D’un mariage à l’autre

Quand les Donelson retournèrent à Nashville, Rachel Donelson Robards resta dans le Kentucky aux côtés de son mari, Lewis Robards, et de sa belle-mère. Toutefois, il apparaît que le mariage tourna très vite court. Malheureusement, il n’existe pas de documents qui témoignent des faits et gestes de Rachel avant son mariage . Robards ; en 1785 187 avec Robards , un riche vétéran de la guerre d’Indépendance qu’elle rencontra au Kentucky. Robards était un homme de bonne éducation, mais apparemment jaloux (Remini, I : 42/432n13). Remini (I : 44) ajoute que Robards entretenait des relations sexuelles avec ses esclaves, une situation aussi insupportable pour les esclaves que pour les femmes de planteurs (Jacobs, 1987 : 31-37). L’irruption de Jackson au milieu de ce fiasco précipita sans doute les événements qui suivirent.

Les circonstances du mariage d’Andrew et Rachel Jackson furent assez troubles pour nécessiter une défense du couple rédigée en 1827 par John Overton, un ami intime et témoin direct de l’affaire 188. Andrew Jackson était alors candidat à la présidence des États-Unis et soumis à un assaut implacable de ses adversaires concernant les origines de son union. Overton dirigeait la campagne de Jackson au Tennessee et publia une narration des faits pour disculper son ami. Mémoire, re-création et tourmente politique font du témoignage d’Overton un document capital mais controversé (Remini, II : 118-119) 189. C’est ce récit, et des précisions ultérieures des biographes, dont nous nous inspirons pour donner les détails de l’affaire. L’importance de cet épisode est tel qu’il détermine l’attitude de Jackson envers Rachel et sa susceptibilité future à toute allusion concernant les circonstances de son mariage.

Le jeune procureur Jackson arriva fin 1788 dans le bourg de Nashville, comté de Davidson, dans ce qui était encore la partie occidentale de la Caroline du Nord, avec les attributs d'un gentihomme : ‘"Early tradition had it that the young Jackson appeared at Jonesborough in the Spring 1788, riding one horse, leading another, and followed by a pack of fox hounds"’ (Abernethy, 1932 : 123). Remini (I : 37) ajoute qu’il acheta également une jeune esclave, Nancy. Ses relations avec elles ne sont pas connues, mais la possession d’une esclave montre clairement qu’il adhérait pleinement à l’idéologie de la région. Quelques mois plus tard, Jackson (Remini, I : 44) prit pension chez Mrs Donelson, revenue depuis peu du Kentucky. On l’a vu, les Donelson jouissaient d’une solide réputation et résider chez Rachel Stockley Donelson était déjà preuve d’une position sociale reconnue. Veuve, Mme Donelson appréciait la présence d’hommes vigoureux pour défendre la maison (station) contre les raids indiens encore très fréquents 190. Le besoin de protection la conduisait donc à héberger les jeunes gens célibataires venus chercher femme et fortune sur la frontière.

Robards;La fille de Mrs Donelson, restée au Kentucky, vivait elle des heures difficiles avec son mari. Les courtes années de vie commune pesaient lourdement sur le couple Robards. Rachel semble avoir été une sorte de coquette, provoquant sans cesse la jalousie apparemment dévorante de Robards (Cruse, 1994 : 5). Les relations ambiguës de Rachel avec un hôte de la maison provoquèrent une crise si grave que le frère de celle-ci, Samuel, vint la chercher pour la reconduire chez sa mère 191. C’était à l’été ou à l’automne 1788, et à cette époque, John Overton vivait chez les Robards depuis quelques mois déjà. Overton rapporte que la séparation était supposée être définitive. Cependant, le mari eut vite des remords et la belle-mère demeurait très attachée à sa bru qu’elle défendait contre les accusations de son fils. Overton fut donc chargé de tenter une réconciliation (Heiskell, 1919 : 312-13).

Au printemps 1789, le médiateur se rendit à Nashville dans l’intention de s’y établir. C’est alors qu’il rencontra Jackson. Il le présenta à la famille Donelson et tous deux prirent pension dans une cabane en rondins à quelques pas de la maison principale 192.

Robards avait acheté des terres à environ huit kilomètres de la maison Donelson dans l’intention de s’y installer avec Rachel. Mais, le danger des attaques indiennes lui fit préférer la sécurité de la "station” de Mrs Donelson jusqu’à ce que la situation s’améliore. Robards vint donc vivre avec la famille de sa femme en 1789 193. Evidemment, ses soupçons se portèrent rapidement sur Jackson, malgré les protestations d'Overton et de Jackson lui-même. La situation du Kentucky se répétait au Tennessee, avec les mêmes cris et les mêmes larmes. Overton se plaignit à Robards de son manque de résolution (unmanliness ).

