Arlès-Dufour, tout auréolé du prestige de sa méritoire participation à la signature du traité de commerce, va-t-il, dès lors, être touché par la vocation de la retraite ? Incontestablement pas. Dès le 9 avril 1860, il avise son "bon Pacha" Lambert, de son projet de réunir la famille à dîner le jeudi suivant, à six heures et quart, au "Louvre", comptant fermement sur sa présence2286. Par famille, comprendre, bien sûr la famille saint-simonienne, et, en particulier, ses membres les plus agissants au plan charitable.
L'organisateur de ce repas au récent hôtel du Louvre, l'une des nombreuses réalisations des amis Pereire, avait pris, en 1845 rappelons-le, la généreuse initiative d'ouvrir un compte d'assistance aux saint-simoniens dans le dénuement, une initiative spontanément partagée par son "maître"2287. Depuis, non sans anxiété, cette aide avait pu, péniblement, ne pas cesser, nourrie des profits réalisés par leurs opérations financières communes, de leurs fonds personnels, et de ceux d'autres donateurs dont Julien Gallé. En 1858, celui-ci décide d'une organisation moins empirique et fonde, avec l'aide du fidèle Vinçard, une Société de secours mutuels destinée aux saint-simoniens. Dénommée "La Famille", cette société prend officiellement corps le 17 octobre de l'année suivante, avec pour but l'assistance par aide, par dons et par prêts2288. Le gérant qui la représente est secondé dans sa tâche par deux commissions, l'une de surveillance, semestrielle, l'autre consultative, mensuelle. C'est cette dernière que réunit Arlès-Dufour, inlassablement compatissant au sort des démunis en proie aux difficultés de l'existence.
Le rôle actif qu'il joue dans cette commission ne le dispense pas d'apporter son habituel soutien financier. Par exemple, ce sont mille francs qu'il adresse peu après, à Vinçard, en vue d'un prêt à accorder à deux protégés du chansonnier des jeunes années saint-simoniennes, sur la chaude recommandation de Charles Lemonnier. Cette somme vient avec bonheur compléter celle de trois mille six cent francs recueillie pour accorder à ces jeunes gens leur exonération du service militaire. S'il a toujours bourse déliée, l'important donateur est soucieux de placer ses libéralités à bon escient. Vinçard le rassure : ‘ "L'honorabilité de la famille elle-même est constatée par ce qu'ils [sic] ont fait jusqu'ici pour l'éducation, l'instruction et l'élévation graduelle de la position sociale de leurs enfants. Que de sacrifices ne se sont-ils pas imposés pour arriver à ce but, de classer ces enfants de prolétaires, d'ouvriers au jour le jour, dans les rangs qui n'appartiennent, en général, qu'à des fils de famille ; ainsi, l'un est préparateur de chimie ou aspirant préparateur, à l'Ecole des ponts et chaussées, l'autre employé aux écritures à la préfecture du département de la Seine ’ 2289 ‘ ." ’ Ce champ d'action particulier, Enfantin l'expliquera à M. de Courcy : ‘ "Chaque année, Arlès et moi, quelques amis et une Société de secours mutuels que nous avons fondée sous le nom des Amis de la Famille, nous affranchissons des jeunes gens de la conscription, et nous fournissons des cautionnements à des employés d'entreprises privées ou publiques ou de service de l'Etat. Ces prêts nous ont toujours été rendus non seulement sans perte sur le capital, mais avec intérêt. Nous n'avons même jamais vu que les obligés et leur famille considérassent leur obligation envers nous autrement que comme la plus sacrée qu'ils puissent contracter ’ 2290 ‘ ." ’
Les comptes de La famille qu'il a arrêtés la veille, 1er juin 1860, Vinçard profite de son courrier pour les communiquer à Arlès-Dufour :
‘"Nous avons déposé à votre maison2291 3.400,00 FIl saisit également l'occasion pour déplorer l'absence de nouvelles en provenancedu‘ ministère ’ ‘ "pour l'adoption de notre règlement. L'Habitant est parti hier matin pour la campagne mais Boutet a un ami attaché au ministère de l'Intérieur et va le prier de suivre notre affaire auprès de M. Chevalier." ’Michel, tout en préservant soigneusement son indépendance, est en effet de retour dans la sphère enfantinienne... La société La Famille, simplement autorisée par la Préfecture de police, n'a pas, légalement, la capacité de recevoir de legs, alors que ces apports peuvent se révéler importants. Aussi, Enfantin, avec Arlès-Dufour, Michel Chevalier, Emile et Isaac Pereire, Lambert, Fournel, Guéroult, César L'Habitant, Duveyrier et Laurent de l'Ardèche2292, ont-ils décidé de solliciter l'approbation gouvernementale. Pour l'instant, est-ce le fait, comme Enfantin affecte de le penser, de‘ "l'influence dangereuse qui règne dans quelques sociétés de ce genre [sociétés de secours mutuels], où l'on s'occupe de miner sourdement le régime actuel ’ 2293 ‘ " ? ’Il est de fait que bon nombre de mutualistes sont considérés comme adversaires du Second Empire. En tout cas, la décision tardant à être rendue, Enfantin fait appel au concours d'Arlès-Dufour. Il lui transmet une lettre, constatant les obstacles rencontrés, pour la faire suivre, nous disent les OSSE, à un‘ "éminent personnage dont il [est] chargé de réclamer la haute intervention ’ 2294 ‘ ." ’De cette lettre, détachons les passages suivants : ‘ "[...] l'esprit clérical repousse la constitution d'une société de secours mutuels que nous sollicitons [...] M. N. et ses affidés nous présentent au ministre comme une dangereuse résurrection politique et religieuse de cet affreux saint-simonisme. C'est presque une conspiration. Nous sommes convaincus au contraire que personne n'a mieux que nous compris, admis et servi le gouvernement de l'Empereur. [...] Nous n'avons d'ailleurs d'autre but que d'accomplir un devoir de charité envers des amis moins heureux que nous ’ 2295 ‘ ." ’Arlès-Dufour intervient auprès du Prince Napoléon en termes parfois plus nuancés, parfois moins. Ainsi regrette-t-il, dans les bureaux du ministère de l'Intérieur, "les plus vives, les plus partiales résistances" et "l'esprit clérical qui paraît y régner comme sous la première Restauration". Et, pour conclure, il souhaite que le projet puisse‘ "jouir du bénéfice de la Loi qui, en France, ’ ‘ devrait enfin être impartiale et égale pour tous, même pour les amis du Gouvernement ’ 2296 ‘ ." ’Grâce à l'éminent appui du cousin de l'Empereur, gain de cause est enfin obtenu : la Société de secours mutuels Les Amis de la Famille - dont le siège est à Paris, 40 rue Meslay - est approuvée par arrêté ministériel du 22 juillet 1861 et son président Henri Fournel, inspecteur général des mines, nommé par décret impérial du 27 juillet 18612297.
Cette société prospère pour le plus grand bien de ceux qui sont chargés d'enfants, de misère ou de maladie. Son actif général de 32.418,78 F, au 31 décembre 1867, passe, l'année suivante, à 35.986,83 F, soit, ‘ "malgré une dépense de 5.525,90 F pour dons et secours, une augmentation de 3.568,05 F", ’ indépendamment d'une somme de 9.327 ‘ F "déposée à la caisse des retraites fondée par le Gouvernement ’ 2298 ‘ " ’. Trois ans plus tard, au 31 décembre 1871, l'actif général s'élève à 41.574,80 F. Le rapport du trésorier lu à l'Assemblée générale de 1872 s'en félicite, bien qu'il constate au regard des événements ‘ : "[...] si nos recettes ont subi une si grande dépréciation, nos dépenses ont, de leur côté, quelque peu baissé, mais dans une proportion bien plus minime ’ 2299 ‘ ." ’
Pas davantage que dans les rapports annuels précédents, Arlès-Dufour, toujours aussi discret qu'efficace, n'apparaît parmi les membres du bureau de la Société : Henri Fournel, Julien Gallé, Vinçard en sont toujours, respectivement, président, vice-président et syndic collecteur. Mais, avec affliction, ce rapport de 1872 fait mention de lui : ‘ " Nous avons eu, il y a quelques jours, la douleur de perdre un de ces membres les plus dévoués, M. Arlès-Dufour. Il était un de ceux qui ont le plus contribué à la fondation de notre oeuvre. Ce généreux ami laisse parmi nous un grand vide et de profonds regrets. Nous l'aimions tous pour ses idées généreuses, et surtout pour son grand cœur qui, sans cesse, se préoccupait du sort de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre. Sa dernière pensée fut pour le peuple. Il avait, quelque temps avant sa mort si regrettée, consacré une somme considérable à la fondation d'écoles populaires. Puissent les regrets profonds qu'il laisse parmi nous être un hommage pieux qui lui soit cher et l'accompagne dans la nouvelle vie où il est entré ’."
Deux autres initiatives des amis saint-simoniens d'Arlès-Dufour sont loin d'enregistrer une réussite comparable à celle des Amis de la Famille. Leur ambition de marquer leur temps par la réalisation d'une Encyclopédie, d'une part, et l'instauration d'un Crédit intellectuel, d'autre part, est en effet vouée à l'échec. De près ou de loin, Arlès-Dufour, toujours exalté, se passionne évidemment pour la double entreprise.
Après Diderot et d'Alembert, la rédaction d'une encyclopédie avait agité l'esprit de Saint-Simon entre 1807 et 1813. Ses fidèles, Buchez, Bazard et Laurent, reprennent, en 1827, cette idée sous la forme d'un Dictionnaire philosophique du XIXe siècle, rapidement abandonnée en raison d'autres travaux apostoliques, malgré une remarquable participation d'Isaac Pereire2300. En 1832, L'Echo de la Fabrique de Lyon des 2 juin et 18 juillet fait encore mention de la Revue encyclopédique, soulignant la collaboration d'Emile Pereire, Transon et Jean Reynaud. Six années plus tard, ce dernier et Pierre Leroux, tous deux transfuges de l'école saint-simonienne, entament à leur tour une Encyclopédie nouvelle. Elle reste également inachevée. Malgré ces échecs répétés, le même but ne cesse de hanter l'esprit des adeptes survivants de la nouvelle religion. Diderot lui-même n'avait-il pas précisé que cet "enchaînement de connaissances" ne pouvait qu'être le fait d'‘ "hommes liés par l'intérêt général du genre humain et par un sentiment de bienveillance réciproque, parce que ces motifs étant les plus honnêtes qui puissent animer des âmes bien nées, ce sont les plus durables ’ 2301 ‘ " ? ’
En 1860, à l'initiative d'Emile Pereire, sous son patronage et celui de son frère Isaac, cette grande oeuvre intellectuelle est relancée par Gide, un libraire de Paris, qui la présente à Enfantin. Aussitôt, celui-ci en informe son ami lyonnais, le 28 septembre, tout naturellement sans aucun doute, mais aussi de façon non désintéressée ‘ : "Il s'agit d'une chose assez grave où vous pouvez être très utile." ’ Pour cela, il lui appartient d'obtenir de Michel Chevalier, ‘ "qui hésite", "de présider à ce libre échange intellectuel". ’ Et plus loin, au plan général : ‘ "[...] l'idée est difficile à réaliser, mais excellente et digne de nous en occuper ’ 2302 ‘ ." ’ L'influence du destinataire fut-elle déterminante ? Toujours est-il que Michel Chevalier prend la haute main sur la direction de l'ouvrage, avec le concours actif de Charles Duveyrier.
Arlès-Dufour propose le sien : ‘ "Ne serait-ce que pour me donner droit d'assister aux réunions et d'y prêcher certaines idées auxquelles je tiens comme à la vie ’ 2303 ‘ ." ’ Notre autodidacte ne perd jamais une occasion de s'enrichir intellectuellement ; de plus il n'est jamais à un déplacement à Paris près. Enfantin s'empresse d'accepter le concours de son ami : ‘ "Certainement vous avez votre part à prendre à l'Encyclopédie, avant qu'elle se fasse, car le moment le plus rude, selon moi, c'est le moment actuel, c'est-à-dire, le plan général, l'introduction, et enfin le choix des rédacteurs avec distribution du travail entre eux. D'ailleurs la tête de notre cher Charles [Duveyrier] galope à cette heure, à droite, à gauche, dessus, dessous ; votre propre galop fera effet homéopathique, vous vous compenserez..." ’
‘ "Michel [Chevalier] fait et même a fait le nouveau prospectus de l'Encyclopédie ’ 2304 ‘ ", ’ "‘ Duveyrier est venu dîner hier soir, il travaille à force à l'Encyclopédie ’ 2305 ‘ ", ’ ne cesse de s'émerveiller Enfantin qui a quelque propension à endosser la paternité du projet et à le diriger. Six mois plus tard, grâce au "poète de Dieu" qui, encore, "travaille comme un diable2306", la collaboration de Sainte-Beuve paraît assurée. Cependant, ‘ "ce travail ne va pas aussi vite que l'hôtel de la Paix ’ 2307 ‘ ", ’ regrette Enfantin. Des réunions se succèdent chez Emile et Isaac Pereire groupant, en fonction de leurs possibilités, tous ceux que nous connaissons bien, tels : Arlès-Dufour (vraisemblablement au cours du dernier trimestre 1861), Duveyrier, Fournel, Lambert, Martin-Paschoud, Perdonnet, mais encore Viollet-le-Duc, le Docteur Warnier2308, etc. ; aussi des membres de l'Institut, entre autres : Michel Chevalier déjà cité, le vicomte d'Archiac, Emile Augier, Baudrillard, Claude Bernard, Halévy, Littré, Ernest Renan, Sainte-Beuve et Janet2309. Ce dernier est donc tout désigné pour synthétiser plus tard ces travaux : ‘ "On se réunit souvent ; on parla beaucoup, on dîna ensemble ; mais rien n'aboutit ’ 2310 ‘ ." ’
Il en advint de même de cette idée d'Enfantin, d'instituer le Crédit intellectuel. A l'occasion du mariage, à Lyon, en octobre 1862, de la fille de leur ami commun, Holstein, il s'en ouvre à Arlès-Dufour. De retour à Paris, il développe auprès de lui son plan de "crédit à l'intelligence" : ‘ "Il y a plus de mille jeunes gens par an, entrant dans les écoles de droit, médecine, pharmacie, polytechnique, normale, centrale, Saint-Cyr, Châlons, marine, forestière, fermes, commerce qui auraient besoin d'avoir 6.000 francs d'assurés avant de pouvoir gagner un sou. Il y a de ce seul chef plus de six millions de prêts annuellement assurés pour le crédit intellectuel. Si on y ajoute les rachats militaires, pour soustraire à l'armée les natures délicates, faibles, sensibles, douces, il y en a bien mille sur cent mille hommes ; ce serait encore deux ou trois millions de prêts annuels assurés ’ 2311 ‘ ." ’
Ah ! s'il avait pu bénéficier à l'époque des bienfaits d'une telle initiative, il n'aurait pas eu à interrompre ses études, à devenir un miséreux saute-ruisseau, placé dans la nécessité de subvenir aux besoins de sa mère et aux siens... Rien qu'à cette pensée, avec sa flamme habituelle qui ne décroît pas malgré l'âge qui avance, Arlès-Dufour ne peut que souscrire à cette féconde perspective d' offrir à ses jeunes congénères, sans s'illusionner sur les obstacles. L'abstention de Michel Chevalier, des Pereire, et même de Duveyrier lui paraissent significatives‘ . "Vous qui aimez la lutte, vous allez être content ’ 2312 ‘ ", ’ le préviendra Enfantin.
