La vente des titres à Philadelphie

Une telle pratique extra-légale fonde l’activité spéculative dans le Vieux Sud-Ouest 126. Le reste des terres à vendre appartenaient à des amis spéculateurs desquels Jackson était l’agent. Overton rappela en outre à Jackson qu’il se méfie des lois pénales nordistes concernant l’achat des esclaves ainsi que de la difficulté à écouler les marchandises qu’il serait éventuellement amené à accepter comme paiement de la transaction (Ibid.).

Ces précautions témoignent de la complexité qui pouvait entraver les relations commerciales entre les régions. Le problème central de Jackson à Philadelphie fut le manque de clarté sur l’identité du propriétaire d’une grande partie des titres mis en ventes. Les titres portaient encore le nom de John Rice, décédé, au lieu de son légataire, Elisha Rice : ‘“the Grants appearing in the name of the Deceadant, Q, would it not be better to bring that Convayance to have it rectified here. It was the Cause of Disput at Philadelphia, and objections & Expenc’ e (Smith, I : 62). Jackson dut faire un compromis : ‘“I was Compelled to Enter into an arti[c]le of agreement with Mr. Allison to perfect the Tittles, a Coopy of which I have”’ (Smith, I : 60). Cet arrangement n’est pas spécifié, mais il est probable qu’un acte notarié fut établi.

Avec ses terres indiennes non dégagées et des titres ne lui appartenant pas qui portaient un nom différent de celui du vendeur, Jackson a pu effrayer les acheteurs potentiels. Peut-être ne connaissait-il pas assez la ville pour y dénicher les personnes adéquates et n’était pas pourvu de lettres de recommandation. Les conjectures sont sans fin. En tous les cas, il se plaint d’avoir essayé, en vain, de vendre ses titres pendant 22 jours : “in fact I was placed in the Damds. Situation Ever man was placed in” (Smith, I : 60). On peut s’étonner de son échec quand on pense à la fièvre d’émigration qui embrasa le Sud-Ouest dans ces années-là et à l’avidité des colons pour les terres de la région.

Il ébauche le récit de ses pérégrinations à Philadelphie en des termes cauchemardesques dans sa lettre du 9 juin 1795. Au retour, sa mauvaise humeur se traduit sur la page quand il reproche à Overton de ne pas se préoccuper de connaître le résultat de son équipée :

‘I Set out at nine to Cumberland and am [astonis]hed, that you would not put yourself to the trouble to Ride to Knoxville to here the fate of my Long and Expen[siv]e Journey [...] (tho you seem Careless about the Business) you may have a prepensity to hear Something of the Business (Smith, I : 59).

Cette agressivité envers son ami, très rare chez Jackson, témoigne des difficultés qu’il rencontra dans la capitale. Métaphoriquement, le récit du voyage évoque la complexité des transactions, les arrangements à opérer, les contre-temps, les frustrations, les efforts fournis :

‘And before I Enter into the Business suffer me to observe that after all the fatigue and Expense of my long and Circuitous Rout through No. Carolina— all the land I could obtain was Rices and that only on Commission. I Then proceded to Frederick T[ow]n, and there was unsuccessful, Mr. Richey Rather wishing to buy th[a]n Sell, from thence to Philadelphia w[her]e from Grants letter I Expected [no t]rouble but sign the Convayence R[ecei]ve the money and Return but to my Sad Experience I found nothing Done no purchaser but Mr. Allison, to whom Major Grant had Conditionally Sold at one fifth of a Dollar, and to be Short only to observe that through Dificulties Such as I never experienced before at the End of Twenty Two days I Con[clud]ed the Sale of the land with David Allison at one fifth of [a do]llar Reducing the Credit proposed by Grant six months and our friend Grant was Generous anough (after all my fatigue and Troubl[e adde]d to that expense) to observe [that he would] (after some altercation had) [relinquish the commissions on the sale] of Joel Rice’s land, (as he Termed it) there was then objections to the titles submitted to the De[ci]ssion of a lawyer and [gi]ven against me I mean the 10000 acres [con]vayed by Elisha Rice alone and not n[am]ed as heir Executor or attorney [and] no Convayence appearing to Shew his title Derived from John Rice, the patent being in his name, in fact I was placed in the Damds.Situation Ever man was placed in (Smith, I : 59-60).

