Les problèmes d'argent

:Hermitage:Finances;L’argent était une préoccupation quotidienne pour les femmes restées à la plantation. Les planteurs étaient des hommes riches, mais leur fortune était placée dans leurs terres et leurs esclaves, de sorte que l’argent de “consommation” faisait souvent défaut. La frontière est connue pour n’avoir pas possédé beaucoup de liquidités, d’où le recours massif aux reconnaissances de dettes et autres notes officiant comme monnaie d’échange, en sus du troc 215 largement répandu dans la région (Holt, 1923 : 115). En outre, à l’instar de ses pairs, Jackson était constamment engagé dans des investissements onéreux qui drainaient tout l’argent dont il pouvait disposer. En 1814, il ne pouvait honorer sur l’heure l'achat de huit esclaves et dut faire appel à des amis : ‘“I have lately bought 8 negroes—which occasioned a call for more cash than I had with me—and gave rise to the call I made on you and my friend Childress to endorse for me & send on $2,000”’ (Moser, III : 141). Il n’est pas étonnant que Jackson se trouvât régulièrement sans un sou vaillant.

C’est donc parfois sans trésorerie que Rachel devait gérer la plantation, ainsi que s’en excuse son mari dans une lettre du 8 janvier 1813 : ‘“My expense has been great, surpassing every thing I had any idea of (...) I am fearfull I cannot send you any money enclosed I send you a ten dollar note for Colo. William Donelson, when this is paid I do not ow a relation I have a cent.”’ L’honneur de rembourser ses dettes passait avant sa propre solvabilité. Mais, Jackson veillait à ce que sa famille soit protégée en cas de malheur. Dans la même lettre, il envoie un mystérieux “papier” à sa femme, au cas où un “accident” arriverait : ‘“I enclose you a paper which I wish you to keep, I thought it proper to enclose it, least accident might happen for the safety of yourself and our darling son, keep it safe”’ (Moser, II : 354). Cette assurance-vie n’a pas été retrouvée, mais on peut supposer que le papier faisait office de testament dans cette périlleuse époque des guerres indiennes.

Cependant, le manque d’argent à la plantation pouvait entraîner de sérieux problèmes de fonctionnement, ainsi que l’atteste l’épisode où le régisseur menaçait de partir s’il ne recevait pas son dû. Malgré l’argent que Jackson lui avait envoyé en janvier 1813 (all the money I could raise, Moser, II : 354), le régisseur en réclamait plus puisque Rachel dut lui verser ce qui lui restait d’argent et ce qu’elle réussit à emprunter : ‘“I paid Fields every Cent that I Did not send you In my Letter, he was not satisfied then borrowed thirty Dollars and paid him he was going aboute trying to sell your Note I have made nearly Enough to pay him off”’ (Moser, II : 362). L’argent envoyé à Jackson montre s’il est besoin qu’il dépendait de la plantation comme source de revenu. Rachel dut se débrouiller seule dans cette affaire, sous peine de se trouver sans régisseur du jour au lendemain. Le réseau familial fournit ce qui lui manquait.

Elle emprunta très probablement à un membre de sa famille, car la solidarité familiale était la première sollicitée. Catherine Clinton cite un planteur virginien auquel ses frères et soeurs firent maintes fois appel :

‘Virginia planter Robert Beverley was an archetype of the stern patriarch. His story well illustrates both the variety of obligations a family network might pose (...) He was the wealthiest of the eight sons in his family, and his relatives constantly solicited his financial aid (1982 : 41).

Cet exemple montre que les demandes d’argent de la famille entraient dans le cadre d’une solidarité obligatoire à laquelle les patriarches devaient se soumettre et qui renforçait leur assise dans la famille. Les femmes dépendaient soit de leurs maris, soit de leurs pères ou leurs frères ; dans tous les cas, la suprématie masculine passait aussi par le monopole de l’argent, même si bien des femmes apportaient en dot une part substantielle de la richesse conjugale initiale (Smith, I : 425-427). D’ailleurs, en 1791, Rachel hérita de son père de deux esclaves (George et Moll), de la somme de 4301/3 dollars, ainsi que d’un “lit et des meubles”, une jument, une vache et son veau, et un pot en fer, d’une valeur de 97 dollars (Smith, I : 426-427).

En retour, Jackson aida beaucoup les membres du clan Donelson. La demande de Rachel n’était qu’une transaction de plus dans l’économie complexe des affaires intra-familiales. Les difficultés financières frappaient à tout instant les nombreux membres de la famille, tel le frère de Rachel, Stockley Donelson, le 13 mars 1801 : ‘“I acknowledge your friendship to me have been unbounded, So has been my Sister Rachel”’ (Smith, I : 240). L’“amitié” représentait une très large palette de services rendus, dont une grande partie concernait les affaires, surtout quand on connaît les brasseurs d’argent forcenés qu’étaient le frère et le mari de Rachel Jackson.

Les moyens mis à la disposition de Rachel et des femmes de planteurs en général ne leur laissaient qu'une liberté de manoeuvre limitée et on a vu qu’elles devaient souvent se débrouiller seules, ou avec l’aide familiale, pour que l'entreprise qu'elles géraient en l'absence de leur mari continuât de fonctionner normalement (Clinton, 1982 : 30-31). À cette activité de gestionnaire s'ajoutait pour la maîtresse de la plantation une fonction de maîtresse de maison dont l'hospitalité devait éblouir la société dans laquelle sa famille évoluait. La formule lapidaire d’Elizabeth Fox-Genovese (1986) résume bien les deux fonctions entre lesquelles oscillait la matrone : la plantation était le lieu de “production et de reproduction”. Cette dernière fonction consistait non seulement à élever les héritiers du maître, mais aussi à lui garantir une représentation sociale digne de ses aspirations en montrant au monde la splendeur de son domaine 216. .i).Jackson, Rachel D.:Hermitage:Régisseurs;.:Hermitage:Finances;

Notes
215.

 L’échange le plus répandu était la pratique de fixer les prix en dollars et d’échanger des produits estimés à cette valeur.

216.

L’hospitalité des Jackson est traitée dans l’étude intitulée “L’Hermitage” (VI : 478-489).