Le voici justement à Paris dans les premières semaines de 1863. A la hâte, comme d'habitude, il écrit à sa "brave amie2313", du Palais Royal où il est venu s'excuser du refus de deux invitations à un repas. Son emploi du temps parisien est toujours aussi chargé. Le soir même, il dîne chez la maréchale Canrobert et le lendemain sur le steamer de Pereire au Havre2314. Il ne fera qu'un rapide séjour dans cette ville, puisque le dîner préparatoire pour le Crédit intellectuel aura lieu "jeudi prochain", la veille de son retour à Lyon. Selon les OSSE, cette réunion se tient, à l'invitation de Paulin Talabot, rue Laffitte, au siège de la Compagnie des chemins de fer de Lyon2315. Elle groupe Arlès-Dufour, Bartholony, Auguste Cochin, Didion, Enfantin, Natalis Rondot, Léon Say, Simons et Paulin Talabot. Ils sont unanimes pour approuver le but du projet et nomment une commission spéciale chargée d'étudier par le détail son économie2316. Réunie, à plusieurs reprises, en février et mars, et confrontée à des difficultés d'exécution considérables, elle doit malheureusement conclure à un résultat négatif de ses recherches. La déception d'Enfantin est d'autant plus grande que divers soutiens fort encourageants s'étaient manifestés2317, émanant d'Emile de Girardin, de George Sand, du phalanstérien Eugène Nus, de Paul Dalloz dans Le Moniteur2318, du financier Donon - mis au courant par Arlès-Dufour - ou encore de l'écrivain Champfleury estimant que ‘ "les hommes qui débattent depuis si longtemps la propriété intellectuelle n'ont rien trouvé dans la discussion d'égal à votre idée." ’
Cette noble pensée de Crédit intellectuel est bien propre à Enfantin, à son "cœur éminent2319" comme l'écrira Sainte-Beuve à propos de ce projet. Par contre, l'idée de l'Encyclopédie ne l'est pas. Le "Père" a la fâcheuse inclination à les mêler l'une à l'autre en envisageant la création d'un "Institut encyclopédique - Société de crédit intellectuel ou de crédit des professions libérales". Une polémique s'engage, ayant pour effet d'éloigner de lui Duveyrier, les Pereire et Michel Chevalier, tous trois entrés en dissidence : ‘ "les soufflets de ces enfants sont durs à porter ’ 2320 ‘ " ’, avoue-t-il à son ami lyonnais. L'heure est venue des derniers reniements des disciples vis à vis du maître, après avoir, comme le rappellent les OSSE, ‘ "partagé avec lui, trente ans auparavant, le double martyre de la moquerie et de la persécution pour la foi saint-simonienne ’ 2321 ‘ ." ’ La douleur d'Arlès-Dufour, ami de tous et de chacun, est profonde. Comme pour s'excuser, après avoir été sans doute la cible de ses accusations, Michel Chevalier lui répond : ‘ "Chaque jour, quelque nouveau journal annonçait qu'Enfantin était à la tête de l'Encyclopédie et mes collaborateurs de l'Institut et autres en étaient fort agacés ’ 2322 ‘ ." ’
Malgré leurs relations toujours empreintes d'une affection réciproque, malgré la grande bienveillance d'Arlès-Dufour, sa franchise, souvent trop vive, reprendra le dessus... six ans plus tard ! C'est que, après un réquisitoire contre leur doctrine, étalé dans la presse et objet de diverses répliques, les relations s'enveniment entre les anciens saint-simoniens, fidèles au souvenir d'Enfantin, et Michel Chevalier2323. La réprobation personnelle exprimée dans la lettre destinée à l'académicien, le 6 septembre 1869, lui paraissant sans doute insuffisante, Arlès-Dufour la complète du P.S. suivant : ‘ "A ces fautes morales, j'en ajouterai une troisième, c'est la lettre que vous avez fait signer à Pereire et Duveyrier dans laquelle vous donniez un démenti, un soufflet public, au sujet de l'Encyclopédie, à votre Maître, à votre père spirituel, soufflet qui a accéléré sa fin ’ 2324 ‘ ." ’ Ceci dans le droit fil de ce qu'il lui avait déjà écrit le 23 mars 1863, déplorant particulièrement l'abandon de Duveyrier : ‘ "Ce que je ne concevrais pas, si je ne savais que l'excès de travail a fatigué l'esprit de Charles, c'est que lui, le poète de Dieu, qui a écrit le fameux article qui vous a fait aller à Sainte-Pélagie, ait consenti à signer une lettre contre le Père suprême. Lui, écrire publiquement contre cet homme, allons donc, c'est de la folie ’ 2325 ‘ ! " ’ Les torts de Duveyrier, le "Père suprême" se refusait, lui, à les aggraver2326.
Nonobstant, Arlès-Dufour craint fort que ce nouveau conflit aggrave l'état de santé d'Enfantin. Il multiplie affectueusement, et plus qu'auparavant, les conseils de prudence. D'une écriture de plus en plus altérée par un tremblement - ‘ "qui, déjà l'écrivait-il l'année précédente, embellit toujours ’ 2327 ‘ " ’ - il lui est répondu le 7 mai 1863 : ‘ "Cher ami, ’ ‘ Comme vos lettres passeront probablement à la postérité ’ 2328 ‘ , je suis obligé de protester encore contre l'avant-dernière qui me ferait passer pour un vieux pochard, confit dans l'eau-de-vie, et ayant abusé de toutes les joies du paradis terrestre. Cette opinion sur moi serait des plus fausses. J'ose dire au contraire que, si j'ai ’ ‘ abusé dans l'ordre spirituel, c'est possible, mais non dans le spiritueux, et que même pour le tabac et les cigares, j'ai pu m'en sevrer plusieurs fois durant longues années ’ 2329 ‘ ." ’
‘ "Si vous avez compris le Crédit intellectuel, avait-il consigné précédemment, en 1862, dans une lettre au même du 20 novembre, je n'en dirai pas autant de Duveyrier. Il y aurait là de quoi m'inquiéter, car ordinairement c'est vous qui m'attaquez et lui qui m'approuve ’ 2330 ‘ ." ’ Apparemment du moins, en avançant l'idée de cette fondation, Enfantin ne paraissait pas disposé à se charger personnellement de sa réalisation. Poussé dans cette voie par son attentif ami lyonnais, il lui avait rétorqué : ‘ "Si vous vous sentez encore assez jeune pour le faire, soit ! Non seulement je ne demande pas mieux, mais je vous en prie fort ’ 2331 ‘ ." ’ L'essai finalement tenté par son promoteur puis avorté, Enfantin entré le 31 août 1864 ‘ "dans l'hivernage des marmottes ’ 2332", Arlès-Dufour reprendra-t-il ce flambeau ?
A la mort d'Enfantin, le légataire universel qu'il est, trouve dans ‘ "son bureau - Septembre 1864" ’, quelques lignes de son ami : ‘ "Voici l'automne, ...". ’ Sur la couverture du dossier qu'il ouvre sous le titre "Hoirie d'Enfantin", il récapitule les nombreuses lettres de condoléances reçues - dont celles de Charles Duveyrier et Michel Chevalier - et quelques souvenirs concernant le disparu2333. En regard du pieux et dernier écrit, il note : ‘ "Cri de tristesse et de douleur arraché par la conduite parricide ’ 2334 ‘ de ses anciens fils spirituels Duveyrier, Michel Chevalier et Pereire, à propos de sa lettre sur le Crédit intellectuel, sa dernière et grandiose conception"... ’
Supposer que ses premières années de retraite pourraient se limiter aux occupations et aux préoccupations qui précèdent serait encore sous-estimer la vitalité toujours étonnante du sexagénaire, malgré les vicissitudes de l'âge.
Tout d'abord, l'associé commanditaire de la maison Arlès-Dufour et Cie ne perd pas tout contact avec son bureau. Il y passe de temps à autre, essayant de se faire aussi discret que possible, mais non sans s'inquiéter de savoir si les stocks de soie ne sont pas trop importants2335. Peu d'années après, il a déjà l'occasion de s'emporter. Lors d'une révision de son testament le 20 septembre 1863, il exprime son mécontentement, en termes des plus incisifs : ‘ "[...] je supplie mes enfants de procéder, dés mon décès, à la réduction du nombre actuel des succursales et, pour les y contraindre, j'engage ma femme à retirer tous ses capitaux de leur maison, s'ils refusent ou hésitent à réaliser ce voeu, qui est exclusivement dans l'intérêt de leur repos d'esprit, de la sécurité de leur fortune et de l'honneur du nom que je leur lègue. Je n'admets pas que trois associés, et même que quatre, puissent diriger ou surveiller plus de six maisons, ou succursales ou agences. Aujourd'hui, ils en ont neuf, sans compter des agents presqu'inutiles, à Turin, Milan et Naples : c'est de la folie qui s'est emparée de Gustave, et qui empêche la maison de reprendre, comme crédit, le premier rang où je l'avais placée. ’
‘ "Cette maison, bien gérée, est une mine d'or, et elle restera une mine d'or, ou poule aux oeufs d'or, à moins que ses chefs, lassés de beaux bénéfices réguliers, veuillent en obtenir d'extraordinaires en forçant les affaires. Avec la fortune qu'ils ont déjà, ou que je leur laisserai, ils doivent avoir plutôt pour principe et pour but, de conserver que d'augmenter. ’
‘ "Je leur répéterai aussi ce que ce vieux Rothschild, fondateur de la maison actuelle qui, après seulement cinquante-trois ans d'existence, est la première et la plus riche de l'univers, disait à son lit de mort à ses enfants : "Si vous voulez devenir une des plus puissantes maisons d'Europe, restez ’ ‘ unis, ne vous séparez pas et n'admettez pas d'étrangers comme associés. Faites, ou au moins dirigez vos affaires vous-mêmes, ce qui ne vous empêche pas d'avoir des intéressés sans votre signature, et sans droit de s'immiscer dans vos inventaires ’ 2336 ‘ ." ’
Et pourtant, à peine quelques jours après son retrait de la gestion de l'affaire, le 3 janvier 1860 déjà, il ‘ "prêche à [s]es enfants la retraite devant l'orage, c'est à dire la réduction des affaires du chiffre de trente-six à vingt-quatre millions, ce qui serait encore bien bon ’ 2337 ‘ . ’" Les affaires, effectivement, ne se portent pas bien ; on attend et espère leur reprise, mais elles sont de plus en plus mortes, comme le déplore Enfantin, en cette fin d'année, ajoutant : ‘ "Nous sommes dans ’ ‘ une crise de liquidation d'un passé d'affaires dont Mi[rès] et même Mo[rny] sont des types, et dont les chemins de fer ont été le tapis ’ 2338 ‘ ." ’ Tandis que la misère s'étale d'un côté, la fièvre d'enrichissement s'est emparée de l'autre, à la bourse ou dans l'immobilier. Arlès-Dufour s'indigne de ce contexte de spéculation et de scandales, s'élevant contre ‘ " ’ ‘ ceux qui, précisent les OSSE, n'apportaient pas comme lui, dans leur pratique industrielle ou commerciale, une délicatesse traditionnelle, une loyauté chevaleresque ’ 2339 ‘ . ’ ‘ " "Cher ami, ’ ‘ lui répond Enfantin le 25 février 1861 ’ ‘ , vous êtes toujours pour la bataille et moi pour la paix, de sorte que, tandis que vous rêvez à l'extermination des gueux, je ne songe qu'à dégager l'élément progressif qui doit sortir du fumier actuel. Certes, vous avez raison de dire que vous voulez la punition et la récompense selon les oeuvres, mais, hélas ! la punition est joliment organisée, constituée, tandis que la récompense n'existe dans aucune institution sociale ’ 2340 ‘ ." ’
L'enrichissement d'Arlès-Dufour, lui, n'est pas immoral. Sa fortune, même fort importante, a été gagnée honnêtement, laborieusement, loyalement. Il le revendique hautement. C'est le moment, pourtant peu opportun en cette période, qu'il choisit pour accroître son patrimoine immobilier, déjà constitué de sa propriété d'Oullins, de son immeuble de Paris et de celui de Zurich. Moyennant 210.000 F, il fait l'acquisition d'une maison de trois étages, avec huit fenêtres à chaque étage, située 11 rue Pizay. Sous l'impulsion du préfet Vaïsse, ce quartier central de Lyon est la proie des démolisseurs puis des bâtisseurs. Bientôt, à proximité, la rue de Impératrice2341 va être dotée des premiers candélabres pour l'éclairage au gaz et cette rue, pavée provisoirement avec des cailloux roulés pour le tassement, doit être garnie de pavés cubiques2342. Dans le passé, cette maison a appartenu à Michel La Barge de Certeau, Conseiller à la Cour royale de Lyon et à son épouse Catherine Palerne de Savy qui en avait hérité de son père, premier maire de Lyon en 1790. A une date indéterminée, Arlès-Dufour s'emploiera à la faire réparer et surélever de deux étages. Le paiement est effectué le 1er février 1861 après que l'acte ait été signé le 29 août précédent2343.