On voit combien la combinaison d’arrangements et les provenances diverses des terres créaient finalement des imbroglios commerciaux sans fin. Le paiement de ces ventes demeurait d’ailleurs problématique, dans les termes mêmes agréés par les différentes parties :

‘the Titles I have left [for] your inspection in the hands of Governor Blount; I drew as you will See by the Statement 1000 Dollars 881:66/100 Dollars paid Rices order on me in Philadelphia [an]d a Draft on [Colo. King for 2501:67/100 which he] has accepted and the other payments as you w[i]ll observe [in] the Statement; enclosed. The m[oney Co]o. King has not paid me I theref[ore] have Lodge the Bill in the Poss[ess]ion of Mr. McClung to be Delivered to you for you to Receive the monies, and bring on which he Says Shall be advanced as Soon as it Can be got from Colo. Hanly which he Expects in afew days Su[bject to] the appropriations mentioned [in a line] from me left with the Bill, of [money] to be paid Perkins, on account of Joel Rice five hundred and Dollars &c &c. Joel Rices being the Ballance due him you will also observe I have left your notes in the Possession of Mr. McClung and Colo. King has thought proper to Back Mr. Allisons note to you [ag]reeable to my Contract with Allison which was done with[out] hesitation (Smith, I : 60).

L’extraordinaire complexité du flux monétaire montre combien les hommes d’affaires étaient liés en une succession d’obligations, chacun devant compter sur l’autre pour honorer ses dettes. Que l’un des maillons de cette chaîne vienne à rompre, c’est l’ensemble de la mécanique qui s’enrayait.

Ce premier voyage d’affaire à Philadelphie et les conséquences, encore informes, de cette vente à l’arrachée allaient peser lourd sur les années à venir. Jackson jurait ses grands dieux qu’on ne l’y reprendrait plus : “I would not undertake the same [busi]ness again for all Hatchey lands”. Dans le post-scriptum, il confesse son épuisement après une telle épreuve : ‘“I am [ver]y much fatigued Even almost un[to dea]th. I hope to reach home”’ (Smith, I : 60). L’arrangement avec Allison allait montrer une complexité tout aussi redoutable dont Jackson était encore loin de se douter.On trouve, dès cette période, dans la prose de Jackson, le souffle toujours possible de l’épopée, dans la sinuosité des déplacements, les rencontres, les tractations, les négociations, les échanges, les épisodes difficiles avec des personnages inquiétants, voire maléfiques, et surtout le mythe de sa mort que l’intensité de l’effort provoque presque à chaque fois ; puis c’est le retour à Ithaque, dans le lieu clos et protecteur de la plantation 127. Après un temps de convalescence, il se jette à nouveau dans les “flots du hasard” (the billows of fortune ).

La vente de 1795, comprenant trente mille acres lui appartenant (avec les restrictions déjà mentionnées sur la validité de ces propriétés), cinquante mille acres en co-propriété avec Overton et dix-huit mille en commission pour Joel Rice, était énorme. Il vendit l’intégralité des titres à David Allison et fut payé en notes à pourvoir (promissory notes) dont les échéances s’étendaient sur une période de quatre ans (Smith, I : 56-57).

Notes
126.

James dit que la chose était monnaie courante : “Anticipating the acquisition of treaty-protected hunting-grounds was a regular part of business foresight” (1938 : 75).

127.

Poplar Grove, Hunter’s Hill puis l’Hermitage, le repos du chasseur et le lieu de retraite où vit sa famille dans la “tranquillité domestique” si chère à son coeur.