Le plaisir

À l’absence dénoncée si intensément dans les missives s’oppose le plaisir de la réception d’une lettre, “leitmotiv” dont la “formule semble toucher à l’essentiel tout en restant très floue” (Dauphin et al., 1995 : 143). En 1796, Jackson était au Congrès, à Philadelphie, et il exprime bien le plaisir des lettres, l’espace d’attente et de satisfaction provisoire que crée la correspondance : ‘“My Dearest Heart, It is with the greatest pleasure I sit down to write you. Tho I am absent My heart rests with you (...) May it give you pleasure to Receive it. May it add to your Contentment until I return”’ (Smith, I : 91). L’abondance des termes de plaisir dans cette introduction vise sans doute à rasséréner une Rachel que Jackson avait quittée “en larmes” (Smith, I : 152). La lettre offre une pose dans l’état mélancolique que provoque la séparation. Hutchings écrivait ainsi à Jackson en 1804 : ‘“I Recd your letter by the last mail, I shew the letter to aunt Jackson, which has Served to gave her mi[n]d Great ease. She had Taken up an Idia that mr. Coffee was going On Dueling Bisness ”’ (Moser, II : 12). On voit combien la lettre est de l’ordre du réconfort en ce qui concerne Rachel.

Les Jackson, à l’instar de beaucoup de Sudistes, s’arrangeaient pour faire convoyer leur correspondance par des amis ou des courriers 227, voire même par leurs esclaves, comme en témoigne une lettre de Jackson : ‘“I recd your kind and affectionate letter of the 8th Instant, last night by Jame”’ (Moser, II : 436). L’absence d’un système postal fiable, la peur des vols et le coût du timbrage expliquent en partie cette pratique très répandue.

Rachel luttait comme elle pouvait contre l’éloignement de son mari. Elle lui fournit un jour un portrait d’elle-même fixé dans un médaillon, ce qui ne manqua pas de toucher son destinataire : .:Amour:Témoignage

‘I was down at the Boat receiving the arms Just arived, and did not get up untill dark, when I found the old man waiting for me, he has carefully handed me your miniature. I shall wear it near my boosom, but this was useless, for without your miniature, my recollection, never fails me of your likeness 228 (Moser, II : 353).

Ce cadeau, véritable don de soi, donne l’illusion d’une présence accompagnatrice, d’un morceau détaché de la personne absente que l’on transporte avec soi. Le présent d’un portrait miniature est l’équivalent du je-pense-à-toi épistolaire, doublé d’un commentaire second qui dit, pense-à-moi. La réunion si souvent fantasmée dans la correspondance par la palliation illusoire et frustrante des mots trouve ici, par la représentation, un symbole plus fort puisqu’il contient l’image de l’être aimé. On ne lit plus seulement ses mots, mais on permet une relation rituelle, fondée sur un objet rendu sacré, avec l’autre absent.

Notes
227.

En 1814, Rachel exprimait le manque de temps pour écrire dû à l’express qui attendait sa lettre : “Mr W Blount Hurryes me the Express is waiteing. I have maney things to say and not time” (Bassett, I : 499).

228.

Cette phrase fait écho à la scène de la Maison-Blanche où il est dit que Jackson, alors veuf, n’ôte ce médaillon que pour dormir.