer et rapprocher816." ’ La fidélité d'Arlès-Dufour à l'endroit d'Enfantin devait rester entière ; on le voit dès à présent.

Le centre saint-simonien de Lyon, une fois disparu, auquel son "chef d'état-major" a tant sacrifié, en travail et aussi en notoriété personnelle, sa seule "utilité" demeure désormais dans la liaison à conserver entre la France et ses amis d'Egypte ; par le courrier échangé, toujours volumineux, sans oublier l'aide financière généreusement apportée... Maintenant, nourri de nouvelles ambitions professionnelles, il lui appartient de s'y adonner pleinement. De plus, sa maison de commerce a besoin d'un second souffle.

Jusqu'ici, l'écriture "à compte nouveau" de son Livre particulier 817 a été chaque année en progression constante :

  • Octobre 1831 : 172.191,68 F (+ 6%)818
  • Octobre 1832 : 186.285,36 F (+ 8%)
  • Octobre 1833 : 212.330,62 F (+ 13%)

Mais, les résultats de l'année 1834 s'annoncent préoccupants. ‘ "Après les affaires d'avril" ’, écrit-il, "ici, tout est fort tranquille, et cependant il n'y a pas de travail819." Au terme d'une année comptable de 13 mois, arrêtée au 30 novembre 1834, le compte "à nouveau" ne s'élèvera qu'à 239.115,72 F, soit une augmentation, en forte chute par rapport aux précédentes, de 3,95% ramenée sur 12 mois. En bon gestionnaire, il lui apparait logiquement nécessaire de chercher à étendre son domaine d'action.

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Notes
690.

Pour mémoire, lettre déjà citée in XI - Le saint-simonien (OSSE, Vol. 8, p. 122).

691.

Lettre Vidal à Picard, ? (A.N. AB XIX 332, citée par H.-R. d'Allemagne, Les saint-simoniens, op. cit., p. 364).

692.

H.-R. d'Allemagne, Les saint-simoniens, p. 364.

693.

OSSE, Vol. 8, p. 143.

694.

Ibid., p. 146.

695.

Ibid., p. 197.

696.

Ibid., p. 153.

697.

Ibid., p. 156.

698.

Ibid., p. 154.

699.

Lettre de Michel Chevalier, 11 novembre 1832, à Arlès-Dufour (ARS. 7646/553, citée par H.-R. d'Allemagne, Les saint-simoniens, op. cit., p. 437).

700.

"Nous sommes invités à publier la note suivante" dit L'Echo de la Fabrique 9 décembre 1832 qui rend compte de la manifestation.

701.

OSSE, Vol. 8, p. 125.

702.

L'Echo de la Fabrique, 2 décembre 1832.

703.

Là même où Saint-Simon fut incarcéré en 1793/1794.

704.

"Revue quindécimale", L'Echo de la Fabrique, 30 décembre 1832.

705.

Lettre d'Enfantin, Constantinople, Avril 1830, au docteur Bailly (OSSE, Vol. 27, p. 88). Egalement citée par H.-R. d'Allemagne, Les saint-simoniens, op. cit., p. 90, selon ARS 7644.

706.

OSSE, Vol. 8, p. 169.

707.

Ibid., p. 170, et H.-R. d'Allemagne, Les saint-simoniens, op. cit., p. 320.

708.

Lettre d'Enfantin, 19 décembre 1832, à Lambert (OSSE, Vol. 8, p. 204). Dans cette même lettre, Enfantin qui continue de travailler, après lecture d'Indiana, demande au destinataire de voir son auteur, "Mme Dudevant" au 19 quai Malaquais.

709.

Pour mémoire, ancien premier président de la Cour impériale de Montpellier parmi ses quelques titres cités partiellement in XI - Le saint-simonien.

710.

Il en fut miraculeusement libéré la veille des massacres de septembre 1792.

711.

In Honoré Duveyrier, op. cit., p. XXV, note, introduction de Maurice Tourneux.

712.

Cf. chapitre XII - Le saint-simonien, en note, extrait des écrits de Charles Duveyrier.

713.

OSSE, Vol. 8, p. 189.

714.

L'Echo de la Fabrique, 16 décembre 1832.

715.

H.-R. d'Allemagne, Les saint-simoniens, op. cit., p. 366. Dans ses Notes, Pauline remarque seulement, à propos des idées saint-simoniennes de son mari, qu'il les "a professées et répandues toute sa vie."

