Les Jackson étaient presbytériens, bien qu’Andrew n’ait rejoint officiellement l’église que très tard dans sa vie, après sa retraite de la sphère politique, quelque dix ans après la mort de sa femme (Arnold, 1969 : 116-117). La doctrine calviniste des Presbytériens sous-tend néanmoins toute l’action de sa vie et s’exprime avec force et clarté dans la correspondance avec Rachel. La prédestination (“ ‘The Lord’s Will be done’ ”, selon l’expression consacrée) influence l’attitude du couple face aux vicissitudes de la vie et dirige leurs actions dans le monde. Cependant, il faut noter que Jackson n’était pas homme à se soumettre à une providence souveraine. L’ambivalence de sa position face à la fatalité est à la mesure de sa volonté de puissance. Jackson était trop volontaire pour accepter un déterminisme trop grand. Il fit plutôt en sorte que les désirs du Seigneur rejoigne les siens. Pourtant, en janvier 1825, il faisait part à son ami Coffee du pouvoir de la Providence :
‘I am still in the habit of ascribing the lot of man to the will of an all-wise providence, and should I be brought into the Presidential chair it must be by His influence counteracting the intrigues of men and the union of interests here (Bassett, III : 274). ’On voit que Jackson se sentait investi d’une mission d’inspiration divine ; que sous le vernis de soumission se profilait la volonté de suivre la voie tracée à la fois par ses propres intérêts et par le Très-Haut afin de combattre les forces du Mal incarnées par ses ennemis.
Du couple Jackson, Rachel était la plus dévote et la plus impliquée dans la pratique religieuse. Lors de la visite des Jackson en 1824 à Washington, Rachel allait tous les jours à la messe, deux fois par semaine à un rendez-vous de prière et assistait à deux messes le dimanche.:Religion:Dévotion; , refusant la majorité des nombreuses invitations du circuit mondain de la capitale (Remini, II : 85 ; 407n38) 243. Le 23 décembre, elle dressait un portrait “orienté” de Washington à une amie de Nashville, Elizabeth Kingsley :
‘To tell you of this city, I would not do justice to the subject. The extravagance is in dressing and running to parties; but I must say they regard the Sabbath, and attend preaching, for there are churches of every denomination and able ministers of the gospel. We have been here two Sabbaths. The General and myself were both days at church. (...) I am going to-day to hear Mr Summerfield. He preaches in the Methodist church; a very highly spoken of minister. Glory to God for the privilege. Not a day or night but there is the church opened for prayer (Moser, V : 456-457). ’La description de Washington se limite à son “extravagance”, mais, à l’inverse de la Nouvelle-Orléans quelle avait avait qualifiée de “Grande Babylone” quelques années plus tôt (Remini, I : 403), Rachel semble lui pardonner cette faute car les églises ouvertes jour et nuit atténuent la vanité des lieux 244. Son intensité religieuse est telle qu’elle compte le temps selon les Sabbaths passés 245. La ville se réduit pour Rachel à la fréquentation des lieux et ministres du culte. Trois ans plus tôt, elle avait montré des velléités d’autorité afin que l’on respectât le jour du seigneur dans la Pensacola cosmopolite sur qui les Américains allaient monter leurs couleurs 246. Elle avait exigé que l’on purgeât la ville de ses profanités le jour du Sabbath :
‘In all that time I was not an idle spectator. The Sabbath profanely kept, a great deal of noise and swearing in the streets; shops kept open, trades going on, I think, more than on any other day. They were so boisterous on that day I sent Major Stanton to say to them that the approaching Sunday would be differently kept. And must I say the worst people here are the cast out Americans and negroes? Yesterday I had the happiness of witnessing the truth of what I had said. Great order was observed; the doors kept shut; the gambling houses demolished; fiddling and dancing not heard any more on the Lord’s day; cursing not to be heard (Moser, V : 80). ’Rétive à toute forme de mondanité qui ne respecterait pas les rites sacrés, la femme du général n’avait rien à envier à son mari quand il s’agissait de faire respecter ce en quoi elle croyait. La foi de Rachel la soutenait jusque dans le pays de pécheurs qu’était le Territoire de Floride et la rhétorique religieuse lui donnait du courage. En juillet 1821, elle écrivait : ‘“I have heard but one gospel sermon since we left home. But I know that my Redeemer liveth. He is my shield. I shall not want. He will not leave me nor forsake me in all my trials through this wilderness.”’ Pourtant, Rachel requérait aussi le soutien de ses amis : ‘“Oh, pray for me; I have need of that aid from my dear Christian friends”’ (Moser, V : 80). Devant la virulence des assauts, Rachel pensait allier la force de ses convictions au soutien physique de ses proches pour en conjurer les effets sur son équilibre. Les pasteurs en visite à Nashville 247 savaient qu’ils pouvaient toujours s’arrêter à l’Hermitage et y trouveraient un accueil chaleureux (Remini, I : 380).
