XVIII - UN "PROLETAIRE ENRICHI"

La mauvaise fortune qui avait si sévèrement frappé Arlès-Dufour en 1837 ne semble pas avoir été fortement ressentie par sa famille. Ses soucis, il ne souhaite guère les lui faire partager. Et, comme en donne témoignage une lettre à Pauline du 26 janvier 1839, il s'emploie à lui offrir une vie toujours aussi douce et égale que possible. Pour elle, par goût personnel peut-être aussi, il est à l'affût des derniers cris de la mode parisienne ; il lui envoie ‘ "par M. Rivet [le préfet !] une paire de socques dont le pratique, le commode [l'] a séduit ; elles se portent sans bride et tiennent bien sans fatiguer" ’. Ensuite, il lui affirme : ‘ "Tes robes de bal ne suffiront pas" ’, avant d'ajouter : ‘ "S'il te faut crêpes ou tulles, prie Razuret1153 d'en acheter. Veux-tu quelque chose de Paris1154 ? "

Bien entendu, les enfants sont mis à l'abri de toute contrariété. En attestent, ces voeux sensibles et attendrissants formulés à sa mère, par Adélaïde, sa fille de onze ou douze ans, habituée à l'opulence quoique déjà compatissante aux souffrances des autres : ‘ "A ma bonne mère. Quel beau jour que le premier de l'an pour les enfants dont les parents ont de la fortune car ils reçoivent des cadeaux et des bonbons en quantité. Enfin aujourd'hui, tous ces heureux enfants s'amusent ; et cependant il y en a de bien pauvres qui sont obligés de s'enfoncer dans le coin d'une rue pour voir passer les autres avec leurs cadeaux sous le bras. Cela est affreux sans doute ; les pauvres petits infortunés n'ont rien et ne recevront jamais rien. Ah, chère mère, crois-le bien, je suivrai le bon exemple que tu me donnes, je donnerai à ces pauvres enfants, comme les gens riches le font aux leurs. Daigne recevoir ces lignes qui partent du fond du coeur d'une fille qui t'aime tendrement. Je te promets que je ferai tout ce que je pourrai pour te donner du bonheur et t'éviter de la peine. Dieu veuille te combler de tous ses bienfaits et te donner la santé, car je suis si heureuse quand tu te portes bien. Soir et matin, je renouvelle mes voeux à Dieu pour qu'il te conserve longtemps à tes chers enfants1155."

Pour dire vrai, si la pente de la fortune est toujours trop lente à remonter, la période noire apparait ici avoir été relativement brève. Après avoir décrit les difficiles événements de 1837, le Livre particulier, sous le titre "Février 1848 - République", conclut la narration de la naissance de ce régime dans les termes suivants : ‘ "Ce livre, qui renferme mes inventaires1156, montrera qu'après cette terrible crise, comme après celle d'Amérique, mes affaires et mes bénéfices se sont rapidement accrus." ’ Effectivement, dès avril 1839, l'amélioration de la situation financière se concrétise par l'achat d'actions d'une "Société de recherches1157", avec un premier paiement de 555 F le 23 avril, suivi de trois autres, le 20 juin, le 6 juillet et en novembre, respectivement de 1.000, 500 et 1.000 F ; il semblerait que ces versements aient été complétés de deux nouveaux en juillet et décembre 1843 (500 et 1.000 F), avant que ce titre disparaisse de son portefeuille.

Au cours de la même année 1839, peut-être même de l'année précédente - celle de la concession accordée par le gouvernement à la ligne Paris-Orléans1158 -, 20 actions de ce chemin de fer figurent acquises au prix de 500 F l'une ; le débit correspondant n'est pas chiffré mais l'écriture apparait complétée, les 13 juillet 1840 et 22 août 1841, de deux paiements à Thurneyssen et Cie de 3.305 et 3.500 F et d'une autre somme de 3.100 F (sans aucune autre mention) pour un total de 9.905 F. Le produit de la réalisation de ces actions - à une date non fournie mais antérieure au 30 septembre 1845 - s'élèvera à 14.500 F. Après 1841 - et pour une période impossible à préciser faute d'éléments -, les opérations boursières sont suspendues. Très momentanément, non par manque de moyens, mais en raison de débours importants de nature différente...

Une nouvelle plongée dans le labyrinthe des comptes du Livre particulier nous offre l'opportunité de trouver confirmation du redressement rapide de la situation, malgré le marasme traversé et les engagements de remboursement à respecter, exclusivement, semble-t-il, auprès de son cousin allemand Albert Dufour-Feronce. Dans ce précieux témoin financier, une page particulière est réservée à la récapitulation annuelle des "bénéfices de la maison". L'existence d'une colonne sous l'objet "[bénéfices] ma part" nous amène à regretter encore l'impossibilité de trouver trace de l'acte relatif à la création de la raison sociale "Arlès-Dufour", en 1839 vraisemblablement. Ainsi demeurent ignorés partenaire(s) et conditions de partenariat ; un(des) partenaire(s) au demeurant minoritaire(s), comme en témoignent les pourcentages de bénéfices personnels calculés par nos soins. Cette récapitulation annuelle, pour les deux objets ci-dessus et la période 1837/1838 - 1851 se présente comme suit :

BENEFICES
MAISON MA PART (SOIT %)
1837/1838 89.076 59.161 (66,41)
1839 137.312 90.185 (65,67)
1840 151.199 104.528 (69,13)
1841 196.220 131.148 (66,83)
1842 146.411 94.686 (64,67)
1843 133.572 94.189 (70,51)
1844 301.201 202.444 (67,21)
1845 346.777 227.617 (65,63)
1846 358.995 234.684 (65,37)
1847 181.416 106.916 (58,93)
Résultat 10 ans : 2.042.179 1.345.558 (65,88)
1848 - 34.049 - 27.239 (79,99)
1849 441.677 281.695 (63,77)
1850 441.863 261.303 (59,13)
1851 ? - 22.000 ( ? )

Mais ces colonnes ne sont pas les seules de cette centralisation ; elles se trouvent précédées des résultats bénéficiaires ci-après, apparemment non inclus dans les autres, :

  ST-ETIENNE ZURICH PARIS
1839 - 24.000 -
1840 - - -
1841 39.000 13.000 -
1842 35.000 14.000 -
1843 54.000 - -
1844 164.000 26.000 -
1845 164.000 20.000 -
1846 220.000 40.000 25.000
1847 124.000 52.000 22.000
1848 137.000 26.000 14.000
1849 189.000 59.000 72.000
1850 1159 271.000 91.000 46.000

Ainsi donc, si une succursale "Arlès-Dufour" (?) à Zurich, depuis 18301160, ne nous est pas inconnue, une nouvelle apparaît, à partir de 1840/1841, à Saint-Etienne, une autre à Paris en 1845/1846. Cette dernière date surprend, la création effective paraissant antérieure1161. En effet, trois ans plus tôt, parmi ses Instructions pour ma femme en cas de mort, données à Lyon, par Arlès-Dufour le 11 mai 1843, il lui précise : ‘ "Quant à Paris, si Albert Dufour [Feronce] ou Arlès1162 veulent prendre la maison, il faut la céder à condition1163..."

Indépendamment de ces extensions territoriales, et toujours selon son Livre particulier, notre capitaliste forme, en mars 1842, une société en commandite avec une certaine société Jackson pour un montant de 20.000 F et une durée de six ans. Aucune précision n'est apportée sur le siège, vraisemblablement britannique, de cette société. Par contre, sont mentionnés un versement de 500 £ (soit 12.712,50 F) "sur Leaf, Coles Son & C°", à la date du 11 avril 1843, la réception en mars suivant de 616,50 F d'intérêts, avant que cette commandite soit "dissoute et soldée régulièrement".

Les effets de la crise de 1837 ainsi rapidement surmontés, la vie mondaine du couple, attendue par Pauline et nécessaire aux plans familial, amical et professionnel, de toute évidence un moment freinée, a repris naturellement ses droits. Dans ces derniers mois de 1839, une opportunité exceptionnelle se présente : la venue du duc d'Orléans.

Ce n'est pas la première visite à Lyon du fils aîné de Louis-Philippe. Symbole de la royauté, seulement âgé de 21 ans, il avait accompagné le Maréchal Soult, ministre de la Guerre, au lendemain de la révolte des canuts1164, pour porter des paroles de paix aux habitants de la malheureuse ville. L'année suivante, le 29 mai 18321165, il y séduisait encore ses interlocuteurs. Sept ans après, l'héritier présomptif du trône s'y trouve à nouveau, ses précieuses qualités personnelles auréolées de sa courageuse conduite lors de divers combats en Algérie et, récemment, de sa téméraire expédition des Portes de Fer dans le Constantinois ; à signaler, durant ces actions, le concours de son interprète militaire, ‘ "enchanté de son voyage1166" ’ et de la compagnie du prince, le saint-simonien Ismayl Urbain, ce mulâtre français de Cayenne converti à l'Islam lors de son séjour en Egypte. La colonisation de l'Algérie était si bien considérée en haut lieu comme une question dynastique que le roi avait fait de cette terre africaine son champ de prédilection pour populariser ses fils dans l'armée1167.

Avant de quitter l'Afrique, début novembre 1839, à son retour de campagne, les fêtes à Alger, se sont multipliées en l'honneur du duc d'Orléans, sous les acclamations de la foule ; un banquet, de 3.242 couverts très exactement, a été donné aux autorités de la ville et de l'armée1168.

La seconde cité du royaume ne veut pas être en reste et se prépare activement à l'événement, sa Chambre de commerce en particulier. Réunie en séance extraordinaire le 28 octobre, il lui appartient ‘ "de rechercher et d'indiquer les moyens qui doivent laisser dans la mémoire de la classe ouvrière qui contribue à la prospérité de notre ville, un souvenir reconnaissant de la présence de l'héritier du trône1169." ’ Sur les fonds de la Condition des soies, 500 livrets de caisse d'épargne, chacun de 50 F, seront remis aux enfants des deux sexes fréquentant les écoles primaires gratuites de Lyon et des trois communes environnantes ; ils seront ‘ "choisis parmi ceux s'étant distingués par leur conduite et leurs progrès, et de préférence, à mérite égal, entre ceux qui appartiennent aux familles les moins aisées1170." ’ Ce bénéfice est étendu aux élèves de la Martinière, ‘ "cette institution gratuite destinée à répandre l'instruction primaire scientifique dans la classe ouvrière1171."

Ecrivant de Lyon, le 18 novembre, à Aglaë Saint-Hilaire, une amie d'Enfantin, Arlès-Dufour annonce la venue qui s'organise. Il y ajoute, de façon surprenante, quelques confidences au sujet de Pauline, qualifiée plus loin "d'un peu exclusive", dans les termes suivants : ‘ "Ma femme a été assez nerveuse depuis son retour [?]. On ne fait pas impunément six cents lieues avec trois mioches. L'arrivée du prince avec accompagnement de bal, théâtre, etc., fera du bien aux migraines1172..." ’ Au programme également de l'auguste visiteur, ancien élève de Polytechnique, la visite détaillée et admirative de l'Ecole de la Martinière, avec ses 249 élèves, qu'il connaît de réputation1173 ; pourtant, trois cours de mathématiques, de chimie et de dessin y sont seulement donnés à l'époque... A plus d'un titre, l'actif commissionnaire en soieries, le conseiller général du commerce, l'ancien membre de la Chambre de commerce, le conseiller municipal de la Guillotière, est convié à participer à ces diverses manifestations. Avec, sans doute, le secret espoir d'un aparté avec celui qui est déjà sur les marches du trône...