Comment le fut-il ? Du nom d'Arlès ou de celui... d'Arlès-Dufour ? Certainement de cette dernière façon, comme à l'habitude et depuis des décennies... Il devient grand temps, a-t-il dû songer, d'officialiser ces errements. Grâce aux bons offices du Prince Napoléon vraisemblablement, à moins que ce ne soit de l'Empereur lui-même, la régularisation administrative intervient. Le 12 novembre 1861, un décret impérial permet ‘ "au Sieur Arlès (François-Barthélemy), ancien négociant, né le 15 prairial an V, à Cette (Hérault), demeurant à Lyon, au Sieur Arlès (François Henry Armand), son fils mineur, né à Lyon le 3 juin 1842, au Sieur Arlès (François Gustave), négociant, né le 12 février 1829, à Lyon, y demeurant, et au Sieur Arlès (François Prosper Alphonse), négociant, né le 15 octobre 1835 à Lyon, y demeurant, d'ajouter à leur nom patronymique celui de Dufour et de s'appeler Arlès-Dufour ’ 2344 ‘ ." Une lettre du Conseil d'Etat du 17 décembre 1862 confirmera qu'il n'a été déposé aucune requête en opposition au décret ’ 2345 ‘ . ’
Considère-t-il qu'il pourra bénéficier d'une plus large disponibilité de temps avant de se joindre, dans les premières années de la décennie, aux quelques cinq cents notables lyonnais qui forment l'aréopage distingué du confortable Cercle du Commerce, au 31 rue Puits-Gaillot, avant de s'installer rue d'Algérie en 18612346 ? Ce déménagement constitue un nouveau signe de la ‘ "prospérité [...] toujours croissante" ’ de ce vénérable cénacle que l'on se plaisait déjà à souligner quelques années plus tôt2347.
Pourtant, les absences de Lyon du récent sociétaire, admis entre 1861 et 18622348, vont encore se multiplier, alors qu'est envisagée une nouvelle Exposition. Les précédentes, de Londres et de Paris, ayant fait la démonstration de leur intérêt par l'impulsion donnée au progrès en général, au commerce et à l'industrie en particulier, la reine Victoria annonce, le 14 février 1861, l'organisation de la troisième Exposition universelle, celle de Londres de 1862. Aussitôt, les invitations sont officiellement lancées aux nations étrangères. Napoléon III, le 14 mai, institue la Commission chargée d'assurer la participation française à cette manifestation. Si le prince Napoléon en demeure le président, Arlès-Dufour n'en assume plus le secrétariat général, assuré par Le Play. Il fait cependant partie de cette Commission, aux côtés de Rouher, du maréchal Vaillant, du comte de Persigny, de Achille Fould, Michel Chevalier, Drouyn de L'Huys, Schneider, Mérimée et quelques autres. Et il y a fort à penser que cette qualité l'amène à Londres, en compagnie notamment de Michel Chevalier, en juillet 1861, - ainsi que nous l'avons lu précédemment2349 -, afin de déterminer avec les organisateurs les conditions de participation de notre pays.
A l'occasion de l'Exposition nationale de 1849, la Chambre de commerce de Lyon émet l'idée de déléguer à Paris, sur les fonds de la Condition des soies, une dizaine de chefs d'ateliers et contremaîtres de la Fabrique pour la visiter2350. L'auteur de cette proposition est resté dans l'anonymat des registres consulaires. Il en est pareillement de celui qui est à l'origine du renouvellement de cette proposition lors de l'Exposition universelle de Londres de 1851. Ne serait-ce pas le même ? Bien des années plus tôt, en 1834, Arlès-Dufour n'avait-il pas souhaité que les travailleurs de la Fabrique soient en mesure de comparer leurs productions à celles de leurs homologues, étrangers en l'espèce ? Est-ce lui qui, le premier, a ambitionné que cette confrontation puisse se faire d'abord en 1849 au plan national, plus tard lors du "congrès-bazar" de Londres ?
En tout état de cause, pour cette Exposition de 1851, l'initiative répétée de la Chambre de commerce, applicable aux seuls ouvriers soyeux, est tellement appréciée par le maire de Lyon qu'il propose au conseil municipal réuni le 16 mai de voter une somme de 6.000 F en faveur du déplacement ‘ "des représentants des diverses industries qui concourent à entretenir l'activité de nos nombreux ateliers ’ 2351 ‘ ." ’ Depuis quelque temps, cette idée fait son chemin dans divers esprits. Le 27 janvier 1851, sur les 630.000 F de crédit votés par l'Assemblée nationale pour l'organisation de la participation française, 50.000 sont destinés à l'envoi d'ouvriers à Londres2352. A la suite d'un article de Blanqui paru dans La Presse du 10 mai, souhaitant "voir arriver en foule" des ouvriers français à l'Exposition anglaise, le propriétaire du journal, Emile de Girardin, lance une souscription à cette fin. 2.473 F sont seulement recueillis. Le résultat bien modeste, auquel contribue Marie d'Agoult par un don de 20 F2353, permet cependant l'envoi d'une quinzaine de visiteurs2354. Le succès de la délégation officielle, toutes proportions gardées, est tout aussi restreint.
Pour l'Exposition universelle de Paris de 1855, le gouvernement impérial est bien décidé à mettre le travail à l'honneur. En conclusion de son rapport de président de la XXIe classe et sous le titre "Coopérateurs2355", Arlès-Dufour, avant l'énumération des récompenses revenant à chaque pays, le soulignera fort complaisamment : ‘ "Aux expositions nationales qui ont précédé l'Exposition universelle, le jury a toujours appelé la bienveillance du Gouvernement sur les ouvriers, contremaîtres ou employés. Cette fois, il faut le reconnaître, c'est le Gouvernement et particulièrement S.M. l'Empereur et S.A.I. le prince Napoléon, qui ont appelé et provoqué l'attention du Jury sur les collaborateurs qui ont le plus contribué aux progrès de l'industrie universelle ’ 2356 ‘ ." ’ ‘ Bien évidemment, en vue de l'organisation, les instructions diffusées aux préfets relatives aux "Fonctions des comités locaux ’ 2357 ‘ " ’ se font l'écho du souci impérial. Entre autres, ces comités ont pour mission : ‘ "[...] 10° De signaler, dans un rapport écrit, les services rendus à l'agriculture et à l'industrie par des chefs d'exploitation, des contremaîtres, des ouvriers ou journaliers demeurant dans le ressort de leurs localités ’ 2358 ‘ ." ’ Toutefois, ces attributions ne sont absolument pas inédites ! En termes identiques, dans la perspective de l'Exposition nationale de 1849, elles figurent déjà dans la circulaire ministérielle du 28 février, ajoutant même : ‘ "Ainsi tous les agents qui concourent à la production agricole ou manufacturière se trouvent admis à participer aux récompenses nationales ’ 2359 ‘ ." ’ Il est certain que cette circulaire ne pouvait que sombrer dans l'oubli : elle avait été diffusée sous l'en-tête "République française - Liberté Egalité Fraternité"... et nous n'en sommes plus là !
En 1854, l'innovation réside dans les points 11 et 12 de la mission ressortissant aux comités locaux et qui prescrivent : ‘ "11° D'exciter autour d'eux le désir de visiter l'exposition, et d'en faciliter les moyens autant que cela sera en leur pouvoir ; 12° De faire connaître à la Commission impériale les mesures qui leur sembleraient propres à procurer au plus grand nombre possible d'ouvriers de leurs localités les moyens de visiter l'Exposition." ’ Si la Chambre de commerce de Lyon se distingue comme en 1851, en déléguant treize chefs d'ateliers et ouvriers2360, cet appel semble par ailleurs peu entendu. Les comités locaux ont jusqu'à présent faiblement fait diligence dans l'envoi des renseignements attendus pour faciliter les visites en question.
Une confirmation leur est adressée par Arlès-Dufour, en tant que Secrétaire général de la Commission impériale, le 18 août 18552361. Les dispositions spécifiques, adoptées sur demande du prince Napoléon, sont remises en mémoire. Toutes les compagnies de chemins de fer organisent le dimanche et le lundi de chaque semaine des "trains d'exposition" dont les billets, outre une réduction de 40% sur les tarifs, donnent un accès gratuit, une fois aux Expositions de l'Industrie et des Beaux-Arts, ou deux fois à l'une de ces expositions. De plus, pour les "visites officielles" de contremaîtres et d'ouvriers, organisées par les "chefs d'établissements industriels ou les corps constitués", le prix d'entrée est fixé à vingt centimes, tous les jours de la semaine, le vendredi excepté, pour ceux figurant sur des listes préétablies. Enfin, la ‘ "cantine spéciale et modèle pour les contremaîtres et ouvriers de la Commission impériale" ’ leur est ouverte pour des repas à prix très modérés. Et si "l'exposition est complète", prend-on soin de préciser, il est suggéré de retarder le déplacement jusqu'à la fin du mois en raison de la fête de l'Empereur et de la réception de la Reine d'Angleterre. Malheureusement, tous ces efforts demeurèrent vains. Même la Commission administrative de l'Ecole de la Martinière ne crut devoir faire participer l'établissement à la manifestation qu'après le vote d'une subvention de la Chambre de commerce de Lyon2362. D'une manière générale, les travailleurs ne se dérangèrent pas ou fort peu. Seulement "une élite2363", dira le prince Napoléon pour se consoler de cet échec.