Ce soutien moral imploré par Rachel traduit une profonde angoisse envers le monde extérieur perçu comme mauvais par une épouse qui voyait surtout les attaques féroces portées contre son mari dans l’arène politique et qui croyait comme lui au mal inhérent aux hommes. Au vu des activités militaires et publiques de Jackson, ses démêlés avec ses contemporains forgèrent chez le couple une vision sombre de l’âme humaine que renforçait un calvinisme propre à surenchérir la perception manichéenne du monde. D’ailleurs, ils ne différaient pas de leurs contemporains pour qui le mal était dans la société. La nature humaine était jugée par essence mauvaise. Les Jackson avaient été éprouvés durant toutes ces années par les attaques des uns et les traîtrises des autres 248. La campagne de 1828 représenta un point d’orgue dans la virulence des insultes et la bassesse des propos, ce qui inclina Rachel à souligner encore davantage le martyre qu’elle vivait sur cette terre :
‘I am denyd maney pleasures and comforts in this Life (...) well the apostle says I C[an do all] things in Christ who strenghtened me. I can say my soule can bear testimony to the truth of that Gospel for who has been so cruelly tried as I have my mind by trials hav been severe.’Elle s’indignait que les “ennemis du général” l’aient incluse dans leurs diatribres, elle qui pensait avoir vécu jusque-là en bonne intelligence avec le monde :
‘the enemys of the Genls have dipt their arrows in wormwood and gall and sped them at me Almighty God was there ever aney thing to equal it (...) to think that thirty years had passed in happy social friendship with society, knowing or thinking no ill to no one—as my judgement will know (Bassett, III : 416). ’Malgré sa conscience chrétienne, Rachel avait du mal à pardonner à ses tourmenteurs. Dans son discours apparaît soudain la voix du Seigneur, surgissant et admonestant les pécheurs, et la dévote, à l’instar de son mari, ne doute pas que la rétribution divine les frappera au jour du jugement. Elle termine sa plainte par une nouvelle mise en scène de sa passion :
‘how maney prayers have I oferd up for their repentance—but wo unto them of offences Come theay have Disquieted one that theay had no rite to do theay have offended God and man—in as much as you offend one of the Least of my little ones you offend me Now I leave them to them selves I feare them not I fear Him that can kill the Body and Cast the soule into Hellfire. o Eturnity awful is the name (Ibid.).’Malgré son inclination au pardon dans le Christ, c’est plutôt au Dieu vengeur (celui de l’Ancien Testament cher à Jackson) qu’elle voudrait livrer ses vilipendeurs. Impliquée à son corps défendant par les adversaires politiques de son mari, Rachel n’était pas en mesure de leur opposer le dédain nécessaire. Son angoisse chronique face aux activités de Jackson la prédisposait au contraire à recevoir les attaques journalistiques comme l’aboutissement de l’invasion du monde dans son univers personnel, le refuge où elle pensait être à l’abri de l’extérieur. Dans la lettre précédemment citée, elle s’émeut de l’impact sur sa famille, suscité par les accusations sur la moralité du couple Jackson au moment de leur mariage mouvementé : ‘“My old acquentances wer as much hurt as if it was themselves or daughters”’ (Bassett, III : 416). Cette remarque souligne le sentiment d’intrusion ressenti par la famille et déploré par elle quand l’honneur d’une jeune fille était en cause. Le retour-boomerang de l’aggressivité sociale dans l’intimité du foyer lui semblait non seulement insupportable, mais contraire à toutes les règles de bienséance et de moralité.