Il ne fut pas déçu par cette rencontre. Etait-elle seulement la première ? ‘ "J'ai vu le prince [...]. Je lui ai parlé d'Arlès, dont il a gardé le souvenir1174, et dont la conversation l'a intéressé, comme celle d'un homme éclairé qui peut être utile. Je lui ai parlé de toi, et l'ai trouvé dans de bonnes dispositions1175..." ’ Ces lignes sont celles du général Saint-Cyr Nugues à son parent Enfantin. Celui-ci, à l'adresse d'Arlès-Dufour, les recopie le 9 janvier 1840. Depuis quelques jours, il a débarqué à Alger ...

"Voilà déjà près de deux ans que tu es de retour en France. Père, ne sortiras-tu pas encore de ta retraite1176 ?" ’ Enfantin, ainsi interpellé, en mars 1839, par son fidèle Holstein, depuis son retour d'Egypte, vit effectivement en reclus à Curson (Drôme), à l'exception de quelques escapades auprès de son ami Arlès ; des visites que celui-ci lui rend parfois. Ce long isolement est heureusement rompu quelques mois plus tard. Par ordonnance royale du 18 août 1839, Enfantin est désigné comme membre de la Commission scientifique d'Algérie1177. Présidée par le colonel Bory de Saint Vincent, cette Commission de 24 membres est chargée de mener une vaste enquête dans le pays ; elle compte des hommes connus comme Adrien Berbrugger, universitaire ancien adepte de Charles Fourier, le naturaliste Ravergie, les capitaines Carette et Pellissier, auxquels viendra s'adjoindre l'ex-chirurgien Warnier. Avant d'accepter sa mission, celle de l'étude de l'ethnographie, de l'histoire, des moeurs et des institutions de ce territoire, les hésitations avaient été grandes : ‘ "La chose m'apparaît un peu burlesque, mais, ajoutait-il fataliste, j'ai fait tant de drôles de choses depuis vingt cinq ans1178" ’. A bord du bateau Le Phare, il s'embarque à destination d'Alger le 24 décembre 1839. A pareille époque, trois ans plus tôt, ils étaient, Duguet et lui, ‘ "furieusement secoués1179" ’ sur les côtes de Sardaigne, retour d'Egypte !

Cinq jours après son arrivée, son esprit est déjà en ébullition. Est-ce - déjà ou encore - le mal du pays, celui de l’Egypte ? Mais le voici qui rêve, auprès de Lambert demeuré sur ce territoire, de la résurrection de l'Institut d'Egypte, d'une création semblable à Alger, des liens à établir entre ces deux entités, aussi de transformer cette Commission d'Algérie en Commission d'Afrique1180... La désignation d'Enfantin est sans doute intervenue sur les instantes recommandations du général Saint-Cyr Nugues, en relations suivies avec le duc d'Orléans1181. Sont-ce ces liens privilégiés qui permirent, également, l'éclosion ou le renforcement de relations compréhensives entre le prince et Arlès-Dufour ? Quoiqu'il en soit, le ‘ "prolétaire enrichi1182" ’, comme il aimait à se définir lui-même, ne pouvait que trouver un coeur généreux chez cet interlocuteur, soucieux de réparer les injustices et jamais sollicité en vain par les indigents.

C'est d'ailleurs en ce même homme qu'Enfantin place toute sa confiance, en voulant y associer Lamartine. ‘ "Je défie, exprime-t-il à Arlès-Dufour, qu'on cite parmi les hommes en vue un seul qui s'annonce plus désireux d'adopter des idées neuves en politique que le duc d'Orléans1183. Et cela parce que sa position le met en dehors à peu près de ce qu'on nomme la politique [...]. Le premier homme politique qui sera signalé comme l'homme du duc d'Orléans me paraîtra s'être assuré l'avenir [...]." ’ Mais cette interminable lettre d'Enfantin, assortie de deux longs post-scriptum, présentée comme ‘ "confidentielle et vrai bavardage d'ami" ’ n'est pas conçue sans arrière-pensée ; elle est rédigée pour n'être montrée ‘ "qu'à deux personnes, et si chacune d'elles peut croire que l'autre n'en a pas connaissance1184" ’... Au cours d'un séjour à Paris, cédant à l'insistance - nous allions écrire aux exigences - de son ami, Arlès-Dufour fait quelques "bonnes visites1185", notamment auprès du secrétaire des commandements du prince royal, M. de Boismilon qui, sur la recommandation de Talleyrand, en avait déjà été le précepteur. De récents courriers d'Enfantin ainsi que "des vieilles lettres d'Egypte" du Père lui sont remis avec le souci de les faire lire au prince ; ce qui est promis pour les premiers documents, avant de restituer l'ensemble de ce "curieux dépôt1186" à l'intermédiaire, à la faveur d'un prochain entretien dans la capitale.

Pour ces visites qui allaient se révéler "bonnes", Arlès-Dufour s'était résigné, pour une fois, à prendre le chemin de la capitale rejointe d'habitude avec entrain. Depuis trois mois, il restait préoccupé par l'état de santé de sa fillette, Adélaïde, et souffrait en plus de rhumatismes. ‘ "Il était ’ ‘ temps qu'il quittât son coin du feu pour renouveler ses idées" ’, confie sa femme, le 18 mars 1840, à Enfantin, dès le lendemain du départ‘ . "Cher père et ami, D'après vos ordres, j'ai expédié hier Arlès à Paris" ’ annonce-t-elle, sur le mode ironique car on a peine à croire que son mari se laisse aisément manipuler par l'un ou l'autre.

Et, après quelques nouvelles d'Holstein - marié depuis quelques mois à Coraly Belz1187, sans situation, occupé à copier et recopier les lettres d'Enfantin à Arlès1188 pour servir ce que de droit -, il est fait part des récentes aspirations, commerciales et parisiennes, de son époux, trois ans à peine après sa déconfiture : ‘ "Votre lettre à Arlès dans laquelle vous semblez peu l'encourager pour l'affaire de Paris m'a fait grand plaisir. Moi aussi, je vois ce surcroît d'occupation non sans inquiétude, et quoique ce nouvel établissement ne soit pour ainsi dire que pour compléter sa maison de Lyon, il me semble pourtant que la charge serait trop lourde à porter, surtout la santé d'Arlès allant en s'affaiblissant, physiquement et moralement. Nous sommes maintenant sur le haut de la montagne, et ce n'est pas en déclinant qu'il faudrait volontairement augmenter le fardeau ; je dis volontairement car, certainement, il n'y a pas urgence : les affaires, ici, marchent bien. Sans le décourager, répétez-lui, je vous prie, de bien peser le pour et le contre avant de rien terminer. Vous savez quelle influence vous avez sur lui." ’... Cette "influence" restera sans effet ; nous l'avons vu plus haut mais avec incertitude, cette création interviendra en 1842/1843, au plus tard en 1846. Et Pauline poursuit sur un sujet cher à son correspondant : ‘ "Selon toutes les probabilités, la nouvelle expédition du prince va vous réveiller un peu. Ne l'exposez pourtant pas trop, car ce serait bien affreux pour la France s'il venait à périr en Afrique ; cela compléterait le gâchis. Je désire bien vivement que vous l'approchiez d'un peu près, car je crois toujours que ce sera lui qui vous ramènera auprès de nous1189." ’ Arlès-Dufour est, entre autres, à Paris pour cela !

Après des combats acharnés et victorieux contre Abd-el-Kader, sur l'oued Nador le 8 mai 1840, le 10 au col de Mouzaïa, le 16 au bois des Oliviers, la fin de la troisième - et dernière pour lui... - campagne d'Algérie du glorieux prince royal est annoncée. Dès son débarquement à Marseille, une lettre l'y attend, datée du 3 juin 1840 à Lyon et signée Arlès-Dufour ! Non pas, contre toute attente, pour l'entretenir de son protégé. Laissons le soin aux Notices historiques des Oeuvres de Saint-Simon et d'Enfantin de nous livrer leurs commentaires : ‘ "Enhardi enfin par le gracieux accueil dont l'héritier du trône l'avait toujours honoré1190, et bien pénétré des sentiments et des ’ ‘ idées qu'il puisait dans la correspondance du maître, il [Arlès-Dufour] se sentit assez fort pour exercer l'apostolat royal sur le prince dans une lettre où il s'efforça de rattacher et de subordonner les intérêts dynastiques aux progrès sociaux1191."

Voici quelques extraits de cette longue adresse du 3 juin de celui qui, selon lesdites Notices historiques,‘ "s'était toujours maintenu en dehors de l'apostolat célibataire, discipliné et costumé1192" ’ ; de celui aussi qui n'ignorait pas que les cours de Michelet, suivis à la Sorbonne1193, avaient laissé leur empreinte dans l'esprit du destinataire :

‘Monseigneur, Vous m'avez accueilli avec tant de bienveillance, vous avez paru si bien sentir que je ne suis pas un solliciteur ordinaire, que j'ose venir troubler les premiers moments d'un repos si bien mérité, pour rappeler à votre pensée le sujet des entretiens dont vous m'avez honoré 1194. Prince, c'est beau la guerre et ses dangers ! C'est beau et noble le soldat à la guerre ! Mais ce sera bien beau le travail, quand on l'aura régularisé et glorifié comme la guerre. Il sera bien beau, bien grand et bien noble l'ouvrier, lorsqu'une organisation aussi parfaite que celle des armées aura remplacé ses haillons physiques, intellectuels et moraux par de brillants uniformes ! Et quelle gloire pour la France, ce coeur du monde, d'entrer la première dans cette immense et noble carrière. Et pour le prince qui donnera l'impulsion à la France et au monde, que de bénédictions ! Que sont les lauriers sanglants de Napoléon comparés aux trophées vivifiants du travail pacifique ! Une dynastie nouvelle doit imprimer une direction nouvelle, et pour vivre et vieillir ne pas faire du mort ou du vieux ; votre auguste père l'a bien compris, mais il a dû temporiser, gêné par les débris des vieilles époques, des vieilles idées, des vieux besoins, débris qui tombent en poussière et que le temps aura emportés quand vous arriverez au pouvoir suprême. Alors les temps seront venus, parce que les hommes seront prêts. [...]
Mais vous nous l'avez dit ici, vous êtes de notre époque pour l'esprit et le coeur aussi bien que par l'âge, et vous entrevoyez à travers l'atmosphère militaire qui environne encore les princes, un autre entourage pour les rois ; c'est ce qui vous a fait nous accueillir avec âme, c'est ce qui nous a tant émus en vous écoutant. Pour qui s'arrête à l'écorce, le travail et les travailleurs tels que des siècles de demi-servitude et tels que l'anarchie actuelle, sous le nom de liberté, les ont faits, font peine et dégoût. [...] Le plus pressant, dans l'intérêt du maître comme dans celui de l'ouvrier, c'est l'amélioration du sort de l'ouvrier ; ainsi que vous me l'avez dit encore 1195, c'est chose grave et difficile, mais ce n'est pas chose impossible, car autrement il faudrait douter de Dieu. La vouloir et faire savoir au monde qu'on la veut, cela seul améliorerait déjà puissamment le sort moral de l'ouvrier. Vouloir et faire savoir qu'on veut, c'est appeler à soi tous les hommes capables de réaliser cette volonté ; c'est Bonaparte au 18 brumaire, voulant l'ordre dans l'anarchie et entouré à l'instant même de tous ceux qui furent ses maréchaux. Vouloir et faire savoir qu'on veut, c'est inspirer au bourgeois le désir et à l'ouvrier la patience, c'est déjà les associer à une oeuvre commune. C'est Jésus annonçant la fraternité à des maîtres et à des esclaves.
Prince, vous m'avez parlé 1196 et je sais ce que vous voulez, mais le monde ne le sait pas. Le monde voit vos actes et votre entourage, le bourgeois applaudit ou critique, mais l'ouvrier se tait et ne crie pas vivat encore. J'ai osé le crier pour lui afin qu'il entende et espère. Parlez et faites, il croira, et vous lui ferez bientôt la divine charité.
Prince, au milieu du prestige de gloire militaire qui vous entoure et des fanfares qui vont résonner sur votre passage, n'oubliez pas le travail et les travailleurs, et, je vous en supplie, ne traitez pas d'utopie la possibilité de leur organisation ; daignez aussi vous souvenir que vous avez à Lyon un homme qui croit servir son pays et vous servir en appelant avec insistance l'attention de Votre Altesse Royale sur cette question si grave, si difficile et si grosse d'avenir. Arlès-Dufour1197.’