Un échec sérieux riche d'enseignements... Tandis que l'Empereur rédige, à Vichy, sa Vie de César, que Duveyrier travaille d'arrache-pied à l'Encyclopédie, Arlès-Dufour séjourne à Plombières2364, en juillet/août 1861. Sans doute, y lit-il l'épreuve du dernier ouvrage de son maître La Vie Eternelle dont l'auteur attend impatiemment son imprimatur, espérant qu'il ne lui ‘ "ait pas semblé trop long et trop assommant ’ 2365 ‘ ." ’ Est-ce là, encore, que le curiste vosgien réfléchit aux moyens d'éviter, pour la troisième Exposition universelle, à Londres pour la seconde fois, l'échec enregistré précédemment dans l'organisation des délégations ? De toutes façons, la "Chronique" du journal de Lyon Le Progrès, daté du 29 septembre 1861, sous les initiales P. M. R. insère ce qui suit : ‘ "Un des membres considérables de la Commission impériale de l'Exposition universelle de Londres nous a exprimé le désir de voir propager par la presse, au sein de nos populations ouvrières, l'idée d'une cotisation spéciale telle qu'elle se pratique en Angleterre, dans le but de subvenir aux frais de voyage d'un certain nombre d'ouvriers délégués par leurs pairs à la grande Exposition de 1862." ’ Après avoir évoqué les difficultés de l'heure des ouvriers de la fabrique lyonnaise et rappelé les conditions de constitution du "fonds commun" britannique par une retenue journalière sur salaires, l'organe poursuit : ‘ "On ne saurait croire, nous disait l'honorable M. Arlès-Dufour, combien cette méthode a eu d'excellents résultats en Angleterre. Mieux qu'un livre, la relation d'un simple ouvrier donne aux autres une connaissance pratique des merveilles de l'exhibition. C'est de l'enseignement mutuel pratiqué sur une vaste échelle ; un très grand nombre d'artisans, accourus de tous les comtés, ont visité en 1852, le fameux palais de cristal, et grâce à la communication qu'ils ont faite à leurs camarades et amis de leurs curieuses et intelligentes appréciations, c'est à peu près comme si l'Angleterre ouvrière avait assisté toute entière à l'exposition. [...] M. Arlès-Dufour nous a donné l'assurance que, pour seconder ce mouvement, la Commission impériale s'est mise ’ ‘ en mesure de procurer aux ouvriers des billets de voyage jusqu'à Londres, à des prix si réduits qu'ils seront presque insignifiants ’ 2366 ‘ . [...]" ’
Sans perdre un instant, le journal parisien Le Temps fait part du voeu émis par son confrère lyonnais2367. Ce dernier, en même temps qu'il annonce la rentrée des écoles communales gratuites, dirigées par les Frères des écoles chrétiennes, et celle du lycée impérial, respectivement les 1er et 8 octobre, reproduit cet article du Temps à l'intention de ses lecteurs : ‘ "L'idée mise en avant par ’ ‘ Le Progrès de Lyo ’ ‘ n ne saurait trop être approuvée. Nous nous y associons de grand cœur. Nous la signalons aux populations ouvrières et nous engageons tous ceux de nos lecteurs qui se trouvent en rapport avec elles, à la recommander, à la propager et à ne rien épargner pour la faire réussir. [...] Quant aux catégories d'ouvriers qui ne peuvent, en ce moment, s'imposer aucun sacrifice, comme les tisseurs dont parle Le Progrès de Lyon, il nous semble qu'elles pourraient, sans humiliation, accepter le concours d'une souscription publique à laquelle nous nous associerions très volontiers ’ 2368 ‘ ." ’
On n'en attend pas moins de L'Opinion nationale, dirigé par l'ami saint-simonien Guéroult, qui emboîte tout aussitôt le pas dans son numéro du 2 octobre : ‘ "[...] La visite que feraient nos ouvriers à leurs camarades d'Angleterre établirait entre eux des relations profitables à tous sous tous les rapports ; en même temps qu'ils pourraient se rendre compte par eux-mêmes de grands travaux artistiques et industriels qui figureront à l'Exposition de Londres, ils sentiraient mieux la solidarité qui les lie, les vieux levains de discorde internationale s'apaiseraient et les jalousies rivales feraient place aux salutaires efforts d'une fraternelle émulation ’ 2369 ‘ ." ’
Mais le Commissaire impérial ne peut laisser passer l'information erronée parue dans Le Progrès qui ‘ "pourrait donner lieu à de fausses espérances ’", celle relative aux frais de transport qualifiés de "presque insignifiants". Dans une lettre datée du 5 octobre à Oullins, reproduite intégralement dans la livraison du 8 de cette feuille quotidienne, il réfute formellement ce point. J'ai dit ‘ "seulement que la Commission impériale, inspirée par son président, le prince Napoléon, et secondée par son secrétaire général, M. Troplong ’ 2370 ‘ , ne ’ ‘ négligerait rien pour obtenir des compagnies de chemins de fer les plus grandes facilités et des prix exceptionnellement bas." ’ Non sans souligner que, déjà en 1855, le prince Napoléon, en ayant compris l'utilité et la portée industrielle et sociale, avait fait tout ce qui dépendait de lui pour provoquer et faciliter ces visites. L'exactitude rétablie, le plaidoyer reprend ses droits : ‘ "Une assez longue expérience des expositions m'a démontré que, sauf d'assez rares exceptions, les livres et les rapports écrits, venant d'ailleurs presque toujours trop tard, ne portent que peu de fruits, tandis que les visites des patrons, des contremaîtres et des ouvriers exercent sur les progrès de l'industrie une influence directe et immédiate. Nos voisins et jusqu'ici nos maîtres dans les questions et les matières industrielles, l'ont bien compris et nous ont donné l'exemple en 1851 ; nous les avons un peu suivis en 1855, tâchons de les dépasser ou de les égaler en 1862." ’ Et si l'on peut compter sur la bonne volonté de la Commission impériale, mais pas seulement sur elle en sollicitant son patronage, il convient de ‘ "s'aider soi-même comme le font si bien les Anglais." ’ Pour ce faire, il convient que les chefs d'industrie engagent leurs contremaîtres et ouvriers à se cotiser et ensuite à élire eux-mêmes leurs délégués : le mode ‘ "le plus propre à donner à la délégation un grand caractère de dignité et d'indépendance." ’ Quant aux pauvres ouvriers touchés par la crise américaine et dénués de moyens, ils ne "sauraient pourtant rester en arrière", ayant à "profiter autant que les autres de ces utiles visites." En leur faveur, les Chambres de commerce, les chambres consultatives, les mairies, les chefs d'industrie doivent se mettre en branle, ‘ et "au besoin, peut-être, des souscriptions publiques dont le journal Le Temps a émis l'idée" ’ pourraient être ouvertes. ‘ "En général, conclut l'intervenant, c'est la presse qui doit prendre à cœur cette question qui ne le cède pas en importance sociale aux questions les plus élevées de pure politique qui l'alimentent peut-être trop exclusivement. Que la presse française ne reste pas en arrière de la presse britannique qui ne cesse de s'occuper de la prochaine exposition universelle et des avantages qui pourront résulter pour l'Angleterre des visites de contremaîtres et ouvriers. Ce n'est donc pas seulement à la presse locale qu'il faut faire appel, mais à toute la presse française ’ 2371 ‘ ." ’
Le journaliste du Progrès P. Martin-Rey - qui signe cette fois cet article de son nom et non plus de ses seules initiales - ajoute à la transcription de l'écrit d'Arlès-Dufour quelques commentaires. A son tour, il salue ‘ "cette Angleterre qui compte toujours sur elle-même et ne demande jamais rien à l'Etat ’". Suivant cet exemple - ‘ "un moyen glorieux d'atteindre le but proposé" ’ -, et pour l'imiter, il en appelle à ‘ "tous les notables représentants des industries, du ’ ‘ tissage, de la teinture, des produits chimiques, de la passementerie, de la dorure, de la chapellerie, de la mécanique, enfin de toutes les branches de travail en activité à Lyon". Et c'est enfin pour encourager manufacturiers et commerçants lyonnais à se réunir "légalement" ’ et à constituer des comités provisoire d'initiative et d'organisation.
Dans l'édition du jeudi 10 octobre 1861, en première page et sur quatre colonnes, le même rédacteur du Progrès, peut-être insatisfait de ses rapides commentaires antérieurs, revient de manière quelque peu superfétatoire sur la lettre de l'"éminent industriel", et pour abonder dans son sens sur divers points. C'est aussi pour ne point "dissimuler la satisfaction que nous avons éprouvée à l'entendre dire [Arlès-Dufour] ouvertement que l'élection du délégué par ses pairs est le mode de désignation le plus juste et le plus convenable ; c'est au moins, ajouterons-nous, le plus conforme au sentiment de dignité et d'indépendance qui anime l'ouvrier lyonnais." C'est enfin, après avoir cité quelques intéressants extraits des discours de Cobden et de Michel Chevalier ‘ "au dernier banquet de Mansion House" ’ - ce banquet auquel Arlès-Dufour craint bien de s'endormir2372...-, pour se réjouir : ‘ "[...] le traité de commerce et la deuxième exposition universelle de Londres viennent à propos pour clore une ère funeste aux deux peuples, en exerçant dans les classes ordinairement sédentaires et isolées, qui se méconnaissent de part et d'autre, une légitime influence pour les bons rapports de l'avenir ’ 2373 ‘ ." ’
Face à cette belle confiance, le Courrier du Dimanche affiche un profond pessimisme, du moins au début de son article intitulé "Les ouvriers français à l'exposition de Londres" : ‘ "Des deux côtés du détroit, on continuera d'armer et de blinder des frégates, de fondre des canons, de fortifier des côtes, et de dépenser par centaines de millions notre cher, bien cher et bien regrettable argent. Mais enfin l'exposition de Londres nous garantit la paix pour un an ou dix-huit mois [...] Hâtons-nous donc de visiter Londres avant que l'expérience du traité de commerce soit terminée, et qu'on sache positivement de quel côté de la Manche le marché n'a pas été bon." ’ Mais ce défaitisme cesse après l'évocation de l'idée émise par ‘ "l'un des meilleurs journaux de province, ’ ‘ Le Progrès ’ ‘ de Lyon" ’ et l'historique des divers essais infructueux d'entente cordiale des vingt dernières années : ‘ "C'est sur l'échange des idées, sur cette sympathie mutuelle que donnent les intérêts communs du commerce et de l'industrie des deux peuples que se fondent les vraies et solides alliances, celles que ne peuvent rompre ni les héros, ni les hommes d'Etat, ni Pitt, ni Wellington, ni Palmerston." ’ Et s'il ne faut compter que sur les souscriptions individuelles et non sur l'aide du gouvernement, ‘ "rien n'est plus juste, ni plus censé. A quoi bon s'adresser toujours à l'administration ? N'a-t-elle pas déjà trop d'occasions de se mêler de nos affaires particulières ? Laissons au gouvernement son budget, et nous, sachons nous suffire ’ 2374 ‘ ." ’
Décidément, les périodiques sont nombreux à se faire l'écho de la proposition d'Arlès-Dufour qui a une portée nationale, auprès de la presse parisienne, également auprès des principaux intéressés, les ouvriers eux-mêmes. Témoin cette lettre de l'un d'eux, datée du 15 octobre à Paris, adressée à L'Opinion nationale, publiée par ce journal et que Le Progrès reproduit le 18. Signée d'un certain ‘ "T...., ouvrier ciseleur", ’ elle expose le dilemme de la classe à laquelle il appartient : ‘ "Quand l'initiative vient d'en haut, de l'autorité supérieure ou des patrons, elle n'inspire aux ouvriers qu'une médiocre confiance. [...] Quand l'initiative vient d'en bas, c'est bien une autre affaire ; [...] Aussi faut-il une forte dose de résolution pour se mettre en avant, quand, de plus, à tort ou à raison, les promoteurs se sentent mis à l'index : car un ouvrier qui s'occupe de questions politiques, dans le pays du suffrage universel, est considéré comme un homme dangereux ; c'est pis encore s'il s'agit de questions sociales.[...] La défiance est un mal si invétéré, si généralement répandu parmi nous, que moi qui ne suis pas très craintif, je ne verrais pas sans inquiétude publier ce que je vous écris ; et pourtant si je me trompe, il serait bien plus sage de me détromper que de me punir.[...]" ’ Guéroult qui accompagne la publication de ce courrier ne voit ‘ "que des avantages à ce que le gouvernement leur assurât [aux ouvriers] la plus entière liberté d'action et s'abstînt soigneusement de toute intervention tant qu'on ne sortirait pas des limites de la question à l'ordre du jour. L'expérience vaut la peine d'être faite ; l'occasion ne saurait être mieux choisie ’ 2375 ‘ .[...]" ’A la requête de Tolain, puisqu'il s'agit indiscutablement de lui, s'en oppose une autre, exprimée par Coutant, réclamant l'intervention de l'Etat : ‘ "Ce serait par trop cruel de redire au peuple cette parole d'une atroce ironie qui fut jetée au Christ cloué à la croix : Sauve-toi toi même ’ 2376 ‘ ." ’
Cette ambition d'Arlès-Dufour de permettre à la classe ouvrière de juger par elle-même de la qualité des produits étrangers est loin de lui être neuve : facteur d'émulation, les ouvriers avaient tout à y gagner, la production également avec le moyen de fournir plus et mieux, de soutenir avec succès la concurrence étrangère, d'accroître l'enrichissement économique du pays et, par voie de conséquence, celui de la ‘ "classe la plus nombreuse et la plus pauvre ’". Il avait été tenté d'y répondre lors des exhibitions précédentes. Cette fois, ce n'est sans doute pas sans l'aval du prince Napoléon qu'il a exprimé ses aspirations publiquement, par voie de presse, avec le retentissement produit. Bientôt à Paris, il va pouvoir débattre de leurs retombées, de vive voix, avec le cousin de l'Empereur.
Dans l'immédiat, depuis Lyon, à travers presse et courriers de ses divers et nombreux amis, il est attentif aux préparatifs de l'exposition. Le Progrès du 3 Novembre 1861 en livre quelques nouvelles à l'intention des commerçants locaux dont les produits seront exposés. La nef principale et le transept du palais, dans le parc de Kensington, sont presque entièrement couverts. La tentative d'un imaginatif "entrepreneur de publicité" échoue, rejetée par la Commission royale : il avait offert une somme considérable pour prendre des emplacements sur toutes les surfaces vides de l'édifice et les recouvrir d'annonces et d'affiches. Quant à Le Play, ‘ "commissaire général du gouvernement français", ’ il est de passage à Londres afin d'obtenir une espace de 45.000 pieds carrés venant s'ajouter aux 32.000 déjà accordés2377.
A son ami lyonnais, évidemment enthousiaste à la perspective, Enfantin, bien que lancé à corps perdu dans l'Encyclopédie, le concède : ‘ "L'exposition de Londres sera certainement une fort belle chose." ’ Et si ce n'est pas dénaturer le cheminement de sa pensée, parfois absconse, il revient, plus loin, sur le même sujet semble-t-il, ‘ : "Ce sera certainement le grand événement du siècle, sans lequel la France ne pourrait propager hors d'elle, ni même réaliser chez elle aucune des grandes choses que Saint-Simon a annoncées au monde. Et c'est pour cela que Napoléon III est venu continuer l'oeuvre de son oncle ’ 2378 ‘ ." ’
Quelques jours après, début décembre, il est prévu que les deux amis se retrouveront au lieu habituel de leurs rendez-vous, l'hôtel du Louvre, pour un dîner en compagnie de Duveyrier2379. Arlès-Dufour effectue ce voyage d'autant plus volontiers qu'il lui permet d'expérimenter cette ‘ "innovation véritablement charitable et indispensable" ’, à savoir ‘ "le chauffage par la vapeur" ’ des wagons dernièrement mis en place par la Compagnie des chemins de fer de Paris à Lyon2380. De plus, après les avoir accompagnés2381, il a laissé Pauline et leur fils à Amélie-les-Bains pour éviter les rigueurs de l'hiver lyonnais à Armand afin d'améliorer son état de santé également celui de sa mère. Le voici seul à Lyon, la veille de son départ à Paris, le 8 décembre, : ‘ "le cœur serré tant je me suis trouvé physiquement et moralement pendant ces dix-sept jours chez notre bonne et brave fille." ’ Il ne se laisse pas abattre pour autant. Le même jour, bien servi, il organise à Montroses un déjeuner d'une quinzaine de couverts avec parmi les invités Mme Morin et les Fitler2382. Toujours bon vivant, aimant la bonne chère, il se réjouit par avance du menu, l'eau déjà à la bouche : ‘ "Marie a fait un pâté de lièvre et farci une oie, et je porte une truite froide. Sois donc tranquille, rassure-t-il sa femme, il y aura de quoi manger ’ 2383 ‘ ." ’ Le voici, également, libre de gérer son temps sans la moindre entrave.
Dans la capitale, l'emploi du temps est chargé comme à l'accoutumée... Toujours partisan enthousiaste de l'homéopathie et préoccupé par l'état de santé d'Armand, il voit son ami le docteur Love ‘ "qui insiste pour qu'il prenne sépia, comme je te l'ai indiqué, écrit-il à Pauline, et après une interruption de cinq à six jours, si les symptômes persistent, arsenic ’ 2384 ‘ ." ’ Le lendemain, il dîne chez Mathine [?], en compagnie du même docteur Love et de son épouse, après avoir refusé une invitation du prince Napoléon et "de sa charmante femme". Par un temps splendide, il s'accorde un moment pour flâner sur les grands boulevards ‘ "encombrés de monde qui assiège les boutiques d'objets à un, deux et cinq sous. On ne se douterait pas de la grande misère qui règne dans la classe ouvrière et même dans la bourgeoisie." ’ Chez L'Habitant, un dîner réunit le pasteur Martin-Paschoud, Enfantin, Vinçard, Guéroult et Lambert.
