XIX - "LE CADEAU DE L'ANGLETERRE AU MONDE"

Dès 1826, le juriste J.J. Dubochet, l'un des rédacteurs du premier journal saint-simonien, Le Producteur, s'enflamme à l'idée de l'emploi des machines à vapeur mobiles1269. De cette "vaste révolution dans l'état de la société", il présage : ‘ "Produits industriels, inventions, découvertes, opinions circuleraient avec une rapidité jusqu'à présent inconnues, et, par dessus tout, les rapports d'homme à homme, de province à province, de nation à nation seraient prodigieusement accrus1270." ’ Animé des mêmes espérances, le directeur de l'un des plus importants établissements métallurgiques de l'Est, à Brousseval (Haute-Marne), l'ingénieur Henri Fournel songe, en 1828/1829, à désenclaver la Champagne. Cet ancien élève de l'Ecole polytechnique, converti à la doctrine saint-simonienne, conçoit le projet de relier facilement la Méditerranée à la Mer du Nord, ‘ "en joignant par un chemin de fer les trois points où la Saône, la Marne et la Meuse commencent à être navigables1271." ’ Néanmoins, les gouvernants montrent peu d'empressement à concrétiser ces ambitions et, à leur tour, à offrir à la France ce ‘ "cadeau de l'Angleterre au monde1272" ’.

A Lyon, le n° 8 de L'Echo de la Fabrique, daté du 18 décembre 1831, annonce dans sa rubrique des "Nouvelles diverses" : ‘ "On s'occupe en ce moment, à Paris, de l'établissement de nouveaux chemins de fer. Des compagnies en projettent de Paris à Lyon, et de Strasbourg à Paris. On assure même qu'un ingénieur anglais, sir Henry Pernell, se propose de soumissionner un chemin de fer de Paris à Calais ; une communication semblable s'établirait de Londres à Douvres, et 16 ou 17 heures suffiraient alors pour faire le voyage de Paris à Londres. ’"

Quelques semaines après, en février 1832, en prolongement à son aîné Le Producteur disparu six ans plus tôt, Le Globe 1273 - son successeur en Saint-Simon - publie une série d'articles de Michel Chevalier. Cet homme brillant, polytechnicien et ingénieur des mines, appelé à la direction du journal par Enfantin, y brosse son "Système de la Méditerranée1274" : c'est l'actuelle toile d'araignée tissée par les grandes voies ferrées à travers la France et l'Europe. Pour lui, ‘ "les chemins de fer le long desquels les hommes et les produits peuvent se mouvoir avec une vitesse qu'il y a vingt ans on aurait jugée fabuleuse, multiplieront singulièrement les rapports des peuples et des cités. Dans l'ordre matériel, le chemin de fer est le symbole le plus parfait de l' ’ ‘ association universelle1275."

Mais il fallut que la mort fasse son oeuvre afin que naisse une rencontre d'ingénieurs et de financiers qui allait sonner l'heure des réalisations marquantes. Autour de la dépouille de l'ancien substitut du procureur du roi, ce doux rêveur d'Edmond Talabot, victime à vingt huit ans de l'épidémie de choléra, ils sont nombreux à se réunir, ce 18 juillet 1832. Tout d'abord, son frère Léon appelé d'urgence, un ancien camarade de l'Ecole polytechnique d'Enfantin à qui une vive sympathie le lie depuis. La veille de sa mort, à Ménilmontant où la "famille" s'était retirée depuis le 23 avril, Edmond a eu le temps de murmurer à son aîné : ‘ "Quand on vit avec des coeurs comme ceux-là, on sait ce que c'est que la vie : tu es digne d'eux, je te recommande à leur amour" ’ et, montrant le Père, : ‘ "Ecoute, frère, cette voix qui n'a pas encore son écho dans le monde1276 !"

Il y a là, également, des anciens amis d'Enfantin, Lamé et Clapeyron, Eugène Flachat1277 qui les a connus tous deux l'année précédente à Saint-Petersbourg, son frère Stéphane, enfin Emile Pereire1278 ; tous, ils se passionnent pour ces questions industrielles et financières sur lesquelles, dans l'esprit saint-simonien, ils ont attiré l'attention de l'opinion publique. Et de leurs rapports ultérieurs fréquents va naître un projet de chemin de fer, celui de Paris à Saint-Germain. Dès le mois de septembre, Enfantin se félicite de la fidélité de son ancien disciple. ‘ "Tu as vu que Flachat, écrit-il à son père, allait déposer au procès ; il est toujours aussi aimant pour nous" ’ et, fier des études déjà menées à bien, il complète : ‘ "Il travaille à Paris avec Lamé et Clapeyron à une grande affaire de chemin de fer1279."

Dans le même temps, il est question de l'entrée en service d'un autre chemin de fer. ‘ "C'est le 1er octobre dernier que les voitures publiques du chemin de fer de Saint-Etienne à Lyon ont fait pour la première fois ce trajet." ’ Le 9 décembre 1832, sous la rubrique "chemins de fer", L'Echo de la Fabrique le claironne victorieusement. Un succès certes, modéré cependant car c'est "au moyen de chevaux au trait" qu'il circule, quand il ne profite pas, dans les descentes, de la seule gravité ! Le fait, unique en France, est courant en Angleterre : depuis le début des années 1820, plus de trois cent soixante kilomètres de lignes de chemins de fer à chevaux sillonnent le pays de Galles. Toutefois, après avoir organisé le transport des voyageurs, les frères Seguin1280 utilisent, l'année suivante, sur le parcours de leur concession, la traction mécanique. Mais, l'événement reste de portée tout à fait régionale, comme l'est la liaison Andrezieux - Saint-Etienne, ou le sera celle d'Alais à Beaucaire, surtout destinées au transport du charbon. A une particularité près toutefois pour cette dernière : accordée en 1833, cette concession fixe l'apparition de Paulin et Léon Talabot, avec la collaboration de Charles Didion, dans le nouveau mode de transport1281. Plus tard, les Notices historiques ne manqueront pas de souligner que ‘ "toutes ces personnes, directement ou indirectement, se rattachaient au groupe saint-simonien, et [que] leur entreprise était éclose au milieu du saint-simonisme1282." ’ C’est ce qu’en d’autres termes, en 1838, Enfantin avait écrit à son cousin, le général Saint-Cyr Nugues, à propos de sa rentrée active dans le monde : ‘ "...toutes les objections qui seraient relatives à mes dix dernières années doivent être très atténuées, quant aux chemins de fer, par les noms qui figurent dans celui de Saint-Germain, noms qui ont tous été accolés de très près au mien depuis dix ans" ’. Et après les avoir tous cités, tels que ci-dessus, il ajoutait : ‘ "Je ne vois guère que M. Rothschild, dans cette entreprise, qu’on ne puisse pas accuser d’avoir figuré à la rue Monsigny1283" ’ ; un Rothschild qui, ajoute-t-il quelques jours après, ‘ "a attrapé au vol ce que nous disions, dans ’ ‘ Le Globe ’ ‘ , des chemins de fer1284." ’ Dans la lettre précédente, il faisait aussi état de ses fréquentes réceptions chez M. Laffitte, important banquier parisien...

La maîtrise de l'espace par l'homme n'échappe à la vigilance d'Arlès-Dufour. Au coeur de ce mouvement de pensée, il suit pas à pas, par l'échange régulier de nouvelles et à l'occasion de ses déplacements parisiens, auprès des uns et des autres1285, la bien lente concrétisation des efforts de ses amis. Pourtant, au profit de cette "grande affaire" du Paris - Saint-Germain, Emile Pereire s'est acquis le concours financier d'un ami de sa famille, Adolphe d'Eichthal, l'un des chefs de la banque Louis d'Eichthal et fils, frère de Gustave l'apôtre saint-simonien. De plus, à leur instigation, la participation de deux puissantes maisons de banque, MM. de Rothschild frères et Thurneyssen & Cie a été obtenue. Or, voici près de trois ans que le dossier parfaitement constitué, tous plans à l'appui, a été déposé au ministère des Travaux publics !

Notre bouillant Lyonnais est à l'affût chaque jour dans la presse des articles qui, espère-t-il, feront pression sur le gouvernement. Qu'ils émanent d'Emile Pereire - qui a quitté Le Globe en 1831 - dans Le National où il poursuit la campagne saint-simonienne, de Stéphane Flachat dans Le Constitutionnel, d'Eugène Flachat dans Le Journal du commerce, de Michel Chevalier, retour d'Amérique, dans Les Débats, ils sont abondants ces articles1286, en cette année 1835, à alerter la collectivité nationale, la Chambre, le Gouvernement. Enfin, ils atteignent leur but. Une loi du 9 juillet se prononce en faveur de cette concession, "aux risques et périls" d'Emile Pereire...

Il n'était que temps. Maintenant, on va enfin pouvoir entonner ce Chant du travail 1287, écrit quelque années plus tôt, pour les saint-simoniens, par Rouget de Lisle sur l'air de la Marseillaise, :

‘Hommage et gloire à l'industrie,
Qui verse en tous lieux ses bienfaits !
Vous tous qui lui devez la vie,
Admirez ses divins progrès.
La vapeur, brisant tout obstacle,
Donne des ailes aux bateaux,
Et d'un char, roulant sans chevaux,
La vitesse tient du miracle.
Courage ! mes amis, ensemble travaillons ;
Marchons, que notre ardeur féconde nos sillons.’

A l'occasion de ses différents déplacements en Angleterre, Arlès-Dufour a pu constater l'importance du retard pris par notre pays en matière de railway. Vraisemblablement, appétit de connaître et nécessités commerciales conjugués, il a déjà expérimenté The Rocket 1288, la locomotive à vapeur de Stephenson qui relie Liverpool à Manchester depuis fin 1830. En 1835, année qui précéda celle de l'ouverture de Fenchurch station, la première gare de Londres, les chemins de fer britanniques ont déjà transporté dix millions de voyageurs, plus de deux millions de tonnes de marchandises et d'un million et demi de moutons, ainsi que trois-cent-mille bêtes à cornes1289. Sans parler de la sécurité, de la rapidité, et, par voie de conséquence, du temps gagné, comme le voyageur le souligne, de Londres justement, à son ami Enfantin, en Egypte, dans une correspondance du 20 mai 1836 : ‘ "... dans ce pays, tout un trajet se ferait avec une économie d'un tiers de temps" ’. Et il s'extasie devant les projets de développement important de ce moyen de transport qui y sont forgés : ‘ "Il y a en ce moment plus de vingt chemins de fer commencés et plus de trente à l'étude." ’ Des renseignements puisés à la meilleure source qui soit ! L'origine en est fournie : ‘ "Poulett Thomson, le ministre du Commerce, me disait qu'il voulait éclairer le public sur les spéculations fausses de certains chemins de fer ; la somme d'actions émises allant s'élever à un milliard de francs1290."

L'éclectisme de ses relations britanniques, nouées grâce à la probable recommandation de son ami le Docteur John Bowring, même pas dix ans après sa première traversée de la Manche, ne le prive pas cependant d'énoncer son opinion sur la politique du pays qui l'accueille. Dans la même lettre, on lit : ‘ "... Il ne faut pas de bien longtemps comprendre l'Angleterre qui ne s'est nullement occupée d'idées nouvelles et qui est encore à discuter l'égalité devant la loi, la réforme de l'église, etc., etc. C'est un pays qu'on ne saisira jamais que par des faits, par des actes positifs1291." ’ Toutes ces lignes ferrées, en voici "des faits", des "actes positifs" à rendre envieux pour sa patrie le jeune magistrat consulaire.

