Le mécénat et l’histoire scolaire de Jackson

Jackson participa activement à l’effort structurel de mise en place d’un système scolaire local. De 1791 à 1805, il siégea au conseil d’administration de la Davidson Academy, une des premières institutions scolaires de l’Ouest 322. La future université de Nashville (1825) fut fondée par James Robertson en 1785, soit cinq années après l’arrivée des premiers colons, montrant là un intérêt certain des colons pour l’éducation 323 (Doak, 1903 : 67 ; 71 ; Lacy, 1969 : 102). En 1802, Jackson fut chargé de superviser l’érection de nouveaux bâtiments pour l’institution. Quatre ans plus tard, il versa une contribution de mille dollars à la construction d’autres bâtiments lorsqu’elle devint le Cumberland College (James, 1938 : 68 ; 329-30). Le conseil d’administration était organisé en comités chargés d’obtenir de l’argent par différents moyens, tels la spéculation foncière, le commerce du maïs ou la location de terres appartenant à l’université. Les hommes les plus puissants de la région prirent cette effort à coeur et l’on retrouve dans l’histoire de l’université de Nashville toutes les oppositions politiques et religieuses qui secouèrent l’État du Tennessee (Lacy, 1969 : 103-104).

Jackson voyait dans l’éducation le meilleur moyen de former des citoyens responsables et compétents, dans la plus pure tradition des Lumières. Soucieux du rôle des élites dans cet effort, il déclara un jour : ‘“In this republic, education is inseparably connected with virtue and liberty; and he that improves its sources deserves the highest ranks of public servants”’ (Walker, 1944 : 28). Il était conscient de l’importance d’une éducation rigoureuse des futurs dirigeants pour s’imposer dans le monde. Il souffrait de n’avoir pas reçu davantage d’instruction et connaissait son handicap alors qu’il briguait le plus haut mandat de la république : ‘“I was well aware that my defective education would in some degree render me obnoxious to those poignant shafts of satire and derision, which the event thus far has realized”’ (cité dans Walker, 1944 : 23-24). À la même époque, il écrivait dans une autre lettre à Rachel : ‘“Having experienced so much inconvenience from the want of a perfect education myself makes me so solicitious”’ (James, 1938 : 392) . Ce constat poussa Jackson à encourager et à soutenir tous ses protégés dans leur parcours éducatif.

Il alloua ainsi son temps, son argent et son attention à la solide formation de ses pupilles et leur fournit toutes les possibilités de devenir des hommes éduqués et responsables. Lorsqu’il apprit le renvoi d’Andrew J. Hutchings du Cumberland College; en 1827, il répéta le même argument à Junior : “Tell him how much I have regretted the want of education and how much I wish him to possess one” (cité dans James, 1938 : 469). Sa propre expérience devait servir d’exemple à ses fils. On ne mesure pas toujours les efforts inouïs que dut déployer Jackson pour se hisser au rang et au statut qui furent les siens. Il évoqua à maintes reprises le travail acharné auquel il consacra chaque jour de sa vie. Sa force tient autant dans ses capacités exceptionnelles que dans l’intelligence de son application et de son obstination à accomplir la tâche qu’il s’était fixée 324.

Pourtant, Jackson fut souvent raillé pour son manque d’éducation formelle . Dans son introduction au premier volume de la correspondence, Bassett relativise les erreurs d’orthographe et de grammaire disséminée largement dans les lettres de Jackson :

‘Jackson’s intellectuality has been frequently discussed. His enemies have said much to show that he was illiterate. The letters here reproduced are evidence in point. In general they are as creditable as the letters of his friends. They often contain mispelled words, but the same can be said of the letters written to him (1926 : ix).

Son orthographe et sa syntaxe se sont d’ailleurs grandement améliorées au fil des années et, ainsi que le fait remarquer Bassett : ‘“Jackson expressed his ideas in a simple, direct, and energetic style (...) Jackson never leaves us in doubt as to his meaning”’ (1926 : x). Toutefois, il est juste de reconnaître le manque d’éducation de Jackson, une déficience, nous l’avons vu, qu’il regrettait lui-même. Mais, un homme comme George Washington n’était pas exempt de faiblesses en orthographe : ‘“The Washington Globe, scoffing at reports of Jackson’s putative illiteracy, airily reminded readers that George Washington (himself the recipient of an honorary Harvard degree) had spelled ‘altogether independent of the laws laid down by Webster’”’ (Moore, 1989 : 434) 325. Étant donné ses origines, Jackson avait montré qu’un cerveau bien fait pouvait aisément compenser des lacunes scolaires, à condition de s’en donner la peine. Pour lui, l’éducation permettait de forger très tôt les outils indispensables au génie de chacun afin qu’il se développât au maximum de ses possibilités 326.

Notes
322.

Lacy cite l’historien du Tennessee, Putnam (1859), à propos de l’assiduité de Jackson à sa fonction : “Generals Robertson and Jackson were seldom absent, though they each resided several miles from town” (1969 : 103).

323.

Ces notables observaient la même attitude qui avait présidé à l’introduction, dans l’article 3 de l’Ordonnance du Nord-Ouest (1787), d’une close célébrant la nécessité de l’éducation dans les nouveaux territoires : “Art. 3. Religion, morality, and knowledge, being necessary to good government and the happiness of mankind, schools and the means of education shall forever be encouraged” (Martin & Royot, 1988 : 38). Notons que ces mécènes de l’éducation avaient eux-mêmes très peu fréquenté les écoles.

324.

La question de l’illettrisme de Jackson agita la campagne présidentielle de 1828. Les partisans d’Adams publièrent une lettre pleine de fautes, censée avoir été rédigée par Jackson : “The Washington corrrespondent of Charles King’s paper, Edward Vernon Sparhawk, got wind of the letter and said of it: ‘Proof positive is afforded, that the man who aspires to the chief magistracy is incapable of writing a commonly decent letter—that he is ignorant of grammar, or even of orthography’” (Read, 1963 : 191). Voir Read, “Could Andrew Jackson Spell” (1963) pour un aperçu des débats enflammés à ce propos.

325.

En 1833, l’université d’Harvard attribua à Jackson le titre honoraire de Docteur en Droit, comme elle l’avait fait précédemment pour les autres présidents, au grand dam de John Quincy Adams : “Denouncing the plan, he stiffly informed [Harvard’s President] Quincy that he ‘could...not accept the invitation to attend upon this occasion.’ For as ‘an affectionate child of our Alma Mater,’ he had no desire ‘to witness her disgrace in conferring her highest honors upon a barbarian who could not write a sentence of grammar and could hardly spell his name’” (Moore, 1989 : 429).

326.

Cette philosophie fondée sur la méritocracie diffère de la vision jeffersonienne décrite par Boorstin (1993 : 223-224). D’après lui, Jefferson aurait eu une vision conservatrice de l’éducation, plaçant en elle l’espoir d’une stabilité sociale grâce à l’utilitarisme des enseignements qui permettraient à chacun d’intégrer la place à laquelle sa condition le destinait.