Cette réunion de vieux et solides amis ne demeure pas unique ; les rencontres se multiplient, un dîner se passe chez Mélesville, le demi-frère de Charles Duveyrier. Il est un autre repas qui fait mention, pour la première fois dans ses courriers, de la jeune Marie Duveyrier, âgée de treize ans, lourdement éprouvée dès l'âge de cinq ans par la mort de sa mère ; Marie est la fille de Charles et la sœur d'Henri. Justement, profitant de ses petites et grandes entrés au "château", il hésite entre à rencontrer le duc de Malakoff ou Mocquard et arrête son choix sur ce dernier : il s'agit de demander la croix de la Légion d'honneur, hautement méritée, en faveur d'Henri Duveyrier, de retour en bien mauvais état de son extraordinaire exploration au Sahara, encouragée, en partie, par sa participation financière. Un mois après, le 22 janvier suivant, le décret de nomination paraît en faveur du plus jeune chevalier de son époque, seulement âgé de vingt-et-un ans et demi. Une mauvaise nouvelle ne manquera certainement pas d'attrister Pauline auprès de qui il rapporte ses diverses activités : la mort de la belle-sœur de son collaborateur Natalis Rondot, Mme Bizot, fille unique de M. Digrand, enceinte de quatre mois, décédée le jour de Noël en une demi-heure. ‘ "C'est effrayant ’ 2385", conclut-il.
En cette fin d'année, la famille éparpillée, lui à Paris, sa femme et leur cadet à Amélie-les-Bains, sa fille chérie et ses deux autres frères à Lyon, le 29 décembre, craignant un retard postal qui fasse arriver ses voeux après coup, il tire la conclusion des douze mois écoulés : ‘ "1861 ne nous a pas épargnés." ’C'est d'abord ‘ "la mort d'un bon et vieil ami" ’ : il s'agit de son cousin par alliance, le saxon Albert Dufour-Feronce, décédé à Londres le 12 novembre 18612386. Ce parent, au long d'une quarantaine d'années, malgré souvent la distance, lui a témoigné une affection bien partagée. Il lui a accordé un concours efficace et désintéressé dans les périodes sombres ; ensemble, ils ont échafaudé et mis sur pied d'importantes réalisations, sans parler de leur collaboration dans le cadre de la Société d'études du canal de Suez. C'est ensuite "la maladie d'Armand" qui l'oblige à cette séparation involontaire. Ce sont enfin ‘ "des inquiétudes commerciales. Dieu seul sait ce que nous garde l'année 1862. L'horizon politique est bien chargé et cela non seulement en Europe, mais dans tout l'univers, l'Asie, l'Afrique, l'Amérique, tout fermente ; heureux ceux qui, comme moi, voient dans ce travail le germe d'une grande rénovation ’ 2387 ‘ ! " ’
Ce "germe d'une grande rénovation" - l'avènement d'une ère nouvelle, profitable à tous - n'est autre, bien entendu, que l'Exposition de Londres, à la préparation de laquelle, pour les couleurs nationales, il oeuvre ferme, au siège de la Commission impériale, au Palais de l'Industrie, et qui lui vaut essentiellement ce séjour prolongé dans la capitale. Fort vraisemblablement, dans ce cadre, il prépare avec le prince Napoléon l'audience accordée, au dit Palais, à une délégation ouvrière composée de Tolain, Chabaud et Coutant, chargée par les leurs de négocier la constitution de la commission ouvrière, et étudie avec lui l'économie du projet qui sera adopté par la Commission impériale à la grande satisfaction de tous, l'indépendance des ouvriers étant garantie.
Même de retour à Lyon, apparemment depuis fin janvier, ‘ "je vois ’, lui écrit Enfantin le 21 février 1862, ‘ que vous songez toujours beaucoup à l'exposition de Londres, mais je ne comprends pas bien ce que vous vous proposez d'y être ou d'y faire. Vous allez dire que je prétends toujours au rôle du bon Dieu ; c'est un peu vrai, mais si vous n'y allez dans le but d'enfoncer le gouvernement aristocratique anglais, je ne sens pas bien la figure que vous y ferez au milieu de tous ces Le[Play], Ge[rvais] et tutti quanti, qui iront pour gagner le Sénat, la croix ou de l'argent. A moins que vous n'y soyez le délégué des ouvriers français qui s'organisent pour y aller ; et pourquoi pas ? Le tambour-major des anciens jours pourrait fort bien remplir le rôle de LA MERE DES OUVRIERS FRANCAIS ’ ‘ 2388 ’ ‘ , à Londres. Il faudrait alors embaucher Vinçard pour lui faire donner sérénade à Cobden et Bright ’ ‘ 2389 ’ ‘ ." ’
Les ouvriers lyonnais, à leur tour, sur le modèle de leurs collègues parisiens, se constituent en vue de l'élection de leurs délégués, avec le concours de la Chambre de commerce. Au sein de cet organisme, en qualité de membre influent et en celle d'initiateur du projet national, Arlès-Dufour ne fut sans doute pas le dernier à apporter sa plus complète collaboration. Henri Fougère assure qu'il joua un rôle fort important dans la constitution et l'organisation de la délégation lyonnaise, la plus nombreuse de province2390 ; nous nous en serions doutés. L'assemblée consulaire avait accordé une subvention de six mille francs2391.
L'année 1862 entamée à Paris, poursuivie à Lyon, il se retrouve, le mercredi des Cendres 4 mars, à Perpignan, à l'hôtel de l'Europe, où sont descendus, pour l'accueillir, Pauline et Armand, ses "exilés d'Amélie-les Bains", ainsi qu'il les nomme dans une lettre à son "Cher Pacha" Lambert ! L'actualité reprenant vite ses droits, il y ajoute en P.S. avec sa vivacité toujours frondeuse : ‘ "Savez-vous que la cuisine impériale se gâte à la vapeur ! Les cléricaux rient joliment de la peur qu'ils inspirent ; ils ne se croyaient pas si redoutables, ni si redoutés ’ 2392 ‘ ." ’De la station thermale, pour une raison et une durée restées ignorées, il se rend ensuite à Menton2393.
Dès le 4 février, il en prévenait Pauline : il lui faudrait se rendre en... Silésie ! Après avoir évoqué la récente disparition de ‘ "la belle figure de Bocholy ’ 2394 ‘ " ’ - ce vieil ami ‘ "tombé sous l'influence abrutissante des Jésuites" ! -, ’ de Dufour-Feronce également décédé depuis peu, il déplore : ‘ "Sauf Sellier, tous mes amis et tous ceux que je connaissais sont morts ! " "Cependant, poursuit-il, Sellier insiste tellement pour que j'aille mettre en ordre avec lui, Kayser et les Dufour, l'affaire des terrains houillers ’ 2395 ‘ , que je considère comme un devoir d'y aller. Il semble que ce pauvre homme ait peur de mourir avant d'avoir régularisé toutes ces affaires ’ 2396 ‘ ." ’
Arrivé à Breslau, en avril, il demande à Enfantin de lui envoyer La Parabole de Saint-Simon, avec l'intention de la faire découvrir à une de ses relations allemandes2397. Et, comme le relève son ami, le voici ‘ "amoureux de la Silésie comme de Cannes ; vous êtes pour la papillonne. Je suis enchanté que vous visitiez de près ce gâchis prussien qui est fort intéressant pour la politique générale de l'Europe. Je pense que vos amis ne vous auront pas fait coffrer comme un agitateur étranger ’ 2398 ‘ [...]." ’ Et, lorsque Pauline et Armand, après leur long séjour à Amélie-les-Bains, achèvent de visiter l'Italie, il est sur le point d'être de retour à Paris2399. Sans doute repasse-t-il à Lyon pour les y retrouver, à moins qu'il ne les ait rejoints dans la péninsule même. Mais rapidement, car l'Exposition de Londres ouvre ses portes le 1er mai, et impose la présence, à son inauguration, du Commissaire français, de l'immuable président de la classe des "soies, soieries et rubans" du Jury international, cette fois dénommée la vingtième. Quant à ‘ "la mère des ouvriers français à Londres", ’ elle se doit de réussir l'accueil et l'organisation du séjour de leurs délégués.
Début mai, parti de Paris à 7 heures et quart du matin, il est à Londres le soir même à 7 heures quarante-cinq, par une chaleur torride, après une traversée d'à peine deux heures, sans un malade à bord. Depuis longtemps, il avait prévu de profiter de l'hospitalité toujours largement offerte à Parkhill par son solide ami Leaf. Un deuil récent dans cette famille l'en prive - celui, non exactement déterminé, de sa mère ou de la maîtresse de maison - encore mise à l'épreuve par sa fille Emilie, vivant ses dernières heures. L'âme sensible d'Arlès-Dufour lui fait avouer, du siège de sa succursale commerciale londonienne : ‘ "J'en ai pleuré avec le pauvre père." ’
Les Michel Chevalier louent une maison pour la durée de la manifestation, mais en attendant d'en prendre possession, tous trois dînent régulièrement à l'hôtel Westminster. En 1855, la France n'aurait pas dû rougir : dans l'immédiat, ‘ "le coup d'œil jeté à l'exposition ne lui est pas très favorable, mais il est vrai que rien n'y est encore achevé." ’ Aussi, est-il recommandé dans la même lettre à son fils Alphonse et à Natalis Rondot de différer leur arrivée2400. Près d'un mois plus tard, il écrira encore : ‘ "Pour la première fois, cet immense et splendide bazar s'est montré digne de ses frais et de son public [vingt-cinq mille visiteurs ce jour là] ; il est vrai que depuis dix jours, on n'a pas cessé de travailler à son arrangement définitif. Le bâtiment est laid et restera laid, mais son contenu dépasse celui de [18]55 ou de [18]51 et présente une variété et des progrès merveilleux ’ 2401 ‘ ." ’
‘ "Heureusement que le temps est beau, sans quoi je serais enclin au spleen", ’avait-il conclu précédemment. Mais les obligations foisonnent rapidement et ne lui laissent guère le temps d'être gagné par la mélancolie, ni celui d'écrire, ne serait-ce qu'une ligne à l'adresse de Lyon, pas même encore de déjeuner avant midi... C'est tout de même la joie des retrouvailles avec, spécialement, ses collègues de longue date du jury international devenus ses amis, le chevalier de Schwarz qui dirige, avec soins, goût et même art, les arrangements de l'exposition autrichienne2402 et Diergardt, un industriel prussien de premier ordre2403. Les sollicitations françaises, allemandes et même anglaises dont il est l'objet sont nombreuses, parvient-il à confier à Pauline, le 13 mai, de l'hôtel Cromwell Road, siège de la Commission impériale. Il retrouve de "vieux amis" - connus on ne sait où -, M. de [illisible], Mme O'Connel [une artiste peintre, auteur d'un de ses portraits sur sa seule photographie2404], Riose [?] de Strasbourg, entre la rédaction de ses "deux cents jugements de médailles et mentions", recopiés fidèlement par Aeschimann, déjà nommé2405. Sa lettre se poursuit, reprise cette fois à Burlington, où ‘ "siège le Congrès national et international pour les questions sociales, discussions auxquelles les femmes prennent part [ce que le féministe se plaît à souligner], ainsi que nos amis Jean Dollfus, Wolowski, von Herne [?], etc. Nous retrouvons là un groupe de légitimistes papistes français et belges délégués par le parti pour combattre toutes les idées éclairées ; la lutte rend la chose intéressante ’ 2406 ‘ ." ’
C'est ensuite, au musée de Sydenham, un déjeuner de 3 à 7 heures du soir que donne Thomas Baring à tous les jurés et à un millier de personnes ! Le surlendemain, nouvelle réception : ‘ "un véritable raout chez Lord Ashburtire [?] dans un palais pouvant bien tenir deux cents personnes et il y en avait deux mille... Pour s'en aller, cohue, impossible de retrouver chapeaux et paletots, Lord Palmerston a recherché le sien une heure, et moi, j'ai dû m'en aller avec un vieux chapeau. Michel [Chevalier] et sa femme étaient au désespoir. Il est vrai que nous avons vu toute la nobility, ce qui n'empêche que, si je n'étais pas président de classe, j'enverrais promener exposition et nobility, pour retourner à mes bons moutons et à ma bergère ’ 2407 ‘ ." ’Cette nobility, pourtant, il n'est pas peu satisfait de la fréquenter, tel ce "salon de haute aristocratie", dans la propriété de lord Granville, où, rappelons-le2408, il se trouve "plus at home que dans un salon lyonnais"... Dans le souvenir de ses agréables relations avec les princes royaux, dans celui de ses entretiens notamment avec le duc d'Aumale, trouvera-t-il le temps de visiter Orléans House où l'ancien gouverneur général de l'Algérie présente au public sa merveilleuse collection d'objets d'art, le Fine Arts' club de Twickenham2409 ?
