A partir de 1804, Andrew Jackson entama avec John Coffee une association économique issue d’une amitié qui devint rapidement indéfectible. Très vite intégré au partenariat avec Hutchings , Coffee fut associé aux activités commerciales de Jackson jusqu’en 1807, date de la dissolution de l’entreprise pour raisons économiques (Moser, II : 6).
On se souvient du mot de S.G. Heiskell qui considérait qu’aucune histoire d’Andrew Jackson ne serait complète sans John Overton et John Coffee 169. John Coffee fut l’ami le plus proche de Jackson. L’affinité sincère entre les deux hommes fut renforcée d’abord par leur étroite collaboration commerciale, puis par le mariage de Coffee avec une nièce de Rachel (1809), enfin par leur expérience militaire durant la guerre de 1812. En outre, ils furent nommés co-tuteurs d’Andrew Jackson Hutchings à la mort de son père. Durant la décennie de 1820 et à mesure que Jackson se rapprochait de la présidence, Coffee joua un rôle de plus en plus important dans la gestion des fermes d’Alabama appartenant à son ami 170 (jusqu’en 1824), tout en supervisant le domaine du jeune Hutchings (majeur en 1832). Patriarche sage, discret et respecté, Coffee soutint Jackson dans toutes ses actions et demeura l’un des piliers psychologiques de la famille (Chappell, 1942 : 143).
Dans une lettre du 9 avril 1804, Jackson témoigne sa reconnaissance et son amitié à Coffee en des termes qui ne laissent pas de montrer l’affection qui unit les deux hommes :
‘I cannot think of leaving this place, without acknowledging the obligations that your friendship in coming on to Nashville in the manner you did has laid me under, rest assured that I have treasured the act in my bosom, that neither length of time nor change of circumstances can eradicate or eface, and as long as my boosom beats with life, it will beat high with gratitude on viewing the event (Moser, II : 14). ’Cette franchise des sentiments augurait une amitié très profonde qui n’avait ensuite plus recours aux effusions, mais au contraire, à une complicité tacite. En complément de l’hommage à l’homme, ajoutons celui que Jackson rendit au défunt en 1833, rédigeant l’épitaphe inscrite sur la tombe de son ami, située dans sa propriété près de Florence, en Alabama : ‘“As a husband, parent and friend, he was affectionate, tender, and sincere. He was a brave, prompt, and skillful general ; a distinguished and sagacious patriot ; an unpretending, just and honest man” ’(Heiskell, 1919 : 440). Des “vertus” auxquelles Jackson prétendait pour lui-même ; c’est dire si les deux hommes avaient conservé leur amitié et si les trente années qui s’étaient écoulées n’avaient pas démenti l’enthousiasme des débuts.
John Coffee était né en Virginie en 1772 et mourut à Florence, en Alabama, en 1833, la même année que John Overton (Heiskell, 1919 : 439-41). En 1798, il s’était installé avec sa mère à quelques kilomètres de Nashville, à Haysborough, sur les rives du fleuve Cumberland. Coffee était arpenteur et marchand. Il se maria en 1809, nous l’avons dit, avec Mary Donelson, une nièce de Rachel Jackson, qu’il rencontra durant sa longue association avec Andrew. En 1819, il quitta la ferme que son beau-père avait donné en dot et alla s’installer en Alabama, récent haut-lieu de la spéculation foncière de l’Ouest. Coffee avait découvert ces territoires tenus jusque-là par les Indiens en arpentant les cessions indiennes obtenues par Jackson. Le même Jackson avait d’ailleurs permis à Coffee d’obtenir le poste très convoité d’arpenteur officiel (Remini, I : 322, 331). Là, il fonda la ville de Florence, sur le fleuve Tennesse, à la frontière avec l’État du même nom. Il avait acheté à cet emplacement d’excellentes terres par l’intermédiaire de sa société, la Cypress Land Company ( Remini, I : 331). Le métier, les relations et l’intérêt pécunier de Coffee le poussaient tout naturellement à prendre résidence au coeur de la tourmente spéculative.
