La virilité de Jackson

Paradoxalement, Jackson contribua moins à sa propre postérité que son entourage. Très tôt dans sa vie, en effet, ses amis et sa famille commencèrent à nommer leurs enfants Andrew Jackson, suivi bien sûr du nom de famille du père légitime. Cette pratique était courante dans le Sud, comme en témoigne Wyatt-Brown : ‘“Ofttimes distinguished surnames replaced the ordinary Christian name (...) as if there were some special magic in the christening itself”’ (1983 : 65). Jackson est effectivement un prénom. En 1799, son beau-frère Samuel Donelson appelait son nouveau-né Andrew Jackson Donelson en hommage au mari de sa soeur 299. Son ami John Hutchings appela son fils Andrew Jackson Hutchings en 1811. En 1819, John Coffee fit de même et Andrew Jackson Donelson nomma son aîné Andrew Jackson en 1826. En 1839, Andrew Jackson Hutchings fit de même avec son cadet et reproduisit l’hommage que son propre père avait rendu à Jackson 28 ans plus tôt. En outre, d’innombrables familles dans le pays firent de même.

Dans une société où la virilité occupait une place centrale, il ne semble pas que Jackson fût l’objet d’attaques sur son absence de descendance biologique. Sa volonté de fer et la fascination qu’il exerçait sur ses contemporains reléguait le physique au second plan. Beaucoup de descriptions mentionnent la pâleur et la maigreur de Jackson, mais insistent sur le regard pénétrant du héros, comme cet historien de la bataille de Chalmette cité par Ward :

‘The chief of the party (...) was a tall, gaunt man, of very erect carriage, with a countenance full of stern decision and fearless energy, but furrowed with care and anxiety. His complexion was sallow and unhealthy; his hair was iron grey, and his body thin and emaciated (...) But the fierce glare of his bright and hawk-like grey eye, betrayed a soul and a spirit which triumphed over the infirmities of the body (1955 : 159).

La fragilité physique de Jackson, son extrême maigreur, non seulement ne furent pas des obstacles à sa réputation de virilité, mais une preuve de plus de son extraordinaire volonté (Ward, 1955 : 153-165). La “tête de fer” de Jackson et la rigidité de sa stature valaient toutes les virilités du monde, comme l’exprime majestueusement George Bancroft :

‘The commanding majesty of his will appalled his opponents and revived his friends. He himself had a proud consciousness that his will was indomitable (...) he stood erect, like a massive column, which the heaps of falling ruins could not break, nor bend, nor sway from its fixed foundation (cité dans Ward, 1955 : 161)  300 .

La métaphore est exprimée clairement. L’esprit d’Andrew Jackson était l’incarnation de sa virilité, ce qui faisait de lui un homme à part entière, voire même le père de la nation, comme l’exprime John Bolles, lors d’une cérémonie funèbre en juillet 1845 : ‘“He has left no children to divide the heritage of his glory:—to his country, therefore, belongs the whole of that splendid inheritance!” ’(Dusenbery, 1845 : 213). La symbolique nationale (oublieuse de ce fils adoptif que Jackson aimait tant) accepte la gloire posthume, héritière légitime de son grand oeuvre, renversant ainsi l’absence de descendance biologique en un acte patriotique suprême 301.

Notes
299.

Jackson avait déjà acquis une réputation. Il avait été le premier représentant de l’État au Congrès, puis sénateur, et venait d’être élu à la Cour supérieure du Tennessee.

300.

Dans son discours d’adieu à Jackson, en 1845, Bancroft utilise une autre métaphore explicite, similaire à la précédente : “And there he stood, like one of the mightiest forest trees of his own West, vigorous and colossal, sending its summit to the skies, and growing on its native soil in wild and inimitable magnificence” (Dusenbury, 1845 : 41). Signalons que dans sa note, Ward s’est trompé dans la référence : la citation de Bancroft se trouve p. 48.

301.

En effaçant Junior des dythirambes, les orateurs créèrent une situation paradoxale. Ils occultèrent le rêve de Jackson de voir ses descendants perpétuer son nom et sa gloire (bien qu’il ait vite compris que Junior perpétuerait seulement son nom) malgré son ancrage très fort au sein de la famille Donelson. Mais, refusant cette généalogie, ils le rendirent encore plus grand en faisant de lui un personnage unique et universel dont la seule vraie famille était l’Amérique elle-même. En outre, la descendance symbolique innombrable des “Andrew Jackson” est l’héritage le plus concret et le plus glorieux dont Jackson pouvait rêver.