Depuis son élection à la Chambre de commerce de Lyon, la question des chemins de fer apparaît sporadiquement à l'ordre du jour des séances : au premier chef, en raison de l’intérêt pour la ville de la ligne qui relie Saint-Etienne à Lyon, ou plus exactement à La Mulatière, au confluent du Rhône et de la Saône1292. En 1833, suite aux plaintes exprimées par les premiers usagers, le maire de Lyon1293, puis le préfet du Rhône1294, consultent l'organisme consulaire à propos de la rédaction d'un règlement de police propre à garantir la sûreté publique, et du ‘ "tarif des droits à percevoir [...] pour le transport des voyageurs" ’ : l'usage du véhicule par ces usagers, à bord de berlines et de gondoles, n'avait évidemment pas été compris dans l'adjudication primitive. Dans ce but, une commission spéciale de trois membres est constituée1295. Avec MM. Beaup et Rieussec, Arlès-Dufour y est affecté, malgré la rédaction en cours de son rapport sur la situation générale de la Fabrique destiné au préfet1296. Sa participation à cette commission marque le début, du moins connu de nous, de ses durables activités dans le domaine ferroviaire.

Quelques semaines auparavant, le 28 mars, la Chambre avait eu à connaître une note présentant des observations sur le projet de chemin de fer de Paris à Lyon ; parvenue sans signature, on l'avait fait classer sans autre, dans l'attente du moment où cette question viendrait à être agitée1297. Le 23 mai, un autre projet visant la liaison ferrée Lyon - Marseille, présenté par un certain Delorme au préfet, retenait davantage l'attention par l'audition d'un rapport commandé par le président Laurent Dugas à une nouvelle commission spéciale, composée cette fois de MM. Chaurand, Rieussec et Brosset1298. Arlès-Dufour, retour de Londres, écoute le rapporteur, M. Rieussec, déclarer : ‘ "Nier l'utilité du chemin de fer de Marseille à Lyon serait à notre avis une hérésie en économie politique ; tout ce qui tend à rapprocher les distances, à diminuer les prix de transport, est dans l'intérêt général et doit être appuyé par nous." ’ Tel est bien l'avis de tous, consigné parmi les considérants de la décision favorable : ‘ "Marseille est une des places avec lesquelles celle de Lyon entretient les rapports les plus actifs, et [...] il ne saurait y avoir qu'un très grand avantage pour ces deux villes à ce que le service réciproque des transports de l'une à l'autre fut opéré par des moyens plus accélérés et moins sujet aux accidents et aux interruptions que n'en présente le cours du Rhône à la montée et la voie de terre tant à la montée qu'à la descente." ’ Cet avantage reconnu, force est d’admettre l'impossibilité pour le gouvernement de se charger directement de la construction et la nécessité de ne ‘ "l'établir qu'au moyen d'une concession à l'industrie particulière1299" ’.

Plus de trois ans se sont écoulés. Le préfet Rivet, "président né" de la Chambre de commerce, préside la séance du 22 septembre 18361300. Il est donné lecture d'une des lettres du 8 même mois de ce haut fonctionnaire qui souhaite recueillir l'avis de la Compagnie sur "l'utilité et la convenance" d'un projet de ligne de Marseille à Lyon, plans et mémoire explicatif à l'appui. A nouveau, une commission est constituée. A nouveau, Arlès-Dufour y est désigné aux côtés de Laurent Dugas, Chaurand et de trois autres membres. A nouveau encore, on se prononce, favorablement et à l'unanimité, pour l'établissement de cette ligne, la rive gauche du Rhône paraissant préférable à l'autre. Plusieurs soucis sont manifestés, de surveillance et de police, de sécurité pour les personnes et les propriétés. On affiche aussi celui de ‘ "rendre le service de l'établissement égal pour tous, [et d'] empêcher que le caprice ou la cupidité puissent jamais favoriser les uns au détriment des autres1301." ’ La Chambre de commerce de Marseille, de son côté, sollicite l'appui de son homologue lyonnais pour la réalisation du projet en raison du préjudice que pourrait causer au commerce de transit l'établissement annoncé d'un chemin de fer de Milan à Venise. Cet appui est évidemment accordé et concerne, bien entendu, la liaison Marseille - Lyon1302.

Mais fort curieusement, du trajet Lyon - Paris, pourtant précieux pour une livraison plus rapide des soies manufacturées vers la capitale, pour le moment, il n'en est toujours point question. Et si, le 30 janvier 1840, la Chambre de commerce de Lyon est saisie de divers documents concernant ce dernier parcours, par la Bourgogne, c'est pour ajourner toute décision1303 !

Côté mairie de Lyon, on s'agace. Le 13 janvier 1842, Barillon, le seul conseiller municipal de Lyon compétent en matière ferroviaire, déclare devant ses collègues de la place des Terreaux : ‘ "Jusqu'à ce jour, la grande ville de Lyon est restée muette et indifférente, tandis que même de simples petits villages se sont occupés de cette importante question1304." ’ Par crainte de la future concurrence, les compagnies de navigation fluviale, équipées à la vapeur les dernières années, étaient peu enclines à sacrifier leurs intérêts. Pourtant, étonnamment, l'une d'entre elles, la Société lyonnaise des transports du Rhône et de la Saône avait sollicité directement du ministre du Commerce et des Transports, en juin 1840, l'établissement d'un chemin de fer de Marseille au Rhône. Le préfet en avait informé la Chambre de commerce, précisant que le ministre avait apprécié les considérations évoquées1305. Apparemment, les choses en étaient restées là, en raison des intérêts contradictoires représentés dans cette assemblée. Aussi, celle-ci dans la perspective de la venue du ministre du Commerce annoncée pour le 2 septembre émet, le 31 juillet de l'année suivante, les voeux suivants : l'amélioration générale de la navigation du Rhône et de la Saône, l'établissement d'un chemin de fer de Marseille au Rhône, enfin ‘ "qu'il soit fait des études sérieuses dans le but de créer une semblable voie entre Paris et Lyon" ’. ‘ "Que ces différentes entreprises ne demeurent pas indéfiniment à l'état de projet1306" ’, s'impatiente-t-elle. Après tout, les deux moyens de transport sont loin d'être incompatibles mais, au contraire, complémentaires, du moins dans cette phase transitoire. Ces voeux de la Chambre sont émis "par deux de ses membres". A n'en pas douter, et comme on le verra par la suite, il s'agit des deux congénères1307 et amis, Joseph Brosset, président en exercice, et Arlès-Dufour, lassés d'attendre les "chemins" et depuis longtemps !

Ces projets ne rencontrent pas l'adhésion de tous, même d'un intime du dernier nommé. Sous la signature du docteur Lortet, La Revue du Lyonnais en fournit l'exemple : ‘ "Ne sommes-nous pas trop présomptueux en voulant établir une route artificielle pour remplacer cette voie si commode [le Rhône] et si prompte de communication ? [...] Si le lit du Rhône était amélioré, la navigation deviendrait plus rapide et plus régulière. Chacun des vingt-huit bateaux à vapeur fait en moyenne cinquante voyages par an ; il en ferait soixante-dix. La remonte d'Arles à Lyon exige quarante à cinquante heures ; on la ferait en trente ou trente-six heures. [...] Avec ce parallèle, je crois inutile de mettre en ligne les dépenses énormes de construction et d'entretien des chemins de fer dont le seul avantage serait une vitesse de quelques heures en remontant d'Arles à Lyon. Cette vitesse ne pourrait compenser le tarif plus élevé du transport1308."

Heureusement cet état d’esprit rétrograde ne prévaut pas dans toutes les sphères économiques nationales. Compte tenu de l'essor commercial escompté, avec les saint-simoniens, d’autres attendent, depuis des années, impatiemment, la naissance des grandes voies ferrées. En vain. Le Moniteur industriel du 13 juillet 1837 s'impatiente : ‘ "[...] dans les arts, les sciences, les lettres, la France marche en tête, à la tête de la civilisation. Mais combien elle est arriérée dans d'autres voies, les chemins de fer, la navigation à vapeur, l'agriculture, le commerce, beaucoup d'industries, les assurances1309." ’ Trois mois plus tôt, le même journal avait établi un attristant parallèle entre la France et les Etats-Unis : ‘ "Là-bas, en deux mois, on va plus vite qu'ici en quatre ans ; pendant que nous faisons quatre lieues de chemins de fer, aux Etats-Unis on en fabrique cinquante1310."

Heureusement, pour rehausser quelque peu le prestige national, la ligne Paris - Saint-Germain est officiellement inaugurée le 28 août 18371311 par l'épouse de Louis-Philippe, la reine Amélie elle-même, accompagnée de sa suite, en grande pompe. Enfin, une ligne d'importance par rapport à celles de second ordre, en service ou en cours de construction. Non par son impact économique, encore moins par les dix-huit kilomètres parcourus entre cette masure servant d'embarcadère, place de l'Europe, et les rives de la Seine, au Pecq seulement, les locomotives ne parvenant pas à franchir les derniers dénivelés de la colline de Saint-Germain... Cependant, l'engouement est général, les badauds parisiens se pressent à la découverte du nouveau monstre, les provinciaux de passage également ; nous l'avons dit, Arlès-Dufour, lui aussi, l'année suivante, en sera pour payer son "tribut" au "chemin1312". Quelques jours après l’inauguration, dans ses Lettres parisiennes et sous le pseudonyme de Vicomte de Launay, Mme Emile de Girardin raconte son premier voyage dans le quotidien de son mari, La Presse du 1er septembre : ‘ "... vivent les chemins de fer ! Nous persistons à dire que c'est la plus charmante façon de voyager : on va avec une rapidité effrayante, et cependant on ne sent pas du tout l'effroi de cette rapidité ; on a bien plus grand'peur en voiture de poste, vraiment, ou en diligence1313..."

Dès avant ces premiers voyages, Enfantin, auprès de son ami Lambert - resté, lui, en Egypte comme directeur de l'Ecole Polytechnique de Boulac -, semble se satisfaire d'heureuses perspectives : ‘ "Il parait que les affaires du chemin de fer de Saint-Germain et de Versailles1314 ’ ‘ sont énormément lucratives pour E[mile] Pereire et pour Flachat, et aussi pour MM. Rotchschild et d'Eichthal. Fournel y est employé, mais je ne le crois pas intéressé. [...] Michel [Chevalier] également n'a pas d'intérêt dans l'affaire1315."

Quant au gouvernement Molé qui, selon les Mémoires de Rémusat1316, vit ‘ "dans l'équivoque et l'incertitude" ’, il n’est pas en mesure d'imposer à la Chambre ses espoirs de construction de cinq lignes importantes au départ de Paris1317. Apparemment, Enfantin ne s’émeut guère de cette abstention, se réjouissant cependant du fait que la Chambre ‘ "paraissait toutefois disposée, en grande majorité, à considérer ces grandes lignes comme devant être faites par le gouvernement1318." ’ Pourtant, quelques jours auparavant, toujours impatient des conditions de sa "rentrée", n'avait-il pas envisagé ce marchepied : ‘ "Peut-être le grand chemin de fer de Lyon à Marseille sera-t-il une occasion1319 ? " ’ Pourtant encore, ne suggérait-il pas à son ami "monomane" : ‘ "Songez au chemin de fer de Lyon à Marseille ; je crois que vous pouvez, si vous le voulez, avoir tout aussi bien que Pereire, la direction de semblable affaire1320" ’ ? Pour l'heure, en cette période de crise, au bord de la faillite, se battant pour sauver à tout prix le commerce qu'il a en charge, le destinataire a beaucoup d'autres et plus graves soucis...

