La mort de Rachel

La mort occupe une place importante dans la vie des planteurs. Le climat difficile, la pauvreté des soins, la tuberculose, la pneumonie, la malaria, la fièvre jaune faisaient des ravages dans toutes les couches de la population et il n’est pas rare dans les généalogies de trouver des mariages successifs après des morts en couches ou des fièvres fatales. Les Jackson connurent d’innombrables deuils dans leur famille et parmi leurs amis. Dans le but de faire face à l’insoutenable, leur discours de condoléances trouvait son inspiration dans les préceptes biblique de la volonté divine et de la soumission à la providence. La mort s’inscrivait dans le registre de l’impuissance des hommes et Jackson en acceptait l’irréductibilité.

Dans la citation suivante du 27 avril 1816, Rachel console la mère de John Hutchings, récemment décédé : ‘“ther is none Exempt from trouble And the great Disposur of all who holds the Disteny of nations in his hands sees and knows what is best for us Let us my Friend resine to His will”’ (Moser, IV 27). L’idée que chacun est sujet aux afflictions de la providence peut être un moyen de fondre sa peine dans celle du monde. D’autant que la volonté du Tout-puissant doit être reçue sans murmurer contre le décret, sans se révolter contre la décision divine. Le 23 février 1819, Rachel tenta de rappeler son devoir chrétien au peintre Ralph E. W. Earl, inconsolable après la perte de sa jeune femme (une nièce de Rachel). Le désespoir était jugé comme un manque de foi en la sagesse du Seigneur et devait être vaincu par l’espérance d’une vie meilleure dans l’au-delà :

‘Let me as a real & Cincere Friend perswad you to try and reconcile this Solemn Dispensation for be asurd My Friend you have not to weep as those that have no hope—Angels wafted Her on their Celestial wings to that blooming garden of roses that have no thorns where Honey has no Sting, Look forward to that happy period when we Shall meet all our Dear Friends in Heaven wher the parteing sigh will be no more be herd, all Tears will bee wiped from our Eyes. But Let us first Secur an interest in a Crucifyed redeemer. o My Friend Mr Earle thes is Sacred Facts religion prepares for Life or Death I know you ar not fare from it for I Can Say with Truth that a more Correct young man I never knew therefore put your trust In the Lord he never will Desert nor forsak those that Chose him, think not this a gloomey subject, oh. no—Its a light to my bath a lamp to my feet—Come and See me as soon as Convenient. May the God fo all Comfort Speak Peac to your Heart and say my grace is sufficient for the Amen (Moser, IV : 272).

En calviniste convaincue, Rachel voit en la grâce le bienfait suprême, remède de tous les maux et surtout des déchirements du coeur. Pour elle, la religion “prépare à la vie et à la mort”, en est à la fois le soutien et l’explication. L’imagerie religieuse traverse bien des lettres de condoléances, et l’évocation imagée d’une paix enfin trouvée par delà la mort devait apporter réconfort et joie aux survivants.

Le thème d’une vie meilleure dans l’au-delà, enfin délivrée des “épines” et des “piqûres” du monde, préoccupe Rachel particulièrement. La souffrance occasionnée par la solitude et l’angoisse trouvaient un exutoire dans le précepte de la vie heureuse après la mort. Continuation logique du mythe conjugal des retrouvailles dans l’enceinte protégée de la plantation, la mort qui délivre des affres de ce monde entraîne les âmes libérées dans le jardin en fleurs qu’elle évoque en parlant de Jane Earl.

Rachel précise que son discours est heureux, malgré les apparences. Elle se réjouit même d’une telle aubaine, sachant que les tourments de cette terre prendront fin un jour : ‘“Its a light to my bath a lamp to my feet.”’ Le discours de Rachel est ainsi à deux niveaux de lecture. Le premier est évidemment religieux et invoque la doctrine traditionnelle chrétienne de la vie éternelle après la mort. Le second prend en compte la situation personnelle de Rachel, son isolement, son anxiété, sa souffrance causée par les absences répétées de Jackson. D’ailleurs, celui-ci reprendra le même discours après la disparition de Rachel, comme il sera montré plus loin. Pour lui alors, le monde sera également coupé en deux, et la tombe, la mort, sera le passage d’un état douloureux, de ce côté-ci, à un état d’extase et de repos, de l’autre côté, où la réunion sera possible avec celle qu’il aime, délivré des langues de vipères et de la fausseté du monde.

Le 8 février 1813, Rachel exprimait très précisément le rapport qu’elle établissait entre son anxiété, son désir de voir son mari rentrer à la plantation, et son espoir non moins grand, plus tard, d’une réunion éternelle libérée de la “séparation douloureuse” qui lui était alors imposée :

‘My time passes heavily not in good health but I hope to see you once more on this globe and after this frail life Ends be with you in happyer Climes wer I shall Experience no more painfull seporation and then I’ll be at rest I feel a foretast of the Joys that is to the virtuous souls Gracious God help me to pray for your happiness (Moser, II : 361).

On voit ici qu’elle n’a pas un grand attachement à la vie sur terre, préférant le moment où ses tourments prendront fin.