Afin de désamorcer la situation explosive, Jackson alla vivre à la "station” de Mansker. Le couple Robards se déchira une nouvelle fois et Rachel trouva refuge chez sa soeur Jane, mariée au colonel Robert Hays . Robards retourna au Kentucky pour ses affaires. Quelques temps plus tard, des rumeurs parvinrent à Nashville que Robards désirait venir chercher sa femme et l’emmener définitivement au Kentucky. Cette attitude suggère une entente difficile entre Robards et les Donelson. Les frères de Rachel n'appréciaient sans doute pas les violences faites à leur cadette. Celle-ci prit peur et, en janvier 1791, décida de partir chez des amis près de Natchez, dans le Territoire du Mississippi 194, alors sous contrôle espagnol.

Ici achoppe l’affirmation d’Overton sur les sentiments supposés de Jackson et le mariage de celui-ci avec Rachel quelques semaines plus tard. Overton décrit ainsi l’état d’esprit de son ami : ‘“he frankly told me that he was the most unhappy of men, in having innocently and unintentionally been the cause of the loss of peace and happiness of Mrs. Robards, whom he believed to be a fine woman”’ (Heiskell, 1919 : 315). Cette tristesse affichée est peu convaincante puisque Jackson accompagna la jeune femme dans sa fuite afin de la protéger de son mari et l'épousa quelques semaines plus tard...

Jackson était en effet du voyage à la demande du Colonel Stark qui affrétait le bateau pour Natchez. Il revint ensuite à Nashville au printemps 1791 et reprit ses activités judiciaires. Quelques temps plus tard, il apprit le divorce de Robards et Overton, qui passait quelques temps chez les Robards au Kentucky, ne fut pas conduit à penser qu’il en était autrement (Heiskell, 1919 : 316). . Robards;

Notes
187.

Certificat de mariage, le 1er mars 1785, Smith (I : 423).

188.

Jackson présenta ainsi Overton aux différents comités de soutien durant sa campagne : “an old and intimate friend” (Remini, 1963 : 63).

189.

Les citations du récit d'Overton sont extraites du texte intégral cité dans Heiskell (1919 : 311-317). James (1938 : 801) précise que le pamphlet fut d’abord un article publié le 22 juin 1827 dans le United States Telegraph, l’organe du parti Démocrate, puis un texte diffusé en tant que tel dans le public. James le trouve plus digne de confiance que les accusations qui le réfutent en raison de la signature de quelques-uns des opposants politiques à Jackson, tels que John McNairy (bien que ce dernier n’ait pas pris part aux accusations contre Jackson).

190.

John Overton écrit : “After a short absence, I returned to live at Mrs. Donelson’s, at her earnest entreaty — every family then desiring the association of male friends as a protection against the Indians” (Heiskell, 1919 : 315).

191.

 Robards est soupçonné d'avoir battu sa femme. De plus, un témoignage reproduit dans James, l'accuse d'avoir couché avec des esclaves : “I resided with the [Robards] familywhilst they lived together [in Kentucky] & his conduct towards her was cruel, unmanly and unkind;...Lewis Robards was in the habit of leaving his wife's bed & spending the night with the negro women”, (Lettre de John Downing à John H. Eaton, du 20 décembre 1826, collection privée de J. M. Dickinson, de Nashville.). James (1938 : 855).

192.

 Overton n'est pas très sûr de cette version et se demande si Jackson n'habitait pas déjà chez les Donelson quand il y arriva. Toutefois, il opte pour la version donnée dans le texte (Heiskell, 1919 : 313). Cette hésitation souligne l'imprécision du récit, mais aussi la relative candeur de l'auteur vis-à-vis de sa mémoire. Un méchant esprit pourra également y voir une suprême habileté pour faire passer ailleurs des contre-vérités...

193.

Overton date cette arrivée en 1788. Chronologiquement, c'est une erreur.

194.

Remini a rectifié la date donnée par Overton et situe le voyage au début de l'année 1790, se basant sur les documents espagnols pour cette rectification (Remini, 1977, I : 64). Un autre biographe, Marquis James, fondant ses affirmations sur des docujments attestant la présence de Jackson à Nashville, pense que le couple partit pour Natchez en janvier 1791 (James, 1938 : 803n13).