Le Mariage de Rachel avec Andrew Jackson : acte I et II

Jackson retourna à Natchez à l’été 1791 et épousa immédiatement Rachel. Les conditions du mariage sont obscures car, à l’époque, Natchez était sous tutelle espagnole, donc catholique. Or le remariage d’une femme divorcée était mal considéré par l’Église. Aucun enregistrement officiel n’est recensé dans les registres pourtant scrupuleusement tenus par les autorités ecclésiastiques. Certains auteurs pensent que l’union aurait pu être célébrée sur la plantation des amis de Rachel, lors d'une cérémonie privée. La qualité de planteur était suffisante à l’époque pour valider un mariage sur la frontière (James, 1938 : 804n21). Remini remet en question la date même du mariage et pense qu'il eut lieu un an plus tôt, en 1790, ce qui complique les choses, rend l'honnêteté du couple douteuse et le récit d'Overton — et le nôtre ! — erroné (Remini, I : 64-65). Mais l'affaire ne se termine pas par un (seul) mariage.

L’“horrible vérité” (Remini, I : 62) éclata fin 1793, quand Jackson et Overton, alors à la cour de Jonesborough, dans l’est du Territoire, apprirent que ce qui avait été considéré comme un divorce trois ans auparavant n’était que l’autorisation de la Chambre de Virginie 195 d’en faire la demande auprès du tribunal concerné. Le 20 décembre 1790, ce tribunal devait déterminer le caractère adultère de la relation de Rachel avec Jackson et prononcer la dissolution du mariage Robards :

‘A jury shall (...) enquire into the allegations (...) that the defendant hath deserted the plaintiff, and that she hath lived in adultery with another man since such desertion, the said verdict shall be recorded, and thereupon the marriage between the said Lewis Roberts and Rachel shall be totally dissolved (Smith, I : 424).

Que Jackson et Overton aient pu penser qu’un tel texte libérait Rachel de son précédent mariage est difficile à concevoir 196. De plus, Robards attendit plus de deux ans pour valider cet arrêt de la Chambre. James pense cependant que Robards avait finalement présenté l’affaire devant le tribunal parce qu’il désirait se remarier, ce qu’il fit peu de temps après la décision de la cour : ‘“The fact that Robards remarried shortly after the divorce may be the key to the riddle, supposing that he instituted that in view”’ (1938 : 805n41). Il se peut également que Robards ait voulu profiter le plus longtemps possible de sa position de mari pour engranger les dividendes de la dote apportée par sa femme (James, 1938 : 66).

Le biographe souligne que le second mariage de Robards fut heureux (James, 1938 : 805n41), ce que contredit Remini (I : 63) en accusant Robards d'instabilité mentale, uniquement sur la base de présomptions. La conclusion semble hâtive au vu de la pauvreté documentaire. Overton, en écrivant son texte, voulait couvrir Jackson, ce qui pouvait difficilement se faire sans attribuer à Robards une jalousie irrationnelle qui expliquait bien des attitudes. Il y a de telles béances dans les archives et de tels enjeux dans les défenses et les attaques qu'il est impossible de trancher.

Overton parvint avec grande difficulté à convaincre Jackson de la nécessité d’un second mariage, qui eut lieu en janvier 1794 (Remini, I : 63). Jackson .:Mariage:Remariage; avançait sa bonne foi comme garante de son honnêteté. Se remarier était un aveu d'erreur plus grand encore. Il céda pourtant. Pour seule explication de cette terrible “méprise” de la part d’hommes de loi, Overton répond ceci :

‘The slowness and inaccuracy with which information was received in West Tennessee at that time will not be surprising, when we consider its insulated and dangerous situation, surrounded on every side by the wilderness, and by hostile Indians, and that there was no mail established till about 1797, as well as I recollect (Heiskell, 1919 : 317)  197 .

i).Overton, John:Mariage d’AJ;Overton a certainement raison, bien qu’une telle célérité du prononcement de divorce dut paraître étonnante à des hommes qui connaissaient la lenteur des procédures législatives et judiciaires. En définitive, on peut dire que le désir de Jackson pour Rachel fut plus fort que la prudence élémentaire dont aurait dû faire preuve un consciencieux homme de loi. Comme il le montrerait à plusieurs reprises et dans des contextes différents, ses émotions trahissaient malgré lui les préceptes de son code de l'honneur. Son habituelle clairvoyance laissait alors la place à des actes irraisonnés et lourds de conséquences dont il acceptait pourtant la responsabilité.

