Les salants 161

Après 1800, on voit apparaître dans sa correspondance l’intérêt grandissant qu’Andrew Jackson porte au sel et le souci qu’il a d’affermer une mine ou un salant. Le 18 août 1803, il écrit au président Jefferson en réaction à une “tentative récente d’acquérir un monopole du sel dans l’Ouest”, lui demandant d’intervenir pour permettre à la compagnie que Jackson représente d’obtenir un bail pour un salant situé en territoire indien. Jackson plaide pour que le prix de cette “nécessité vitale” ne tombe pas aux “mains des monopoliseurs” (monopolisers) (Smith, I : 308).

Le but de sa compagnie est donc de proposer le sel “à un coût moindre” rendu possible par la situation du salant, près des fleuves Wabash et Ohio, tandis que les Indiens recevront un “confortable traitement anuel (sic)” (handsome anual Stipend) dont les profits leur permettront d’acquérir les produits nécessaires qui leur font si cruellement défaut (Ibid.). Ce soudain intérêt pour le bien-être des Indiens n’est assurément qu’une courbette au sage président de Monticello.

Ayant cherché opiniâtrement, mais en vain, à acquérir des concessions, Jackson et ses amis George Mickael Deaderick et Howell Tatum décidèrent d’employer un sourcier, Valentine Cook, ‘“the Noted Water Witch from Kentucky“’ , pour localiser de nouvelles nappes d’eau salée. Le “Philosephe de l’eau salée” (the salt water Philosepher) découvrit deux veines supposées riches, l’une d’entre elles se trouvant sur une parcelle de terre que les associés se proposaient d’acheter en cachant au propriétaire le véritable enjeu de leur acquisition : ‘“I believe it may be had on good Terms, if he does not discover the object.”’ Dans sa lettre du 14 septembre 1803 à Jackson, Tatum se sent obligé de dresser un portrait rassurant du sourcier :

‘It will be necessary to give you some Idea of Mr. Cook. He is a man of liberal education, but an Enthusiast in Religion. He founds his knowledge of this art, on theoretical principles of Natural Philosophy, Systimatized and reduced to practice by himself, and can be taught by him to others. The power of Animal & Vegetable &c attraction, or Magnitism and Electricity appears to be the ruling principles of certainty in this work, so truly great, if correct. As to correctness we can only Judge from the numberless evidences he had given Genl. Adear & others of Kentucky, who spend their money freely under the conviction of its certainty (Smith, I : 312).

Remarquons que les critères sociaux de respectabilité sont ici énumérés. On a un aperçu de ce qui rassure les hommes d’affaires et de ce qui les effraie. Bien que Mr. Cook ait une éducation libérale, cette douteuse formation est adoucie par son enthousiasme religieux. De même, sa connaissance théorique de la philosophie naturelle, proche des “lois naturelles” chères aux Jeffersoniens, est compensée par sa pratique de terrain, mais aussi par sa capacité à enseigner son “art” aux autres. Cook est également digne de bonne foi sur les résultats qu’il obtient, surtout parce que des hommes de renom, donc fiables, ont investi de grosses sommes d’argent en suivant ses conseils 162. L’incursion d’hommes aussi pragmatiques dans un domaine pour le moins décrié par la raison se justifie par les résultats concrets obtenus par le sourcier. La rationalité de son approche, liée à des phénomènes novateurs comme l’électricité, confirme ce “principe de certitude” qui oppose cette pratique à celles utilisées par les vendeurs de potions et autres charlatans.

En dehors des services de M. Cook, Jackson tentait toujours d’obtenir l’appui du président pour faire passer une loi autorisant l’exploitation d’une veine en territoire indien. Il avouait cependant l’échec de son voyage à Washington dans une lettre du 13 septembre 1803 à Francis Preston, le marchand de fer et de sel : ‘“Whilst at the Federal city ’ 163 ‘ I had the pleasure of spending some hours with the President, [the subject] of manufacturing salt was introduced but the President being surrounded with other topick of conversation, did not go into any lengthey remarks on the subject”’ (Smith, I : 361). N’est-il déjà pas extraordinaire que le président des États-Unis reçoive pendant “quelques heures” un homme qui vient lui parler de mines de sel ? La complexité et surtout le volume des affaires à traiter étaient, on le voit, sans commune mesure avec ce qui occupe un président de cette fin de xxe siècle. Cependant, est-il étonnant que “d’autres sujets de conversation” prirent le pas sur le projet d’exploitation de sel de Mr. Jackson ?

Notes
161.

Thomas D. Clark donne la définition de lick :A lick was a spot of earth where a fissure had occurred between the surface of the ground and the Ordovician strata, from which a chemical ooze containing salt, sulphuric acid and other minerals had been forced upward. Because of the rather high saline content of the water and earh, herbivorous animals, including buffalo, deer, and elk came to lick the salt” (1969 : 94). Clark aurait pu mentionner l’intérêt des hommes pour ces sources de sel, vitales à leur existence.

162.

Le général Adair, orthographié “Adear” dans la citation, était le beau-père de William Preston Anderson, un ami proche de Jackson (Smith, I : 313n2).

163.

On remarquera l’emploi par Jackson du tout premier nom de la capitale fédérale (Gauthier, 1995 : 269).