Devant cette prolifération de mondanités - d'ailleurs incomplètement rapportées ci-dessus -, est-ce sans sourire que Pauline constate de son côté : ‘ "Il semble que tu es plus satisfait et que l'exposition commence à t'intéresser" ? ’ ‘ Et, après quelques nouvelles, d'ajouter, non sans humour ’ ‘ , : "[...] Adieu cher ami ; nous aussi désirons tous ton retour car ta vie est bien nécessaire ici pour colorer la nôtre. Tes lettres nous sont chères à tous égards, mais ce que je trouve fâcheux c'est que, ton affranchissement étant toujours insuffisant, deux ont coûté 1f20 et une 1f40. ’ ‘ Armand prétend que c'est une flouerie, je n'en sais rien mais te signale le fait. Amitiés aux Dollfus et Chevalier. A toi Pauline ’ 2410 ‘ ." ’
Pendant ce temps, elle, elle gère Montroses. Elle y accueille une partie de la délégation qui, après sa réception par les Chambres de commerce de Marseille et Lyon, respectivement les 22 et 24 mai, amène les chefs Touareg, sous la conduite d'Henri Duveyrier - qui sert d'interprète - et de Warnier, à Paris en vue de la conclusion d'un accord commercial2411 : une visite fort pittoresque dont la narration divertit bien le maître de maison et lui fait fort regretter son absence. Elle veille au sablage effectué autour de chacune des maisons de la propriété. A l'entrée de celle-ci, le couple Pêcheur emménage dans la loge, ‘ "où la bonne figure de la petite femme doit bien faire" ’, se félicite François. Mais cette satisfaction ne s'étend pas au reste, qu'il s'agisse de l'étable - puisqu'il y en a une ! - ou du potager : ‘ "[...] Il me semblait que mes quatre fils ’ 2412 ‘ à qui j'avais écrit et dit les instructions, pouvaient bien suivre cela sans moi. Quant aux vaches qui sont toutes les trois pleines à la fois, quant aux légumes, qui manquent, parce qu'il n'a pas plu depuis un an, en vérité, j'y serais qu'il n'en serait ni plus ni moins. [...] Que serait-ce donc si je mourrais, il faudrait bien marcher sans moi. Or, j'ai 64 ans ’ 2413 ‘ . [...]" ’
Outre les "jugements" qu'il doit rendre, le président de la Classe des soies a la tâche d'établir son rapport au titre du jury international. Dès le 14 mai, il compte s'y atteler, pensant ainsi pouvoir regagner la France sous huitaine. A l'expiration de ce délai, force est de le repousser. ‘ "J'ai tant de lettres de sollicitation à répondre, tant de malheureux manoeuvres à recevoir", transmet-il à Pauline, qu'il ne peut qu'adresser "une lettre collective", faute de temps à consacrer à chacun : "[...] Quoique souffrant de la pluie la semaine dernière, je m'en suis réjoui pour vous, pensant qu'elle vous gagnerait, arroserait et reverdirait vos gazons et détendrait vos nerfs. L'absence de trois maris ’ 2414 ‘ , de trois bons maris surtout, a dû naturellement attrister Montroses et il serait malheureux qu'il en fût autrement. Quant au troisième, il est, comme Président, esclave ’ ‘ du travail et ne sait encore quand il reviendra ’ 2415 ‘ ." ’ Pauline n'est pas la seule à s'impatienter, même si la proposition lui est faite et renouvelée de gagner Londres où toutes les dispositions d'hébergement et de service, "servante et cuisinière", pourraient facilement être prises, à l'instar des Chevalier et des Dollfus. Ainsi pourrait-il, sans encombre, rester jusqu'au 15 juillet alors que comme président, il ne peut, en aucun cas, abandonner avant le 15 juin. Enfantin - qui se réjouit du succès croissant de Félicien David2416, leur peu reconnaissant ami - lui aussi, s'enquiert : ‘ "Vous ne me parlez toujours pas de retour ; je pense donc que vous n'y songez pas encore. [...] Adieu, vieux, qui courez comme un jeune homme. Moi, je suis décidément très vieux ’ 2417."
Malgré toute ses obligations, l'actif "jeune homme" ne perd cependant pas pied avec les affaires : ‘ "Dis à Gustave et à Maurice, demande-t-il à Pauline depuis Cromwell Road, que j'envoie à Alphonse une très bonne lettre de Gladstone pour sa maison. Son fils, l'ami d'Armand, part aussi sous peu de jours pour Saint-Petersbourg et je recommande à Alphonse de se lier avec lui ’ 2418." Quelques jours après, il recommande également que leurs fils ‘ "poussent tous nos fabricants à venir voir ce que leurs concurrents ont fait de progrès sous l'influence de la liberté, de la nécessité, de la détresse ’ 2419 ‘ ." ’
De leurs échanges connus, il ne semble pas que Pauline se soit décidée, malgré les diverses sollicitations reçues, à rejoindre son mari dont le séjour paraît se prolonger jusqu'au mois de juillet. Même si Enfantin - occupé au tracé, autour de Romans, du chemin de fer de Valence à Grenoble - le presse, le 15 juin, d'être à Paris, du 20 au 25, pour l'affaire de la Dombes qu'il appelle pourtant de tous ses voeux2420. Au cours de ce mois de juillet, à en croire les OSSE, Enfantin redoute que les arrivées annoncées du prince Napoléon et de Rouher à Londres soient encore de nature à différer la date du retour définitif2421.
Est-ce justement à l'occasion du banquet offert par les exposants français au prince Napoléon, ainsi qu'à lord Granville qui, avec un humour très britannique et un français très pur, remercie ces négociants de lui avoir offert une si cordiale hospitalité dans son propre pays2422, qu'Arlès-Dufour est amené à prononcer un speech ? Apparemment pas. Mais de quel repas d'apparat s'agit-il, tant furent nombreuses ces manifestations de sympathie organisées autour de tablées pléthoriques, maints toasts à l'appui, venant compléter un programme chargé, fait d'excursions, de visites de fabriques diverses ou d'établissements d'enseignement professionnel, jusqu'à des démonstrations de charrues à vapeur, à Farmingham (Kent) par exemple2423 ?
Tout ce que nous savons à ce sujet est qu'il s'agit d'une réception offerte par le Lord-Maire de Londres. Arlès-Dufour le dit lui-même dès les premiers mots de son allocution, à la fois pompeuse et pastorale, certainement prononcée dans la langue de Shakespeare pratiquée couramment : ‘ "Messieurs - Mes frères en liberté ! Ce banquet, dans lequel le premier magistrat de la plus puissante métropole du monde réunit les apôtres heureux du libre-échange victorieux, est une véritable communion qui sanctionne et couronne la plus importante, la plus utile, la plus pacifique victoire qu'ait remporté l'esprit de progrès et de véritable fraternité depuis que la famille humaine a conscience d'elle-même et de sa destinée. ’
‘ "Si, comme ma foi me le dit, notre vie est éternelle [l'empreinte d'Enfantin n'est pas à souligner], les grands hommes qui nous ont devancés et éclairés dans la carrière que nous parcourons depuis près d'un demi-siècle, les Quesnay, les Turgot, les Ricardo, Mill, Say, Bastiat, vivent en nous et jouissent en ce moment du triomphe qu'ils ont si laborieusement préparé. Honneur, salut et gloire à Eux. ’
‘ "Cette glorification serait stérile, cette magnifique réunion serait sans résultats utiles, nos toasts seraient vains, si nous pensions que tout est fini et qu'il ne nous reste plus qu'à chanter les louanges du Seigneur et les nôtres. Nous nous tromperions si nous pensions que la liberté des échanges est le but de l'humanité. Elle n'est qu'un moyen, le plus puissant de tous, sans doute, ’ ‘ d'atteindre un but encore plus grand et plus religieux : la Paix universelle et permanente entre tous les hommes de Dieu, quelle que soit leur origine, leur couleur, leur croyance, afin que la volonté de Dieu soit faite et que son règne arrive. Voilà, frères, la véritable terre promise que nous ne verrons sans doute pas dans notre vie terrestre, mais vers laquelle nous devons marcher jusqu'à extinction de nos forces, afin d'en préparer, d'en adoucir, d'en éclairer la route à nos enfants ou arrières petits-enfants. ’
‘ "Un jour viendra où, réunis comme nous le sommes aujourd'hui par un autre illustre Lord-Maire, ils boiront religieusement à notre souvenir, comme nous buvons au souvenir des premiers apôtres de la liberté des échanges. Mais pour en arriver à ce jour béni, que de luttes, que de travaux ! [...] Depuis le triomphe proclamé par Peel et scellé par l'Empereur Napoléon, nos religieux ligueurs ont eu du repos et ont pu reprendre des forces nouvelles pour entreprendre la nouvelle campagne à laquelle je les convie au nom de Dieu et de l'humanité ’ 2424 ‘ ." ’
Les présidents de classe du jury international s'emploient, chacun, à mettre un terme à leurs rapports relatifs à cette imposante manifestation qui rassemble, pour la seule classe des soies, 19 pays, représentés par 638 exposants, dont 180 français qui obtiendront plus de 150 récompenses2425. Dans le sien, Charles Robert, chargé trois ans plus tôt du service du cabinet de Napoléon III à l'armée d'Italie2426, poursuit remarquablement ses études sur l'enseignement, son domaine de prédilection. De son côté, Jean Dollfus souligne les bienfaits de l'industrie manufacturière comme facteur de hausse sensible du salaire ouvrier. Eugène Flachat, quant à lui, traite, bien sûr, des locomotives, plaidant pour la fabrication d'aciers supérieurs venant se substituer à l'emploi du fer. Hervé Mangon s'attarde sur l'évolution des instruments et machines agricoles. Barral observe l'énorme développement des boissons gazeuses, et Callon l'essor des machines à coudre. Quel qu'il soit, aucun rapporteur ne sollicite une révision des taxes, et tous, au contraire, se déclarent ralliés aux nouvelles dispositions douanières pour s'en féliciter2427.
Le rapport de la classe des soies, soieries et rubans, étayé de nombreux chiffres comme à l'habitude, serait, bien évidemment, le dernier à ne pas abonder dans le même sens : ‘ "Il est un [...] fait qui a dû étonner et ramener à de plus justes idées les hommes qui niaient l'influence heureuse de la liberté sur les progrès de l'industrie, c'est que, dans la vingtième classe du moins, les pays les plus avancés sont évidemment ceux qui ont été le moins protégés par des prohibitions ou des droits élevés ’ 2428 ‘ . ’" L'Angleterre - ‘ "ce prodigieux pays dont l'activité, l'énergie et la persévérance sont vraiment incomparables ’ 2429 ‘ " ’ - classée lors du précédent rapport de l'Exposition de 1855 au quatrième rang2430, assure Arlès-Dufour, et alors protégée à l'égard des soieries par douze à quinze pour cent de droits, prend en moins de deux ans, par l'entière suppression de cette protection, la seconde place2431. La Suisse, ‘ "avec la liberté illimitée des transactions", ’ la suit de peu.
C'est donc vers ces deux pays, le premier surtout, que, comme le recommande le rapporteur, les industriels de France, ‘ "doivent porter leur sérieuse attention, soit comme marché de consommation, soit comme centre de production concurrente ’ 2432 ‘ ." ’ Néanmoins, la France conserve sa primauté dans le domaine. Elle occupe la première place tant pour l'éducation des vers et la filature que pour le moulinage. Pour les rubans, les caprices de la mode délaissant les rubans façonnés ajoutés à l'absence de relations normales avec l'Amérique, la faible représentation des fabricants stéphanois est regrettée : ‘ "Mais il est à espérer que ceux-ci, qui sont des hommes d'élite, comprendront qu'il est de leur intérêt et de leur devoir de pousser énergiquement à toutes les améliorations industrielles et commerciales. C'est le seul moyen d'aider l'industrie de leur ville à reprendre bientôt et pour toujours sa belle et large place. Déjà plus d'un symptôme se produit qui fait bien augurer de l'avenir. Pour les hommes, pour les peuples, pour les industries, les misères, les crises abattent les faibles, mais elles retrempent, fortifient et relèvent les forts." ’
En ce qui concerne les soieries, malgré l'emplacement, très insuffisant et très mal éclairé, accordé à l'industrie lyonnaise, celle-ci l'emporte toujours, mais non sans partage comme vu plus haut2433. Ses efforts se poursuivent, singulièrement dans le cadre des dernières innovations survenues dans le domaine de la teinture et l'impression des étoffes et des foulards de soie. ‘ "Heureusement que rien ne manque à Lyon, se réjouit Arlès-Dufour, pour concourir avec avantage. Sa population est laborieuse, intelligente, sobre et économe ; son école de la Martinière et son Ecole centrale sont des pépinières de contremaîtres et de chefs d'industrie habiles. Son Ecole des Beaux-Arts de Saint-Pierre et ses cours de dessin de la Société pour l'instruction primaire font de bons dessinateurs. Enfin, le Magasin général des soies, par ses warrants, offre des facilités de crédit précieuses qui finiront par triompher des préjugés qui en entravent encore l'usage ’ 2434 ‘ ." ’
L'énumération frôle le satisfecit... Sur cinq établissements cités, deux sont de son fait personnel, l'Ecole centrale et le Magasin général des soies. Du troisième, la Société pour l'instruction primaire, il s'en occupe activement depuis de fort nombreuses années à un poste de premier plan. Quant à La Martinière, après s'en être fait l'ardent avocat trente ans plus tôt dans L'Echo de la Fabrique et n'avoir cessé de lui manifester un attachement certain, il en devient l'un des sept membres de la Commission administrative au cours de cette année 18622435, aux côtés de MM. Michel, Monmartin, Reverchon, Mathevon, Guimet et de Ruolz ; avec ces administrateurs - et leurs successeurs -, désormais, il va désormais préparer le budget, ordonner les dépenses et surtout arrêter les plans d'études et les programmes de l'institution.