Accessoirement et pour l'anecdote, bien plus tard, au moment où les archives saint-simoniennes seront rassemblées, le bouillant auteur de cette lettre l'annotera de sa main, au crayon, de la mention erronée suivante1198 : ‘ "Après son passage à Lyon, à son retour, je crois, de sa campagne des Portes de Fer en Afrique."

Fin août 1840, Arlès-Dufour est de nouveau à Paris, installé à l'hôtel de Paris, rue de Richelieu. Certes pour ses affaires professionnelles et retrouver son ami Leaf1199, également pour se mettre à la disposition du ministre du Commerce et l'éclairer sur l'application du tarif d'importation des soieries françaises en Angleterre1200. Mais il compte bien aussi pouvoir rencontrer le duc d'Orléans. A la suite d'échanges épistolaires, il est avisé, depuis les Tuileries et le 26 août, par le secrétaire des commandements du duc, Boismilon, que le prince, voulant profiter de son séjour à Paris, le recevra à une date qui sera ultérieurement fixée1201.

Auparavant, Thiers lui-même, un homme qu'il apprécie peu, lui donne audience. En voici le compte rendu, tel qu'il l'adresse à Enfantin, à Alger, le 2 septembre 18401202 : ‘ "Mon ami Porter, chef du bureau de statistique commerciale à Londres, homme de coeur encore plus que de chiffres, m'ayant écrit que, malgré le mauvais vouloir de Palmerston, le cabinet aurait décidé qu'il serait renvoyé à Paris, pour reprendre les négociations du traité de commerce, et que la seule chose en litige était la réduction du droit de sortie des soies de France, que M. Thiers affirmait ne pouvoir accorder, par crainte des fabricants de Lyon, je suis venu à Paris, autorisé par la Chambre de commerce à déclarer à M. Thiers que, s'il la consultait sur la question, elle ne s'opposerait nullement à la réduction.

"Ce n'est pas Faucher qui m'a présenté à Auteuil ; j'ai trouvé plus convenable à mon caractère que ce fût Rivet. Malgré les beaux jardins, les gardes municipaux, le beau salon, le premier ministre ne m'en a pas imposé un moment ; je crois même que si notre entrevue s'était un peu prolongée, je serais devenu grossier, tant les assertions économiques de M. le Premier heurtaient mes opinions."

Le duc d'Orléans auquel Arlès-Dufour rapporte la position de Thiers, les jours suivants, n'en est pas autrement surpris. Le prince ‘ "aurait pu dire d'avance que la levée de l'obstacle vexerait Thiers1203." ’ Les risques de guerre, entretenus par l'empereur de Russie pour rompre l'alliance anglaise et qui ‘ "ajournent toutes les questions pacifiques" ’ - ‘ "les grandes questions du travail1204" ’-, sont longuement évoqués par les deux hommes. ‘ "J'avais cru jusqu'ici que le gouvernement avait pris la mouche mal à propos" ’ reconnait le pacifiste avant d'ajouter, à regret, à l'intention de son ami algérois : ‘ "Mais Porter d'une part, qui a vu de près les tripotages de Palmerston, et le duc de l'autre, m'ont convaincu qu'il y aurait folie à la France à ne pas armer activement1205." ’ Malgré la gravité de la question d'Orient, d'Enfantin il en est évidemment question. De l'une de ses dernières lettres sur l'organisation du travail colonial, le duc en dit seulement que ‘ "c'était plein de génie1206."

Mais si, fidèlement, les lettres tout aussi flatteuses de Boismilon à Arlès-Dufour sont portées à la connaissance d'Enfantin et si certaines de celles d'Enfantin, qu'il soit à Alger, à Constantine ou à Bône, sont transmises au secrétaire du duc d'Orléans et lues par le prince, les choses n'évoluent guère. Toujours en Algérie, Enfantin s'impatiente. Il souhaite, sans vouloir en faire la demande, être spontanément appelé par le prince à rentrer en France. Il aiguillonne son ami qui reste sur une réserve pourtant fort relative : ‘ "De quoi avez-vous peur ? Que le prince ne fasse de mes lettres des torche-éperons1207 ? " ’ lui écrit-il le 23 décembre, et début janvier 1841 : ‘ "Vous êtes encore plus artiste que je ne pensais ; je croyais que vous sentiriez ce que veut dire une chose ’ ‘ poussée jusqu'au bout ’ ‘ , et il paraît que vous ne connaissez pas cela. Vous n'êtes pas entêté, têtu comme il le faut, pour comprendre ce que signifie ’ ‘ jusqu'au bout1208."

Piqué au vif, c'est de Bordeaux [!!] le 21 janvier 1841, après des fêtes de fin d'année passées en famille à Montpellier, qu'Arlès-Dufour s'adresse dans les termes suivants au duc d'Orléans : ‘ "Monseigneur, Au risque de passer à vos yeux pour un monomane, j'envoie encore à V. A. R. deux lettres que je reçois de mon ami Enfantin. Je ne veux pas examiner si la question ’ ‘ du travail ’ ‘ peut être abordée comme il l'entend ; mais convaincu, comme lui, qu'elle sera l'oeuvre capitale de votre règne et persuadé que vous ’ ‘ voulez ’ ‘ , ’ ‘ saurez ’ ‘ et ’ ‘ pourrez ’ ‘ l'entreprendre et l'accomplir, je crois remplir un devoir en vous soumettant dans ’ ‘ toute ’ ‘ leur originalité les réflexions du penseur le plus profond et le plus moral que je connaisse1209." ’ Rien que cela... !

De retour à Lyon, l'intercesseur exulte en étant mis au fait d'une lettre de Boismilon du 14 janvier qui l'y attend : elle lui apporte l'affirmation que le prince "tient à lire sérieusement" les lettres de son ami. Lui, comme il lui répond sans tarder et non sans une pointe d'orgueil, qui craignait que l'obligeante invitation du prince de continuer ses communications était ‘ "un peu ’ ‘ eau bénite ’ ‘ de cour jetée à un homme qu'on estime et dont on veut ménager ce que l'on croit sa ’ ‘ manie ’ ‘ ." ’ Ainsi rasséréné, il n'hésite plus à joindre... trois nouvelles lettres d'Enfantin, ‘ "trois tout à fait intimes, trop intimes pour être communiquées au prince" ’. Elles viennent s'ajouter aux quatre adressées directement au duc ! ‘ "Vous, Monsieur, ajoute-t-il, qui êtes un homme de coeur et de dévouement, vous comprendrez l'insistance opiniâtre que je mets à saisir l'homme de ’ ‘ France auquel je crois le plus grand avenir, des idées de l'homme du monde auquel je crois le plus de portée1210." ’ De quoi passer effectivement pour un "monomane" !

Et l'espérance reste nourrie d'une audience auprès du secrétaire du duc d'Orléans, et partant du duc lui-même, ‘ "soit en mars si les Conseils [du commerce...] se réunissent ou en avril en allant à Londres." ’ Malheureusement, l'attente est déçue. Rentré de Londres et de Paris, le 31 mai 1841, Arlès-Dufour voile à peine sa déception auprès du duc d'Orléans : ‘ "J'ai vivement regretté de ne pouvoir être admis à vous présenter mes devoirs respectueux. En sollicitant cette faveur, j'avais en vue d'entretenir V.A.R. de mon ami Enfantin et aussi de lui soumettre les observations que ma position indépendante et mes relations avec les hommes de tous les partis et de toutes les classes m'ont permis de faire pendant mon dernier séjour en Angleterre." ’ Commence-t-il à douter de la sincérité du prince à son égard ? En n'hésitant pas à joindre, une fois encore, un récent courrier d'Enfantin, - auquel ‘ "votre Altesse Royale peut seule faire donner réponse" ’ - il se dit ‘ "persuadé qu'avec Votre Altesse le chemin le plus court est la ligne droite, la franchise1211."

"Un homme que l'on estime" croit-il pouvoir écrire de lui-même, ‘ "des relations avec les hommes de tous les partis et de toutes les classes" ’ d'Angleterre excipe-t-il, le "monomane" se double-t-il d'un mégalomane ? Ne se méprend-il pas sur son compte en surestimant son audience à la Cour et à l'étranger ? Un futur proche va répondre négativement à ces questions. Mais, dans l'immédiat, en proie à un découragement passager, las d'attendre une réponse des Tuileries, il envisage ‘ "de se renfermer tout à fait dans le cercle de ses affaires personnelles, en commençant par se retirer de la Chambre de commerce1212" ’ ! Mais, tellement attaché à ses fonctions, il n'en continue pas moins d'assister aux délibérations...

Or, voici de quoi ramener le calme nécessaire dans son esprit. Le 17e régiment d'infanterie légère, populaire par ses campagnes en Algérie, est de retour en métropole suscitant, à son tour, l'enthousiasme sur son passage. A sa tête, un valeureux et jeune colonel de dix neuf ans, blond et frêle, le duc d'Aumale, tout aussi séduisant et bienveillant que son aîné, le duc d'Orléans. Se sentant déjà investi des devoirs de sa future mission, l'héritier du trône multiplie les consignes à son frère1213. Cette visite doit être un succès. ‘ "Je vois que le séjour à Lyon sera le noeud de l'affaire, lui écrit-il. Si Lyon est solidement enlevé, tout ira bien jusqu'à Paris, où il y aura de nouveau quelques peines à se donner. [...] Le peuple de Lyon est militaire, impérialiste ; il y a beaucoup de soldats en retraite, peut-être pourrait-on s'en servir. [...] Il faut qu'à Lyon, Aumale tienne grand état - c'est indispensable pour cette ville - et qu'il fasse grand cas de tout ce qui est industriel1214." ’ Et de recommander tout spécialement à ce titre, assure Cazelles1215, la personnalité d'Arlès-Dufour.