Quoi qu’il en soit, le couple ne souffrit d'aucune opprobre sociale 198..:Mariage:Conséquences; En 1792, Jackson fut élu au conseil d’administration du Cumberland College et Rachel bénéficia toujours d'une réputation sans tache parmi ses proches. Remini cite William B. Lewis.; qui entendait prouver en 1827 que l'indulgence de la communauté d’alors était preuve suffisante de l'innocence morale des Jackson :

‘I would ask how it is possible that any man could have been held in such estimation by a whole community if he had acted as has been alleged? Could any man, so destitute of moral virtue, and even setting at defiance the common dreams of life, no matter what his talents, and acquirements might be, maintain so high a standing? The thing is impossible and the mere supposition of its possibility a vile slander upon the whole population of this State (I : 66-67) .

La famille de Rachel ne semble à aucun moment avoir pris position contre Jackson. Censer, dans son étude des planteurs de Caroline du Nord, souligne l’équilibre nécessaire à un bon mariage :

‘Members of the elite held general views about the characteristics of a good match. Although none disputed affection as a basis for marriage, they (...) considered suitors’ economic and family standing when evaluating a match’s desirability (1984 : 65).

Si le mariage avait mis à mal l’honneur familial, il est certain que des protestations auraient accueilli une telle union. L’affection de Jackson pour sa femme et sa réputation durent avoir des effets bénéfiques sur sa situation. L’amour était un critère de choix tant que la parité économique régnait. La famille de Rachel était riche et puissante, mais Jackson détenait un poste qui lui assurait un avenir prometteur 199. Ainsi que l’écrit Burton, les unions reposaient davantage sur un statut social que sur une profession particulière : ‘“Sometimes a daughter from a wealthy family married a young man from a less privileged background, but in those cases the man was usually a professional who was obviously gaining in social status”’ (1985 : 117). Les circonstances qui entourèrent la double cérémonie n’eurent aucune influence sur la réputation du couple au sein de la famille Donelson, ni même au sein de l’élite dirigeante du Tennessee. L’ascension sociale de Jackson n’en fut pas moins rapide et ses pairs lui octroyèrent des faveurs auxquelles seul un homme réputé honorable pouvait aspirer dans cette société. Pourtant, ce péché originel, pour ainsi dire, poursuivit le couple jusqu’à la disparition de Rachel, dont il est dit qu’elle mourut de chagrin et de honte après les accusations épouvantables de la campagne présidentielle de 1828 (Remini, II : 150). .i).Jackson, Rachel:Relations conjugales;.:Mariage:Conséquences;

Après 1794, remarque Remini, les Jackson changèrent d'attitude, comme si les événements leur avaient fait prendre conscience du danger encouru : ‘“Whatever the circumstances of this marriage, the union of these two remarkable people sobered their lives. The wildness in each dissipated. Jackson's ferocious temper was considerably subdued (...) She in turn became extremely pious”’ (I : 67). Le commentaire semble exact en ce qui concerne les affaires de coeur puisqu'ils demeurèrent extrêmement attachés l'un à l'autre, et nulle part il n'est fait mention d'aventures extra-conjugales, mais le caractère de Jackson conserva une impulsivité que rien ne parvint jamais vraiment à soumettre. Rachel, elle, critiquée par les observateurs pour son manque d’élégance et de raffinement, devint une maîtresse femme respectée pour sa générosité et sa dévotion religieuse (voir infra). Attirée malgré elle dans le débat public lors de la campagne électorale, Rachel n’aspirait pourtant qu’à l’attention de son cercle intime pour lequel elle était, selon la coutume sudiste, “Tante Rachel” ou “Tante Jackson”.:Surnoms; (Caldwell, 1936 : 182)..:Mariage;

Notes
195.

Le Kentucky dépendait alors de la Virginie, n’étant pas encore un État.

196.

D’autant que la décision devait être publiée huit semaine durant dans la Kentucky Gazette (Smith, I : 424).

197.

En effet, l'organisation du système postal fut longue à se mettre en place. Les lettres furent d'abord transportées par l'intermédiaire d'amis, de connaissances, ou d'express riders qu'il fallait payer cher, suivant la distance et le danger de la course. Le second Congrès Continental de 1775 avait nommé un comité destiné à organiser le service postal, dirigé par Benjamin Franklin comme Postmaster General, et en 1792, un taux postal fut institué. Pourtant, la distribution du courrier dans le Sud resta alléatoire jusqu'après la guerre de 1812 (Holt, 1923 : 86-92).

198.

Il n’en fut pas de même durant la campagne de 1828 où bien des opposants ressortirent cette histoire afin de prouver l’immoralité du candidat Jackson : “Ought a convicted adultress and her parAmour husband to be placed in the highest offices of this free and christian land?’ fumed Charles Hammond. ‘If General Jackson should be elected President,’ wrote another, ‘what effect, think you, fellow-citizens, will it have upon the American youth?’ (Remini, 1963 : 152-153).

199.

En outre, Jackson semblait avoir la confiance de la famille Donelson avant son mariage puisque c’est lui qui alla chercher Rachel au Kentucky, à la place de ses frères, lorsqu’elle décida de quitter Robards (James, 1938 : 63).