Quoi qu'il en soit, le Paris-Saint-Germain allait servir, selon l'expression de Pierre Léon, ‘ "à la fois de laboratoire expérimental et de vitrine publicitaire1321" ’. ‘ "Après le chemin de fer, ce qui enchante le plus les Parisiens, c'est le nouvel éclairage des boulevards ; le soir cette promenade est admirable. Depuis l'église de la Madeleine jusqu'à la rue Montmartre, ces deux allées de candélabres d'où jaillit une clarté blanche et pure font un effet merveilleux1322." ’ Décidément, le progrès est en marche, peut-on penser. La multiplication de lignes principales n'est pas acquise pour autant. Il faudra encore patienter avant de s'accoutumer, sur des distances plus longues, aux ‘ "merveilleuses rapidités de la vapeur1323" ’.

En raison de la crise de 1839, du changement de ministère la même année, de la tournure inquiétante de la question d'Orient l'année suivante, pratiquement jusqu'en 1842 rien ne se fait, à part des demi-mesures ne satisfaisant personne. Seules, deux lignes relativement importantes, Paris à Orléans et Paris à Rouen, sont concédées respectivement les 7 juillet 1838 et 15 juillet 1840 ; elles seront livrées à l'exploitation en mai 1843.

Enfin, la loi institutionnelle des chemins de fer français du 11 juin 1842 fixe désormais, entre l'Etat et les compagnies, la répartition des charges et bénéfices dans la construction et l'exploitation des lignes ; elle donne aussitôt le signal de la constitution de multiples compagnies aux chances de succès variables. Malgré l'effroyable accident du 8 mai 1842 à l'origine de la mort de soixante-treize passagers sur la voie Paris-Versailles (rive gauche), on note ‘ "un agiotage effréné" ’ ; ‘ "la spéculation se jeta dans le mouvement à corps perdu" ’, selon les expressions de Maxime du Camp qui ajoute : ‘ "Ce fut pendant quelque temps une folie scandaleuse qui put remettre en mémoire les beaux jours du système de Law1324." ’ De son côté, Mérimée, écoeuré, se récrie : ‘ "Quelle augmentation de dépravations nous ont apportée les chemins de fer et les grandes exploitations industrielles1325."

Arlès-Dufour n'échappe pas à cette fièvre spéculative, malgré une position financière à rebâtir. Peut-être, dans ce but justement ! Nous l'avons déjà mentionné à propos des actions du Paris-Orléans, achetées et revendues1326, puis en reproduisant son bilan au 30 septembre 18451327 avec 100 Avignon Marseille, 835 "promesses Avignon" et celles, en quantités inconnues, de l'Union et du "Strasbourg". Une envie, un besoin de spéculation qu’il partage avec son beau-père, Paul Emile Dufour - lequel enregistre dans son Livre particulier, non sans une évidente satisfaction : ‘ "Chemin de fer Avignon à Lyon - 30% de hausse entre 1844 (émission) et 18451328." ’ Mais aussi, sans doute et surtout, avec le dessein de rejoindre, paquet d'actions à l'appui, ses amis, promoteurs de cette transformation des rapports sociaux.

La loi une fois acquise, sans délaisser, bien sûr, ses autres activités, il suit plus attentivement que jamais, à la Chambre de commerce présidée par Brosset - réélu à ce poste le 25 août 1842 puis le 29 août 18431329 -, les rapports de la commission des travaux publics chargée des questions ferroviaires. Fort courtisée, la Chambre fait l'objet de diverses sollicitations. Des intérêts économiques non négligeables sont en jeu, ceux des départements et des communes pouvant être concernés par le tracé des lignes. Pour le moment, ses effets pervers ne semblent pas envisagés. Le marquis de Louvois, pair de France, président du Comité central du chemin de fer de Paris à Lyon, par la Bourgogne, envoie et appuie de ses observations un mémoire en faveur d'un tracé par la vallée de l'Yonne1330. La ville de Troyes délègue deux de ses représentants, son maire et un membre de sa Chambre de commerce1331. Le député de l'Yonne, M. Larabit, fait parvenir un mémoire dans le même sens que M. de Louvois1332 - lequel récidive le 24 septembre 18431333. Un rapport présenté par Brosset lui-même écarte, entre Paris et Dijon, le passage par la vallée de l'Yonne au profit de la vallée de la Seine, et se cabre contre l'arrêt de la construction à Chalon-sur-Saône afin qu'elle soit continue jusqu'à Lyon, le point d'arrivée en cette ville étant réservé1334. Une liste d’interventions non limitative... En bref, en cette année 1843, on s'agite, beaucoup, et enfin, autour de l’axe Paris-Lyon. La chose n'est rien encore.

Voici, en effet, que dans ce contexte, en septembre 1843, une demande de concession de cette ligne est déposée auprès du ministre des Travaux publics par un banquier parisien, M. Delamarre, entouré de quelques personnalités de la capitale et associé à des capitaux anglais. Pour ce groupe, la nécessité impose de s'attirer les bonnes grâces des notables lyonnais. A l’issue de diverses réunions, un accord intervient avec Arlès-Dufour, Brosset, Barillon, Laurent Dugas, et Etienne Gautier1335. Tous les cinq se retrouvent, à la fois membres du comité de Lyon - un comité qui complète ceux de Paris et de Londres - et membres du conseil provisoire de la compagnie en passe de se dénommer Compagnie de l'Union, par décision du 9 janvier 1844. Le 5 février, après une longue nuit de travail préparatoire, une délégation est chargée de déposer entre les mains du ministre des Transports la soumission établie pour le Paris-Lyon ; Arlès-Dufour est du nombre, aux côtés du vicomte de Bondy, Michel, David Salomons, Barillon, etc.1336.

Auparavant, fin octobre, il s'était rendu à Marseille, ainsi qu'Enfantin l'avait appris de Duveyrier1337. Pour le futur titulaire de cent actions de cinq cents francs de la Compagnie des chemins de fer de Marseille à Avignon, le motif de ce voyage avait-il un rapport avec la concession récemment accordée1338 à la société formée par Paulin Talabot et autres associés ? Le prolongement vers Lyon de la voie ferrée Marseille-Avignon serait-il le motif de ce voyage ?

De leur absence commune, Brosset en explique les raisons lors de la délibération de la Chambre du 28 mars 1844 : ‘ "Vous connaissez, Messieurs, le but principal du voyage que, M. Arlès-Dufour et moi, nous venons de faire à Paris. Nous représentions une Compagnie qui a pris origine à Lyon et qui a pour objet la concession du chemin de fer de Paris à Lyon." ’ Et c'est pour souligner les avantages de la participation de l'Association lyonnaise à la Compagnie de l'Union, déplorer que, jusqu'alors dans les sphères de l'Etat, ‘ "on ne s'occupait pas, le moins du monde, du chemin de Lyon" ’ et exciper, après maintes instances (ministre, députés, pairs de France, etc.), de la promesse d'un prochain projet de loi sur le chemin de Lyon, au moins jusqu'à Chalon... Une victoire ? En fait un semi-succès, qui permet cependant au président Brosset de conclure : ‘ "Quelque soit le système qu'on adoptera, si l'exécution immédiate et prompte du chemin de fer à Lyon est votée cette année, nous pouvons dire devant vous, sans présomption et sans fatuité, que nos efforts y auront puissamment contribué." ’ La cause entendue, la Chambre vote à l'orateur des remerciements ‘ "pour les nouvelles preuves qu'il vient de donner de son dévouement et de son zèle pour les intérêts du commerce lyonnais1339."

Or, justement, ce commerce lyonnais ne s'est-il pas senti, un moment, sacrifié au profit d'intérêts particuliers ou d'aspirations plus ou moins personnelles ? Avant d'essayer de démontrer le contraire, le début de l'exposé de Brosset s'en fait lui-même l'écho : ‘ "Quelques personnes ont cru trouver une contradiction entre la mission dont nous nous sommes chargés et l'opinion exprimée par la Chambre de commerce sur l'exécution et l'exploitation du chemin de fer par l'Etat, de préférence aux compagnies1340."

Le compagnon d’équipée de Brosset, peut-être son mentor dans le Paris politique, n'échappe pas, loin de là, aux critiques et suspicions diverses. S'il les ignorait, le préfet Jayr, à qui le lient des relations fort sympathiques, se charge de le lui faire savoir. En ne lui mâchant pas ses mots ! Nous ne résistons pas au désir de reproduire, dans sa quasi-intégralité, la longue mais, pour nous, très instructive lettre que le représentant du pouvoir lui adresse, à titre personnel, seulement datée "mardi soir" :

‘Tout à l'heure, Mon Cher Monsieur Arlès, je causais avec notre ami Brosset de vous et des incidents où vous avez été mêlé depuis quelque temps. Comme je lui parlais, je vous aurais parlé si vous eussiez été présent. Puisque vous voilà retenu à Paris par les exigences inattendues d'un service public1341, laissez moi, ne pouvant le faire de vive voix, vous exprimer ma pensée.
Je ne suis pas seul à vous reprocher de vous être trop livré en dernier lieu aux élans de tête qui constituent le défaut de vos qualités - L'impression en est ici à peu près générale. A mon retour, j'ai trouvé tout le monde convaincu que la querelle des chemins de fer s'était animée sous votre influence. Quant aux plaintes des fabricants contre les procédés de votre maison de Zurich, et le public, celui-là même qui vous a un instant pris à partie ni plus ni moins que si vous eussiez été un préfet, reste juste et reconnaissant à votre égard jusque dans sa bouderie. C'est un avantage qu'à plusieurs époques de mon administration, il m'aurait été permis de vous envier.
Quant à vos amis, je n'en parle pas. Est-il besoin de dire que tous vous restent ? Vous êtes aujourd'hui pour eux (qu'ils soient financiers ou fermiers) ce que vous étiez du temps des routes de terre : l'homme aux intentions droites, au dévouement sans calcul, au coeur chaud, à l'esprit élevé qu'on aime malgré ses vivacités et que la cité honore même alors qu'il ne sait pas avoir raison. Comme vous étiez vif en propos, on l'a été à votre égard ; comme votre conviction se hérissait de dards acérés, la conviction de vos antagonistes s'est à son tour, enveloppée d'aiguillons. Puis, par voie de conséquence, sont survenues les imputations personnelles et blessantes qui sont propres à la situation politique où nous sommes et à l'état de folle concurrence dans lequel vivent nos industries.
Tout cela est déplorable. - En vertu de mon amitié pour vous, je blâme, en toute liberté, l'initiative ou du moins la part que vous y avez prise.
Mais le mal n'est ni durable ni profond et vous vous tromperiez fort si vous croyiez l'opinion lyonnaise sérieusement affectée par ces incidents. J'ignore si tout le monde vous tiendra le même langage. [...] Vous eussiez voulu peut-être moins de rudesse dans mes explications et moins de sans façon dans mon blâme. Mais on s'accordait à croire qu'en y répondant vous aviez manqué de réserve et de prudence. C'est bien quelque peu votre pêché d'habitude. Je vous ai souvent vu nuire à vos projets, à vos opinions, à vos amis, à vous-même, par la forme ardente et excentrique de votre langage. Vous voulez que la vérité entre dans le cerveau des autres, armée de pied en cap comme elle est sortie du vôtre ; et quand elle hésite, vous lui frayez le passage en vous servant de la hache et du marteau ; ceci peut-être bon si la boîte osseuse n'est pas trop dure, mais quelquefois elle se trouve faite de granit ou d'airain ; alors l'instrument rebondit et se retourne contre vous. Les choses ne se sont pas autrement passées ces derniers temps.
N'êtes-vous pas le négociant qui a le premier poussé le cri d'alarme sur l'invasion de notre domaine par les fabriques étrangères ? Dans le malheur comme dans la prospérité, n'avez-vous pas donné la moitié de votre temps et vos démarches et votre argent à la recherche des faits et à la discussion des moyens ? Qui donc, si ce n'est vous, a provoqué ici une exposition des tissus rivaux de nos étoffes ? Qui a étudié et signalé les vices des traités de commerce, les débouchés anciens à rouvrir, les débouchés nouveaux à conquérir ? La navigation souffrait, vous avez fait écho à ses doléances ; les chemins de fer tardaient à s'exécuter, vous en avez échauffé et mûri la pensée au sein de notre population.
On se souvient de tout cela ; c'est écrit. Et puis, après tout, vous êtes digne d'entendre un langage sans flatterie. Voyez-y, quoiqu'il arrive, un gage de plus de ma cordiale et bien sincère affection1342. ’

Un P.S. vient souligner le niveau de leurs fréquentations : ‘ "J'ai bien regretté de n'avoir pu aller présenter mes respects à Madame Arlès. Veuillez lui en offrir l'expression."

