L'affaire Allison

Un certain fatalisme envers les accidents du destin aida sûrement Jackson, Overton et les autres à surmonter les obstacles qui hérissèrent leurs vies mouvementées. L’association Jackson-Overton n’avait pas un an lorsqu’elle souffrit l’un des revers économiques les plus graves de leur existence. Cet épisode concerne la vente, en 1795, de milliers d’hectares de terres à David Allison, un spéculateur de Philadelphie, et la faillite de celui-ci quelques mois après la transaction. Jackson avait dans le même temps acheté des marchandises pour ses magasins du Tennessee, d’un montant de plusieurs milliers de dollars. Il avait donné comme paiement les notes à échéance fournies par Allison en échange des terres. Allison étant ruiné, il fut incapable d’honorer ses dettes et les fournisseurs s’adressèrent à Jackson pour payer la note.

Cela obligea Jackson à chercher de l’argent par tous les moyens et lui donna une sainte horreur du papier-monnaie. Overton , bien sûr, souffrit aussi de la débâcle, bien qu’il n’était pas concerné par l’achat des marchandises, puisqu’il ne s’adonna jamais au commerce de détail. A cette époque comme à la nôtre, le bonheur spéculatif était aléatoire, et comme dans toute situation d’échange, sujet aux conduites humaines imprévisibles.

Dans la grande transaction de 1795, où Jackson perdit à peu près tout ce qu’il avait amassé depuis son arrivée dans l’Ouest, transparaît la précarité des transactions et la complexité des relations commerciales auxquelles s’adonnaient les brasseurs d’affaires de l’Ouest. Toujours à la limite de la légalité, ils jouaient un jeu d’équilibriste, comptant sur leurs relations, le crédit et le dynamisme débordant des pratiques économiques pour parvenir à leurs fins. À titre d’exemple de la limite dans laquelle ils opéraient, certaines des terres que Jackson tenta de vendre à Philadelphie en 1795 appartenaient encore aux Indiens et n’avaient pas été officiellement cédées. Seul un traité à venir pouvait dégager les éventuels acheteurs d’une réclamation de la part des “propriétaires” de ces lots. Overton l’avait prévenu de ne pas jouer double jeu avec les acheteurs : ‘“When you sell Land, it is my wish that you be canded and unreserved with the purchasers, with respect to the Situation and quality of the Land”’ (Smith, I : 54). Les enjeux étaient trop importants pour ne pas rester très prudents.