Par une chaleur accablante, le 22 août 1841, le duc d'Aumale à la tête de ses troupes fait son entrée en ville par la commune de la Guillotière. Pendant trois jours, réceptions, distribution de prix, toasts, banquet de 1400 couverts, dîner offert aux notables se succèdent. Dans l'après-midi du 24, c'est la visite vivement conseillée, indispensable même, de la ville ouvrière de la Croix-Rousse et de ses canuts turbulents. Ici comme là, selon les consignes princières, Arlès-Dufour ne peut pas ne pas faire partie du cortège officiel, ni être exclu des visites des ateliers de soieries de Martinon, de Goy et enfin de Carquillat. Un tableau, "peint par C. Bonnefond", "tissé par Carquillat", "dessiné et mis en carte par A. Manin1216", immortalise cette dernière visite. On y voit représentés le général baron Aymard, commandant la 7e Division militaire, M. Jayr, conseiller d'état, préfet du Rhône, M. Cabias, maire de la Croix-Rousse, M. Riboud, président du conseil des prud'hommes et M. Mathevon, membre de la Chambre de commerce de Lyon, à l'exception - et sans vouloir, à notre tour, être taxé de monomanie - d'Arlès-Dufour ! Mathevon qui commanda ce tableau a-t-il estimé que, par sa seule présence, l'organisme consulaire s'y trouvait déjà suffisamment représenté ...?

Au risque d'importuner, de déplaire, d'indisposer même, en plaidant inlassablement la cause d'Enfantin, Arlès-Dufour ne perd pas pour autant ses visées sociales auprès de ses interlocuteurs. Il avait attiré l'attention du duc d'Orléans sur l'amélioration à apporter au sort des travailleurs1217. Quelque mois après, il revient à la charge, cette fois auprès du secrétaire du même, M. de Boismilon, et termine sa lettre de février 1841, par ces mots : ‘ "Je serai ’ ‘ heureux si, tout en sacrifiant aux exigences du présent, il [le prince] pouvait préparer l'avenir en s'occupant un peu du travail et de l'ouvrier1218."

Toujours obsédé par ces problèmes, c'est, cette fois, à l'occasion du Congrès scientifique prévu mi-septembre à Lyon, dans le cadre de sa Section industrielle, qu'il entend bien intervenir. Lors de sa séance du 13 mai 1841, la Chambre de commerce avait été avisée de cette organisation et sollicitée sur les questions à débattre et la désignation de deux ou trois de ses membres pour participer aux travaux. Brosset, président en exercice, n'avait pas hésité à arrêter son choix ; il représenterait lui-même la Chambre, en compagnie d'Arlès-Dufour, désigné d'office bien qu'absent de Lyon. Connaissant bien son ami, toujours bouillonnant d'idées et passionné de tout, il savait par avance qu'il ne serait pas dépourvu de questions... Voici celles qu'il ne manque d'ailleurs pas de poser : 1° / ‘ "Comment, sans blesser les principes de liberté et d'égalité, établir l'ordre et une certaine hiérarchie dans le commerce et l'industrie ? Comment associer l'ordre et la liberté ? " ’ Cette question découle du regret de l'abolition des maîtrises, des jurandes et des corporations par la Révolution ; elle fait écrire, en préalable, : ‘ "Au lieu de faire une évolution, on fît une révolution et l'on passa d'un extrême à l'autre, du privilège qui paralyse à l'anarchie qui brûle et consume les forces." ’ - 2° / ‘ "Comment les [les maîtres et les ouvriers] rapprocher, les associer ? Comment faire participer l'ouvrier au bénéfice du maître et lui faire, par là, désirer et bénir sa prospérité ? " ’ - 3° / ‘ "Comment faire pour que l'ouvrier bénisse les machines ? " ’. Ceci devant le machinisme ‘ "appelé[] à révolutionner, ou plutôt à transformer le travail en délivrant l'homme de ce qu'il y a de plus matériel, de plus abrutissant. [...]" "L'ouvrier devrait donc le [...] bénir" ’ et pourtant il le maudit en raison de sa substitution brusque à lui et ‘ "sans compensation ’ ‘ immédiate ’ ‘ " ’. Et enfin, cette 4e question, réitérative, : ‘ "Comment amener dans le travail physique, intellectuel et moral l'égalité de la rétribution pour l'homme et la femme ?" ’, alors que, comme il le rappelle en introduisant cette interrogation, ‘ "depuis Jésus, depuis dix-neuf siècles, l'égalité de l'homme et de la femme est [...] reconnue1219."

En somme, des questions toujours d'actualité ! Selon le document de la main d'Arlès-Dufour, ces questions furent ‘ "acceptées, mais la discussion en a été ajournée à cause de leur gravité" ’. En revanche, un journaliste contemporain, Louis Jasseron1220, assure qu'Arlès-Dufour présenta, le 11 septembre 1841 à ce congrès, des Considérations sur l'emploi d'une dérivation du Rhône comme force motrice, et ajoute le commentaire suivant : ‘ "Il y prévoyait la production d'une force de vingt mille chevaux, tirée de diverses chutes sur le cours du Rhône et jugeait inquiétante la prodigalité avec laquelle on "gaspillait" la houille1221." ’ Quelles prémonitions !

Trois mois après, appelé pour le Conseil général du commerce, il est à Paris. Ainsi que nous l'avons vu, et comme à l'accoutumée, il y mène grand train1222. Toutefois, l'énumération des festivités du séjour n'est pas close. C'est également, en compagnie des époux Duveyrier, Charles et Ellen Claire au savoureux accent britannique, une soirée "chez Melesville1223". Melesville, auteur à succès des plus prolixes1224, aussi co-auteur de comédies et de livrets d'opéras et d'opéras-comiques avec Eugène Scribe, est le pseudonyme sous lequel est connu, au théâtre, Anne-Honoré-Joseph Duveyrier, le demi-frère de Charles Duveyrier, de quinze ans son aîné. Tous deux ont d'ailleurs souvent collaboré depuis 1834, à divers ouvrages représentés avec succès au Théâtre Français, à celui des Variétés du Gymnase, etc. Les débuts d'auteur dramatique de Charles qui a définitivement abandonné la carrière d'avocat, ne pouvaient qu'en être facilités1225. Il n'est pas sans sel de rappeler que l'un des premiers ouvrages qu'il a signés seul, un drame en cinq actes, créé en 1835 sur une musique de Piccinni, est intitulé... Le monomane !

Et si, au cours de la soirée, on a sans doute parlé théâtre, on a aussi bu à la santé de Pauline "et à celle du futur moutard". Car, pendant que François profite pleinement de la vie parisienne, Pauline et leurs enfants - Gustave, Adélaïde et Alphonse, respectivement âgés de treize, douze et sept ans - attendent impatiemment cette naissance. Elle surviendra le 3 juin 1842 à sept heures trente du matin. Sans tarder, à une heure de l'après-midi, ‘ "M. Arlès François, Barthélemy, chevalier de la Légion d'honneur, négociant à Lyon, demeurant à la Guillotière, quai d'Albret n° 4, âgé de quarante-trois ans1226" ’ déclarera la naissance de François-Henry-Armand1227. L'adjoint Million, chargé de l'enregistrer, ne manqua vraisemblablement pas de complimenter son conseiller municipal pour l'heureux événement. Est-ce ce magistrat qui stoppa net le signataire de l'acte administratif et lui fit ensuite biffer les trois premières lettres du nom de sa femme au prétexte qu'il ne s'agissait pas de son exact patronyme ?

Le repas de midi pris au domicile de Melesville, cette même journée du 10 janvier 1842 est marquée d'une autre réception, à la fois flatteuse et prestigieuse. Cependant, l'ancien saute-ruisseau la narre, mêlée à d'autres détails, comme un événement, somme toute, naturel. Voici comment : ‘ "Le soir, concert par les Italiens chez le duc d'Orléans. Beaucoup d'hommes, peu de dames avec force diamants, les gants quart-longs sans garniture. Coiffures diverses mais toutes basses, beaucoup de demi-turbans posés en arrière, tous avec or ou argent. Beaucoup d'écharpes arabes, mais pas une aussi belle que la tienne." ’ Sans doute, un souvenir des pérégrinations algériennes d'Enfantin...

"La duchesse1228 a parlé, poursuit le narrateur, non seulement à toutes les dames, mais presque à tous les hommes. A un monsieur près de moi, elle a dit : "Vous venez d'Allemagne, vous avez vu la Saxe, c'est un beau pays, un peuple heureux. Connaissez-vous ce pays, Messieurs ?" J'étais sur le point de dire : "Je crois bien que je le connais ; à preuve que j'ai épousé une brave et jolie ’ ‘ Saxonne ! " La princesse n'est pas jolie, mais elle est agréable et s'exprime admirablement en français. Le prince a été charmant pour tous et il m'a fait personnellement un très bienveillant accueil, me témoignant le désir de me revoir1229."

Hélas, six mois plus tard, le 13 juillet 1842, le valeureux combattant d'Algérie trouvait accidentellement la mort, les chevaux de sa voiture s'étant emballés, entre les Tuileries et le château de Neuilly, à hauteur de la porte Maillot, sur le chemin dit de la Révolte1230. En souvenir de ses intrépides combats et à la mémoire du prince, une statue équestre sera érigée par la ville d'Alger sur l'une de ses plus importantes places, la place du Gouvernement, qui fut alors surnommée place du Cheval. Elle sera renversée puis détruite, au moment de l'indépendance de ce pays en juillet 1962, exactement cent vingt ans après la mort du duc d'Orléans.

Pour Enfantin, cette disparition brutale, toute cruelle soit-elle, ne changeait en rien sa situation, ni les espoirs longtemps entretenus, largement déçus et définitivement abandonnés : il lui avait été proposé un poste de sous-préfet1231 ! ‘ "Adieu, ami, je suis malingre et triste1232" ’, s'était-il plaint, auparavant, auprès de son fidèle correspondant lyonnais, le 11 octobre 1841. La dysenterie, attribuée à l'influence néfaste des eaux d'Oran, devait le convaincre - aisément ! - de la nécessité, quelques jours après, d'un retour prématuré vers la métropole. Embarqué à Mers-el-Kebir sur le bâtiment Le Cerbère le 20 octobre à destination de Port-Vendres, le 28 il est à Marseille, et le 31 dans son village drômois de Curson. Rapidement, il se plonge dans la rédaction de ses rapports officiels et de ses observations personnelles. Mais si son épais ouvrage intitulé Colonisation de l'Algérie paraît dès 18431233, Enfantin ne néglige pas pour cela de cultiver de nouveaux projets et d'écrire selon le caprice de sa verve. Après une attaque en règle du cours d'ouverture d'économie politique de Michel Chevalier au Collège de France, objet d'une lettre à "(s)on cher Arlès1234", c'est à ce dernier que, quelques semaines plus tard, il réserve ses propos acides pour condamner une lourde infraction à sa doctrine. ‘ "Mais comment ’ ‘ diable avez-vous pu voir ainsi de travers ? [...] Sur qui voulez-vous que je compte pour être compris dans mon utilité, au milieu de ce monde de propriétaires qui tremblent en relevant leurs moustaches nationales, et de propriétaires qui grondent en sournois butors ..." ’, questionne-t-il. Dès la première ligne, il l'avait apostrophé : ‘ "Ah ! Sacré propriétaire que vous êtes, vous voilà donc déjà comme ils sont tous ! " ’ Et pour constater plus loin : ‘ "Comme votre nouvelle qualité a porté malheur à votre perspicacité1235 ! "

L'objet du litige, on en trouve la trace dans le Livre particulier 1236 du "propriétaire", puisque nouveau propriétaire, effectivement, il y a ! Une page, la page 18, est particulièrement réservée ; elle porte le titre : "Propriété d'Oullins".