La loi votée pour l'exécution de la voie de fer continue de Paris à Lyon, le ministre du Commerce, si longtemps harcelé, ne tarde pas à en confirmer la nouvelle à la Chambre de commerce par lettre du 31 juillet 18441343. Cependant, en fin d'année, le pouvoir semble revenir sur le système prévu par la loi de 1842 et désireux de traiter directement avec une compagnie qui assumerait seule la totalité du coût de la construction1344. Les données se trouvent modifiées. En regrettant, quelques mois plus tôt, que le gouvernement fit peu de cas de la ligne de Lyon, Brosset l'avait trouvé par contre fort zélé à l'égard notamment de la Compagnie du chemin de fer d'Orléans, pour le prolongement d'Orléans à Vierzon, et d'Orléans à Tours1345. Or, cette Compagnie est aussi soumissionnaire, comme celle de l'Union, pour la construction de la ligne de Lyon. Désormais, faute de l'assistance de l’Etat, la surcharge financière devient insupportable pour l’une comme pour l’autre. Une réunion des capitaux paraît dès lors souhaitable. Dans l'ombre, Arlès-Dufour se rapproche des grands investisseurs. En novembre 1844, à Paris, il a un long entretien avec le baron James de Rothschild, son contemporain1346 : ‘ "Nous avons, le Baron, Thurneyssen et moi, parlé jusqu'à dix heures des hommes et des choses avec le plus grand abandon... au point qu'après, le Baron a pris Thurneyssen à part pour lui faire répéter que j'étais bien un homme sûr et incapable d'abuser... Les barons de la finance, enhardis par leur prospérité veulent s'émanciper et coalisent décidément contre leur Roi... Je me mets entre le Roi et les Barons dont je dois voir le chef [Bartholony] ce matin1347." ’ Quelques jours plus tard, le 4 décembre, sa mission devient plus officielle avec sa nomination et celle de deux autres délégués, MM. le vicomte de Bondy et Michel, par le conseil d'administration de l'Union pour jeter les bases d'un accord entre les deux concurrents ; celui-ci est conclu et ratifié le 7 par les deux compagnies. En tant que membre du Comité lyonnais et administrateur de la Compagnie de l'Union, le voici faisant naturellement partie du conseil d'administration de la nouvelle société ainsi formée. Par prudence, la Compagnie l'Union reste constituée.

Ces négociations heureusement abouties, notre Lyonnais n'a qu'une hâte, rejoindre, dans les délais les plus brefs, la ville de la soie en préparatifs de fêtes. En effet, après le duc de Nemours en septembre de l'année précédente, puis en mai dernier, elle accueille, le 9 décembre dans l'après-midi, le prince de Joinville et, à nouveau, le duc d'Aumale dont l'union vient d'être contractée avec la princesse de Salerne. La rencontre personnelle avec Aumale pourra-t-elle seulement se renouveler et, dans l'affirmative, se déroulera-t-elle sous d'aussi heureux auspices que celle d'août 18411348 ? D'autant que le passage sera de courte durée, comme le placardent les murs de Lyon sous la signature de Terme, son député-maire, : ‘ "Leurs ’ ‘ Altesses royales qui attendent avec une si juste impatience les embrassements du foyer paternel n'ont pas voulu cependant traverser notre beau pays sans s'arrêter un instant au milieu de nous1349." ’ Aussi, le programme est-il chargé.

Dans la perspective de cette venue et selon une tradition bien établie en faveur des hôtes de marque, le 23 novembre, la Chambre de commerce, s’était déclarée ‘ "jalouse de [...] manifester d'une manière particulière l'intérêt qu'elle prend à l'union que M. le duc d'Aumale est au moment de contracter avec une princesse de la Maison de Naples1350" ’. Pour ce faire, elle avait décidé d'offrir à la jeune mariée une collection des produits de la fabrique de Lyon, d'un coût approximatif de 10.000 F1351. Sur le champ, une commission spéciale avait été nommée pour faire le choix et les achats correspondants1352. Arlès-Dufour, absent et en voyage à Paris comme l'on sait, avait cependant été désigné parmi ses membres par le président Laurent Dugas...

Le lendemain de leur arrivée, à 10 heures, les princes reçoivent les autorités et les corps constitués. Les membres de la Chambre de commerce leur sont en particulier présentés. Son président rend un vibrant hommage au ‘ "prince dont le courage et la prudence laissent de si glorieux souvenirs sur cette terre d'Afrique désormais et à tout jamais française" ’, sans omettre de rappeler la ‘ "brillante conquête qui promet au commerce de si beaux résultats1353" ’. Les visites s'enchaînent, de la Cathédrale Saint-Jean, de l'Hôtel-Dieu, du Palais du Commerce et des Arts. Là, au fond de la galerie du musée, envahie par une nombreuse et brillante assemblée, une estrade se dresse ; elle déploie fastueusement trente-et-une robes, trois châles, un service de table de vingt-quatre couverts, et autres soieries, destinés à la gracieuse princesse. Un choix des produits de la Fabrique qui ‘ "brilleront plus encore par le prix qu['elle daignera] y attacher que par l'éclat de leur couleur et le mérite de leur exécution1354" ’ ! Le soir même, une écharpe couleur bronze, délicatement sortie du lot, complète la toilette de S.A.R. au cours du bal d'adieu organisé par la ville dans la salle du Grand-Théâtre.

Autant de festivités auxquelles participe, à n'en pas douter, Arlès-Dufour qui a redoublé d'efforts pour arriver à temps, trop heureux aussi d’offrir quelque distraction à Pauline. Autant de nouvelles fatigues venues s'ajouter à celles de son long séjour parisien, de ses habiles tractations ferroviaires et de son voyage de retour précipité. Sans parler des soins nécessaires au rétablissement favorable de la prospérité de sa maison de commerce et de la sienne propre. Et ceci, tout en s’imprégnant du dernier ouvrage dont Michelet lui a fait l’hommage1355, sans mentionner la nouvelle idée qui bouillonne dans son cerveau, celle de la création d'un journal1356 !

Les divers insuccès de ses amis dans le domaine de la presse, pourtant financièrement partagés en tentant régulièrement d'y porter remède, ne lui ont donc pas suffisamment servi d’enseignement. Les Notices historiques nous dévoilent son "rêve", celui ‘ "de fonder un journal quotidien qui s'élevât au-dessus des appétits discordants et passagers des partis, pour les appeler tous sous le drapeau commun du classement selon le mérite et de la récompense selon les oeuvres1357." ’ Bien évidemment, de ce projet, il en a fait confidence à son ami Enfantin. Quant au propagateur hardi de la pensée de Saint-Simon, il est resté longtemps dans l'inaction et l'incertitude de son avenir, depuis la parution, en 1842, de son ouvrage sur l'Algérie et ses contacts infructueux auprès des hommes puissants de la politique et de l'industrie ; là-même où nous l'avons laissé plus haut.

En juillet 1843, méconnu et oublié, même s'il voit souvent Lamartine qui espère bien le recevoir, ainsi qu'Arlès-Dufour1358, dans sa maison de Saint-Point1359, même s'il épaissit sa correspondance dogmatique, il se morfond à Paris. Avec une ironie amère, il s'épanche auprès de son fidèle ami : ‘ "Si d'ici à deux ans je ne trouve pas moyen de gagner du pain, j'irai manger de la pogne de Curson ou du riz en Chine, ou bien j'irai vivre chez les anthropophages, car j'aime ’ ‘ assez la chair1360." ’ Trois mois après, du même au même, : ‘ "Je compte bien que vous songez à votre voyage d'hiver et qu'avant peu vous me direz quand nous vous tiendrons. Je mène une vie qui, plus que jamais, me fait désirer vos visites, car je ne vois plus personne." ’ Dans le même courrier, après réception entre-temps d'une lettre de son correspondant, il revient à la charge : ‘ "Vous ne me dites pas un mot d'un voyage prochain ou plutôt ce que vous en dîtes le renvoie au diable ; est-ce que vous renoncez à Londres pour cet hiver1361 ?" ’ Et à la fin de la même année : ‘ "Venez donc pour votre chemin de fer ou pour tout autre motif, j'ai besoin de vous embrasser en commençant 1844, parce que je crois que cette année sera encore lourde pour moi de solitude1362."

En réalité, dès ses premiers mois, elle devait cesser de l'être. Voici, en effet, que le "Père", toujours possédé du démon journalistique, trouve moyen de s'emparer, avec le concours de deux de ses anciens collègues de la Commission scientifique, le capitaine Carette et le chirurgien Warnier, du périodique L'Algérie. Publiée à Paris, la feuille, en proie à des difficultés intérieures bien que de création récente, rejoint justement ses préoccupations : ‘ "soutenir la cause de la colonisation dans notre nouvelle colonie de l'Algérie1363" ’, ‘ "lutter pour la transformation du régime politique et économique de l'Algérie1364" ’, c'est-à-dire s'intéresser à toutes les institutions et à tous les besoins du pays. "‘ L'Algérie, dit-il, est pour moi ’ ‘ Orient ’ ‘ et ’ ‘ Occident, islamisme ’ ‘ et ’ ‘ christianisme ’ ‘ . Voilà pourquoi c'est ma place1365." ’ De plus, aucun journal ne traitait jusque là des questions spécifiques à ce territoire. Il l'avait déploré à peine débarqué en Afrique : ‘ "Je ne vois ici, dans les cafés les plus fréquentés, que ’ ‘ Le National, Le Siècle, Le Charivari ’ ‘ , et tout au plus ’ ‘ Le Temps1366." ’ Arlès-Dufour figure, bien sûr, parmi les premiers deux cents abonnés de la parution nouvelle formule, un nombre bien insuffisant pour des débuts. Les difficultés ne vont qu'empirer1367, malgré la propagande active des anciens disciples, l'appui même du ministère et de la Cour1368, les aides financières apportées par les amis fidèles et ‘ "surtout les grands hommes d'affaires Pereire, Talabot et Arlès-Dufour1369."

