Les chevaux

Andrew Jackson était grand amateur de chevaux et prisait particulièrement les coursiers, qui lui rapportèrent d’ailleurs souvent plus que ses magasins de détail (Remini, I : 134). On a mentionné plus haut son expertise dans l’appréciation d’une jument, pour laquelle il reçut des gages, à l’âge de seize ans (supra, 79). Jeune, il avait également été apprenti chez un sellier pendant six mois (Remini, I : 27). Sa passion des chevaux rejoignait celle des pionniers de l’Ouest, mais aussi celle de sa classe sociale qu’inspiraient les traditions aristocratiques britanniques. L’une des premières régulations des officiels de Jamestown (Virginie) fut l’interdiction des courses de chevaux spontanées dans les rues de la ville pionnière, dangereuses pour les piétons (Kupfer, 1970 : 243). L’amour des chevaux, au-delà de la réalité affective, rejoignait également une attitude sociale gratifiante et unificatrice. Dans un article sur la passion du jeu chez les planteurs virginiens du xviiie siècle, T. H. Breen énonce les motivations sociales et culturelles de la pratique hippique :

‘When the great planter staked his money and tobacco on a favorite horse or spurred a sprinter to victory, he displayed some of the central elements of gentry culture—its competitiveness, individualism, and materialism (...) The quarter-horse races of Virginia were intense contests involving personal honor, elaborate rules, heavy betting, and wide community interests (1977 : 243).

Les grandes familles du pays s’adonnèrent toutes à cette passion : des purs-sangs arabes étaient importés de Grande-Bretagne afin de peupler les écuries américaines (Kupfer, 1970 : 244).

Le Jockey Club de Nashville ne fut fondé qu’en 1818 par Jackson et ses amis. Les deux champs de course importants de la région de Nashville dans les premières années du xixe siècle étaient celui établi à Gallatin, à quelque trente kilomètres au nord-est de Nashville, et Clover Bottom, le terrain aménagé par Jackson et quelques autres 156 sur la Stone River (Hervey, 1944 : 59). Le lieu où furent organisées les premières courses n’est pas attesté, mais dès 1804, Clover Bottom devint un haut lieu du turf (Peyton cité dans Guild, 1878 : 245). Anderson (1916 : 45) affirme que l’élevage commercial des purs-sangs au Tennessee commença en 1800 sur la propriété de William Donelson, sur la Gallatin Road, non loin de la plantation de son beau-frère, Andrew Jackson.

Néanmoins, Jackson n’avait pas attendu les courses du Tennessee. Dès 1801, John Hutchings supervisait pour leur société des chevaux de course courant à Natchez. En sus des courses, les deux hommes faisaient commerce de chevaux avec les marchands du Sud, notamment à Natchez et Bayou Pierre (Smith, I : 266).

Les chevaux rapportèrent beaucoup d’argent à Jackson. Lorsque sa jument Indian Queen perdit ses deux premières courses en 1804, la défaite le poussa à acquérir un coursier virginien de renom, Truxton; (Guild, 1878 : 244 ; Kupfer, 1970 : 247). L’une des plus mémorables courses fut celle qui opposa le 3 avril 1806, sur la piste de Clover Bottom, Truxton à Ploughboy, appartenant à Joseph Erwin. L’événement fut annoncé dans l’Impartial Review et la Tennessee Gazette un mois avant la course 157. Le seul Truxton rapporta par ses victoires plus de vingt mille dollars de prix (une somme considérable), sans compter l’argent des saillies que la gloire de l’étalon attirait sans cesse 158 (Remini, I : 159).