Oullins, situé à six kilomètres de Lyon, sur la route de Saint-Etienne, est à l'époque un petit village, entouré de vignes et de prés baignés par un ruisseau, l'Yzeron. Arlès-Dufour a décidé de céder à la caractéristique de l'époque pour les chefs d'entreprise, celle d'avoir une "campagne" à proximité de la ville. Il s'est déjà ouvert de cette intention à Enfantin puisque celui-ci la condamne dans sa correspondance du 27 février 1842. L'achat est noté au Livre particulier pour avoir été effectué le 1er mars et payé le 13 février de l'année suivante "par Bruyn notaire", pour un montant de 32.000 F. D'après l'acte de partage de la succession des époux François Barthélemy et Pauline Arlès-Dufour, l'acte correspondant a bien été passé chez Me Bruyn, notaire, mais le 28 juin 1843 et pour un montant de 18.000 F seulement déclaré... Et si la superficie exacte n'y est pas précisée (2 à 3 hectares1237), il nous apprend que sont concernés ‘ "divers immeubles près de la grande route [de Lyon à Saint-Etienne] et de la rivière [l'Yzeron], consistant en bâtiments et pavillon, jardins, vignes, terres et brotteaux."

Mais il ne s'agit là que d'une première acquisition. D'autres suivront, par achat, adjudication ou voie d'échange : dix-sept au total, en vingt-six ans, entre 1843 et 18691238 ! Dans le cadre du présent chapitre, quatre autres opérations sont enregistrées les 3 janvier 1845, 13 avril 1847, 11 août 1847, enfin le 18 mars 1848. Des occasions sont à saisir qu'il est important de ne pas laisser passer ; certaines d'entre elles sont peut-être aussi suscitées, dans une recherche de qualité d'environnement, pour goûter, à son tour et tel Rousseau, ‘ "une profonde et douce solitude" ’. Ainsi, la propriété va successivement s'accroître de : 1/ ‘ "douze cent dix neuf mètres de terrain, notamment pour former une avenue rendant de la propriété de l'acquéreur à la grande route1239" ’ - 2/ ‘ "un tènement de vignes, terre, carrière, jardin et saulée d'une contenance de quarante neuf ares, situé le long de l'Yzeron, à l'ouest des immeubles que possédait déjà M. Arlès-Dufour1240" ’ - 3/ ‘ "une vigne de la contenance de cinquante-et-un ares, soixante-douze centiares1241" ’ - 4 / ‘ "d'immeubles [...] au bord de la rivière, traversés par le chemin des Buisses dont la vente était poursuivie contre M. Mathieu Jules Félicité Leguillier, ancien avoué à Lyon. Ces immeubles les joignaient, au levant, aux acquis de M. Blanc et, au couchant, [à] la vigne acquise de Mme Revay1242." ’ A elle seule, cette propriété s'étend sur une superficie de deux hectares. Ajoutons que l'ensemble de la "propriété d'Oullins", selon le récapitulatif correspondant du Livre particulier en 1855, en couvrira huit, et, en définitive, "plus de onze1243", ceci sans vouloir trop anticiper ! Sans vouloir, non plus, faire frémir les mânes d'Enfantin...

Pour l'heure, s'il garde un oeil fixé sur l'Algérie, le Père cultive - déjà - quelques nouvelles idées. A Paris, en octobre 1842, il profite de son séjour pour rencontrer, introduit par les Talabot, diverses personnalités des ministères et de la Cour dont le jeune frère du regretté duc d'Orléans, le duc d'Aumale. Les Talabot, il les voit souvent, confie-t-il à Arlès-Dufour, avant d'ajouter : ‘ "Ce nom seul vous suffira pour vous donner la mesure de ce qui roule dans ma tête ; il me serait même impossible de le formuler autrement et plus clairement1244." ’ Déjà important, le rythme d'échange de courriers entre les deux hommes, va s'accélérer : du 1er janvier 1841 au 28 mai 1864, on ne décompte pas moins de 1216 lettres adressées par Arlès-Dufour à Enfantin, soit en moyenne 52 lettres par an et une par semaine1245...

Auparavant, dans le courant du mois de septembre, ils s'étaient tous deux retrouvés à Londres. Arlès-Dufour qui paraît vouloir associer davantage sa femme à ses activités n'y attendait pas son compère. Le 6 de ce mois, il transmet quelques nouvelles à Pauline : ‘ " [...] Je t'ai fait communiquer ma lettre de la maison parce que cela te tient au courant de mes actes et aussi des affaires du commerce qu'il est bon que tu connaisses. Tu as vu que je ne perds pas mon temps. Ce matin, j'ai été surpris par l'arrivée d'Enfantin et de son fils [Arthur]. Ils logent près de Curie et vivent chez lui1246. Malheureusement, je n'aurai pas le temps, vivant à Park Hill [chez son ami Leaf], de les voir. Cependant, ils feront avec moi la tournée de Leeds et Manchester. Ils comptent rester jusqu'à fin courant1247."

Toujours de Londres, la lettre suivante, datée du 16 même mois, est bien orageuse. Riche d'enseignements sous divers aspects, cédons la place à son rédacteur pour cette confession dans laquelle il se découvre tout entier :

‘Ma brave amie. Ta lettre du 8 est bien dure, et quoique la plupart des reproches que tu m'adresses soient fondés, tu les exagères comme toujours. Qui donc rend plus justice que moi à tes excellentes qualités et surtout à ton sentiment du devoir. Mais ce sentiment même, tu l'exagères et surtout tu le pousses à des choses qui te prennent du temps, de la bonne humeur et de la santé et qui n'en valent pas la peine. Avec cela, et je ne te le reproche pas car c'est ta nature, tu es essentiellement critique, tu ne vois des choses et des hommes que le mauvais côté. Il n'y a pas un ami, pas un étranger même, qui ne rende plus justice à mes qualités que toi. Tu ne sais pas faire la part des défauts qui en sont la conséquence ; tu ne sais pas les supporter parce que tu ne vois qu'eux et que, lorsqu'ils te frappent, tu oublies les qualités. Il en est de même pour les enfants et les domestiques. Enfin, Dieu nous a faits ainsi, et il nous a réunis, ce dont je lui rends grâce chaque jour, tout en le priant de nous inspirer le désir et les moyens de nous améliorer.
Si tu avais bien voulu suivre un peu plus le mouvement de mes affaires, tu comprendrais que, sous peine de reculer, il faut que j'avance, et pour cela, je ne dois pas m'endormir et je ne m'endormirai pas. Je mentirais si je disais que l'amour-propre n'est pas pour beaucoup dans mon désir de pousser les affaires ; mais ce qu'y s'y trouve néanmoins, aussi fortement, c'est l'ambition de te donner une position, où raisonnablement tu puisses mépriser les économies qui rendent la vie si mesquine, si tourmentée, si ignoble quelquefois. Dieu m'est témoin que, tout en désirant profiter moi-même de l'aisance que je vous prépare par mes efforts constants, j'y compte peu ! Et si je suivais mon goût, mes aspirations, ma vocation, je mépriserais la gloire ou la gloriole de la fortune pour chercher une gloire sociale.
Moi aussi, je me fais violence quand je vais à Zurich, à Crefeld, à Londres, à Manchester, de porte en porte comme un misérable commis-voyageur, solliciter des commissions, faire l'article, et exposer ma dignité d'homme à maint mauvais compliment. Je me fais violence quand je passe mes journées dans les magasins d'Old Change à parler à d'ignorants commis. J'aimerais bien mieux aller voir les hommes intelligents que je connais et qui me font accueil ; j'aimerais bien mieux étudier la misère des classes pauvres et chercher les remèdes que Dieu ne manquera pas d'envoyer. J'aimerais mieux courir avec Enfantin.
Moi, je ne suis pas par nature, comme toi, un homme de devoir et j'ai plus de peine à le faire que toi et, cependant, je ne crois pas y avoir sérieusement manqué. Moi, tout en souffrant de ton humeur, je n'ai jamais cessé de te rendre pleine justice [...]. Ce qui n'empêche pas que j'ai la fièvre d'impatience de te rejoindre et d'embrasser toi et nos bons enfants1248.’

Malgré cette ombre passagère, la hâte de rejoindre sa famille l'amène à envisager de quitter "la malle à Chalon pour la vapeur." Les derniers développements que connaît la batellerie sont bien appréciables pour raccourcir les délais de séparation !

De même, se félicite-t-il, au cours de la même année, dans la Revue du Lyonnais, des améliorations successives apportées par l'administration des douanes dans sa présentation du Tableau général du commerce de la France avec ses colonies et les puissances étrangères pendant l'année 1840. Cette satisfaction est néanmoins assortie de l'espoir de voir publié "ce précieux travail" dans les quatre premiers mois suivant la clôture de l'année, et non onze mois après. C'est l'occasion aussi pour lui, dans ce court texte de neuf pages, d'actualiser son écrit public Un mot sur les fabriques étrangères de soieries... 1249 - il remonte déjà à huit ans - et de ‘ "prouver à tous l'importance relative et progressive d'une industrie qui n'a jamais demandé au pays ni primes, ni prohibitions." ’ Occasion encore de revenir, en conclusion, sur ses thèmes favoris : ‘ "Espérons qu'enfin notre gouvernement sortira franchement et sans arrière-pensée de l'ornière impériale du système continental qui mène droit à l'isolement des peuples, en cherchant à faire produire à chacun d'eux, et sans consulter ses aptitudes, tout ce dont il a besoin ; système sauvage et barbare qui, en entretenant les préjugés nationaux, perpétuerait la guerre ; système sacrilège qui ne doit et ne peut durer, puisqu'il est contraire à la volonté de Dieu qui donne pour but aux individus, comme aux peuples, comme aux mondes, l'harmonie, l'association1250."

L'espoir inlassablement entretenu mais toujours vain, la Chambre de commerce de Lyon, le 26 janvier 1843, après un vif plaidoyer de Brosset, son président, réitère le voeu ‘ "que le gouvernement du Roi soit instamment prié d'aviser à la conclusion de traités propres à favoriser la liberté des échanges commerciaux1251" ’. Bien sûr, Arlès-Dufour est présent aux côtés de son ami.

Toutefois, sur les cinq séances suivantes, il n'assiste qu'à une seule, celle du 6 avril, avant de ne faire sa réapparition que le 11 mai. A cette dernière date, ce sera, entre autres sujets abordés, pour observer, avec ses collègues, l'incompatibilité de la position de M. Berry, nouveau Consul des Etats-Unis à Lyon, et celle d'ancien commerçant lyonnais toujours sous le coup d'une menace de faillite depuis 1837, au gré de ses débiteurs. A la même époque, le premier des prédécesseurs de cet agent diplomatique, le plus populaire des romanciers américains poursuit sa narration des exploits des Peaux-rouges contre les Blancs1252.