Dès les premiers numéros, ce dernier se plaint de l'irrégularité des envois. Enfantin, le 26 mars 1844, lui expose les problèmes rencontrés et ajoute : ‘ "Vous trouverez peut-être cette bagatelle assez pitoyable en face du chemin de fer de Lyon. Oh ! que non, vous savez bien, vous, que mon ’ ‘ Producteur ’ ‘ de 1844 ne saurait être une bagatelle. - Eh bien, alors arrivez donc vite pour votre chemin de fer, afin de m'aider à enlever cette pierre qui est sur mon rail. Il faut, selon moi, que le chemin de Lyon, du Nord et de Versailles, et de Chartres même, me fassent ce déblai ; que vous et Pereire vous fassiez des actionnaires au Père Enfantin ; que vous le ’ ‘ subventionniez ’ ‘ ; [...] Pereire sort d'ici, et a lu ce qui précède, il vous attend pour mener à bonne fin, et en un tour de main, cette affaire. Et maintenant, d'ailleurs, qu'attendriez-vous pour arriver1370 ? "

Malgré les vicissitudes du nouvel organe de sa pensée, le solliciteur, toujours exigeant au nom de l'amitié, ne néglige pas pour autant les grandes entreprises industrielles du moment. Il observe attentivement pas à pas, notamment celle des chemins de fer, par intérêt intellectuel au plan économique national, certes, mais aussi l’esprit toujours tourné vers ses amis, au travers de leurs aspirations, de leurs efforts souvent accompagnés d'espoirs et de déceptions. Il poursuit son message : ‘ "Je vois à peine Tourneux1371, mais évidemment le moment est venu de reparaître, pour vous et Brosset." ’ C'est pourtant bien ce qu'ils viennent de faire tous deux et, curieusement, contre toute attente, Enfantin semble l'ignorer1372 avant d'ajouter : ‘ "Il m'est évident que si vous étiez resté, la loi serait déjà présentée, et que si vous tardez à venir, vous auriez, quoiqu'elle parut, d'autres retards sur d'autres points, non seulement à la Chambre ou dans les bureaux des ministères, mais dans votre propre société de l'Union qui est encore à l'état confus, et qui a grand besoin de votre présence organisatrice1373. - Imaginez-vous que Pereire m'a dit que le bruit public était que, si le ministre avait retardé la présentation de [la ligne de] Lyon, c'est qu'il ’ ‘ attendait ’ ‘ que votre capital fut constitué, complété, assuré1374."

Toujours sur le même sujet, quelques mois plus tard, en novembre 1844, Enfantin écrit encore à Arlès-Dufour : ‘ "Tourneux étant heureusement placé sur Bordeaux, j'ai à vous parler de son remplaçant naturel, Alexis Barrault. Arrangez-vous pour opérer ce remplacement. Outre les mille raisons qui militent en sa faveur, en voici une que je vous recommande. Alexis est intimement lié avec Eugène Flachat ; or, il paraît probable que Flachat sera l'homme de Charles Laffitte. - Tirez les conséquences - Votre vieille boutique de l'année dernière [la Cie l'Union] doit être bousculée, enfoncée, culbutée, elle le mérite ; il faut donc être prêt à la bousculade pour retomber comme vous le devez, vous, messieurs les Lyonnais, sur vos pieds. Il parait, dit complaisamment Ch. Laffitte, que ces messieurs de l'Union n'ont pas grande envie de faire leurs affaires. Cela est de toute vérité ; il vous juge parfaitement en se moquant ainsi des chapons avec lesquels vous, vous ARLES ! vous êtes associé !!! Et il faudra donc en venir à ce que vous savez si bien faire pour les autres. Alexis et Flachat pourront être fort utiles à la chose. - Pensez-y donc1375."

Oh, il y pense - beaucoup trop au gré de Pauline ! Celle-ci peste, quelques jours seulement avant le retour attendu de Paris et l'arrivée du duc et de la duchesse d’Aumale. La légère surdité de Brosset est-elle à l'origine d'une méprise que Pauline s'efforce, à la demande d'Enfantin, de dissiper auprès de lui ? Elle explique qu’elle s'en est déjà ouverte, dans les mêmes termes, au président de la Chambre de commerce, rencontré Place de la Comédie. Voici comment : elle a reçu de son mari une lettre qui, dit-elle, ‘ "me paraissait écrite dans un état de fièvre, que, même la plume à la main, je n'avais pu la déchiffrer qu'à moitié ; du reste que je ne voyais, non sans un vif regret, mon mari se lancer ainsi dans les affaires industrielles et que lui, comme son ami, j'espérais que loin de l'y pousser, tâcherait de le calmer ; que le Père Enfantin jugeait qu'il était tout à fait l'homme pour cela et qu'Arlès aurait besoin de bain pour se calmer. Voilà toutes les paroles qui ont été échangées entre nous" ’, assure-t-elle à Enfantin. Mais elle poursuit ses "lamentations", terme dont elle s'excuse plus loin. Les fréquentes absences de François lui pèsent lourdement. Rien ne va plus. Le plan du jardin d'Oullins [le futur parc municipal de cette localité] est manqué. Sans direction ni surveillance, les quinze ou dix-huit ouvriers qui le défrichent en prennent à leur aise. Et si les affaires de son époux sont davantage à Paris qu'à Lyon, pourquoi se fixer ici avec logement en ville et maison de campagne. ‘ "Depuis deux ans, ajoute-t-elle, je mène une vie si désagréable, si décousue que j'aimerais mieux une triste certitude, c'est à dire qu'Arlès restât tout à fait à Paris et laissât m'organiser ici beaucoup plus petitement, ce qui me permettrait de vivre d'après mes goûts. [...] Leur éducation [des enfants] aurait plus de suite. J'arrangerais ma vie plus pour eux au lieu que ’ ‘ maintenant où je me suis retirée presque de tout le monde, car il m'était fort ennuyeux d'aller toujours seule ou à la charge d'autrui. Nos soirées deviennent pour leur jeune âge d’une monotonie effrayante." ’ A en croire Pauline, Adélaïde qui, à plus de quatorze ans, approche de l’âge ingrat, et Alphonse, du haut de ses neuf ans, demeurent absolument indifférents aux absences de leur père, alors que leur cadet Armand, à deux ans et demi, ‘ "est plus méchant que jamais" ’. Quant à l’aîné, Gustave, seize ans, scolarisé à Leipzig depuis octobre précédent1376, elle estime que ‘ "les charmes de la maison paternelle ne le retiendront pas longtemps à son retour1377." ’ Telle est l’ambiance familiale à l’approche de l’arrivée de François ! Malgré tout, la joie évidente des retrouvailles, opportunément assortie des réjouissances prévues en l’honneur des princes royaux, contribuera à l’adoucir. Sans que le chef de famille renonce à ses diverses ambitions pour autant...

Parmi ces ambitions, se perpétue celle, maintes fois exprimée, d’offrir à Enfantin, toujours dans une démoralisante expectative, une activité digne de son talent. Son vieux camarade se fait prier, en train de courir, comme il l’écrit à Arlès-Dufour le 14 avril 1845, "trois lièvres à la fois1378". Vraisemblablement à l’initiative du destinataire de cette lettre et sur sa pression, avec l’appui fort certain de Brosset, le ‘ "Comité lyonnais pour la construction du chemin de fer de Lyon à Paris et à Avignon" ’, intervient à son tour, le 3 mai : ‘ "Il nous semble que les questions de chemin de fer qui prennent des proportions colossales, car elles intéressent l’avenir de la France et du monde ont besoin d’une haute direction morale et matérielle. C’est cette haute direction qu’en ce qui nous concerne, nous venons vous prier d’accepter1379."

Cette flatteuse proposition emporte finalement la décision. Enfantin va donner sa pleine mesure. Successivement, il obtient, après pourparlers avec Bartholony, la rupture amiable avec la Compagnie d’Orléans et le retrait de celle-ci de l’adjudication du chemin de Lyon, puis la fusion des sociétés concurrentes pour cette soumission, enfin la signature de contrats avec Laffitte et l’intéressement de Rothschild. Le 6 août, il exulte : ‘ "Songez que, le 29 juillet, j’ai signé mon petit traité de 200 millions, et j’en ai fait signer deux autres de 350 millions, et ma signature est posée entre celle de Rothschild et de Ch. Laffitte1380."

L’enjeu avait entraîné, une nouvelle fois, la venue conjointe à Paris d’Arlès-Dufour et de Brosset. Néanmoins, celui-là n’oublie pas ses amis saint-simoniens. A l’approche du déplacement, il charge Enfantin, le 2 juillet, de lui retenir "un petit logement avec salon" à l’hôtel de Paris pour leur arrivée le lundi suivant - à 4 heures du matin ! Il s’agit aussi d’y convier, à une date à sa convenance, "Duveyrier, Jourdan, Pereire, Warnier, Vinçard, etc., etc.1381" Dès son retour à Lyon, la correspondance reprend, inlassable. Le 26 du même mois, il ne ménage pas ses conseils auprès du même : "Moi, je ne serai tranquille que lorsque vous aurez la signature pour Lyon et Avignon." Cependant, dès après, il ne le dissimule pas : ‘ "Une chose m’intéresse et m’agite encore plus cependant. C’est la question de l’Administration du Nord ; je crois que vous échouerez si Laffitte ne vous impose pas avant de signer ou en signant" ’. Il poursuit : ‘ "Pour Lyon, vous feriez bien de ne pas trop attendre pour voir Garneron, et le voir de vous-même, sauf à le voir plus tard avec M. Besson." ’ Une ultime recommandation, vestimentaire cette fois, ajoutée en P.S. comme semblant faussement avoir été omise, : ‘ "Je vous prie de renoncer à votre cravate ou plutôt à votre mauvais mouchoir jaunâtre qui vous donne l’air d’un maquignon plutôt que d’un négociateur. Ne négligez pas la tenue. Cravate blanche, même le matin1382." ’ ! La tenue vestimentaire revêt toute son importance au moment où l’intéressé est en passe d’être nommé, par Talabot, administrateur de l’Avignon-Marseille et chargé des questions financières du Lyon-Avignon.

Simultanément, d’importantes spéculations boursières occupent l’esprit de l’arbitre des élégances ; elles constituent aussi le sujet de ses entretiens épistolaires avec son correspondant habituel, au 39 rue Neuve des Petits Champs à Paris. ‘ "J’ai complété ici, lui écrit-il le 7 août de cette même année 1845, les 500 "Union" qui reviennent en moyenne à 23 F. J’en ai donc maintenant 1.5001383." ’ Une semaine après, il revient à la charge : ‘ "Les 500 "Union" achetées par votre ordre et revenant en moyenne à 23 F sont en compte à demi avec vous et pourraient se vendre ici aujourd’hui à 45 F. Ne pensez-vous pas qu’il serait sage de les vendre si elles ’ ‘ arrivaient à 6O F1384 ? " ’ Il s’en inquiète encore : ‘ "le cours est de 40 à 45 F1385" ’, même sur le départ.

Par la malle de Strasbourg, il se rend à Zurich pour visiter sa succursale - aux procédés douteux selon le préfet1386 ! -, non vue depuis deux ans. De quoi satisfaire Pauline, elle l’accompagne ! Leur fils aîné, Gustave, est du voyage, du moins partiellement ; il les quittera à Cernay, pour rejoindre son école de commerce de Leipzig pour la troisième année consécutive. L’occasion du passage à Genève est saisie pour rencontrer Bartholony, financier franco-suisse et administrateur de la Compagnie du Paris-Orléans. Egalement, peut-être, l’industriel Escher dont, après avoir rendu un hommage appuyé au pays qui l’accueille, il loue le génie : ‘ "Comprenez-vous, écrit-il, à peine arrivé, à Enfantin, que la grande fabrique de machines de Escher, qui tire le fer ou la fonte d’Angleterre et le charbon de France, fait des bateaux et des machines pour toute la Suisse, pour le Rhin, pour l’Autriche et même pour l’Angleterre, elle a du travail commandé plus qu’elle n’en peut faire pour trois ans. Et les fabriques de France demandent merci. C’est qu’elles sont trop protégées [...]1387."

Mais pour en revenir aux actions de l’Union, les 1.500 unités correspondantes ont-elles été vendues avant le 30 septembre ? En tout cas, elles n’apparaissent pas dans le bilan financier personnel arrêté, chaque année à cette date1388, par notre commissionnaire en soieries, dont, au passage, l’inventaire va faire ressortir que ‘ "le capital de [sa] maison passe maintenant un million1389."

