Le Caractère de Rachel D. Jackson

D’après les descriptions qui nous sont parvenues, Rachel Jackson s’affirme par son caractère hospitalier. Chez elle, aux côtés de son mari, elle était une hôtesse extrêmement appréciée de tous. Remini cite un convive donnant cette description de Rachel : ‘“Rachel matched Jackson’s graciousness and warm hospitality, exuding ‘the very personification of affable kindness’”’ (II : 8). Thomas Hart Benton, futur sénateur du Missouri et grand ami politique de Jackson, souligne l’extrême atttention de Rachel à la multitude de ses invités : ‘“She had a faculty—a rare one of retaining names and titles in a throng of visitors, addressing each one appropriately, and dispensing hospitality to all with a cordiality which enhanced its value”’ (cité dans Caldwell, 1936 : 383). Le nombre imposant d’invités que recevait l’hôtesse de l’Hermitage devait sans doute la tenir occupée sans répit (Clinton, 1982 : 176-77). Henry Wise, un jeune visiteur de l’Hermitage en 1828, donne une idée de l’atmosphère festive qui y régnait alors : ‘“The house was full of guests (...) visitors from all parts of the United States, numbering from twenty to fifty per day, constantly coming and going, all made welcome and all well attended to”’ (cité dans James, 1938 : 474-75). La légende veut que chez Andrew Jackson, le mendiant était reçu aussi cordialement que le président de la République (Parton, I : 308-09).

Dans les années d’avant-guerre, Jackson menait une vie de planteur dont l’hospitalité était reconnue de tous : ‘“He entertained often and became known as the most public private man in the state. ‘His house was the seat of hospitality,’ wrote Thomas Hart Benton, a young officer in his militia, ‘the resort of friends and acquaintances, and of all the strangers visiting the State’"’ (Remini, I : 159). En homme politique avisé, Jackson entretenait des contacts étroits avec une myriade de gens qui ne manquaient jamais de venir le voir à l’Hermitage. C’est à la propriété que s’échafaudèrent bien des stratégies pendant la campagne présidentielle (Caldwell, 1936 : 183). Cette fonction sociale de l’hospitalité est connue , ainsi que le rappelle Rosengarten à propos d’un planteur de Caroline du Sud :

‘The Big House at Tombee was the center of a dense social life. Friends, relatives, and slaves, all with strangers in tow, invaded the house by night and day, making privacy with people of different social standings and of varying emotional closeness. Status among whites was measured in capital goods—in the number of acres and slaves a white person owned (1986 : 112).impossible. One lived in public and earned a good name by knowing how to get along ’

L’Hermitage était un tel “centre” attractif et Jackson possédait une des plantations les plus lucratives du Tennessee. En outre, et ce depuis 1796, il avait occupé tous les postes les plus importants, dirigeait l’une des deux factions politiques de l’État et après 1815, était l’homme le plus populaire des États-Unis. Il n’était donc pas surprenant que sa résidence soit un lieu de passage obligé pour toutes sortes de visiteurs. Dans cet esprit, on aurait pu penser que Rachel jouerait le rôle de la dame sudiste tant louée par la légende, élégante, raffinée, presque mondaine. Mais on lui attribuait les caractéristiques de la bonne matrone sudiste, par l’apparence et les goûts.

Les témoignages ne sont pas tendres sur son allure physique ou son maintien en société ; en revanche, ils s’accordent tous sur sa gentillesse . Voici son portrait par une jeune fille qui la vit à l’Hermitage dans les mois qui précédèrent l’élection de 1828 :

‘ Side by side with him stands a coarse-looking, stout, little old woman, whom you might easily mistake for his washerwoman, were it not for the marked attention he pays her, and the love and admiration she manifests for him. Her eyes are bright, and express great kindness of heart, her face is rather broad, her feature plain, her complexion so dark as almost to suggest a mingling of races in that climate where such things sometimes occur. But, withal, her face is so good-natured and motherly, that you immediately feel at ease with her, however shy you may be of the stately person by her side. Her figure is rather full, but loosely and carelessly dressed, so that when she is seated she seems to settle into herself in a manner that is neither graceful nor elegant (...) This is Mrs. Jackson.’

Cette description sans concession dénonce encore l’absence de goût vestimentaire de Rachel, son manque de prestance et un détail mentionné crûment ailleurs, le teint très mat de Rachel auquel l’auteur attribue une possible origine métisse. L’incongruité de ce commentaire envers une femme de planteur est frappante 200. Mais, la suite de sa description est encore plus dure sur les manières de Rachel :

‘ I well recollect to what disadvantage Mrs. Jackson appeared, with her dowdyfied figure, her inelegant conversation, and her total want of refinement (...) and I recall very distinctly how the ladies of the Jackson party hovered near her at all times, apparently to save her from saying or doing any thing which might do to discredit their idol (cité dans Parton, 1861, III : 161).