Divers déplacements justifient-ils cette inhabituelle faiblesse d'assiduité aux délibérations de la Chambre ? De nouvelles difficultés de santé sont-elles rencontrées ? Pour quelles raisons, dès le lendemain, démissionne-t-il de son mandat de conseiller municipal de La Guillotière1253 ? Cette démission est-elle due à l'approche du débat devant opposer les deux premières villes du département, Lyon et La Guillotière, qui se posent en rivales au sujet de l'emplacement du "débarcadère1254" : Lyon et sa presqu'île de Perrache ou La Guillotière ? Toujours est-il que, daté du jour même de cette dernière séance, le 11 mai 1843, le dirigeant consulaire rédige des Instructions pour ma femme en cas de mort 1255, revenant en cela sur ses dispositions testamentaires de 1836 et 18371256.

Au vrai, à l’âge de quarante-cinq ans, les espérances de vie s'amenuisent grandement à l’époque. Son fils aîné, naturellement appelé à lui succéder, a fêté, depuis peu son quatorzième anniversaire. Aussi, ‘ "avant que Gustave puisse prendre la direction des affaires et de la famille, voici ce que je crois devoir te conseiller" ’, consigne-t-il à l'intention de son épouse, ‘ "s'il plaît à Dieu de m'appeler le premier" ’.

D'emblée, la première recommandation s'étale, conforme à la précédente du 9 mai 1837 : ‘ "Consulte pour la direction intellectuelle et morale des enfants, surtout pour Adélaïde [leur unique fille], mon ami Prosper Enfantin, et, quoiqu'on te dise, aie en son jugement et ses conseils la plus entière confiance."

En vue de la poursuite d'une gestion aussi favorable que possible des intérêts familiaux, suit, dans le paragraphe suivant, une liste de relations proches auxquelles est accordée, sur ce plan, toute confiance. La voici : ‘ "Pour la direction de la fortune et des affaires, consulte Messieurs Dugas, Albert Dufour [- Feronce], Brosset, Arlès, Boëll, [ici un nom rendu illisible], qui s'empresseront certainement de t'assister.

Une autre suit encore, celle des amis auxquels, à travers le monde, "tu peux au besoin, recommander les enfants [...], après nos parents Arlès et Albert Dufour :

"A Lyon : Holstein, Brosset aîné, Régnier,

"A Paris : Martin [ - Paschoud] le pasteur, si Dieu le conserve, Duveyrier, Michel Chevalier, Thurneyssen,

"A Londres : William Leaf, Docteur Curie, G. R. Porter, et même le brave M. Castle,

"A Leipsic : le bon, l'excellent Schletter, Louis Sellier,

"Et partout où ils seront : Aubert Armand aujourd'hui à Saint-Pierre Martinique, Bruneau aujourd'hui en Egypte, Prunelle, Delahante, Macker, Drut aujourd'hui en Sibérie."

Tel est l'état actuel des relations affectives du testateur. Quant à sa maison - cette "mine d'or1257" -, outre les quelques éléments déjà rencontrés et grâce aux dispositions suivantes à prendre, la situation générale des affaires s'éclaire davantage. De même, certains noms relevés jusqu'alors, ici ou là, reçoivent, en quelque sorte, leur affectation, alors que de nouveaux apparaissent. Cette maison, il convient à tout prix d'en conserver la propriété, afin de la transmettre aux garçons. Dans ce but, l'intéressement aux résultats est la clef, plus exactement "l'association". Les principaux collaborateurs de Lyon, Tauchnitz ou Mahler - qui semble avoir perdu une part de son prestige, son nom avait d'ailleurs été omis - et Razuret qui méritent toute confiance, se verraient accorder chacun 15% des bénéfices mais aussi des pertes. Une part moindre, 2 à 3% d'abord, est à envisager en faveur de Blumer ou de tout autre commis. L'effectif du personnel lyonnais comprend donc au moins six employés. D'associés, il n'en est pas question même s'il est vrai, comme vu plus haut, qu'Arlès-Dufour est majoritaire à près de 70%.

Par contre, pour Saint-Etienne et pour Zuric (sic), il convient de se concerter avec eux ; sont-ils Lyonnais ou locaux, voire de nationalité étrangère comme Dufour-Feronce ? Dans chacune de ces villes, l'association est préconisée avec, respectivement, Bancel et Abeyg. En ce qui concerne la succursale de Paris, gérée par le cousin Arlès, sans doute en raison de son éloignement, libre choix est laissé "de la céder à condition..." à Albert Dufour et au gestionnaire. A Saint-Etienne, Bancel désirera certainement "être nommé" ; l'éventuelle dénomination de la succursale devra être celle de ‘ "F. Arlès-Dufour, Bancel et Cie". Mais, à Lyon, "la raison doit rester F. Arlès-Dufour" ’.

"Dans tous les cas, et pour tout ce que l'on fera, il faut agir sans délai, recommande-t-il, car je ne serai pas encore au champ du repos que déjà mes concurrents accableront mes clients d'offres et de sollicitations ; il est donc de la plus haute importance que, très peu de jours après ma mort, une circulaire paraisse annonçant que la maison continue. Tu auras soin d'apostiller toi-même, selon ton coeur et ta raison, la circulaire pour les pratiques importantes." ’ Suit le texte à adresser devant aviser la clientèle de ce décès qui ‘ "ne changera pas la marche de [l]a maison qui continuera sous la raison Arlès-Dufour." ’ A relever, au passage, que l'initiale du prénom de François y a été raturée par le rédacteur qui l'avait machinalement apposée dans le contenu de ses instructions. Il n'est toujours pas fait mention d'un quelconque associé préexistant. Pour ceux à venir dans les conditions envisagées ci-dessus, leur signature figurera aux côtés de celle de la "Vve Arlès-Dufour", seule propriétaire d'un établissement dont la prospérité, est-il dit, était attribuée aux ‘ "principes de droiture et de loyauté" ’ de son mari.

Et si la santé de Pauline, selon son mari, ne lui permet pas de s'occuper, avec plaisir pour elle, avec fruit pour les enfants, de leur instruction, il lui est recommandé de se contenter de leur donner son ‘ "bon exemple, et, autant qu'il est en leur nature, [s]on esprit d'ordre, s[on] sentiment du devoir." ’ Mais aussi, ‘ "pour remplir le vide qui [te] restera, de surveiller la maison de commerce, autant que l'usage le permet à une femme" ’... Pour ceci, il lui appartiendra de se mettre au courant des affaires, des crédits accordés ou demandés : un cauchemar pour lui depuis 1837 et qui ne cessera pas ! Et, encourageant, : ‘ "Enfin, tâche d'être à même d'imprimer la haute direction. C'est plus facile que tu ne crois."

Réticent à l'égard de Gustave, le fils aîné auquel est avant tout destinée la maison - "il mûrira tard" ! -, il se tracasse pour l'avenir de sa fille Adélaïde. ‘ "Et comme tant de fois dit [...], il lui faut avant tout, selon moi, pour mari un homme de coeur, un brave garçon, plutôt un homme capable de travailler qu'un homme riche par héritage, plutôt un homme obligé de travailler qu'un homme pouvant s'en passer. Plus que jamais et plus nous irons, l'oisiveté sera la mère de tous les vices. D'ailleurs, la baisse continue de l'intérêt de l'argent détruira bientôt l'oisiveté." ’ En somme : un gendre à l'image du beau-père, la condamnation implicite du privilège de l'héritage, et la confirmation du principe ‘ "à chacun selon sa capacité, à chaque capacité selon ses oeuvres" ’... Les faits ne lui donneront pas tort. Si, à l'époque, la fortune était surtout entre les mains des rentiers, la première place, vingt cinq ans plus tard, appartiendra aux négociants et aux industriels1258.

Quant aux deux autres enfants, Prosper (plus couramment prénommé Alphonse) et Armand, ils sont trop jeunes encore. Cependant, pour eux comme pour les autres, il est revenu sur la recommandation déjà faite : ‘ "Mais, je le répète, consulte surtout ’ ‘ le Père ’ ‘ pour la direction de tous nos enfants, et même pour la direction de leur fortune et de vos affaires. Souviens-toi, souvenez-vous que cet homme est à mes yeux le plus grand, le plus sage, le plus moral. Un jour viendra où le monde lui rendra cette justice ; mais probablement alors, ni lui ni moi ne serons plus matériellement, visiblement avec vous ; mais nous y serons cependant, car nous vivrons en vous, et jouirons ou souffrirons selon que vous ferez le bien ou le mal." ’ ‘ "D'ici là, conclut-il, il y ’ ‘ aura dans le monde politique et moral de grands changements et de terribles orages qui bouleverseront bien des fortunes, bien des positions que je laisse parfaitement établies."

Ces instructions en cas de mort restèrent heureusement dans le secret de leur enveloppe ; pour plusieurs décennies encore. Leur rédacteur, après ce bouleversement qu'il avait pressenti, pouvait écrire : ‘ "En 1848, malgré la Révolution, sans la valeur industrielle, au lieu de perdre 34.000 F, on aurait gagné 180.000. Cela prouve qu'il vaut mieux avoir son capital en débiteur ou en marchandises qu'en rentes ou actions1259."

Des actions, il en était devenu porteur pour un nombre parfois important. Parmi elles, vingt de la Banque de Lyon lui avaient permis de réintégrer sa place de censeur, abandonnée huit ans plus tôt, et, lors de l'assemblée générale du 22 janvier 1846, d'y présenter es-qualités la situation de la banque au cours de l'année précédente1260.

Quelques mois plus tôt, sur son Livre particulier, il avait jugé opportun de rappeler les pertes financières, familiales et personnelles, consécutives à la crise américaine, nous l'avons vu précédemment1261. Mais, c'était tout aussitôt pour conclure sur un bulletin de victoire :

"Le 30 septembre 1845 - 8 ans après la crise - j'ai restitué à M. E. Dufour son capital de 200.000 F et je suis créditeur au compte particulier de : 295.449.

Je possède, de plus,

De plus, tout ce qui pourra rentrer des liquidations F.W. Steinbrenner et Godfrey Weber & C° m'appartient."

Cette situation financière s'interprète mieux à la lueur de l'arrêté suivant. Le voici, reproduit en l'état : "Le 30 septembre 1846, je suis créancier de F. Arlès-Dufour [sa maison de commerce], montant net (358.000) de mon intérêt de 80% déduction faite de mes dépenses et de 30.000 F crédités à Dufour-Feronce, à 476.000.

Je possède de plus 20 actions Banque de Lyon 75.000
  100 Avignon Marseille 90.000
  100 Paris Lyon 12.500
  Annonces 25.800
  Assurance des enfants 10.263
  Nord 125
  Campagne Oullins 120.000
  Terrain Loyasse 1.312
  Ville & campagne :  
  mobilier et argenterie 20.000
    831.000 1263 "

Ici, les "liquidations F.W. Steinbrenner et Godfrey Weber & C°" susvisées" sont passées sous silence. Il est vrai que leur règlement s'avère fort aléatoire. D'ailleurs, de la seconde, il ne sera plus question, vraisemblablement en raison d'une clôture définitive pour insuffisance d'actif. Au contraire, tout le produit de la liquidation F. W. Steinbrenner devient, en 1848 - à l'exception d'une somme de 37.644 F revenant à un certain Lemire, peut-être associé occasionnel - la propriété de notre homme d'affaires lyonnais, par rachat de toutes les créances. Estimé 10.000 F en 1847, le montant de la rubrique relative à cette liquidation est porté à 100.000 F en 1848, 105.000 en 1849, 130.000 en 1850, 150.000 en 1852, pour diminuer ensuite (10.000 F au 30 septembre 1858) jusqu'à extinction complète en 18591264. La gestion des propriétés concernées, "admises pour 20.000 piastres", est confiée à son collaborateur Mahler1265, ce spécialiste des affaires américaines qui l'avait pourtant entraîné en 1837 dans les déboires que l'on sait, ainsi qu'à un dénommé Duflou (ou Duflon). Un intérêt de 7% est réservé au mandant, ‘ "à condition que ce qu'elles [ces propriétés] rendraient en sus ou se vendraient au-delà de 20.000 piastres1266 serait partagé en 2/3 pour moi et 1/3 pour eux." ’ Ces intérêts furent portés en compte, du moins en l'état des écritures consultées, aux 30 septembre 1848 et 1849 à raison à chaque fois de 1.400 $1267.