Au printemps 1805, son voyage de prospection en Virginie le mena chez John Verrell qui vendit Truxton pour $1500 (Remini, 1979 : 134). Jackson pensait que l’étalon, qui avait couru et perdu contre le sien, avait un potentiel non exploité. Son propriétaire, ruiné par sa défaite, devait se séparer de lui. Les termes de l’achat fixés par Jackson sont rapportés par James :

‘Hard up as he was, Jackson made Verell an offer of fifteen hundred dollars on these terms: Jackson to assume Verell’s debts to the extent of eleven hundred and seventy dollars and give three geldings worth three hundred and thirty dollars, with a bonus of two geldings should Truxton ‘win a purse in the fall ensuing (1938 : 105).

Avant la course d’avril 1806, Jackson avait déjà remporté avec Truxton, à l’automne 1805, la course de Hartsville, sur laquelle il avait misé cinq mille dollars. La façon dont il était parvenu à donner autant d’argent pour un cheval puis à réunir cinq mille dollars pour les jouer dans une course malgré ses dettes demeure confuse : troc, crédit, réserves personnelles, rentabilité de sa ferme, aide de ses amis ou de la famille.

Une course hippique était un grand événement auquel accourait toute la région, où l’on misait des chevaux, des lots de 640 acres de terre, où certains pariaient tout l’argent qu’ils possédaient plus le cheval sur lequel ils étaient montés (Anderson, 1916 : 242) :

‘[Jackson] said [that] besides the main bet, he won $1,500 in wearing apparel, and that his friend, Patton Anderson, after betting all his money and the horse he rode to the race, staked fifteen of the finest horses on the ground belonging to other persons, many of them having ladies’ saddles on their backs (Guild, 1878 : 253).

James (1938 : 106) affirme même que Rachel .:Chevaux; , “une spectatrice assidue des courses”, était une fois rentrée chez elle sans ses gants, montrant à quel point le goût du jeu frappait toutes les catégories de la population, jusqu’aux plus pieuses. D’énormes sommes étaient mises en jeu, comme en 1811 dans la course remportée par le poulain de Jackson, Doublehead (issu de Truxton), contre Expectation, appartenant à Newton Cannon 159. Quatre miles étaient à parcourir, avec 5 000 dollars de pari par cheval (Guild, 1878 : 253).

Truxton était devenu un cheval d’exception et la course s’annonçait passionnante. Malheureusement, les méthodes d’entrainement sévères de Jackson avaient mis à mal une cuisse de Truxton. Tout le monde conseillait à son propriétaire de déclarer forfait (qui s’élevait à $800). De plus, les parieurs hésitaient à placer leur argent sur un cheval blessé. Mais Jackson était “déterminé” (voir citation, infra) et maintint son cheval au départ. Les enjeux montèrent quand même à dix mille dollars sur Truxton, ce qui prouve à la fois le renom du cheval et la confiance accordée à son propriétaire (James, 1938 : 110-112). Truxton fit deux courses avec deux pattes blessées et les remporta toutes deux. Voici de la plume même d’Andrew Jackson, le récit qu’il fit à John Hutchings des événements de ce mémorable 7 avril 1806 :

‘On the third instant, the race between Truxton and ploughboy was run, in the presence of the largest concourse of people I ever saw assembled, unless in an army—Truxton had on Tuesday evening before got a serious hurt in his thigh, which occassioned it to swell verry much, and had it not have been for myself, would have occasioned, the forfeight to have been paid—but this I was determined not to permit—The appearance of Truxton induced his friends not to bet—This was unfortunate—or carthage would have been destroyed—All things prepared, the horses started, and Truxton under every disadvantage beat him with as much ease as the Queen beat, Whistlejackett—But when he came out the last heat he was lame, in his hind leg and one of his four legs—upon his well leg the plate had sprung—and lay across the frog—under all these dificulties he could have distanced the ploughboy Either heat, he beat the last heat under a hard bearing rain, without whip or spur sixty yards, & run it in 3m. 59. seconds. by Two watches, by another in 3 m 57 1/2—by Blufords pendulum—in 4 m. 1 second, by one other in 3 m. 57 seconds—There was about 10,000 Dollars won and if it had not been for the accident there would have been at least 20,000—Thus ends the fate of ploughboy—Major W[illiam] T[errell] Lewis lost considerably—at least 2000$ (Moser, II : 94).

