L’avènement d’un patriarche

En 1800, le jeune homme “estimable” était devenu un citoyen de tout premier plan et c’est lui qui recommandait les autres et à qui on demandait des faveurs. De nombreux “gentilshommes” désiraient s’établir dans la nouvelle région et Jackson était souvent sollicité pour conseiller les futurs immigrants. Il considérait, nous l’avons vu, que l’afflux de colons renforcerait la puissance des Blancs face aux Indiens et lui permettrait d’obtenir d’avantageux marchés fonciers. Tout cela est illustré dans une lettre de Morgan Brown à Jackson, le 2 septembre 1795 :

‘I now beg leave to Introduce to you My friends Doctr. Wicham. Mr. Rd. Godfrey & Mr. Davis from South Carolina. These Gentlemen are now Viewing the Country with interest to settle in it if they like it and if they do no doubt it will lead to the Migration of 200 families at least. any friendly office Rendered them will be Thankfully Acknowledged by Dr. Friend yours sincerely.
I wrote you a few days ago by four men from the lower part of North Carolina Who perhaps will trouble you at the same time to see Stones River. They also can bring their Number into your country Which I know is an object with you (Smith, I : 70, 72).

De son côté, Jackson appuie un jeune avocat, David Ker, qui désire établir une école de jeunes filles à Natchez. Jackson demande à son ami George Cochran, de recevoir le Nord-Carolinien, et voici comment Cochran accueille les amis de son ami, ainsi qu'il le raconte dans sa lettre du 28 mars 1801 :

‘The short time I have yet been enabled to spend with Mr. Kerr, who this day arrived here, has permitted me, only, to assure him of the pleasure I shall feel in paying him these attentions which every friend of your’s may claim from me. If I can render him service either in the line of his profession or otherwise it is due to him from your recommendation & Shall not be wanting (Smith, I : 240).

Jackson appréciait l’aide apportée par des amis et se proposait toujours de “récompenser” l’acte. Il considérait la bonne action comme le témoignage de l’estime de l’autre, une révélation 113 de la personne qu’il lui était impossible de ne pas apprécier comme un présent, un des termes de l’échange, et il estimait de son devoir de rendre la pareille à celui ou celle qui l’avait ainsi honoré.

Les termes de l’échange, qu’il soit commercial, amical ou politique, impliquaient les sentiments réciproques des parties. Pour Jackson, le fondement de toute relation humaine touchait au coeur de chacun et l’engageait totalement. Le 24 juin 1798, il affirmait à son mentor, le gouverneur Blount  : ‘“It is a Principle with me never to be departed from if I can avoid it not to stand between a friend and a benefit”’ (Smith, I: 198). L’amitié, souvent génératrice d’affaires, s’exprimait dans les deux sens. Le 26 juin 1801, Cato West 114 informait Jackson des besoins marchands de sa région :

‘We have experienced a most serious & alarming drought (...) so that those who may bring corn to Natchez next Spring will meet with a Good market, it is now worth one dollar & a quarter pr. bushl. & extremely scarce (Smith, I : 246).

Jackson acquit ainsi une influence énorme dans la région et s’entoura d’amis sur lesquels il pouvait compter et qui jouèrent des rôles majeurs dans chacune de ses grandes aventures. À chaque fois, les liens entre les hommes fondaient la collaboration et perpétuaient le caractère clanique de l’organisation 115. Heiskell attribue une énorme importance à l’amitié, ainsi qu’il l’écrit :

‘No history of Andrew Jackson would be complete (...) that did not contain some statement of the lives and careers of John Overton, John Coffee, and William Berkeley Lewis, who were Jackson’s lifelong friends and confidential advisers (...) The friendship (...) was so extraordinary, loyal and unbroken, that it can be safely said there are few parallels in American history (1919 : 429).

Notons le style “marqué” de ce début de siècle, hérité du précédent, où la litote n’était pas de mise. Toutefois, nous irons en partie dans le sens proposé et traiterons de quelques traits d’Overton et Coffee qui montrent l’organisation interne de cette micro-société sudiste du Tennessee.

Notes
113.

L’étymologie du mot “révélation” évoque l’action d’ôter le voile qui masquait ce qui ne pouvait être vu. Cette “découverte” de l’autre par l’offrande (souvent un service rendu) entraîne Jackson à l’intégrer dans le groupe, de sorte que ce présent sert de ciment à une future amitié. Dans ce cas, le réseau amical se tisse sous le double signe de la reconnaissance et de la réciprocité des faveurs.

114.

Cato West était le gendre de Thomas Green, un ami de Jackson qui résidait à Natchez, dans le Territoire du Mississippi (1801). West était un marchand et dirigeait la faction politique familiale West-Green (Smith, I : 247n1).

115.

Jackson ne s’entoura de collaborateurs extérieurs qu’à partir de la période présidentielle où il lui fallut composer avec le paysage politique national. Toutefois, ses plus proches conseillers étaient issus de son entourage proche, tels Andrew Jackson Donelson et William B. Lewis. Il entretint cependant avec Martin Van Buren (de New York) des relations personnelles similaires à celles qu’il avait établies avec ses proches du Tennessee.