La loyauté

Le deuxième élément illustrant l’appartenance de Jackson à une famille politique et sociale, et la raison pour laquelle il s’y trouvait si apprécié, était sa loyauté. Hormis le fait qu’il était fidèle à ses amis et extrêmement dévoué à sa famille, Andrew Jackson vouait à ses mentors une dévotion que même sa probité mit du temps à nuancer. L’exemple par excellence est l’attitude qu’il adopta lorsque William Blount , alors sénateur du Tennessee, fut “expulsé” du Sénat par ses pairs pour haute trahison, ce qui empêchait toute mise en accusation. Blount avait cherché à s’allier aux Anglais afin de s’opposer à une invasion éventuelle de la Louisiane par les Français (qui n’était pas propice à ses intérêts spéculatifs) et aussi pour avoir libre accès au Mississippi et au port de la Nouvelle-Orléans garanti par l’Angleterre dans le traité de 1783 (Remini, I : 103-104). Cette “conspiration” participait du sentiment vaguement sécessionniste de ces années-là que générait la peur de voir la navigation fluviale vers la Nouvelle-Orléans interdite au commerce américain par l’Espagne.

Mais le plan fut découvert et Blount déchu par le Congrès en 1798. Il rentra chez lui et se fit élire au Sénat du Tennessee. Jackson ne désavoua pas un instant celui qui l’avait protégé, parce que selon lui, il avait défendu les intérêts de la région avant tout. Jackson fut élu sénateur au Congrès grâce au soutien de Blount et correspondait régulièrement avec Willie Blount à propos du procès de son demi-frère. Dans une lettre du 21 février 1798, Jackson l’assure de son soutien à William : ‘“Make my respects to your brother. Tell him there is no rule taken in the impeachment since I wrote to him’   111 (Smith, I : 183). Jackson occupait le siège de Blount à Philadelphie et observait les étapes de sa destitution sans jugement moral d’aucune sorte.

De même lors de l’affaire Burr , lorsque l’ancien vice-président fut accusé de fomenter une attaque contre les Espagnols pour établir un empire au Mexique (on retrouve-là le rêve de bien des mégalomanes de l’Ouest), Jackson alla témoigner en faveur de son ami devant le Grand Jury (décidant de la mise en accusation) présidé par John Marshall à Richmond, en Virginie. Il affirma dans une lettre au secrétaire Dearborn : ‘“He was an old acquaintance and a gentleman that I highly respected and was by me treated as such”’ (Remini, I : 157). Jackson ne fut pas appelé à la barre des témoins lors du procès, car la défense craignait que la virulence de ses propos ne portât préjudice à l’accusé. Il avait des comptes à régler avec d’autres personnes liées à l’administration de Jefferson et ses débordements oratoires auraient pu déplaire au juge.

Il déclara à William P. Anderson en 1807, dans son style caractéristique : ‘“I am more convinced than ever that treason was never intended by Burr; but if ever it was, you know my wish is, and always has been, that he be hung”’ 112. Cette affaire l’opposa indirectement à Jefferson et particulièrement à James Madison , ce qui le plaça sur la liste rouge de la Maison-Blanche jusqu’à la fin 1812 et faillit étouffer sa carrière militaire dans l’oeuf. Les raisons profondes de sa colère seront examinées dans le chapitre concernant ses querelles personnelles, car c’est son aversion pour un homme, James Wilkinson (allié secret de Burr), qualifié de “viper” et “Spanish hireling” (Remini, I : 157) qui le poussa à abattre ses foudres sur le gouvernement de Jefferson ( ‘“if Mr Jefferson hugs this man to his boosoom they will both fail”’ , Moser, II : 176).

Cette loyauté aux hommes se retrouve dans son attachement aux principes qui le conduisent, dans l’obstination qu’il mettait dans chacune de ses entreprises et dans l’opiniâtreté de ses querelles. La constance qui le caractérise n’est pas la moindre des raisons de son ascension et définit en lui à la fois les instruments et les buts de son identité publique et privée. Cette stabilité de caractère, outre le pouvoir qu’il détenait, lui attirait des demandes de toutes sortes, telles que des recommendations, des conseils, des services. La confiance était un bien précieux dans un monde où la parole donnée tendait à perdre son caractère sacré. Pour .i).Jackson, Andrew:Loyauté;, elle le conserva intacte jusqu’à sa mort.

Notes
111.

Remini soutient le fait que Jackson adhérait totalement au projet : “Committed mind and will to the entire conspiratorial design against the Spanish in Florida and Louisiana, and fiercely loyal to his friends as a matter of principle, he stoutly defended his political mentor at every opportunity and sought to explain and justify the conspiracy in terms of its advantages to westerners” (I : 105).

112.

Cité un peu différemment dans Remini (I : 157). Le texte cité provient de Moser (II : 167).