716.

Le Journal du Commerce, 23 janvier 1833. Selon d'Allemagne, Les saint-simoniens, op. cit., p. 328, ce bal donné à l'occasion de l'arrivée à Lyon du détachement de Barrault avait réuni 2.000 personnes ; il avait été précédé d'un banquet de 241 couverts.

717.

Journal du Commerce, 30 janvier 1833.

718.

Rapport Barthe in L'Echo de la Fabrique, 2 décembre 1832.

719.

Lettre d'Enfantin à la Reine des Français, ? novembre 1832 (OSSE, Vol. 8, p. 165-166. Typographie respectée).

720.

Ibid., p. 167.

721.

Actuelle place Carnot.

722.

Le Journal du Commerce, 22 février 1833.

723.

Lettre d'Enfantin à la Reine des Français, citée supra. (Le Journal du Commerce, 24 février 1833).

724.

Le Journal du Commerce, 22 février 1833.

725.

OSSE, Vol. 8, p. 216.

726.

Lettre d'Enfantin, 4 février 1833 à Barrault (OSSE, Vol. 8, p. 215).

727.

OSSE, Vol. 8, p. 218.

728.

Ibid., p. 220.

729.

H.-R. d'Allemagne, Les saint-simoniens, op. cit., p. 371.

730.

Selon le compte rendu adressé par Holstein à Enfantin et dont celui-ci lui accuse réception le 28 février 1833 (OSSE, Vol. 28, p. 156).

731.

Lettre du 28 février 1833 susvisée (OSSE, Vol. 28, p. 157).

732.

H.-R. d'Allemagne, Les saint-simoniens, op. cit., p. 347.

733.

Maxime Du Camp, Souvenirs littéraires, op. cit., p. 413.

734.

H.-R. d'Allemagne, Les saint-simoniens, op. cit., p. 330.

735.

Ibid., p. 327.

736.

Ibid., p. 331.

737.

Lettre du 20 décembre 1832 (OSSE, Vol. 8, p. 206).

738.

OSSE, Vol. 8, p. 212.

739.

Ibid., Vol. 6, p. 55.

740.

Pour mémoire, cf. Philippe Régnier, "Le mythe oriental des saint-simoniens" in Les saint-simoniens et l'Orient - Vers la modernité, op. cit.

741.

Pour mémoire à propos de cette appellation, cf. note in chapitre IX - La Révolution de 1830.

742.

A la seule exception d'un bref voyage de Rogé et Massol en août 1833 pour y fonder un théâtre (Philippe Régnier, Les saint-simoniens en Egypte, op. cit., p. 40).

743.

Cf. Jacques Canton-Debat "Espoirs et déceptions : Les six premières années de la conquête au travers des relations avec la Chambre de commerce d'Alger", L'Algérianiste, décembre 1994, n° 68, pp. 27-35.

744.

Il est vrai pour s'arrondir, en contrepartie, des provinces rhénanes.

745.

OSSE, Vol. 8, p. 60.

746.

Commandé en second par Garibaldi, "initié à la politique humanitaire" (OSSE, Vol. 9, pp. 25, 55 et 75).

747.

L'Echo de la Fabrique, 2 juin 1833.

748.

H.-R. d'Allemagne, Les saint-simoniens, op. cit., p. 372.

749.

Appel du Père Rodrigues, rue Taitbout, du 27 novembre 1831 (OSSE, Vol. 4, p. 217).

750.

Il s'agit du fabricant Chavan (Philippe Régnier, Les saint-simoniens en Egypte, op. cit., p. 136).

751.

Le Moniteur Universel, 18 août 1833 (H.-R. d'Allemagne, Les saint-simoniens, op. cit., p. 376).

752.

Philippe Régnier, "Le mythe oriental des saint-simoniens", cité supra, p.44.

753.

Amin Fakhry Abdelnour, préface, in Philippe Régnier, Les saint-simoniens en Egypte, op. cit.

754.

OSSE, Vol. 9, p. 11, note.

755.

Ibid., Vol. 8, p. 225.

756.

Ibid., Vol. 8, p. 225.

757.

Ibid., Vol. 9, p. 6.

758.

Lettre d'Enfantin, ? juin 1833, à Holstein (OSSE, Vol. 9, pp. 27 & 28).

759.

Il s'agit de Mohammed Ali, vice-roi d'Egypte. L'orthographe des OSSE a été conservée.