Nous écrivons bien dollars comme nous avons écrit piastres, l'équivalent d'un dollar. Après bien des soucis, Arlès-Dufour a récupéré une partie de sa fortune, là même où il l'avait perdue !

Désormais, le "prolétaire enrichi" est le maître des propriétés Kingston et Wilbur, dans l'Etat de New-York1268, au pays de Washington.

Notes
1153.

Collaborateur de la maison Arlès-Dufour de Lyon, selon "Instructions pour ma femme en cas de mort" d'Arlès-Dufour, du 11 mai 1843 (Archives familiales).

1154.

Lettre d'Arlès-Dufour, 26 janvier 1839, à sa femme, déjà citée au chapitre précédent (Archives familiales).

1155.

Lettre non datée, présumée en raison de l'écriture enfantine du 1er janvier 1839 ou 1841 ; en 1840, la famille, à l'exception du fils aîné Gustave, passe les fêtes de fin d'année à Montpellier où est venue la rejoindre la mère de François Barthélemy, installée à Sète (Lettre collective à Gustave du 28 décembre 1840, archives familiales).

1156.

Arlès-Dufour est bien optimiste nous semble-t-il. Lui seul - peu administratif, avait dit Pauline ! - pouvait s'y reconnaître aisément...

1157.

Cette société nous demeure ignorée.

1158.

Sur le Livre particulier..., il est seulement indiqué : "183 "...

1159.

Les résultats suivants concernant la période 1854/1858 sont fournis globalement.

1160.

Chapitre XI - Le "tarif" et les canuts.

1161.

Cf. XXIII - La fin d'une carrière commerciale.

1162.

Son cousin Etienne Arlès responsable de la maison de Paris.

1163.

Instructions pour ma femme en cas de mort, Arlès-Dufour, 11 mai 1843, texte cité.

1164.

Cf. XIII- La Chambre de commerce.

1165.

Ibid.

1166.

Lettre d'Enfantin "à ses amis de Lyon" du 5 janvier 1840 (OSSE, Vol. 11, p. 2).

1167.

OSSE, Vol. 11, p. 175.

1168.

J.-M. Bouillat, Les contemporains - Duc d'Orléans, ..., op. cit.

1169.

CCL, Registre des délibérations, 28 octobre 1839.

1170.

CCL, Registre Copies de lettres, lettre au maire de Lyon du 31 octobre 1839.

1171.

CCL, Registre des délibérations, 18 novembre 1839.

1172.

Lettre d'Arlès-Dufour, 18 novembre 1839, à Aglaë Saint-Hilaire, 26 rue de la Chaussée d'Antin Paris (ARS 7688).

1173.

T. Lang, op. cit. p. 241.

1174.

Enfantin dans sa lettre à Arlès-Dufour, datée de Constantine, 27 avril 1840 (OSSE, Vol. 32, p. 95) écrit : "Je pense que vous verrez le Prince à son retour, en passant à Lyon [...]."

1175.

OSSE, Vol. 11, p. 3.

1176.

OSSE, Vol. 10, p. 219.

1177.

Précisons que, sans doute en raison de cette mission, une rue d'Alger, dans le quartier de Mustapha Supérieur, a porté le nom d'Enfantin jusqu'à l'indépendance et même au-delà.

1178.

Lettre d'Enfantin à Aglaë Saint-Hilaire du 28 août 1839 (ARS 7676, citée par H.-R. d'Allemagne, Prosper Enfantin et ..., op. cit., p. 26).

1179.

Lettre d'Enfantin, Toulon, 23 décembre 1839, - veille de son départ en Algérie - à Arlès-Dufour (OSSE, Vol. 31, p. 221).

1180.

Lettre d'Enfantin, 1er janvier 1840, à Lambert, (OSSE, Vol. 10, p. 230).

1181.

H.- R. d'Allemagne, Prosper Enfantin et ..., op. cit., p. 30.

1182.

Fernand Rude, Commémoration du centenaire SEPR, op. cit. - Jean Bouvier, Le Crédit Lyonnais..., op. cit., p. 129, précise que cette définition est extraite d'une lettre d'Arlès-Dufour à Enfantin du 16 décembre 1859 (ARS 7686).

1183.

Ce sentiment à l'égard du duc d'Orléans inspirait déjà Enfantin dès 1836 (Cf. OSSE, Vol. 31, p. 15, lettre d'Enfantin, Le Caire, 19 juin 1836, à Arlès-Dufour).

1184.

Lettre d'Enfantin, ? février 1840, à Arlès-Dufour (OSSE, Vol. 11, p. 28).

1185.

OSSE, Vol. 11, pp. 51 et 53.

1186.

Lettre de Boismilon, 10 avril 1840, à Arlès-Dufour (OSSE Vol. 11, p. 54 en note).

1187.

Veuve de Jules Plantin (1798 - 17/12/1837), ancien collaborateur d'Arlès-Dufour (Cf. chapitres VI et XII) et remariée à René Holstein le 22 novembre 1839 (Archives familiales).

1188.

Par exemple, cf. OSSE, Vol. 11, p. 132.

1189.

Lettre de Pauline Arlès-Dufour, 18 mars 1840, à Enfantin (ARS 7688/18).

1190.

Souligné par nous.

1191.

OSSE, Vol. 11, p. 54.

1192.

OSSE, Vol. 11, p. 58.

1193.

J.-M. Bouillat, Les contemporains - Duc d'Orléans, ..., op. cit.

1194.

Souligné par nous.

1195.

Ibid.

1196.

Ibid.

1197.

Lettre d'Arlès-Dufour au duc d'Orléans du 3 juin 1840 (ARS 7688/11). Le texte de cette lettre est intégralement reproduit in OSSE, Vol. 11, p. 54 et s.

1198.

On se souvient en effet que la bataille des Portes de Fer clôturait la seconde campagne et non la présente et dernière du duc d'Orléans.

1199.

Lettre du 28 août 1840 de Gustave à son père, à l'hôtel de Paris, rue Richelieu, Paris (Archives familiales).

1200.

Lettre n° 182 du 11 août 1840 de la CCL au ministre du Commerce, suite à la délibération du 6 même mois, CCL Registre Copies de lettres.

1201.

OSSE, Vol. 11, note p. 91.

1202.

Lettre d'Arlès-Dufour, 2 septembre 1840 à Enfantin, recopiée par celui-ci à Alger le 11 même mois, à l'intention de son cousin le général Saint-Cyr Nugues (OSSE, Vol. 33, p. 2 & s). Une visite d'Arlès-Dufour en date du 6 septembre au ministère du Commerce est rappelée dans la lettre CCL 255 du 18 décembre 1840 à ce ministre, CCL Registre Copies de lettres.

1203.

Lettre d'Arlès-Dufour du 2 septembre 1840, citée (OSSE, Vol. 33, p. 3).

1204.

Ibid., p. 5.

1205.

Ibid., p. 4.

1206.

Ibid., p. 5.

1207.

Lettre d'Enfantin, Bône, 23 décembre 1840, à Arlès-Dufour (OSSE, Vol. 11, p. 131).

1208.

OSSE, Vol. 11, p. 133.

1209.

Lettre d'Arlès-Dufour, Bordeaux, 21 janvier 1841, au duc d'Orléans (OSSE, Vol. 11, p. 134, ou ARS 7688/17).

1210.

Lettre d'Arlès-Dufour à Boismilon, datée "... février 1841". Le lieu d'expédition de Montpellier est barré et remplacé par Lyon. Ce texte (ARS 7688/17) est sur le même feuillet que celui de Bordeaux du 21 janvier 1841 au duc d'Orléans. Il est également reproduit in OSSE, Vol. 11, p. 135, exception faite de la visite annoncée "en mars si les Conseils se réunissent ou en avril en allant à Londres."

1211.

Lettre d'Arlès-Dufour, 31 mai 1841, au duc d'Orléans (ARS 7688/16).

1212.

OSSE, Vol. 11, p. 153.

1213.

Selon, pour ce séjour lyonnais du duc d'Aumale, Raymond Cazelles, op. cit., pp. 69-70.

1214.

Du duc d'Orléans au duc d'Aumale, cité par Raymond Cazelles, op. cit., pp. 69-70.

1215.

Raymond Cazelles, op. cit., p. 70.

1216.

Selon les inscriptions portées sur le tableau même et reproduites sur le catalogue de l'Exposition juin-septembre 1986 Portraitistes lyonnais 1800-1914, Musée des Beaux-Arts Palais Saint-Pierre, Lyon. Ce tableau tissé (du moins l'un de ses exemplaires) est visible au Musée Historique des Tissus de Lyon.

1217.

Lettre d'Arlès-Dufour, 3 juin 1840, au duc d'Orléans, citée supra.

1218.

Lettre d'Arlès-Dufour, ? février 1841, à Boismilon, déjà citée (OSSE, Vol. 11, p. 136).

1219.

Questions proposées par Arlès-Dufour à la Section industrielle du Congrès scientifique de France dans la session de septembre 1841 tenue à Lyon (Archives familiales). Pour mémoire, Fernand Rude in Commémoration du centenaire de la fondation de la Société d'Enseignement Professionnel du Rhône, op. cit., rappelle les trois dernières questions.

1220.

Selon Henri Hours, Maryannick Lavigne-Louis, Marie-Madeleine Vallette d'Osia, Lyon - Le cimetière de Loyasse, p. 297, op. cit. : "Louis Jasseron, né et mort à Lyon, 9 octobre 1892 - 10 juillet 1964, rédacteur en chef de La République lyonnaise (1927-1944), secrétaire général et animateur de la Société d'étude et d'histoire de Lyon - Rive Gauche."

1221.

Louis Jasseron, "Un des fondateurs de l'Ecole centrale lyonnaise, F.- B. Arlès-Dufour eut le premier l'idée d'un tunnel sous la Croix-Rousse", La vie lyonnaise, 1956, n° 35 (Pour mémoire, art. cit. in XV - Fabrique lyonnaise et fabriques étrangères). Nous n'avons malheureusement pas eu l'occasion de trouver confirmation de l'attribution de cette seconde paternité. La question de la traversée du chemin de fer de Paris à la Méditerranée par la ville de Lyon a fait l'objet d'une délibération de la CCL, lors de sa séance extraordinaire du 17 septembre 1845. Elle occupe cinq longues pages, n°693 à 697, du Registre des Délibérations. L'Assemblée avait à choisir entre le percement de la "montagne de Fourvière" et celui de la "montagne de la Croix-Rousse", sur un rapport de la Commission des Intérêts publics favorable à la première solution. Celle-ci fut adoptée par l'Assemblée. Pour mémoire, Arlès-Dufour n'était pas membre de la Commission en question, mais, comme toujours, de la Commission des manufactures ; ceci ne le privait évidemment pas d'émettre la suggestion qui lui est prêtée en raison de son activité dans le domaine ferroviaire. Pour mémoire encore, à la date du 17 septembre 1845 il se trouvait en Angleterre et a été absent aux séances de la CCL comprises entre le 10 juillet et le 2 octobre 1845.