Jackson réagissait différemment aux attaques, mais toujours avec le besoin de la justification. Sa rhétorique démentait à la fois les insinuations adverses et le rassurait, lui pour qui l’action requérait, à ses yeux, une reconnaissance nécessaire de son utilité et de son éclat. En réaction aux voix qui s’élevaient au Tennessee contre sa campagne indienne, il écrivait le 17 février 1814 :
‘these cowardly fellows I learn have, endeavouring to throw a shade over my charector. It is in vain for such cowardly rascals to try to injure a virtuous man. But under those circumstances I know it will be grat[ifying] to you to learn that I have done my duty and meet the reward due to a faithfull soldier, the approbation of his superiors. I send the letter (Bassett, I : 464). ’Il est frappant de constater le besoin éprouvé par Jackson de faire parvenir à Rachel les preuves de sa bonne conduite. À l’inverse de sa femme, Jackson ne se retirait pas du monde devant l’opprobre, mais cherchait au contraire des témoignages de soutien afin de confirmer la valeur de ses actions contre l’injustice des accusations . Rachel, étant une femme, n’avait pas la possibilité de protester publiquement des attaques portées contre elle et le seul refuge acceptable (et fourni) par la société pour une femme vilipendée était le cercle des intimes ou sa défense par des hommes garants de sa réputation. Une femme était ainsi attaquée deux fois, par son agresseur direct et par son statut social qui lui interdisait de se défendre elle-même.
Les Jackson étaient presbytériens, mais ils ne dédaignaient pas de fréquenter d’autres sectes protestantes, notamment les offices méthodistes, lors de leur séjour à Washington en 1824 (Moser, V : 456-457). Ces “descendants spirituels de Jean Calvin” (Norton, 1981 : 6) croyaient à la prédestination. Le sentiment que Dieu lui avait confié une mission ne quitta jamais le général et conforta le président dans chacune de ses décisions. Rachel renforçait cette certitude en octroyant des références bibliques prestigieuses à son mari traversant le désert vers la terre promise, comme en ce 7 avril 1814 : ‘“I trust that same God that Led Moses through the wilderness has been and now is Conducting you giveing you his aide his protection on that my hopes are founded”’ (Bassett , I : 498). Selon Jackson, la même protection dont bénéficia le prophète lui était accordée par le Très-Haut :
‘my love as it respects my safety, when you reflect, that I am protected by that same overuling providence when in the heart of the creek nation, as I am at home his protecting hand can Shield me as well from danger, here as there, and the only differrence is that his protecting hand is more conspicous in the field of Battle than in our own peacefull dwellings when we are surrounded, by our bosom friends (Moser, III : 34). ’Le dieu omniprésent, tant sur le lieu familial de la plantation que sur le champ de bataille, participe également chez Jackson de ce désir d’unité familiale au-delà de la séparation physique. Tel Moïse menant le peuple d’Israël à la Terre Promise, il prépare aussi l’intégrité “sacrée” du territoire national. Que le coeur de la nation Creek batte à l’unisson de sa tranquille demeure, voilà un credo d’universalité revendiqué par Jackson, l’uniformisation d’une terre appelée à un grand dessein. Faire de l’Amérique une seule maison apparaît pour lui la mission la plus fondamentale qui soit. On retrouve ce désir de symbiose familiale dans la crise de l'affaire Eaton, où il menace de renier sa famille si l'unité n'est pas réalisée, si ses directives de patriarche demeurent négligées. Le précepte de Matthieu (12:25), “Une maison divisée en elle-même ne peut pas tenir debout”, prôné par Jackson et ses contemporains quelque vingt ans avant le célèbre discours de Lincoln, fait ici autorité.
L’événement auquel participait Jackson détenait en effet une qualité spéciale, une singularité toute particulière qu’il soulignait à loisir, mettant l’accent sur la justesse de la cause. Cette assurance d’être l’instrument d’un dessein providentiel et noble, d’une “destinée manifeste” avant la lettre, lui donnait à la fois le courage de ses actions, mais aussi affirmait leur justification et l’inévitabilité de leur succès. Cette rhétorique possédait à la fois une vertu guerrière puissante, un soutien moral incontestable devant les exactions perpétrées contre les Indiens et constituait un puissant remède à l’angoisse de Rachel dans les termes mêmes qui pouvaient la rassurer 249. En outre, il est certain que Jackson croyait en sa rhétorique et s’employa à la mettre en oeuvre avec un succès rarement atteint par aucun général. Ward confirme que Jackson reconnaîssait la cause divine de sa victoire : ‘“Later in life, Jackson was accustomed to refer to his role in the victory as that of ‘the humble instrument of a superintending Providence’”’ (1955 : 107). Nous pouvons dire ici que Jackson crut en sa mission bien avant la victoire, tenue pour certaine, écrite en quelque sorte.