D’après l’historien Aaron M. Brown (1963 : 227), Coffee était un “géant” de plus de six pieds, pesant environ 113 kilos. On possède un témoignage de l’apparence physique de Coffee grâce à une description qu’en fait Anne Royal dans une lettre qu’elle écrit de Huntsville, en Alabama, en 1818 :
‘Last evening I had the pleasure of seeing the renowned soldier and companion of General Jackson. This hero, of whom you have heard so much, is upward of six feet in height, and proportionately made. Nor did I ever see so fine a figure... His face is round and full, and features handsome. His complexion is ruddy, though sunburned; his hair and eyes black, and a soft serenity suffuses his countenance. His hair is carelessly thrown one side in front, and displays one of the finest brows... He is as mild as the dewdrop, but deep in his soul you may see very plain that deliberate, firm, cool, and manly courage which have crowned him with glory (cité dans Heiskell, 1919 : 441). ’Mrs Royal ajoute en conclusion de sa lettre une remarque plus générale sur le caractère des Tennesséens, qui illustre assez justement le caractère de Coffee, mais aussi celui d’Andrew Jackson : ‘“All these Tennesseans are mild and gentle, except when they are excited, which is hard to do ; but when they are once raised, it is victory or death.” ’(Ibid.). Toute la puissance et l’énergie auxquelles ce jugement fait allusion s’expriment dans l’association qui lia Jackson et Coffee à partir de 1804. Et cet élan vital était multiforme.
En 1804, la situation financière de Jackson s’était dégradée à tel point qu’il en était réduit à donner en gage ses certificats de présence à la Cour supérieure du Tennessee : ‘“I have enclosed to Mrs Jackson my certificates for my attendance as Judge at Jonesborough and Knoxville, on which there is two hundred dollars due"’ (Moser, II : 14). Mais, cela ne l’empêchait pas de poursuivre ses activités commerciales, bien au contraire. Dans un post-scriptum, il rappelait à Hutchings la stratégie adoptée : ‘“if we can have a general assortment of groceries iron salt &c we must make money the ensuing season—resolution and industry with oeconomy will remove mountains”’ (Moser, II : 11). C’est en effet cette année-là que Jackson avait déménagé à l’Hermitage dans le but d’éponger ses dettes. Il n’avait pas abandonné ses projets d’exploitation du sel et Coffee se préparait à aller dans l’Illinois acheter une mine que Jackson était prêt à payer trente-cinq mille dollars en marchandises diverses : ‘“If the payments can be stipulated at from three to five years in merchandize you may safely go as high as thirty five thousand dollars.”’ Jackson ayant édicté ses conditions, il laissait à Coffee toute discrétion pour conclure l’affaire et l’autorisa même à apposer son nom comme garantie : ‘“It will be well if we can meet to have further conversation on this subject, and I will give you a full power to act in the premises”’ (Moser, II : 4).
Comme toujours, le sel n’occupait pas seul l’esprit des entrepreneurs et la firme Jackson & Hutchings acheta pour un peu moins de 12 000 dollars de marchandises à Philadelphie afin d’approvisionner leurs différents magasins. L’adhésion de Coffee à la société fut bien plus qu’une simple collaboration commerciale. Preuve en est que Coffee se débattait à l’époque dans ses propres difficultés financières dues à l’échec de son propre magasin. Jackson témoigna envers son nouvel associé bien plus qu’un strict engouement lié aux affaires, comme le montre cette lettre du 4 mars 1804 : ‘“I wish you to become a partner, less would not be an object, I supose, let me Just say, that nothing that I can do to promote your welfare thru life, but it will give me pleasure to do—and if you can go on the full length of my credit shall go on with you”’ (Moser, II : 8). On sait que ces protestations d’amitié n’étaient pas vaines et une telle offre avait des répercussions qui se retrouvaient notamment au moment de la guerre contre les Creeks (1813).
Rien ne révèle plus dans ces paroles l’étroit rapport entre l’amitié, le commerce et l’intérêt (mot dont la polysémie n’est que trop juste ici) qui lient ces deux hommes. Jackson ne tarit pas de promesses envers Coffee. Dans une lettre du 7 mars, il réitérait son engagement : ‘“anything within my power to advance shall be done to promote your interest”’ (Moser, II : 9). Comme toujours, il joignit le geste à la parole. Les deux hommes restèrent liés jusqu’à ce que la mort les sépare.
Heiskell mentionne également William B. Lewis, qui fut un ami très proche et dévoué de Jackson, mais sa présence plus tardive ne nous permet pas vraiment de discuter son action dans l’étude qui nous occupe.
Coffee résidait près de Florence, en Alabama, qu’il avait fondée en 1819. Il avait acheté à cet emplacement d’excellentes terres par l’intermédiaire de sa société foncière, la Cypress Land Company, lors de la mise en vente des terres arrachées aux Indiens par le Traité de 1816 (Remini, I : 331). Coffee avait passé près de deux ans à arpenter le territoire pour le compte du gouvernement.