La popularité de Truxton en fit l’étalon le plus demandé du Tennessee et Jackson réalisa de très confortables profits en prix de saillie qui s’échelonnaient entre $10 et $50 160. Une annonce passée dans le Nashville Whig de 1822 informe les intéressés que Jackson offrait les services à l’année de Young Truxton (né du précédent) en échange de “300 livres de bon coton ou de $18 en liquide” (Anderson, 1916 : 64).

Gagner une course entraînait à la fois l’admiration des connaisseurs, mais également une demande accrue de saillies par le meilleur coursier. Ainsi, la réputation d’un cheval valait son double pesant d’or. L’intérêt de la victoire est signifié dans le texte publicitaire publié par Joseph Erwin à propos de son cheval Ploughboy, dans les semaines précédant la course de 1806 :

‘This race being one of very considerable importance (...) Gentlemen who wish to breed fine horses would do well not to put their mares to horses until after the race, as at that time it will be seen (barring accidents) whether or not he be the true breed racer (Anderson, 1916 : 46).

Jackson vainqueur, Erwin perdit 5 000 dollars et une partie de sa clientèle, puisque son étalon n’avait pu faire valoir sa suprême vaillance. Jackson était aussi conscient de l’impact de la victoire sur les profits futurs quand il espérait que les prouesses des poulains vantent les mérites de l’étalon (Citizen) : ‘“I have great confidence in my citizen as a stock horse and wish to bring his colts early on the turf to make him valuable as a brood horse”’ (cité dans Anderson, 1916 : 274). Le désir de victoire poussa Jackson à payer $3000 dollars pour le cheval Pacolet, une somme colossale pour une époque où $1500 représentait déjà un investissement conséquent (Kulfer, 1970 : 251).

Notes
156.

Clover Bottom était situé à environ cinq kilomètres de l’Hermitage. Les frères Anderson, partenaires occasionnels et amis de Jackson, avaient tenté de construire un champ hippique sans parvenir au bout de leur entreprise. Jackson et Hutchings complétèrent le gros oeuvre et lancèrent leur petit “complexe commercial” à côté du champ de courses (Hervey, 1944 : 61). Au lendemain de sa victoire de 1815, Jackson s’éloigna des courses pour des raisons politiques et Clover Bottom fut vendu au Jockey Club de Nashville (Hervey, 1944 : 69).

157.

Voici le texte de l’annonce : “On Thurday the 3d of April next, will be run, the greatest and most interesting match race ever run in the Western country (...) Those horses run the two mile heats, for the sum of 3000 dollars. No stud horses can be admitted within the gates (...) and all persons are requested not to bring their dogs to the field, as they will be shot without respect to the owner” (Moser, II : 90).

158.

James (1938 : 107) rapporte que Jackson rachetait parfois les chevaux battus par son étalon (comme il le fit pour Truxton). Mais il entrainaît aussi les chevaux des autres. En 1805, il y en avait seize dans ses écuries.

159.

Newton Cannon fut un grand adversaire politique et personnel de Jackson. Il devint gouverneur du Tennessee en 1835(voir Harkin, 1984).

160.

En 1806, Jackson écrivit un article vantant les mérites de Truxton dans le journal The American Farmer. Il décrivait les performances inégalées de son cheval, insistant sur sa capacité à gagner en toutes circonstances, quelles que soient les distances. Jackson terminait ainsi son apologue : “Truxton’s winnings, from time to time, from the most correct information, amount to at least twenty thousand dollars, and his colts are not inferior to any on the continent” (Anderson, 1916 : 49). Anderson (1916 : 56) mentionne le prix demandé pour une saillie par Pacolet, un cheval possédé avec Edward Ward et James Jackson autour de 1814-1815, entre $20 et $40.