Le lot commun des femmes

La vie de Rachel Jackson trouve de nombreux échos dans celle de maintes autres femmes du Sud dont les maris, hommes d’affaires, juges ou prêcheurs, passaient le plus clair de leur temps sur les routes des territoires qu’ils contribuaient à créer et à organiser. Ainsi, les lettres de Martha Dubose Winans, femme d’un planteur et pasteur itinérant, expriment souvent les mêmes angoisses et les mêmes sentiments que ceux évoqués par Rachel.

A l’instar de Rachel Jackson, Martha Dubose Winans considérait les lettres de son mari absent comme l’expression de sa présence, des témoignages de complicité et de réunion spirituelle qui lui réchauffaient un instant le coeur : ‘“Write to me frequently it is one of the greatest pleasures I have to receive letters from you; we will not cease to pray for each other while we are separated—your ever affectionate Wife”’ (Holder, 1987 : 310). Les maris n'éprouvaient pas le besoin d'exprimer un tel amour. Ils se contentaient souvent d'espérer de promptes retrouvailles. Jackson, tendre et attentionné, se contente souvent de promettre une lettre et de remettre sa femme entre les mains du Très-Haut : ‘“I shall write you fully before I leave this place, and may all the ruling power give you health and Peace of Mind untill I am restored, to your arms is the sincere supplication of your unalterable”’ (Bassett, II : 13). On voit combien le “nous” que les femmes n’hésite pas à prononcer est plus difficile pour les hommes à exprimer dans leur correspondance.

Les paroles de Mrs Winans montrent également l’importance de la correspondance pour conserver une relation affective très perturbée par des mois de séparation. De son côté, le mari tenait à connaître les petits événements de la plantation, suivait à distance l’épanouissement de ses enfants, ou leurs maladies, supervisait de loin la bonne marche de l’exploitation gérée au quotidien par sa femme. Jackson écrivait à propos de son fils ‘: “Please write me how my little andrew [is]”’ (Bassett, II : 515). En cela, la relation épistolaire conservait un semblant de lien conjugal et entretenait le désir et l’espoir de se revoir. La mortalité dans le Sud était forte et les époux n’étaient jamais totalement sûrs d'être réunis “dans ce monde”.