760.

Lettre d'Enfantin à Petit (OSSE, Vol. 9, p. 40).

761.

Curiosité de l'histoire que cette homonymie avec le surnom d'Enfantin, comme souligné par Ph. Régnier, Les saint-simoniens en Egypte, op. cit., p. 146.

762.

OSSE, vol. 9, p. 41.

763.

H.-R. d'Allemagne, Les saint-simoniens, op. cit., p. 13.

764.

Lettre de Cécile Fournel, 23 juillet 1833, à Enfantin (OSSE, Vol. 9, p. 42).

765.

En faveur d'Enfantin comme de Chevalier, selon Le Constitutionnel et Le Courrier (OSSE, Vol. 9, p. 47). Pour mémoire, celle, exceptionnelle, de Charles Duveyrier.

766.

Lettre d'Enfantin, 8 août 1833, à Barrault (OSSE, Vol. 9, pp. 55-57).

767.

Lettre de Michel Chevalier, 28 août 1833, à Arlès-Dufour (ARS 7704 selon H.-R. d'Allemagne, Les saint-simoniens, op. cit., p. 360). Michel Chevalier fut ensuite chargé par le gouvernement d'une mission aux Etats-Unis d'où il écrivit une série de lettres publiées dans le Journal des Débats, réunies par la suite en un volume sous le titre Lettres sur l'Amérique du Nord.

768.

Recourir aux services de quelqu'un. (Petit Robert).

769.

OSSE, Vol. 9, p. 62.

770.

Ibid., p. 65.

771.

Ibid., pp. 100-101.

772.

Lettre, ? août 1833 à Ardoin, "notable financier" ayant patronné diverses publications saint-simoniennes (OSSE, Vol. 9, p. 83).

773.

Ibid., p. 84.

774.

Ibid., p. 88 & s. Cette copieuse lettre de Fournel à Arlès-Dufour du 3 septembre 1833 est adressée de Marseille (et non de Lyon), selon Annexe N° 8, p. 424, in J. Charles-Roux, op. cit. ; ce qui pourrait paraître plus vraisemblable. Toutefois, les OSSE précisent bien : "Avant de quitter Lyon...".

775.

Lettre d'Enfantin, 18 août 1834, à Melle Saint-Hilaire (OSSE, Vol. 10, p. 16).

776.

Alex de Lesseps, op. cit., p. 22.

777.

Jean-Pierre Gutton [dir.], op. cit., p. 373, selon A. Vingtrinier, Soliman Pacha, colonel. - Philippe Régnier, Les saint-simoniens en Egypte, op. cit., p. 57, précise que Soliman pacha, fils d'un tondeur de draps s'appelait Joseph Sève. - Le Dictionnaire Quillet le nomme Octave de Sèves, né en 1787. - C. Beaulieu, op. cit., p. 664, fait mention, dans sa "Notice sur les hommes illustres" de "Camille Jordan Selves, fils d'un meunier de Lyon, devenu pacha en Egypte".

778.

Ancien rédacteur du Producteur, installé depuis manufacturier dans les environs de Lyon (OSSE, Vol. 7, p. 193).

779.

Lettre d'Arlès-Dufour, 1er février 1834, à Holstein (ARS 7688/3).

780.

Lettre d'Enfantin, ? novembre 1834, à Fournel (OSSE, Vol. 9, p. 181).

781.

Saint-simonienne chargée des archives et du journal féministe Le Livre des Actes, au départ en Egypte de Cécile Fournel.

782.

Lettre d'Enfantin, 17 janvier 1834, à Fournel et Lambert (OSSE, Vol. 9, p. 191).

783.

OSSE, Vol. 8, p. 111.

784.

Lettre de Cécile Fournel, 2 février 1834, à Enfantin (ARS 7619/56 selon H.-R. d'Allemagne, Les saint-simoniens, op. cit., p. 403).

785.

ARS 7828, selon H.-R. d'Allemagne, Les saint-simoniens, op. cit., p. 403.

786.

ARS 7614/7, selon H.-R. d'Allemagne, Les saint-simoniens, op. cit., p. 404.

787.

OSSE, Vol. 9, p. 204.

788.

Lettre d'Enfantin, ? mars 1834, à Hoart et Bruneau (OSSE, Vol. 9, p. 204).

789.

Ibid., p. 212.

790.

Ibid., p. 206.