Cette description est très différente des présentations bon enfant qui se bornent, comme nous allons le voir, à présenter Rachel en mère universelle.

En 1854, Thomas Hart Benton, plus mesuré dans sa description de Rachel, veilla à louer son côté chaleureux : ‘“I knew her well, and (...) a more exemplary woman in all the relations of life, wife, friend, neighbor, relative, mistress of slaves, never lived. (...) She had a heart, and a good one”’ (cité dans Cruse, 1994 : 2). Tous les commentateurs sont d’accord sur la générosité et l’attachement qu’elle suscitait parmi ses proches. L’auteur des paroles désobligeantes précédemment citées le reconnaît elle-même : ‘“ With all her disadvantages in externals, I know she was really beloved. She was a truly good woman, the very soul of benevolence and kindness, and one almost overlooked her deficiencies in the knowledge of her intrinsic worth, and her real goodness of heart”’ (Parton, III : 161-162). Par cette reconnaissance du bout des lèvres, la dureté mondaine de l’auteur reconnaît les qualités de coeur de Rachel, suivant l’archétype de la matrone sudiste.

Rachel changea beaucoup au cours des années. Outre le portrait qu’en dressait l’auteur précédent, un visiteur de l’Hermitage en voyage de noces, également déjà cité, le futur gouverneur de Virginie, Henry A. Wise, rencontra Rachel quelques mois avant sa mort en 1828. Elle était alors âgée de 61 ans :

‘ Mrs. Jackson, a lady who, doubtless, was once a form of rotund and rubicund beauty, but now was very plethoric and obese, and seemingly suffered from what was called phthisis, and talked low but quick, with a short and whizzing breath, the very personation of affable kindness and of welcome as sincere and truthful as it was simple and tender (cité dans Heiskell, 1919 : 324).

La description de Wise demeure extrêmement crue, clinique, détaillant la ruine du corps et le passage du temps, ainsi que les affections dont Rachel était atteinte. Pourtant, les mêmes qualités humaines sont louées ici : chaleur et simplicité.

Rachel Jackson apparaît toujours comme une femme rustique et sans manières apprêtées, à l’opposé des “belles” de la Nouvelle-Orléans qu’elle côtoya brièvement après la victoire de son mari en 1815. Elle est souvent décrite fumant la pipe au coin du feu avec Jackson, ce qui semblait d’ailleurs une habitude chez le couple. Une lettre de Jackson lui-même témoigne de cette pratique (1824) : ‘“all are well & enjoying themselves, the young at parties & Mrs. J. & myself at home smoking our pipe”’ (Moser, V : 458-59). Remini (II : 159) ajoute même que la pipe lui avait été recommandée par le médecin pour soulager sa prétendue phtisie. Rachel aimait le tabac puisqu’elle avait rapporté de son séjour en Floride en 1821 une “préférence pour les cigares espagnols” (James, 1938 : 328). À ceci s’ajoute son goût pour la musique, surtout le piano forte et la chanson. Jackson jouait de la flûte et du violon. Tous deux animaient les soirées de l’Hermitage, d’après ce que rapporte la fille d’Andrew Jackson Donelson (un neveu de Rachel) (cité par Caldwell, 1936 : 185).

Habillée sans fard, peu soucieuse de sa personne, fuyant les mondanités, Rachel Jackson avait hérité de la frontière une simplicité dégagée des affectations de sa classe. James évoque l’état d’esprit de cette pionnière de la première heure : ‘“She owned a carriage but prefered the saddle. She wore good clothes, but neglected the styles. Nashville was no longer frontier, but Rachel remained a frontier woman, clinging to the fragile image of a bygone day”’ (1938 : 136). L’absence d’atours chez Rachel témoigne de ce désir d’échapper au monde clinquant, fondé sur le paraître, en dépit de l’aisance matérielle de son existence 201.