Son rapport serait évidemment incomplet si, en conclusion, il ne rendait pas hommage à l'Empereur, et en particulier à ‘ "la courageuse initiative qu'il a prise en changeant la politique commerciale de la France.[...] Malgré les clameurs, les menaces même, de l'ignorance et des intérêts privés, il a marché résolument, et les faits viennent chaque jour justifier et glorifier une politique vraiment grande et sage." ’ ‘ Un hommage auquel il ne manque pas d'associer son fidèle ’ ‘ ami ’ 2436 ‘ , le ministre Rouher ’ ‘ , "qui a secondé, avec autant d'intelligence que de persévérance et d'énergie, cette politique nouvelle à laquelle son nom restera lié ’ 2437 ‘ ." ’
La nouvelle politique commerciale enfin établie, ses bienfaits maintenant reconnus, ce rapport revient sur des sujets déjà traités antérieurement. En trois occasions, le prix anormalement élevé de la matière première employée est, une fois encore, souligné. Il en est de même de ‘ cette "révolution dans le travail humain" ’que constitue le mouvement des métiers à tisser hors des villes et leur concentration dans des ateliers ou de grandes usines. Le rapporteur en attend ‘ "un profit considérable pour le plus grand nombre des travailleurs" ’. Pour lui, cet exode ne peut que leur être profitable, en ce que "cette grande révolution" oblige les gouvernements, et là seulement insiste-t-il bien, à légiférer en matière sociale pour améliorer leurs conditions de vie.
Un millier de ces travailleurs, nommés exclusivement par leurs pairs, en dehors de toute surveillance policière comme à Paris ou à Lyon notamment, avait traversé la Manche2438. Les délégations françaises envoyées à Londres avaient pu étudier les procédés de fabrication, les améliorations et les inventions de détail, et comparer la qualité des produits. De leurs homologues britanniques, ils avaient visité les ateliers. Auprès d'eux, ils s'étaient tout naturellement enquis de leurs conditions de travail et de salaire. Ces déplacements allaient signer, en 1864, l'avènement de l'Association Internationale des Travailleurs, passé, sur le moment, presque inaperçu...
Lettre d'Arlès-Dufour, 9 avril 1860, à Lambert, 29 rue de Tournon, Paris (ARS 7688/39). Lettre déjà citée in XXIV - "Rien sans peine"... où mention de la présence espérée de Perdonnet.
Cf. XIX - "Le cadeau de l'Angleterre au monde".
Pour de plus amples détails, cf. H.-R. d'Allemagne, Prosper Enfantin et... , op. cit., pp. 179-185.
Lettre de remerciements de Vinçard, Saint Maur, 2 juin 1860, à Arlès-Dufour (Archives familiales). Le nom de ces deux frères protégés de Vinçard, sur la chaude recommandation de Lemonnier, n'est pas indiqué.
Lettre d'Enfantin à M. de Courcy, au sujet du Crédit Intellectuel, ? février/mars 1863, - Date exacte non précise, OSSE, Vol. 13, p. 202.
La succursale parisienne d'Arlès-Dufour, où les fonds sont et resteront placés, effectue, en effet, les opérations financières. C'est par elle qu'avait été versée la participation de mille francs évoquée plus haut (Lettre de Vinçard du 2 juin 1860 citée).
Outre ses fondateurs et bon nombre de saint-simoniens notoires, la Société des amis de la Famille, comptera notamment parmi ses membres honoraires : Amail, Bruneau, Maxime Du Camp, George Sand, Roubaud statuaire à Lyon, Félicien David, Guéroult, Martin-Paschoud, Pasquier directeur du Grand Hôtel, etc. (H.-R. d'Allemagne, Prosper Enfantin et... , op. cit., p. 185).
Lettre d'Enfantin, s.d., [septembre 1860 ?], à Arlès-Dufour (OSSE, Vol. 13, p. 63).
Ibid., p. 62.
Ibid., p. 63. Cette dernière citation est reproduite par H.-R. d'Allemagne, op. cit., p. 185, sa référence "Tome XII" étant erronée (lire "Tome XIII").
Lettre d'Arlès-Dufour, sans date ni lieu, à "Monseigneur", retrouvée classée à la Bibliothèque de l'Arsenal (ARS 7688/18) parmi des courriers au duc d'Orléans. Ce mauvais classement incline d'ailleurs H.-R. d'Allemagne, Prosper Enfantin et... , p. 185, à désigner comme destinataire le duc d'Orléans au lieu du prince Napoléon.
Selon "Rapport du trésorier" de la Société [de secours mutuels "Les amis de la Famille"], lors des assemblées générales de février 1869, pour l'année précédente, et "de 1872" pour les années 1870 et 1871 (Archives familiales).
Rapport du Trésorier sur l'état financier de la Société [de secours mutuels "Les amis de la Famille"] en 1868, lu à l'Assemblée générale du mois de février 1869 (Archives familiales).
Rapport du Trésorier sur l'état financier de la Société [de secours mutuels "Les amis de la Famille"] pour les années 1870 et 1871, lu à l'Assemblée générale de 1872 (Archives familiales).
H.-R. d'Allemagne, Les Saint-Simoniens... , op. cit., p. 58.
"Diderot", Encyclopaedia universalis, 1989.
Lettre d'Enfantin, 28 septembre 1860, à Arlès-Dufour (OSSE, Vol. 13, pp. 60-61).
Lettre d'Arlès-Dufour, 7 janvier 1861, à Enfantin (ARS 7687), citée par H.-R. d'Allemagne, Prosper Enfantin et..., p. 165).
Lettre d'Enfantin, 15 décembre 1860, à Arlès-Dufour (OSSE, Vol. 13, p. 90).
Id., 2 août 1861 (OSSE, Vol. 13, p. 126).
Id., 21 février 1862 (OSSE, Vol. 13, p. 143).
Id., "fin janvier" [1862] (OSSE, Vol. 13, p. 142).
Nous ignorons la nature du concours du docteur Warnier - cité par H.-R. d'Allemagne, Prosper Enfantin et..., op. cit., p. 164. Résidant en Algérie, le concours de Warnier ne put être que tout à fait occasionnel. Ce fut sans doute en mai 1862, lors de son passage à Paris, en compagnie d'une délégation des chefs Targui et d'Henri Duveyrier qui avait établi des contacts fructueux avec eux. Warnier s'était dépensé sans compter pour sauver la vie d'Henri Duveyrier, de retour, à Alger, très affaibli de son exploration de plus de deux ans au Sahara.
H.-R. d'Allemagne, Prosper Enfantin et..., p. 164.
Paul Janet, "Les origines de la philosophie d'Auguste Comte et de Saint-Simon", Revue des Deux Mondes, juillet-août 1887.
Lettre d'Enfantin, 11 novembre 1862, à Arlès-Dufour (OSSE, Vol. 13, pp. 159-160).
Lettre d'Enfantin, 4 mars 1863, à Arlès-Dufour (OSSE, Vol. 13, p. 194).
Lettre d'Arlès-Dufour à sa femme, seulement datée "Palais Royal le 24", sur papier à en-tête "Maison de S.A.I. Mgr le Prince Napoléon - Service des aides de Camp - Palais Royal le 24...186?" (Archives familiales). Pour les OSSE, Vol. 13, p. 195 et H.-R. d'Allemagne, Prosper Enfantin et... , op. cit., p. 167, cette réunion s'est tenue le 4 février 1863. S'agit-il bien de la même ? En p. 198 des OSSE, lire évidemment 4 février 1863 (conformément à la p. 185) et non 1864, comme imprimé par erreur.
Cf. XXIV - "Rien sans peine"...
OSSE, Vol. 13, p. 195 et H.-R. d'Allemagne, Prosper Enfantin et..., op. cit., p. 167. Il semble que ce soit davantage au siège de la Sté des chemins de fer du P.L.M., comme l'indique H.-R. d'Allemagne, Prosper Enfantin et..., op. cit., p. 167.
Cette commission est composée de Bartholony, Auguste Cochin, Natalis Rondot et Léon Say, auxquels est adjoint Alfred de Courcy (OSSE, Vol. 13, p. 197).
OSSE, Vol. 13, pp. 207-213. Ces soutiens sont également rapportés par H.-R. d'Allemagne, Prosper Enfantin et... , op. cit., p. 170.
Le Moniteur, 19 avril 1863 (OSSE, Vol. 13, pp. 212/213) ; Paul Dalloz étant l'un des deux directeurs de ce journal et le fils du célèbre jurisconsulte, G. Vapereau, op. cit.
Sainte-Beuve, op. cit., p. 178.
Lettre d'Enfantin, 4 mars 1863, à Arlès-Dufour, citée.
OSSE, Vol. 13, p. 215.
Lettre de Michel Chevalier, 22 mars 1863, à Arlès-Dufour, citée par H.-R. d'Allemagne, Prosper Enfantin et...., op. cit., p. 169.
Articles parus dans le Journal des Débats et reproduits dans L'Opinion nationale, août 1869, selon article découpé (par Arlès-Dufour ?), sans autre, de L'Opinion nationale (Archives familiales). Le premier des articles de Michel Chevalier semble daté du 6 août et la polémique se poursuit encore par une réponse de Laurent (de l'Ardèche) du 26 même mois, à la réplique de l'instigateur publiée dans le Journal des Débats du 23 août. Arlès-Dufour intervient personnellement à son tour par une lettre du 31 août parue dans L'Opinion nationale (date inconnue), d'après la réaction de Michel Chevalier par lettre du 4 septembre 1869 entraînant réponse du destinataire du 6 septembre, citée ci-dessous.
Lettre d'Arlès-Dufour, 6 septembre 1869, à Michel Chevalier (Archives familiales).
Lettre d'Arlès-Dufour, 25 mars 1863, à Michel Chevalier, citée par H.-R. d'Allemagne, Prosper Enfantin et..., op. cit., p. 170.
Lettre d'Enfantin, 20 mars 1863, à Arlès-Dufour (OSSE, Vol. 13, p. 215).
Id., 4 août 1862 (OSSE, Vol. 13, p. 155).
Souligné par nous.
Lettre d'Enfantin, 7 mai 1863, à Arlès-Dufour (OSSE, Vol. 13, p. 217).
Id., 20 novembre 1862 (OSSE, Vol. 13, p. 161).
Id.[janvier/février] 1863 (OSSE, Vol. 13, p. 163).
Id. 18 septembre 1862 (OSSE, Vol. 13, p. 157).
Dossier "Hoirie" (Archives familiales).
Ce qualificatif est celui employé par Enfantin dans "Voici l'automne" : "... Relisez ma justice, dans ma morale, et arrêtez-vous au parricide, à l'assassin du Père. Qui de vous ne m'a pas assassiné ? Je vous en bénis." (OSSE, Vol. 13, pp. 258-260). Le texte reproduit par H.-R. d'Allemagne, Prosper Enfantin et... , p. 200, qui cite cette référence "Notices historiques, XIII, p. 258", n'est qu'un extrait de celui intégralement reproduit en ces pages 258-260, conformément à l'original (Archives familiales).
Discours de Victor Bizot prononcé au banquet de la maison Morel et Cie donné à Lyon le 20 novembre 1920 à l'occasion de son départ (Archives familiales).
Testament d'Arlès-Dufour, 20 septembre 1863 (Archives familiales).
Lettre d'Arlès-Dufour, 3 janvier 1860, à Enfantin (ARS 7687), citée par Pierre Cayez, L'industrialisation lyonnaise au XIXe siècle, op. cit., t. II, p. 666.
Lettre d'Enfantin, 15 décembre 1860, à Arlès-Dufour (OSSE, Vol. 13, p. 91).
OSSE, Vol. 13, p. 115.
Ibid.
Actuelle rue du Président Herriot.
Le Progrès, 28 octobre 1861.
Les éléments qui précèdent proviennent de l'acte de vente signé chez Mes Messimy & Lombard-Morel, notaires à Lyon, les 7 et 13 avril 1877, à la Compagnie Lyonnaise d'Assurances Maritimes (Statuts des 2 et 12 juillet 1869 déposés chez Maître Messimy, notaire) qui y est déjà installée. Le gendre d'Arlès-Dufour, MauriceEX \f nom «Chabrières (Adélaïde)», administrateur-fondateur de cette Compagnie, s'abstient de prendre part au vote de la décision d'achat. (Extrait du registre des délibérations du Conseil d'administration, séance du 8 mars 1877, joint à l'acte ci-dessus).
L'immeuble sera estimé 220.000 F par Arlès-Dufour, dans son "Livre particulier", au 30 septembre 1862 (dernier arrêt connu de ses comptes), puis vendu en 1877 au prix de 475.000 F.
L'état de dévolution de la succession Arlès-Dufour au 17 mai 1872 fait apparaître 10 actions de la Compagnie Lyonnaise d'Assurances Maritimes évaluées 12.500F.
Bulletin des Lois n° 982 - 2° semestre 1861.
Lettre du "Conseil d'Etat - Section du Contentieux du 17/12/1852", (lire évidemment 1862), (Archives familiales).
Catherine Pellissier, op. cit., p. 103.
Ce Cercle à "l'origine fort ancienne", avait été dissous en 1817 et reconstitué en 1818, Annuaire du département du Rhône 1849, Lyon, Mongin-Rusand, 1849.
Selon "Livre particulier", adhésion au Cercle du Commerce comprise entre le 30 septembre 1861 et le 30 septembre 1862 d'un coût global de 2.000 F, sur lequel un versement de 1.000 F est seulement relevé.
Cf. XXIII - Gestion et spéculation et XXV - De longs efforts couronnés de succès, selon lettre d'Arlès-Dufour à sa femme du 17 juillet 1861, citée.
CCL, Registre des délibérations, 7 et 21 juin 1849.
Conseil municipal de Lyon, Procès-verbaux 1851-1854, séance du 16 mai 1851.
Rapport d'ensemble de la délégation française à l'Exposition de Vienne de 1873, p. 11, cité par Henri Fougère, op. cit., p. 34.
Pierre Pellissier, op. cit., p. 279. Selon cet ouvrage, le produit de la souscription ne s'élève qu'à 1.284 F et le rôle joué par Caille, jeune négociant parisien, est sensiblement différent de celui présenté par Henri Fougère, op. cit.
Henri Fougère, op. cit., p. 34.
Expression de l'époque, sous-entendant "de la production".
Exposition Universelle de 1855 - Industrie des soies et soieries - Rapports de M. Arlès-Dufour, de Lyon, président de la XXIe classe du jury, membre et secrétaire général de la Commission impériale, et de MM. Saint-Jean et Eugène Robert, membres de la XXIe classe, rapports cités.