Cet état d’esprit existait dans l’Amérique du xixe siècle et les discours de louanges après la bataille de Chalmette, la victoire qui libéra la Nouvelle-Orléans en 1815, présentent souvent Jackson comme l’instrument de la volonté divine, ainsi que le souligne Ward : ‘“Jackson accepted the characterization of himself as God’s chosen instrument graciously (...) It hardly depreciated his importance at New Orleans to be assigned a secondary role, as long as it was second only to God”’ (1955 : 105). Cette double origine de ses exploits entraîne un paradoxe entre le fatalisme calviniste et son activité prométhéenne.
Le 8 janvier 1813, avant son départ pour le Sud et sa première expédition militaire, Jackson énumère les influences de son idéologie martiale :
‘ I thank you for your prayers—I thank you for your determined resolution, to bear our separation with fortitude, we part but for a few days, for a few fleeting weeks, when the protecting hand of providence if it is his will, will restore us in each others arms, In storms, in battles, amidst the raging billows recollect, his protecting hand can save, in the peaceful shade, in cabins, in pallaces, his avenging hand can destroy—Then let us not repine, his will be done, our country calls, its rights are invaded, the innocent babe, and helpless mother, masacred by the ruthless savages, excited to these horrid deeds, by the infernal engines of British policy, and British depravity recollect then, that the god of Battle cries aloud for vengeance, we are the means in his hands to punish the impious Britains, for their sacraligious Deeds, we trust in the righteousness of our cause, and the god of Battle and of Justice will protect us, hence then dispel any gloomy ideas that our seperation may occasion, bear it with Christian cheerfulness—and resignation, I shall write you often, and shall be always happy to hear from you (Moser, II : 353). ’Le vocabulaire martial s’enrichissait souvent d’un imaginaire à consonnance romaine où les exploits américains prenaient l’allure des campagnes antiques de civilisation contre les barbares. Dans la rhétorique jacksonienne, les Indiens et les Anglais participaient de cette dernière étiquette, sans grande distinction en raison de leur alliance. Dans ce combat primitif entre les forces du Bien et du Mal, Jackson convoque le dieu vengeur et guerrier de l’Ancien Testament, plus proche de Mars ou de Thor que du dieu protecteur qui offre son fils pour le rachat des hommes, et sous la protection duquel Rachel place son mari. Onze mois plus tard, Jackson n’avait de cesse de revenir au leitmotiv qui semblait lui réussir puisque les anges, jusqu’ici, avaient été efficaces : ‘“The guardian angles will protect us, and support us, under every trial danger and dificulty, so long as we are engaged in so riteous a cause”’ (Moser, II : 494-495). La ligne à suivre ne permettait aucun écart de conduite. Le devoir requérait une constance qui s’affirmait comme la seule protection possible contre le danger. La rectitude et la fortitude étaient les garants du succès.
Malgré son anxiété, Rachel ne pouvait qu’acquiescer au discours de Jackson :
‘if the almighty (mut.) [take]s Care of the good and virtuous you will be [in hi]s Care may his Choicest blessings forever on [you] keep protect be your Counciler be your (mut.) [in] time of dainger send a kind gardian angel [to guar]d your sleepeing hours if my prayers [and] my tears Can avail you will be well (mut.) (...) your affectionate wife untill death (Bassett I : 283). ’Conjurer le sort en se reportant sur un ange ou sous la protection d’une providence mandataire de l’action militaire engagée aidait le couple à surmonter cette épreuve.