1222.

Cf. XVII - Un nouveau départ.

1223.

Lettre d'Arlès-Dufour, 11 janvier 1842, à sa femme, déjà citée au chapitre précédent.

1224.

Il est l'auteur original ou le coauteur de plus de trois cents ouvrages dramatiques. Sa notoriété fut telle qu'il assuma la présidence de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (S.A.C.D.) pour l'exercice 1855/1856 et les trois exercices 1857/1860, quelques années après Scribe et immédiatement après Victor Hugo.

1225.

La liste de ses ouvrages en des genres différents (comédie, vaudeville, drame, opéra-comique, opéra) atteint la vingtaine. Parmi elles, à noter, en collaboration avec Scribe pour le livret et Verdi pour la musique, l'opéra en cinq actes, Les Vêpres siciliennes, représenté à l'Académie impériale de musique le 13 juin 1855. La production théâtrale de Duveyrier ne fut pas uniformément satisfaisante. Par lettre du 28 juin 1840, Enfantin écrit à l'un de ses correspondants : "Charles voit son théâtre mort." (OSSE, Vol. 11, p. 60).

1226.

Selon acte de naissance n° 426 de la commune de la Guillotière du 3 juin 1842. Les témoins sont "Messieurs Frédéric Guillaume Boëll, rentier, cours Bourbon (actuelle avenue de Saxe) n° 4, âgé de soixante ans, et Guesdon Edouard [?], négociant à Lyon, domicilié à la Guillotière, place Louis-Seize [actuelle place Lyautey], âgé de quarante ans".

1227.

Ce dernier prénom est le prénom usuel.

1228.

Selon J.- M. Bouillat, Duc d'Orléans, ..., op. cit., : Née princesse Hélène de Mecklembourg-Schwerin et mariée, sur les conseils et l'appui du roi de Prusse, à Fontainebleau au duc d'Orléans le 30 mai 1837. Charmante et parfaitement élevée, elle avait, aux yeux de la majorité des Français, le tort d'appartenir à la religion luthérienne. Diverses mesures adoptées par Molé, successeur de Thiers, apaisèrent les esprits, dont la réouverture de l'église Saint-Germain l'Auxerrois et l'amnistie de divers prisonniers.

1229.

Lettre d'Arlès-Dufour, à Paris, à Pauline du 11 janvier 1842, citée.

1230.

J.- M. Bouillat, Duc d'Orléans, ..., op. cit.

1231.

Lettre d'Enfantin, Curson, 1er avril 1842, à Arlès-Dufour (OSSE, Vol. 34, p. 120) : "...En écoutant Saint-Cyr lui parler de moi, l'impression qu'en éprouve le prince se rend assez bien par cette phrase de lui, à peu près textuelle : Je suis tout disposé à appuyer la demande que ferait M. Enfantin d'une sous-préfecture."

1232.

Lettre d'Enfantin, Oran, 11 octobre 1841, à Arlès-Dufour (OSSE, Vol. 11, p. 157).

1233.

Enfantin, Colonisation de l'Algérie, op. cit.

1234.

Lettre d'Enfantin, Curson, 16 décembre 1841, à Arlès-Dufour (OSSE, Vol. 11, p. 161).

1235.

Lettre d'Enfantin, 27 février 1842, à Arlès-Dufour (OSSE, Vol. 11, p. 172).

1236.

Arlès-Dufour, Livre particulier, cité.

1237.

"Environ 2 [ou 3 ? - chiffre surchargé] hectares", au prix de 32.000 F et 1.513,35 F de frais de notaire et d'enregistrement, selon Livre particulier, cité. Vendeur Etienne Bressand, 4 rue Saint-Jean Lyon.

1238.

Selon acte d'achat de Mme Adélaïde Arlès-Dufour, épouse MauriceEX \f nom «Chabrières (Adélaïde)», aux autres héritiers de la propriété d'Oullins, passé chez Maître Lombard-Morel, notaire à Lyon, le 6 juillet 1883.

1239.

Valeur portée sur l'acte en question : 2.100 F, mais précisée sur le Livre particulier pour 8.337 F et 378, 20 F de frais de notaire et d'enregistrement - Vendeur Etienne Jolivet, fabricant de bleu de Prusse, demeurant à Oullins.

1240.

Le prix de cette transaction ne figure pas sur l'acte au contraire du Livre particulier où il est mentionné pour un montant total, réglé en plusieurs fois, de 8.371,10 F - Vendeur Jean-Marie Blanc, secrétaire de la mairie d'Oullins.

1241.

Le prix de cette transaction ne figure pas sur l'acte, au contraire du Livre particulier où il est mentionné pour un montant de 4.091, 65 F - Vendeur Mme Vve Revay, Oullins.

1242.

Selon acte : audience des criées du Tribunal civil de Lyon du 18 mars 1845 et quittance de Me Berloty, notaire à Lyon, (montant non précisé) du 20 août 1849. Selon Livre particulier, prix de l'acquisition, soldée en 1849, : 8.000 F.

1243.

Cette propriété a été vendue, le 20 mars 1929, par les consortsEX \f nom «Chabrières (Adélaïde)» à la ville d'Oullins, par acte passé chez Maître Permezel, notaire à Lyon, au prix de 1.800.000 F "en vue de la création d'un parc public dénommé "ParcEX \f nom «Chabrières (Adélaïde)»-Arlès". Ce parc est toujours magnifiquement entretenu ; près de l'ancienne maison d'Arlès-Dufour, figure le buste du Père Enfantin.

1244.

Lettre d'Enfantin, s.d., à Arlès-Dufour (OSSE, Vol. 11, p. 182).

1245.

Dans les seuls cartons, au nombre de sept n° 7682 à 7687, des archives de l'Arsenal (sans compter les correspondances réparties dans les autres...), H.- R. d'Allemagne, Catalogue des manuscrits de la Bibliothèque de l'Arsenal..., op. cit., p. 28.

1246.

Il s'agit du docteur Pierre Curie, ancien saint-simonien du moins de coeur. "Si vous écrivez en Afrique, dîtes que nous concevons toujours l'affection la plus tendre et que nous serons fort heureux lorsqu'arrivera le jour où sera accomplie la promesse qui nous a été faite", écrit-il de Brook Grov. Square, Londres, à Arlès-Dufour le 11 octobre 1840 (Archives familiales). Emule de Hahnemann, il espère, selon le même courrier, par le travail qu'il prépare, "établir l'homéopathie en science et en science positive et irrécusable" et "assurer par cet ouvrage le triomphe absolu de l'homéopathie." Arlès-Dufour n'hésite pas à le consulter en cas de besoin.

1247.

Lettre d'Arlès-Dufour, Londres, 6 septembre 1842, à sa femme (Archives familiales).

1248.

Ibid., 16 septembre 1842 (Archives familiales).

1249.

Op. cit.

1250.

Arlès-Dufour, "Importance de l'industrie des soies et soieries", art. cit., Revue du Lyonnais, p. 56-64. Partie de cet article est reproduite par J.-F. Brunel, Tableau historique, administratif et industriel de la Ville de La Croix-Rousse, op. cit., pp. 76-77.

1251.

CCL, Registre des délibérations, 26 janvier 1843.

1252.

Il s'agit, bien entendu, de Fenimore Cooper (Pour mémoire, cf. XVI - Des balles et des boulets).

1253.

Pour mémoire, cf. chapitre XVII - Un nouveau départ...

1254.

Future gare du chemin de fer.

1255.

Les instructions... d'Arlès-Dufour du 11 mai 1843 qui auront pourtant perdu une partie de leur valeur sont complétées de quelques lignes les 24 janvier 1858 et 18 janvier 1861 (Archives familiales). Un nouveau testament sera rédigé ultérieurement.

1256.

Pour mémoire, chapitre XVII - Un nouveau départ.

1257.

Phrase citée au chapitre XVII - Un nouveau départ, rappelée ici pour mémoire : "La maison que j'ai fondée est une mine d'or, si l'exploitation se soutient sur les bases droites et loyales que j'ai suivies et même tracées."

1258.

Paul Malapert, "Evocation des 125 années de la Société d'économie politique de Lyon", Conférences et annuaire de la Société d'économie politique et sociale de Lyon, p. 15, Lyon, Imprim. ACIT, 1992, 68 p.

1259.

Livre particulier d'Arlès-Dufour (Archives familiales).

1260.

CCL, Dossier Banque de Lyon 1836-1847, 9301-9 n° 1. L'état des archives consultées ne permet pas de déterminer avec précision la date de son retour au conseil d'administration de cet organisme ; le compte-rendu de l'assemblée générale des actionnaires de 1845 y fait malheureusement défaut. Vraisemblablement, Arlès-Dufour - non mentionné dans le précédent -, a été réélu lors de cette assemblée de 1845, si l'on retient l'achat de 20 actions de la banque avant le 30 septembre 1845, selon son bilan à cette date, et son intervention en qualité de censeur le 22 janvier 1846. Cependant, Enfantin dans une lettre adressée en avril 1842 à Arlès-Dufour fait état, à deux reprises mais peut-être à tort, de la qualité de celui-ci de membre du conseil de la Banque de Lyon (OSSE, Vol. 34, p. 129 et 136).

1261.

Cf. XVII - Un nouveau départ...

1262.

Non chiffré, comme pour les lignes suivantes.

1263.

Livre particulier, cité.

1264.

Toujours selon Livre particulier, cité.

1265.

Pour mémoire : frappé d'une attaque d'apoplexie en mars/avril 1848, "mon pauvre Mahler, chargé de ma procuration", priva Arlès-Dufour, "à Paris pour la fusion des banques", "pour toujours et dans le moment le plus critique de ses bons services" (Livre particulier, cité).

1266.

La piastre équivalant au dollar, et celui-ci se négociant à l'époque à raison de 5,28 3/4, les propriétés en question représentaient une valeur de 105.750 F.

1267.

Pour être complet, il convient d'ajouter qu'en 1850, Arlès-Dufour recevait : 1/ en février, de Duflou (ou Duflon) "18.506,25 F [6.307, 7 $ à 5,21 1/4] pour le paiement comptant sur le prix de vente de 10.000 $ de la propriété de Kingston dont le solde reste hypothéqué". 2/ le 18 juin, "32.878,88 F, produit de 6.307,7 $ à 5,21 1/4, montant de la vente de l'hypothèque sur Kingston." Il ne s'agit vraisemblablement que d'une des propriétés dites de ou sise à "Kingston", les écritures ultérieures faisant mention de "propriété Wilbur". La possession de ce dernier bien prend fin après le 30 septembre 1858.

1268.

Nous ne possédons pas d'autre élément ; des précisions demandées aux Etats-Unis, via Internet, sont restées sans réponse.