Cette obsession du capitaliste de vendre au mieux ne hante-t-il pas aussi le généreux coeur d’Arlès-Dufour afin d’alimenter un compte d’assistance constitué par lui - et d’abord par lui seul1390 ! - destiné à venir en aide aux saint-simoniens touchés par la misère ? Dans ce but, retour de Suisse, puis d’un "assommant voyage1391" à Londres, il ouvre, le 18 octobre, ‘ "sur un livre, le compte des prolétaires sous le titre de "Compte d’assistance"" ’. Il en informe celui qu’il lui arrive d’appeler son "maître" et précise : ‘ "J’ai porté au débit le versement pour les 50 actions des "Annonces" et au crédit le produit de 6 actions vendues hier à 390 F." ’ Les premiers secours sont déjà accordés : ‘ "Le pauvre et brave Ogier a ouvert le compte pour une somme de 600 F qui l’a fait pleurer. J’y porterai les 600 F avancés par Gallé et moi pour la publication de Vinçard." ’ Et l’engagement suivant est pris : ‘ "Je ne ferai plus une seule affaire d’actions sans en appliquer une part à ce compte et, si vous et Duveyrier en faites autant, avant peu nous n’aurons des frères dans le besoin1392." ’ Enfantin en fit autant, se refusant à ce que quiconque s’associât à cette oeuvre qui leur devint commune. Elle fut loin d’être éphémère1393 et stérile. D’où, peut-être, cet acharnement à vouloir acquérir des actions du "Nord"1394, alors que son propre portefeuille n’en comprendra qu’une seule, au prix de 125 F, au 30 septembre 1846, pour en disparaître ensuite.

Cependant, la chose est quelque peu différente pour les actions des "Annonces" - dont 50 acquises, comme relevé plus haut, pour le "compte d’assistance". On en relève 300 (coût non indiqué) au 30 septembre 1845 et 344 à l’arrêté suivant pour une valeur de 25.800 F. L’initiative de Charles Duveyrier de fonder, fin juin 1845, la Société Générale des Annonces, régie publicitaire des grands journaux - un véritable monopole - l’enthousiasme ; certains auteurs attribuent d’ailleurs la paternité conjointe de l’entreprise aux ‘ "saint-simoniens Duveyrier, Pereire et Arlès-Dufour1395" ’. Cette société, qui n’est pas moins que l’ancêtre de l’Agence Havas, souhaite faire de la publicité une force contribuant à "l’harmonie sociale1396". Dans ces conditions, la soutenir financièrement constitue pour l’entreprenant Arlès-Dufour un devoir, à la fois, saint-simonien et d’amitié, ainsi qu’un encouragement fort à l’audace de l’innovation. Aussi, prend-il connaissance avec curiosité de quelques numéros du petit journal d’annonces local, ramenés de Leipzig par son fils Gustave en juillet, à l’intention de Duveyrier1397. Et le mois suivant, ces quelques mots sont adressés à Enfantin : ‘ "Amitiés au bon poète [Duveyrier]. Même en Suisse, partout où ils se trouvent, je demande Les Débats, ’ ‘ La Presse ’ ‘ et ’ ‘ Le Constitutionnel ’ ‘ , non pour les lire, Dieu m’en garde, mais pour compter les annonces1398."

Il n’en demeure pas moins que la mise à la disposition rapide de chemins de fer au pays reste sa préoccupation dominante ; nous l’avons déjà vu avec la ligne Paris-Orléans1399. Hormis "55 promesses Strasbourg" non suivies d’effet et l’unique action du "Nord" possédée un moment, la priorité absolue est la desserte de Paris et de la Méditerranée, au départ de Lyon. En est significative l’importance des participations au financement de ces projets, lesquelles se détaillent comme suit1400 :

Actions Paris-Lyon

Au 30/09/1845   Néant
1846 100 actions à 125 F 12 500 F
1847 100 actions à 125 F 25 000 F
1848 2 500 F de rente 18 000 F
1849 1 000 F de rente 18 000 F
1850 1 000 F de rente 18 000 F

Actions Avignon-Lyon 1401

Au 30/09/1845 835 promesses Avignon  
1846 Néant Néant
1847 100 Avignon-Lyon 13 000 F
1848 302 1 000 F
1849 302 2 000 F
1850 302 1 000 F
1851 302 1 000 F
1852 302 8 000 F

Actions Avignon-Marseille

Au 30/09/1845 100 actions ?
1846 100 à 900 F 90 000 F
1847 100 à 900 F 55 000 F
1848 100 à 900 F 15 000 F
1849 100 à 900 F 20 000 F
1850 100 à 900 F 17 000 F
1851 100 à 900 F 20 000 F
1852 100 à 900 F 65 000 F

Actions Grand Central 1402

Au 30 /9/1845 50 actions 10.000 F

Ces achats boursiers n’accaparent pas l’esprit des deux hommes, Arlès-Dufour et Enfantin, qui poursuivent leurs objectifs, bien communs désormais. Ils accompagnent le lent cheminement des réalisations, freinées par les rigueurs budgétaires, les rivalités d’intérêts, le contexte économique et politique du pays. Les premiers et rapides succès du "Père" déterminent sa nomination, le 1er octobre 1845, en qualité d’administrateur de la Compagnie de l’Union. A ce conseil, il rejoint Arlès-Dufour et leurs amis. De nouvelles fusions s’imposent avec diverses sociétés ou compagnies désireuses également de soumissionner au chemin de fer de Paris à Lyon, dans le cadre de la loi du 16 juillet 1845. Aussi, le premier écrit-il au second: ‘ "Les fusions de Strasbourg et de Nantes se sont mal faites, il ne faut pas que nous donnions un semblable spectacle. D’ailleurs, ce n’est pas tout de ’ ‘ fondre ’ ‘ , il faut FONDER, il faut que notre administration définitive porte un cachet particulier, le ’ ‘ Nôtre ’ ‘ , et pour cela vous êtes plus que nécessaire, vous et Brosset, j’en dis autant de Barillon. Le comité de Lyon doit se défendre lui-même. - J’ai prié Paulin [Talabot] de venir, et je vous prie de lui renouveler les mêmes instances1403." ’ Ces transactions, là encore, couronnées de réussite, c’est auprès de Talabot qu’il s’en félicite : ‘ "Avec Arlès comme major général, j’ai eu, dans l’affaire de Lyon, une vraie affaire d’Austerlitz [...] ; je n’hésite pas de dire que c’est une affaire miraculeuse1404." ’ Quelques mois plus tard, l’idée qui le hante de la création du Cercle des chemins de fer1405, ‘ "le pas que nous devons faire faire au monde industriel" ’ est pour lui l’occasion de solliciter le concours d’Arlès-Dufour et de lui rendre hommage une nouvelle fois : ‘ "Je tiens, de même que c’est nous deux qui avons fait les grandes fusions, je tiens dis-je, à ce que ce soit nous deux qui fassions fonder le cercle, et à ce qu’il porte le cachet de Paris-Lyon1406."

A chaque modification apportée dans la composition du conseil d’administration de la Compagnie l’Union, le "major général" est réélu. Un poste que l’ancien chemineau impécunieux des routes allemandes conserve tout naturellement, lorsqu’à l’Union succède, en 1846, la Compagnie du chemin de fer Paris à Lyon1407, entouré de personnalités aussi éminentes que le baron James de Rothschild, le comte de Ségur, le vicomte de Bondy, le duc de Galliera, Charles Laffitte, Isaac Pereire, Hottinguer, Seguin, etc., sans compter, bien sûr, Enfantin, Brosset et Barillon1408. Un poste qui lui vaut de souscrire les cent actions du "Paris-Lyon", chacune de 125 F1409 doublant de valeur l’année suivante.

Pas plus sur la rivalité des Talabot et des Pereire, il ne saurait évidemment être question de revenir ici, par le détail, sur cette grande aventure des transports ferroviaires que la crise économique de 1847 et la Révolution l’année suivante vont freiner brutalement, à savoir la liquidation du Lyon-Avignon en novembre 1847, le rachat par l’Etat de la Compagnie du chemin de fer Paris-Lyon le 11 août 18481410, la mise sous séquestre administratif fin 1848 du Marseille-Avignon. Toutes questions auxquelles Enfantin apporta son intelligent concours1411, déjà prêté aux fusions précédentes, en attendant celles qui devaient suivre, après la normalisation consécutive au 2 Décembre, pour parvenir, d’abord, à l’unification du Lyon-Marseille et, enfin, à la grande fusion de l’ensemble du réseau du Sud-Est en 1857 sous l’appellation de Compagnie des chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée, le P.L.M.

La puissance, les qualités manoeuvrières d’Enfantin s’étaient imposées au fil de ces années. Par la force des choses, Arlès-Dufour était passé en arrière-plan, au risque pour lui, autre chantre de "l’association", de se voir qualifié un peu lestement, - du moins aux yeux de Marcel Blanchard1412 - de ‘ "personnalité mineure, d’information un peu sommaire, de pratique un peu brutale - pour tout dire "d’individualité un peu trop lyonnaise"" ’... En quelque sorte, à en croire cet auteur, une marionnette manipulée par les doigts habiles d’Enfantin sous couvert d’une ‘ "amicale politesse1413" ’ !

Certes, la formation reçue par l’un et l’autre est-elle, de loin, différente ; certes, la compétence financière d’Enfantin et les résultats acquis sont-ils d’exception. D’ailleurs, celui-ci ne fut-il pas toujours reconnu par celui-là comme son "maître", entouré de toute sa confiance - nous allions écrire de sa vénération - la plus totale ? Une confiance jamais, en rien, ébranlée. Gageons d’ailleurs que le confident permanent, d'ailleurs peu soucieux des honneurs et des titres, ne manqua pas de s’enorgueillir des succès remportés par son ami dans le cadre de cette oeuvre commune d’intérêt général à laquelle, lui, Arlès-Dufour avait su si opportunément l’associer.

Il est juste toutefois d’ajouter qu’il avait, par rapport au "Père", une certaine propension à se tenir en retrait. Celui-ci lui en avait fait l’amical reproche : ‘ "Vous avez beau vous effacer et vous faire avec moi mon ’ ‘ facteur ’ ‘ très humble, je n’accepte pas la chose. Vous avez beau me dire : "J’ai femme et enfants, santé délicate, quatre maisons aux quatre coins de la fabrique de soie de l’Europe, réputation de bon enfant qui me fait accabler des affaires des autres", je ne croirai pas ’ ‘ que je doive, comme vous le dites, vous mâcher la besogne ; celle que vous faites, je ne peux pas la faire1414."

Déjà administrateur du Paris-Lyon, nous retrouvons, selon Le Journal des chemins de fer du 15 décembre 1849, Arlès-Dufour, ainsi que l’inséparable Brosset, ‘ "administrateurs actuels et anciens des chemins de fer de Marseille à Avignon, d’Avignon à Lyon et de Paris à Lyon1415." ’ Deux ans plus tard, il apparaît en qualité de ‘ "membre du comité de liquidation de l’ancienne compagnie de Lyon à Avignon1416" ’ qui, en novembre 1852, prendra le nom de Compagnie de Lyon à la Méditerranée. Et si le conseil d’administration de la nouvelle Compagnie du P.L.M. était constitué, comme l’écrit d’Allemagne, ‘ "de tous les administrateurs des deux anciennes compagnies1417" ’, celles de Paris-Lyon et de Lyon à la Méditerranée, peut-être pouvons-nous avancer, sous réserves toutefois1418, qu’Arlès-Dufour en compléta sa composition.

Pour Michel Chevalier, Arlès-Dufour ‘ "a été longtemps administrateur du chemin de fer de la Méditerranée" ’ ; s’agit-il bien du P.L.M. comme tout porte à le croire ? Quoiqu’il en soit, cet économiste éminent, membre de l’Institut, donne pour vrai que ‘ "les chemins de fer, qui ont tant accru la prospérité de la vallée du Rhône, l’ont compté parmi les promoteurs les plus influents1419" ’.

Notes
1269.

Cité par Sébastien Charléty, Histoire du saint-simonisme, op. cit., p. 36, et H.-R. d’Allemagne, Les saint-simoniens, op. cit., p. 50. Le Producteur parut d’octobre 1825 à décembre 1826.

