Le quotidien

L’histoire du quotidien fait l’objet de bien des débats et nous ne prétendons pas bien sûr résoudre le problème. Mais, il se trouve que la correspondance de Jackson donne l’occasion d’une observation sur une assez longue période (environ 50 ans) d’une vie articulée entre les événements publics de l’histoire et le déroulement plus confidentiel, privé, d’existences individuelles et collectives. Comme l’écrit l’historien Alf Ludtke, le quotidien n’est pas séparé du jeu social dans son ensemble :

‘Les sujets historiques ne sont donc pas à l’écart du field-of-force social (E. P. Thompson). Cela signifie tout d’abord qu’ils ne sont pas considérés comme des personnalités “autonomes”. Il ne s’agit pas de la “force du moi” considérée comme l’antipode des conditions sociales de l’expression. Les individus et les groupes façonnent le profil de leurs modes de perception et d’action non point au-delà des relations sociales, mais en elles et par elles (1994 : 6-7).

En outre, Jackson offre un champ d’observation fructueux au sens où il appartient à la classe dirigeante, dictant ainsi des règles sociales et des représentations symboliques par lesquelles existe la société sudiste. Sans oublier qu’il ne représente dans son mode de vie particulier qu’une infime catégorie de personnes (surtout au Tennessee), il est néanmoins le miroir et l’acteur d’une idéologie et de pratiques qui dominaient son époque et contribuèrent à forger la région dans laquelle elles se développèrent. Lüdtke incite à sonder “en permanence un champ social à plusieurs niveaux” (1994 : 26), or, et il le reconnaît lui-même, ces champs sociaux, ces différents types de relations doivent s’incarner dans la vie concrète pour être observables dans leur dynamique, ces existences étant elles-mêmes soumises à des contraintes internes :

‘Dès lors que les ambivalences ne se révèlent que dans le rattachement d’une quantité d’observations, isolées de sources et de reliquats disparates, il est indispensable d’exposer des cas particuliers et leur histoire. Ils ne donnent pas seulement un coloris, mais présentent l’histoire comme un processus, comme un entrelacs et une mosaïque d’(inter)-actions (1994 : 26).

Cette approche donne à voir les ruptures et les continuités à l’intérieur des schémas et permet de personnaliser des contextes qui risquent de n’exister que dans une généralité oublieuse de l’ancrage dans la matière de l’humain. Ce découpage des grands systèmes, cette attention au détail perd sans doute de la profondeur de champ, mais nous permet de préciser un matériau dont la distance demeurait par trop monolithique.