791.

Tous les cinq à bord du même bâtiment qui quitte Alexandrie le 29 mars 1834.

792.

Lettre d'Enfantin, ? mars 1834, à Hoart et Bruneau (OSSE, Vol. 9, p. 208).

793.

OSSE, Vol. 9, p. 214.

794.

Lettre d'Enfantin, 17 mars 1834, à Arlès-Dufour (OSSE, Vol. 9, p. 215).

795.

In lettre citée ci-après - "Packet" : abréviation de packet boat (origine du nom "paquebot") qui désignait des navires à voile assurant le transport du courrier par voie maritime.

796.

Lettre d'Arlès-Dufour, 23 août 1834, à "Capitaine Hoart ou au capitaine Bruneau ou, en leur absence au Père Enfantin au Consulat de France à Alexandrie" (ARS 7688).

797.

Comme vu supra, à son retour des Etats-Unis, Michel Chevalier réunira ses articles en un volume intitulé Lettres sur l'Amérique du Nord.

798.

Lettre d'Enfantin, 27 juillet 1834, à Lambert (H.-R. d'Allemagne, Les saint-simoniens, op. cit., p. 409).

799.

Lettre d'Enfantin, 26 janvier 1833, à Barrault (OSSE, Vol. 8, p. 212).

800.

H.-R. d'Allemagne, Les saint-simoniens, op. cit., p. 414.

801.

L'Echo de la Fabrique, 27 mars 1834.

802.

Journal de Lambert (ARS 7828 selon H.-R. d'Allemagne, Les saint-simoniens, op. cit., note p. 421).

803.

Suzanne Voilquin, Souvenirs d'une fille du peuple..., Paris, 1866, cité par F. Rude, "Les saint-simoniens et Lyon", Actes du 89° Congrès des Sociétés savantes, p. 343.

804.

Celle-ci, non identifiée, semble avoir renoncé au voyage en Egypte.

805.

Philippe Régnier, Les saint-simoniens en Egypte, op. cit., p. 112. Une rente est constituée au profit de Suzanne Voilquin, en 1864, par Enfantin et Arlès-Dufour lui permettant d'entrer à l'Institution Sainte-Perrine à Auteuil.

806.

L'Echo de la Fabrique du 8 septembre 1833, Journal du Commerce du 3 février 1833, entre autres. Mme S. Durval est d'ailleurs l'une des deux libraires de Lyon chez qui sera vendu l'ouvrage d'Arlès-Dufour Un mot sur les fabriques..., publié en 1834.

807.

OSSE, Vol. 9, pp. 183 et 211.

808.

Lettre d'Enfantin, avril/mai 1834, à Barrault (OSSE, Vol. 9, p. 221).

809.

Arlès-Dufour, Un mot sur les fabriques..., op. cit., p. 145-146.

810.

OSSE, Vol. 10, p. 148. Texte également reproduit in OSSE, Vol. 30, p. 215 ; là, il est écrit "...qui aimez l'empereur par amour de l'ordre...".

811.

In Histoire de dix ans, cité par Hippolyte Castille, op. cit., p. 33.

812.

Siège administratif de l'île jusqu'en 1902, année de son transfert à Fort-de-France suite à l'éruption de la Montagne Pelée.

813.

Lettre d'Armand Aubert du 3 juin 1833, en réponse à un courrier d'Arlès-Dufour qui a mis un an pour lui parvenir ! En 1845, Aubert sera toujours - ou à nouveau - en poste sur ce territoire (Archives familiales).

814.

Lettre d'Enfantin, 19 juin 1836, à Arlès-Dufour (OSSE, Vol. 31, p. 22).

815.

Lettre de Michel Chevalier, 8 juillet 1838, à Arlès-Dufour (ARS 7704, citée par H.-R. d'Allemagne, Prosper Enfantin et... , op. cit., p. 12. Même source pour la réponse d'Arlès-Dufour sans doute rapide mais à la date non connue).

816.

H.-R. d'Allemagne, Prosper Enfantin et ... , op. cit., p. 13.

817.

Cf. V - L'installation lyonnaise. L'écriture "mes bénéfices" n'est plus portée.

818.

Pour mémoire, balance de 1830 : 162.572,65 F.

819.

Lettre d'Arlès-Dufour, 23 août 1834, à Hoart et Bruneau précitée. Bien évidemment, il s'agit de la révolte des Canuts de 1834.