Jackson, plus mondain, s’inquiétait de l’apparence physique de sa femme alors que son statut social s’élevait. En 1814, il fut fait major-général de l’armée, commandant en chef de la “7e région militaire”, c’est-à-dire de tout le sud du pays (Moser, III : 79). Ainsi promu au sommet de la hiécharchie militaire, il entendait que sa femme fît honorable figure en société : ‘“you must recollect that you are now a Mjor Generals lady—in the service of the US and as such you must appear, elegant and plain, not extravagant—but in such stile as strangers expect to see you”’ (Moser, III : 114). Jackson montre ici qu’il demeure un homme de la fin du xviiie siècle dans son attachement idéologique à la simplicité républicaine. L’extravagance n’était pas de bon ton, et de même que sa maison construite en 1819-1821 serait de type “fédéral”, une bâtisse austère de briques rouges, il impose ainsi à Rachel une élégance discrète qui s’accorde assez bien avec la rigueur stricte du presbytérianisme si cher à leur coeur. Il avait aussi en tête les répercussions sociales qu’une bonne présentation implique 202. Son extrême conformité aux usages, qu’il exprime dans son attention à ce que les autres “attendent” de sa femme, parcourt sa vie entière, tant dans son mode de relations sociales que dans le souci pointilleux qu’il met toujours à respecter l’étiquette imposée par la convention. Jackson aimait paraître et plaire (Remini, I : 147).

Il se peut que les biographes aient un peu exagéré la rusticité de Rachel Jackson. Pour preuve ces quelques mots décrivant à une amie sa vie à Pensacola en 1821 : ‘“There is a catholic church in the place, and the priest seems a divine looking man. He dined with us yesterday, the Governor, and Secretary, French, Spanish, American ladies, and all. I have as pleasant a house as any in town”’ (Moser, V : 81). Pour une femme de la frontière, Mme Jackson semble avoir été à l’aise entourée de la bonne société de Pensacola, reconnaissant le confort de son logis. Il serait préférable de considérer son sentiment religieux comme opposé radicalement au souci des apparences, plutôt urbain, et à la moralité relative de la vie mondaine. Son rejet des mondanités et des honneurs s’apparente davantage à un refus personnel qu’à un manque d’aisance dans les salons. Elle écrivait en 1822 : ‘“They talk of his being President (...) In this as all else I can say only, the Lord’s will be done. But I hope he may not be called again to the strife and empty honors of public place”’ (citée dans James, 1938 : 338). Sans pour autant le juger, Rachel désapprouvait la vanité de son mari, le péché des hommes par excellence 203.

En 1833, Jackson vanta les mérites de Rachel à Andrew Jackson Hutchings.; , son pupille. Il louait le bon sens et le sérieux de sa femme en face de ses propres extravagances :

‘[H]ow we waded thro the vast expense of the mass of company we had—nothing but her care and industry, with good economy could have saved me from ruin (cité dans DeWitt, 1931 : 93).

Cette lettre montre avant tout le respect et l’admiration que portait Jackson à sa femme. Après leur mariage, le couple s'établit dans la plantation de Poplar Grove, la première entreprise de Jackson hors du champ juridique. Son mariage le lança sans doute dans l'agriculture commerciale. Or, son métier de juge itinérant et d'homme politique le porta très vite à voyager souvent, laissant de fait la gestion quotidienne de la plantation à sa femme, une responsabilité commune à bien des femmes de la frontière, mais pour laquelle l’implication de Rachel demeure assez obscure. La plantation, pourtant, exigeait une attention constante et minutieuse. Quelle était la fonction de Rachel Jackson dans la gestion de la plantation ?

Notes
200.

Ces remarques proviennent d’une lettre adressée à James Parton (1861) pour sa biographie de Jackson par une femme alors âgée de neuf ans à l’époque des faits qu’elle relate, fin 1828. Parton (III : 159) ne mentionne pas le nom de son informatrice (correction oblige) mais précise qu’elle était la fille d’un officier proche de Jackson .

201.

Lorsque Rachel rejoignit Jackson à la Nouvelle-Orléans en février 1815, son mari lui avait offert une nouvelle calèche d’un prix de 975 dollars (Cruse, 1994 : 14). En outre, Jackson lui avait fait acheter des vêtements neufs. L’insistance de Jackson sur ce point montre le désintéressement de Rachel.

202.

Cette nomination ne faisait que renforcer un sentiment déjà très présent chez Jackson dont le rôle social et politique au Tennessee l’avait depuis longtemps hissé au rang de dirigeant régional (Remini, I : 144-145).

203.

En 1813, Rachel avait appris que Jackson était prêt à aller défendre la frontière du Nord en 1813 après la déroute américaine (Nevins, 141). Dans une lettre où elle parle de leur “douloureuse séparation” et de sa peur du danger qu’il court, elle l’enjoint de ne pas céder au plus grand péché humain : “how Can you wish Such a perilous tower but the Love of Country the thirst for Honour and patriotisem is your motive” (Moser, II : 400).