Toutefois, si Rachel semblait adhérer à l’idéologie de son mari, elle ne pouvait supporter les dangers auxquels il était exposé. En 1813, Andrew Jackson avait 46 ans et son état général n’était pas très bon, il était parti à la guerre avec deux balles dans le corps : une lui rongeait doucement l’os du bras et l’autre était trop près du coeur pour permettre une opération. Une troisième lui avait traversé l’épaule quelques semaines avant son départ pour Natchez. Les épreuves qu’il traversait, les polémiques et l’adversité qu’il affrontait étaient autant de causes d’anxiété pour sa femme, bien que ses succès venaient confirmer la certitude qu’il avait posé son “pied sur un rocher qu’on ne peut abattre”. Pourtant, Rachel paraissait réticente quant à la moralité d’une activité telle que la guerre :
‘may the Almighty God of heaven Shower down his blessings his mercy on you assist you in the ways of life in the ways of righteousness be your Shield in the time of dainger support you in all things, keep you in the paths of wisdom the way thereof is peace (Moser, II : 362). ’Rachel semble ici prêcher, bénissant son mari et lui rappelant aussi que la paix est source de sagesse, que la folie des hommes s’exacerbe dans la tourmente de la bataille. Recluse dans la propriété, elle était épargnée par la cruauté du monde et demeurait le modèle moral de la société (Clinton, 1982 : 90). Elle encourageait toutefois Jackson à la modération et à la vertu : ‘“I can almost say thou art a Cristian. I hope you are goodness and virtue points oute all your ways’ (Bassett, I : 483). Cette injonction étonnante peut être lue comme une légère réprimande de la part de Rachel envers un mari trop belliqueux. Néanmoins, il ne faudrait pas croire que Mrs Jackson restait indifférente à la gloire montante de son mari et désapprouvait ses actions. Le 21 mars 1814, elle saluait comme il se doit ses victoires successives :
‘oh my Love my Heart bleeds for you the Daingers and trials perels and Diffyculties dayly awaits you but I see you have set your foot on a rock that never Can be shaken (...) By the grace and help of that god who has you in his heavenly parentel Care may he Condescend to be with you in the hour of Daiger of difficulty bare you Conquerrer through Support you with a mighty power. Your fortitude and firmness never was Equeled none was so tryed in our Day. (...) Blessed be the god of Heaven you have Triumph over them all (Bassett, I : 483). ’Rachel loue surtout les qualités personnelles de Jackson. L’intérêt national demeure chez elle subordonné à l’action de son mari, à ses souffrances et ses efforts, à ses lauriers plutôt qu’à une vision politique ou stratégique de son action. Si elle garde une vision domestique de l’entreprise militaire de Jackson, c’est que son regard reste centré sur le rapport conjugal dont elle rappelle périodiquement la sainteté qui le fonde : ‘“remember I have Clame on you That nothing but Death will Desolve”’ (Bassett, I : 499). Elle observe les actes de Jackson au prisme de cette exigence-là. Pour elle, les honneurs et la gloire passent après le serment conjugal. Seule la mort pouvait les séparer sur cette terre, mais elle leur permettrait d’être enfin réunis dans l’au-delà, cette fois pour toujours.
Rachel Jackson écrivait, le 23 décembre 1824 : “I have the precious promise, and I know that my Redeemer liveth (...) I can do all things in Christ, who strengtheneth me” (Moser, V : 456-457).
Jackson écrivait à John Coffee, le 27 décembre 1824 : “Mrs. J. and myself goes to no parties (...) at home smoking our pipe” (Moser, V : 457-459). Cette attitude est confirmée dans la lettre de Rachel du 23 décembre : “The play-actors sent me a letter, requesting my countenance to them. No. A ticket to balls and parties. No, not one. (...) Indeed Lr. Jackson encourages me in my course. He recommends it to me to be steadfast” (Moser, V : 456-457).
Jackson abondait dans cette vision de Washington comme lieu de l’hypocrisie humaine : “there was nothing but shew, nothing of pure principles of friendship in these crowds, hypocrysy and hollow heartedness predominates in this great city” (Bassett, III : 274). On sent ici l’influence moralisatrice de Mme Jackson.
Elle avait déjà adopté cette alternative en 1821 à Pensacola : “Three Sabbaths I spent in this house before the country was in possession under American government” (Moser, V : 79-80).
Jackson était le premier gouverneur du Territoire de Floride, acheté récemment par les États-Unis à l’Espagne (Remini, I : 386).
De toutes les villes situées dans la région appelée ‘Bible Belt’, il est dit que Nashville en est la boucle. Il y a plus de cinq cents église établies et Nashville est le centre des maisons d’édition religieuse des États-Unis. La présence des églises africaines-américaines y est également prépondérante.
Cette vision jacksonienne sombre des rapports sociaux a été présentée par Kohl (1989 : 22-28) dans une sous-partie intitulée “Victims and Victimizers”.
La force du zèle montré par Jackson ne résidait pas uniquement dans sa députation divine mais aussi dans la dimension nationale et créatrice qu’il donnait à son action. Cette prise en compte de la destinée nationale comme but ultime de son oeuvre tempère la résonnance religieuse qui fait office d’arrière-plan moral. Il est évident, lorsqu’on compare ses lettres à d’autres correspondants, qu’il est plus enclin à développer la rhétorique religieuse dans la correspondance conjugale. Toutefois, il est aussi possible que sa vrai conviction se soit exprimée pleinement et uniquement sous les yeux de Rachel. Après la mort de sa femme, Jackson emploie d’ailleurs beaucoup plus souvent des images religieuses pour s’exprimer.