1270.

J.J. Dubochet, Le Producteur, t. II, p. 17, cité par H.R. d'Allemagne, Les saint-simoniens, op. cit., p. 50, et S. Charléty, Histoire du saint-simonisme, op. cit., p. 36.

1271.

"Parole d'Henri Fournel" lors du procès en police correctionnelle sous prévention d'escroquerie du 19 octobre 1832 (OSSE, Vol. 47, p. 557). Henri Fournel est nommé en 1830 directeur des Mines, Fonderie et Forges du Creusot, poste dont il démissionne en février 1831 pour rejoindre le mouvement saint-simonien auquel il apporte toute sa fortune soit 80.000 F.

1272.

G.M. Trevelyan, op. cit., p. 671.

1273.

Le Globe paraît du 18 janvier 1831 au 20 avril 1832.

1274.

Déjà cité in XIV - Lyon, tremplin de l'Orient.

1275.

OSSE, Vol. 6, p. 59. Ce texte est également reproduit in Religion saint-simonienne - Politique industrielle et système de la Méditerranée, Paris, Rue Monsigny n° 6, 1832, 150 p.

1276.

OSSE, Vol. 7, p. 176 et s. Les éléments qui suivent ont la même origine, sauf mention contraire.

1277.

Un mois plus tôt, ce disciple avait quitté Ménilmontant où sa qualité d'ingénieur civil l'avait amené à assumer le "degré des industriels". (Philippe Régnier, Le Livre Nouveau des Saint-Simoniens, op. cit., p. 328).

1278.

Cousin du fidèle disciple de Saint-Simon, Olinde Rodrigues, qui avait reçu de lui sa doctrine et présenté Enfantin à Saint-Simon, quelques mois avant sa mort (OSSE, Vol. 1, p. 149).

1279.

Lettre de Prosper Enfantin, à Ménilmontant, à son père du 2 septembre 1832 (OSSE, Vol. 8, p. 34). Le procès dont il s'agit est celui en police correctionnelle sous prévention d'escroquerie du 19 octobre 1832 (Pour mémoire, cf. XII - Le saint-simonien).

1280.

Jules Seguin faisait partie, en 1831, de la famille saint-simonienne comme membre du troisième degré (Maurice Wallon, op. cit., p. 71).

1281.

Cette ligne fut livrée à la circulation en 1840 (Ibid.).

1282.

OSSE, Vol. 7, p. 177. Le volume 7 a été édité chez Dentu, Paris, en 1866.

1283.

Lettre d’Enfantin, 8 janvier 1838, à Saint-Cyr Nugues (OSSE, Vol. 31, p. 151).

1284.

Lettre d’Enfantin, à Curson, à Arlès-Dufour, 26 janvier 1838 (OSSE, Vol. 31, p. 161).

1285.

Par exemple : "Je sais par Flachat, écrit Arlès-Dufour à Hoart et Bruneau, à Alexandrie,... [qu'[Holstein] sollicite toujours et qu'il espère rentrer dans l'assurance] (Lettre du 22 octobre 1832, ARS 7688, citée in XVI- Des balles et des boulets).

1286.

La date de ces journaux, énumérés in OSSE, Vol. 7, note p. 177, n'est pas précisée.

1287.

Maurice Wallon, op. cit., p. 52.

1288.

Pesant 4.316 kg, remorquant un poids de 12.912 kg, elle roulait à 22 km à l'heure (Maxime du Camp, "Les chemins de fer à Paris", Revue des Deux Mondes, 1er Mars 1868, T. LXXIV).

1289.

Léonce Peillard, op. cit.

1290.

Lettre d'Arlès-Dufour, 20 mai 1836, à Enfantin (ARS 7681/8).

1291.

Ibid.

1292.

La durée du parcours entre La Mulatière et Saint-Etienne est de 5 heures et, en sens inverse, de 4 heures et demie (Rapport présenté par M. Beaup lors de la délibération de la CCL du 22 août 1833).

1293.

CCL, Registre des délibérations, 26 juin 1833.

1294.

Ibid., 8 août 1833.

1295.

Connaissance du rapport correspondant est donnée par M. Beaup lors de la délibération du 22 août 1833.

1296.

Ce rapport sera présenté le 25 juillet 1833 et transmis en l'état au préfet le 30 même mois, comme dit in XV - Fabrique lyonnaise et fabriques étrangères.

1297.

CCL, Registre des délibérations, 28 mars 1833.

1298.

Commission constituée lors de la séance de la CCL du 11 avril 1833, selon Registre des délibérations à cette date.

1299.

CCL, Registre des délibérations, 23 mai 1833.

1300.

Ibid., 22 septembre 1836.

1301.

Ibid., 28 octobre 1836. A noter l'absence à cette séance d'Arlès-Dufour, mais il est là, à la séance suivante du 10 novembre, pour recevoir le soin de donner son avis sur de nouveaux procédés, au titre de la Commission des manufactures, et aussi intervenir à propos du choix de deux délégués au Conseil supérieur du commerce.

1302.

Ibid., 26 janvier 1837.

1303.

Ibid., 30 janvier 1840.

1304.

A.J. Tudesq, op. cit., t. 2, p. 645.

1305.

Lettre du 30 juin 1840 du ministre des Transports à la CCL (Registre des délibérations, 17 juillet 1840).

1306.

CCL, Registre des délibérations, 31 juillet 1841. En fait, il est dit que "la Chambre décide de réitérer la manifestation de voeux qu'elle a antérieurement émis"...

1307.

Joseph Brosset est né en 1799, et, pour mémoire, Arlès-Dufour en 1797.

1308.

Pierre Lortet, "De l'importance du Rhône", Revue du Lyonnais, 1842, t. 2.

1309.

Le Moniteur industriel, 13 juillet 1837, cité par Maurice Lévy-Leboyer, op. cit.

1310.

Le Moniteur industriel, 23 avril 1837, ibid.

1311.

Quantième incertain, plusieurs sont donnés par différents auteurs entre le 24 et le 28 août.

1312.

Cf. XVII - Un nouveau départ : la Maison Arlès-Dufour.

1313.

J. et J. Tharaud, Grands reportages, 1946.

1314.

Cette ligne de Paris à Versailles fut concédée en 1836 et achevée en 1839.

1315.

Lettre s.d. [ca. mai 1837], d'Enfantin à Lambert (OSSE Vol. 10, p. 204). En raison de ses contributions élevées au mouvement saint-simonien, la situation financière de Fournel était largement obérée.

1316.

Citées par Jacques-Alain Sédouy, Le comte Molé ou la séduction du pouvoir, Paris, Perrin, 1994, 266 p.

1317.

Séance à la Chambre du 8 mai 1837.

1318.

Lettre d'Enfantin à son cousin, le général Saint-Cyr Nugues, 7 juillet 1837 (OSSE, Vol. 31, p. 115).

1319.

Lettre d'Enfantin, 4 juin 1837, à Adèle Morlane (ARS 7615/156), citée in H.-R. d'Allemagne, Prosper Enfantin et..., op. cit., p. 11.

1320.

Lettre d'Enfantin, 10 juin 1837, à Arlès-Dufour (ARS 7664), citée in H.-R. d'Allemagne, Prosper Enfantin et..., op. cit., p. 54.

1321.

Pierre Léon, op. cit., p. 468.

1322.

Mme de Girardin, Lettres parisiennes, 25 août 1837.

1323.

Maxime du Camp, "Les chemins de fer à Paris", art. cité supra.

1324.

Ibid.

1325.

Cité par Jean-Marie Rouart, Morny, un voluptueux au pouvoir, p. 110, Paris, Gallimard, 1995, 251 p.

1326.

Chapitre XVIII - Un prolétaire enrichi.

1327.

Avec le regret de n'en pas posséder de plus précis ni d'antérieur.

1328.

Livre particulier de moi, Paul Emile Dufour, commencé à l'époque de ma majorité le 1er juillet 1800, cité.

1329.

Brosset exercera la même fonction de 1845 à 1868.

1330.

CCL, Registre des délibérations, 29 décembre 1842.

1331.

Ibid., 12 janvier 1843.

1332.

Ibid., 23 mars 1843. Par lettre du 13 mai 1843, la Chambre signifie à ce correspondant que la solution qu'il préconise ne rencontre pas son agrément.

1333.

Ibid., 5 octobre 1843.

1334.

Ibid., 11 mai 1843.

1335.

Marcel Blanchard, in "Aux origines de nos chemins de fer : saint-simoniens et banquiers", art. cit., attribue la paternité de cette association à Arlès-Dufour ; néanmoins, il ne cite pas Gautier.

1336.

H.-R. d’Allemagne, Prosper Enfantin et..., op. cit., p. 54.

1337.

Lettre d'Enfantin, Paris, 1er novembre 1843, à Arlès-Dufour (OSSE, Vol. 35, p. 111).

1338.

Concession accordée par la loi du 24 juillet 1843 (H.-R. d'Allemagne, Prosper Enfantin et..., op. cit., p. 74). Les cent actions dont il s'agit apparaissent dans la situation financière d'Arlès-Dufour arrêtée au 30 septembre 1845, la première que nous lui connaissons.

1339.

CCL, Registre des délibérations, 28 mars 1844. Voir également délibération du 5 avril 1844.

1340.

Ibid.

1341.

S'agit-il des préparatifs de la 10e Exposition Générale des Produits de l'Industrie Nationale qui ouvrira ses portes le 1er mai suivant à Paris ? Sur nomination directe du ministre du Commerce, Arlès-Dufour sera membre et rapporteur du Jury central (Cf. XXII - Les premières expositions universelles).

1342.

Lettre du préfet Jayr à Arlès-Dufour, Archives familiales, complétée par celui-ci de la mention "M. Jayr, avril 1844". Compte tenu du contexte, elle semble plutôt avoir été écrite en mars, Arlès-Dufour étant présent à la séance de la Chambre du 28 mars 1844.

1343.

CCL, Registre des délibérations, 17 août 1844.

1344.

H.-R. d'Allemagne, Prosper Enfantin et... , op. cit., p. 56. Il est amplement fait appel à ce texte pour le présent objet.

1345.

CCL, Registre des délibérations, séance du 28 mars 1844 citée supra.

1346.

Nés tous deux en 1797.

1347.

Extrait de lettre d'Arlès-Dufour à Enfantin de ? novembre 1844, cité par Marcel Blanchard, art. cité.

1348.

Cf. XVIII - Un "prolétaire enrichi".

1349.

AML, dossier Cérémonies 1844/1851, I 1 164 bis : affiche du 8 décembre 1844.

1350.

CCL, Registre des délibérations, 23 novembre 1844.

1351.

Ainsi en avait-il déjà été fait en faveur de la duchesse de Nemours en 1843. (CCL, Registre des délibérations, 23 novembre 1844). Voir note suivante.

1352.

Composition de cette commission : Arquillère, Reverchon, Riboud, Auger, Ricard et Arlès-Dufour (CCL, Registre des délibérations, 23 novembre 1844).

1353.

CCL, Registre des délibérations, 19 décembre 1844.

1354.

Allocution du président de la CCL, Laurent Dugas (CCL, Registre des délibérations, 19 décembre 1844. A titre indicatif, l'année précédente, le 24 septembre, la duchesse de Nemours accompagnant son mari avait été pareillement honorée par la CCL, Brosset en étant le président : 25 robes de soie, châles, écharpes, rubans et 2 tableaux tissés. (J. Bouillat, Les Contemporains - Duc de Nemours, op. cit.).

1355.

Lettre d’Enfantin, Lyon, 28 février 1845, à Michelet, professeur au collège de France (OSSE, Vol. 35, p. 165). L’ouvrage de Michelet dont il s’agit semble devoir être Le Prêtre, la femme, la famille, publié en 1845.