Exposition universelle - Commission impériale - Décrets, règlement et instructions, sans date ni lieu d'édition [1854-1855 ?], 16 p. (ADR, 8 MP 163, Exposition 1855). La date de diffusion de ces instructions n'est pas mentionnée dans cet exemplaire provisoire.
Pour mémoire, cf. XXII - les Expositions. Dans son rapport précité de 1855, Arlès-Dufour regrette que les "dispositions éclairées et libérales du Gouvernement" n'aient pas davantage profité à sa XXIe classe, "par suite de l'organisation de son industrie" ; 75 collaborateurs furent seulement récompensés : 55 français, 11 autrichiens, 4 prussiens, 4 anglais et 1 belge.
Circulaire du ministère de l'Agriculture et du Commerce - Division du Commerce intérieur, des manufactures et des établissements sanitaires, adressée aux préfets, 28 février 1849 (Archives familiales).
CCL, Registre des délibérations, 19 juillet 1855.
Lettre-type de la Commission impériale de l'Exposition universelle - Secrétariat général , 18 août 1855, "A Monsieur le président du Comité de ...." (Archives familiales). On relève que, l'Exposition ouverte, le siège du Secrétariat général est désormais situé au "Palais de l'Industrie (Champs-Elysées)".
T. Lang, op. cit., pp. 240 et 254. En définitive, la Commission administrative de l'Ecole désigna un professeur et un chef d'atelier qui accompagnèrent une délégation de sept élèves ou anciens élèves.
Raymond Isay, "Panorama des expositions universelles - L'Exposition de 1855", Revue des Deux Mondes, novembre-décembre 1936, p. 356.
OSSE, Vol. 13, p. 125.
Lettre d'Enfantin, 24 septembre 1861, à Arlès-Dufour (OSSE, Vol. 13, p. 128).
Le Progrès, 29 septembre 1861.
Article reproduit dans Le Progrès du 1er octobre 1861, sans mention de la date de parution de cet article du Temps, vraisemblablement du 30 septembre 1861. Henri Fougère, op. cit., en note p. 48, le date du 1er octobre.
Le Progrès, 1er octobre 1861.
Cité par Henri Fougère, op. cit., en note pp. 48-49.
Correction apportée par Le Progrès à la fin de son article du 10 octobre 1861, suite à l'intervention d'Arlès-Dufour. Il fallait évidemment lire "Le Play", Troplong étant président du Sénat.
Lettre d'Arlès-Dufour du 5 octobre 1861 reproduite dans le journal Le Progrès de Lyon du 8 même mois. Numéro déjà cité au chapitre XXV - De longs efforts couronnés de succès.
Cf. XXV - De longs efforts couronnés de succès.
Article sans titre, Le Progrès, jeudi 10 octobre 1861.
A. Assollant, "Les ouvriers français à l'exposition de Londres", Le Courrier du dimanche, reproduit sans date de publication, dans Le Progrès, 14 octobre 1861.
Lettre signée "T..., ouvrier ciseleur. - Pour copie conforme : E. Pauchet.", Paris, 15 octobre 1861, adressée à L'Opinion nationale, reproduite par ce quotidien, date non indiquée, ensuite par Le Progrès, 18 octobre 1861. Ainsi que nous l'écrivons dans le texte, il s'agit de l'ouvrier Tolain.
Cité par Henri Fougère, op. cit., p. 51.
"Chronique", Le Progrès, 3 novembre 1861.
Lettre d'Enfantin, 29 novembre 1861, à Arlès-Dufour (OSSE, Vol. 13, pp. 133-134).
Billet d'Enfantin, 5 décembre 1861, à Arlès-Dufour (en instance de départ pour Paris) (OSSE, Vol. 13, pp. 134-135).
Le Progrès, 30 septembre 1861.
Cf. XXV - De longs efforts couronnés de succès.
Lettre d'Arlès-Dufour à sa femme Pauline du 8 décembre 1861 (Archives familiales). Il énumère : "Mme Morin, Henri, sa femme et leur petite fille, Alexandre, Louise Loctune (?) qui loge avec son mari chez Délide [sa fille Adélaïde), les Alphonse [Arlès-Dufour] et Bastien [son petit-fils], Gustave [Arlès-Dufour] et tous les Fitler et nous."
Ibid.
Lettre d'Arlès-Dufour, Paris, 27 décembre 1861, à sa femme (Archives familiales).
Lettre d'Arlès-Dufour, 29 décembre 1861, sur papier "Commission impériale - Exposition universelle de 1862 (A Londres - Section française) Paris, Palais de l'Industrie", à sa femme Pauline (Archives familiales).
Raoul de Cazenove, Rapin-Thoyras... , op. cit., p. cxliv.
Lettre d'Arlès-Dufour, 29 décembre 1861, à sa femme Pauline, citée.
En majuscules dans les OSSE, Vol. 13, en italiques dans les OSSE Vol. 36.
Lettre d'Enfantin, 21 février 1862, à Arlès-Dufour (OSSE, Vol. 13, pp. 143-144). Pour mémoire, texte quelque peu différent dans les OSSE, Vol. 36, p. 14, qui lève l'anonymat du Vol. 13.
Henri Fougère, op. cit., p. 49 et 55.
Le Progrès, 8 juin 1862, cité par Sreten Maritch, op. cit., note p. 51. Montant rappelé par lettre du 28 mai 1867 de la Chambre de commerce de Lyon au préfet du Rhône en vue de l'envoi des délégations ouvrières lyonnaises à l'Exposition universelle de Paris de 1867.
Lettre d'Arlès-Dufour, Lyon, 3 mars 1862, à Lambert, (ARS 7688/40).
Lettre d'Arlès-Dufour, Londres, 6 mai 1862, à sa femme (Archives familiales).
Déjà cité in II - L'errance allemande.
Cf. XXIII - Gestion et spéculation.
Lettre d'Arlès-Dufour, Lyon, 4 février 1862, à sa femme (Archives familiales).
Par cette Parabole, Saint-Simon voulait prouver que "l'organisation actuelle de la société était la vraie constitution du monde renversé" (L'Organisateur, p. 28, cité par H.- R. d'Allemagne, Les Saint-simoniens, op. cit., p. 21).
Lettre d'Enfantin, 11 avril 1862, à Arlès-Dufour, Breslau (OSSE, Vol. 13, p. 148).
Lettres diverses d'Armand, mars et avril 1862 (Archives familiales).
Lettre d'Arlès-Dufour, 5 mai [1862], Londres, sur papier à en tête de la succursale locale "Arlès-Dufour & C°", 41 Threadneedle, à sa femme (Archives familiales).
Lettre d'Arlès-Dufour, "Londres, dimanche" [Fin mai-début juin 1862], à sa femme (Archives familiales).
Arlès-Dufour, Exposition universelle de 1862 - Considérations générales sur les soies, ..., op. cit., p. 14. A noter que cet ouvrage, comme Un mot sur les fabriques... et son rapport de l'Exposition universelle de 1851, figure parmi les neuf millions de volumes de The New York Public Library.
Arlès-Dufour, Exposition universelle de 1862 - Considérations... , op. cit., p. 12.
Lettre d'Enfantin, "Juillet, mercredi", à Arlès-Dufour (OSSE, Vol. 13, p. 153).
Cf. XXV - De longs efforts couronnés de succès.
Lettre d'Arlès-Dufour, "Commission Impériale - Exposition universelle de 1862 ( A Londres - Section française) - Cabinet du Conseiller d'Etat Commissaire Général de l'Empire français - à Paris. Palais de l'Industrie", Londres, 13 [mai 1862], à sa femme (Archives familiales).
Lettre d'Arlès-Dufour, Londres, 15 mai 1862, à sa femme (Archives familiales).
Lettre d'Arlès-Dufour, "Londres, dimanche" [Fin mai - début juin 1862], à sa femme, citée in VI - La découverte de l'Angleterre.
Raymond Cazelles, op. cit., p. 207.
Lettre de Pauline Arlès-Dufour, "Montroses", Oullins, 19 mai 1862, à son mari (Archives familiales).
A l'issue de cette séance extraordinaire du 24 mai 1862, la Chambre de commerce de Lyon prend la résolution de mettre à la disposition des chefs Touareg, par l'intermédiaire du Gouverneur général de l'Algérie, "une certaine quantité de marchandises, notamment en soieries, destinées à être placées dans l'Afrique centrale", à concurrence de 8.000 F, sur les fonds de la Condition des soies, CCL, Registre des délibérations, 24 mai 1862.
A Gustave, Alphonse et Armand, Arlès-Dufour adjoint son gendre MauriceEX \f nom «Chabrières (Adélaïde)».
Lettre d'Arlès-Dufour, sur papier à en-tête "International Exhibition 1862, Exhibition Building, South Kensington, W.", 6 mai 1862, à sa femme (Archives familiales).
A cette époque, la famille comprend pourtant quatre ménages : Arlès-Dufour,EX \f nom «Chabrières (Adélaïde)», Gustave, Alphonse. Le fils cadet Armand n'a encore que vingt ans.
Lettre d'Arlès-Dufour, Londres, 20 mai 1862, à "[sa] brave amie" à Oullins, (Archives familiales).
Ce succès est salué par un humoriste, Chasy, dans sa "Revue trimestrielle" parue dans L'Illustration du 12 juillet 1862 : "Faut-il qu'il soit ingrat ce M. Félicien David ! Devoir sa fortune au Désert [Sa précédente oeuvre symphonique inspirée de mélopées orientales ramenées d'Egypte] et occasionner maintenant la foule." Dans une lettre précédente, celle du 20 mai 1862 à Pauline, citée, Arlès-Dufour faisait déjà référence à ce que Enfantin lui avait écrit : "D'après une lettre du Père, l'opéra-comique de David serait ravissant, mais d'une musique encore trop fine, trop tendre, trop douce pour le grand public." Il semble qu'il s'agisse de Lallah-Roukh représenté pour la première fois à l'Opéra-Comique de Paris à la même époque.
Lettre d'Enfantin, 26 mai 1862, à Arlès-Dufour, Londres (OSSE, Vol. 13, pp. 149-150).
Lettre d'Arlès-Dufour, Londres, sur papier à en-tête de la Commission impériale, 24 mai 1862, à Pauline (Archives familiales).
Lettre d'Arlès-Dufour, "Londres, dimanche" [2 ou 3 juin 1862], à sa femme, (Archives familiales).
Lettre d'Enfantin, 15 juin 1862, à Arlès-Dufour (OSSE, Vol. 13, p. 151). Ceci, à moins qu'Arlès-Dufour ait fait un rapide aller-retour Londres-Paris. Au sujet de l'affaire de la Dombes, cf. chapitre suivant.
Lettres d'Enfantin à Arlès-Dufour, "juillet, mercredi" (OSSE, Vol. 13, p. 153), et "juillet, dimanche" (OSSE, Vol. 13, p. 154).
"A travers l'exposition de Londres", L'Illustration, 5 juillet 1862, n° 1010.
"L'exposition d'agriculture à Londres dans le parc de Battersea", L'Illustration, 12 juillet 1862, n° 1011.
"1862 - Projet, brouillon de speech pour le banquet du Lord-Maire", ainsi complétera Arlès-Dufour certainement plus tard l'un des deux textes en notre possession (Archives familiales).
Pour l'ensemble de l'Exposition, le nombre d'exposants fut de 27.500 dont 8.150 pour l'Angleterre et 5.520 pour la France et ses colonies, Henry Fougère, op. cit., p. 45.
Cf. XXV - De longs efforts couronnés de succès.
C. Lavollée, "Les Expositions universelles - Leur influence sur l'industrie contemporaine", Revue des Deux Mondes, novembre-décembre 1864.
Arlès-Dufour, Exposition universelle de 1862 - Considérations générales... , op. cit., p. 8.
Ibid., p. 10.
Ibid., p. 9. Il semble qu'ici Arlès-Dufour ait mal relu son rapport de 1855 et qu'il ait écrit le présent dans la précipitation : parmi les nations exposantes, l'Angleterre y était effectivement classée 4°, mais "d'après le mérite de leur exposition respective". Par ordre d'importance de production, ce "colosse" figurait bien en seconde position, après la France.
Ibid., p. 10. Chiffres fournis sur l'Angleterre : 100.000 métiers en 1855, 150.000 en 1862. Importation pour sa consommation : En 1855, 1.816.000 kg. de soie évalués à 126.260.000 F. En 1861, 2.113.824 kg évalués à 174.725.000 F. Importation de soieries étrangères : En 1855, 55 millions de F. En 1861 : plus de 125 millions.
Ibid., p. 10.
Ibid., p. 9. Chiffres fournis sur la France: Production générale des rubans et soieries : En 1855, 530 millions F dont 180 pour la consommation intérieure et 350 pour l'exportation. En 1862, 660 millions estimés dont 220 pour la consommation intérieure et 440 pour l'exportation.
Ibid., op. cit., p. 17.
T. Lang, op. cit., p. 71, "Noms des administrateurs", : "Première année de mandat 1862, dernière année de mandat 1872". Son fils Gustave lui succédera de 1873 à 1884.
La Martinière, devenue en 1926 l'Ecole Nationale Professionnelle de Lyon, est actuellement Lycée Technique d'Etat.
Pour mémoire, cf. XXIV - "Rien sans peine"...
Arlès-Dufour, Exposition universelle de 1862 - Considérations générales ... , op. cit., p. 20.
Selon Henri Fougère, op. cit., p. 57. Pour d'autre auteurs, tel Edouard Dolléans, op. cit., p. 267, les délégués français à se rendre en Angleterre auraient été au nombre de deux cents. Ce nombre est celui des représentants des seuls ouvriers parisiens pour Edgar Saveney, "Les délégations ouvrières à l'exposition universelle de 1867", Revue des Deux Mondes, 1er octobre 1868.