1356.

Cette initiative au plan strictement personnel restera sans lendemain.

1357.

OSSE, Vol. 11, p. 229.

1358.

En 1840, Arlès-Dufour voyait en Lamartine un futur ministre des Relations extérieures. Lettre d'Enfantin à Arlès-Dufour, 22 février 1840 (ARS 7612, pièce I, f° 10), citée par H.-R. d’Allemagne, Prosper Enfantin et ..., op. cit., p. 119.

1359.

OSSE, Vol. 11, p. 210.

1360.

Lettre d'Enfantin, 12 juillet 1843, à Arlès-Dufour (OSSE, Vol. 11, p. 206).

1361.

Ibid., 19 octobre 1843 (OSSE, Vol. 35, pp. 106-110).

1362.

Ibid., 30 décembre 1843 (OSSE, Vol. 11, p. 211).

1363.

H.-R. d'Allemagne, Prosper Enfantin et ..., op. cit., p. 146.

1364.

Marcel Emerit, op. cit., p. 130. Cet auteur précise que cette citation est extraite du premier numéro du journal.

1365.

Lettre d'Enfantin, Paris, 26 mars 1844, à Arlès-Dufour (OSSE, Vol. 11, pp. 219-220).

1366.

Lettre d'Enfantin, Alger, 2 janvier 1840, à Arlès-Dufour (OSSE, Vol. 31, p. 233). Cette phrase se poursuit ainsi : "ce qui dénote un assez pauvre esprit dans l'armée, mais cela indique aussi un oubli dans l'emploi de "fonds de réserve" [...] qui doivent faire beaucoup plus de bien qu'un régiment qui coûte beaucoup plus."

1367.

Le journal, en définitive, intitulé L'Algérie, Courrier d'Afrique, d'Orient et de la Méditerranée parut du 2 février 1844 au 12 juillet 1846.

1368.

Marcel Emerit, op. cit., p. 153.

1369.

Ibid., p. 129.

1370.

Lettre d'Enfantin, Paris, 26 mars 1844, à Arlès-Dufour, citée supra, p. 219.

1371.

Félix Tourneux, ancien polytechnicien saint-simonien, rentré d'Egypte et ingénieur des chemins de fer.

1372.

Sauf erreur de date dans les Notices historiques, p. 216.

1373.

Dans une correspondance adressée, de Ste-Pélagie, à Holstein le 19 avril 1833 (OSSE, Vol 29, p. 39), Enfantin soulignait déjà la "vue très administrative des choses" d'Arlès-Dufour.

1374.

Lettre d'Enfantin, Paris, 26 mars 1844, à Arlès-Dufour, citée supra, p. 219.

1375.

Lettre d'Enfantin, ? novembre 1844, à Arlès-Dufour (OSSE, Vol. 11, p. 227.

1376.

"Je crois que vous avez très bien raisonné et agi pour Gustave, et que l’occasion était tentante d’une façon irréversible pour vous qui avez à Leipsick de si bons amis", écrit Enfantin à Arlès-Dufour le 19 octobre 1843 (OSSE, Vol. 35, p. 107). Dans une lettre adressée, le 7 avril 1844, à son "cher Père" - à Paris, 11 rue du Sentier -, Gustave, à Leipzig, qui "reste à jamais [s]on fils dévoué", annonce qu’une heure auparavant il s’est "présenté devant la table du Seigneur" et a "promis de mener une vie nouvelle" (Archives familiales). Pour mémoire, il est élevé dans la religion protestante comme ses frères et soeur.

1377.

Lettre de Pauline Arlès à Enfantin du 5 décembre 1844 (ARS 7688/13).

1378.

Lettre d’Enfantin, 14 avril 1845, à Arlès-Dufour (ARS 7663), citée par H.-R. d’Allemagne, Prosper Enfantin et..., op. cit., p. 56. Ces trois "lièvres" sont "l’art [le musicien et ancien saint-simonien Félicien David], l’industrie et la politique."(Ibid.).

1379.

Lettre du Comité lyonnais du 3 mai 1845 à Enfantin (ARS 7616/106), citée par H.-R. d’Allemagne, Prosper Enfantin et ..., op. cit., p. 57.

1380.

Lettre d’Enfantin, 6 août 1845, à Carette (ARS 7616/78-79), citée par Marcel Emerit, op. cit., p. 155.

1381.

Lettre d’Arlès-Dufour, Lyon, 2 juillet 1845 à Enfantin (ARS 7682/163).

1382.

Ibid., 26 juillet 1845, (ARS 7682/164).

1383.

Ibid., 7 août 1845, (ARS 7682/170).

1384.

Ibid., 13 août 1845, (ARS 7682/172).

1385.

Ibid., 14 août 1845, (ARS 7682/174).

1386.

Lettre du préfet Jayr d’avril 1844, citée supra.

1387.

Lettre d’Arlès-Dufour, Zurich, à Enfantin, du 16 août 1845, complétée le dimanche 17 au soir (ARS 7682/175).

1388.

Cf. XVIII - Un prolétaire enrichi.

1389.

Lettre d’Arlès-Dufour, Lyon, 17 octobre 1845, à Enfantin (ARS 7682/191). Son arrêt comptable semble lui poser un problème : "Mon inventaire donne net de tous frais 347.000 F. Et cependant, moi, je n’arrive qu’à 650.000." (sic).

1390.

Cf. H.-R. d’Allemagne, Prosper Enfantin et..., op. cit., p. 179. Par erreur, cet auteur date cette initiative de 1848, d’une part, et l’attribue, d’autre part, conjointement aux deux amis. En ce qui concerne ce "compte d’assistance", et malgré le contenu de la correspondance du 18 octobre 1845 qui suit, il est juste cependant de préciser que l’idée était dans l’air. Enfantin, se proposant d’attribuer des actions de chemins de fer à ses amis saint-simoniens écrivait à Arlès-Dufour, le 3 octobre 1845 : " ... le meilleur... c’est je crois de faire pour ceux qui demandent le plus possible [d’actions] ce qu’ils demandent et de nous occuper tout bonnement de gagner de l’argent pour ceux qui ne demandent pas [d’actions] et à qui de l’argent ira beaucoup mieux que des actions, ou à qui notre position d’argent sera plus utile que ne le serait une participation illusoire à nos affaires." (ARS 7616/96, cité par H.-R. d’Allemagne, Prosper Enfantin et ..., op. cit., p. 60).

1391.

Lettre d’Arlès-Dufour, en Suisse, 10 août 1845, à Enfantin (ARS 7682/175). Ce voyage en Angleterre est confirmé par ses lettres de Londres des 15 et 20 septembre 1845 (ARS 7682/183 et 7682/184), et par délibération de la CCL du 11 septembre 1845 (Organisation d’une nouvelle exposition des produits des fabriques étrangères).

1392.

Lettre d’Arlès-Dufour, Lyon, 18 octobre 1845, à Enfantin (ARS 7682/192).

1393.

Selon H.-R. d’Allemagne, Prosper Enfantin et ..., op. cit., p. 182, ce "compte d’assistance" perdura jusqu’à ce que la Société de secours mutuels des Amis de la famille se substituât à lui, organisée à l’initiative de Gallé, cité dans le texte ci-dessus d’Arlès-Dufour du 18 octobre 1845.

1394.

"J’ai bien peur qu’on ne m’oublie pour les actions du Nord, si je n’en suis pas le 9. Parlez-en à Thurneyssen." (Lettre d’Arlès-Dufour à Enfantin du 14 août 1845 citée supra, la date du 9 septembre étant celle de la soumission de la ligne du Nord). Ou encore : "Si vous revoyez Thurneyssen, rappelez-lui d’appuyer pour moi pour le "nord.". Il me l’avait offert et quoique je lui écrive souvent commercialement, je ne veux pas avoir à la lui rappeler" (Lettre d’Arlès-Dufour, à Lyon, à Enfantin du 28 août 1845, ARS 7682/176).

1395.

Robert Schnerb, op. cit., p. 42.

1396.

Antoine Lefébure, op. cit., p. 82.

1397.

Lettre d’Arlès-Dufour, Lyon, 29 juillet 1845, à Enfantin (ARS 7682/165).

1398.

Lettre d’Arlès-Dufour, 10 août 1845, à Enfantin (ARS 7682/175).

1399.

Cf. chapitre XVIII - Un prolétaire enrichi.

1400.

Nous ne disposons pas d’éléments au-delà des dates indiquées.

1401.

En fait, à des dates non précisées, 440 actions, avaient été achetées et 140 (60 puis 80) revendues avec profit.

1402.

La Compagnie du Grand Central a été créée par Morny en 1853, par décret du 21 avril ; elle avait immédiatement fusionné avec la Cie des chemins de fer de jonction du Rhône à la Loire qui avait racheté les trois chemins de fer de Saint-Etienne Andrézieux, Lyon et Roanne. (Michel Laferrère, op. cit., p. 277).

1403.

Lettre d'Enfantin à Arlès-Dufour, [? 1845] (OSSE, Vol. 12, p. 5). Date non précisée ne pouvant être que du second semestre 1845.

1404.

Lettre d’Enfantin, novembre/décembre ? 1845, à Talabot, citée par Blanchard, article cité, p 11.

1405.

Cf. d’Allemagne, Prosper Enfantin et ..., op. cit., p. 83. Cette idée née en octobre 1846 ne sera réalisée qu’en 1854 (Wallon, op. cit., p. 122).

1406.

Lettre d’Enfantin à Arlès-Dufour du 5 octobre 1846 (ARS 7666), citée par Wallon, op. cit., p. 123.

1407.

Statuts approuvés par ordonnance royale du 1er mars 1846.

1408.

H.-R. d’Allemagne, Prosper Enfantin et ..., p. 62, auquel nous sommes redevables des lignes essentielles de ces pages.

1409.

Comme déjà vu supra et au chapitre XVIII - Un prolétaire enrichi, selon l’arrêté comptable en date du 30 septembre 1846 du Livre particulier de F.B. Arlès (Archives familiales).

1410.

D’où la transformation des actions en rentes apparaissant dans le tableau précédent de l’actif ferroviaire d’Arlès-Dufour.

1411.

Enfantin s’installe à Lyon d’octobre 1852 à juillet 1857, avant de rejoindre Paris.

1412.

Marcel Blanchard, art. cit., p. 100.

1413.

Ibid., p. 105.

1414.

Lettre d’Enfantin, Constantine, 25 mars 1841, à Arlès-Dufour (OSSE, Vol. 34, p. 38).

1415.

Cité par Félix Rivet, op. cit., p. 466. - Dans cet article du Journal des chemins de fer," la propriété de bateaux à vapeur sur le Rhône" est attribuée à Arlès-Dufour, Brosset et Bonnardel qui "exercent une grande influence sur le Conseil municipal et sur la Chambre de commerce de Lyon." Cette qualité est certainement contestable en ce qui concerne le premier nommé ; du moins, n’en avons-nous jamais relevé de trace.

1416.

H.-R. d’Allemagne, Prosper Enfantin et ..., op. cit., p. 71. Arlès-Dufour ne fait pas partie du conseil d’administration de la compagnie suivante du Lyon-Méditerranée, du moins selon le détail donné dans cet ouvrage, p. 73.

1417.

Ibid., p. 78.

1418.

Du moins selon les arrêtés comptables du livre particulier d’Arlès-Dufour, il n’apparaît plus actionnaire du Paris-Lyon au 30 septembre 1851, de l’Avignon-Lyon au 30 septembre 1853, et, à la même date, de l’Avignon-Marseille. Au-delà, aucune trace de participation financière à une compagnie ferroviaire française n’est du moins relevée dans ses comptes.

1419.

Michel Chevalier, M. Arlès-Dufour, op. cit.