Les lieux et acteurs de l’éducation

Avant le développement des académies au début du xixe siècle, le tuteur et les cours particuliers avaient occupé une place prépondérante dans le mode d’éducation des élites sudistes 330.

Celles-ci avaient bien sûr hérité du système anglais. Dans son article sur l’importance primordiale du tuteur dans le Sud d’avant-guerre, J. Isaac Copeland (1965 : 37) souligne l’importance de l’éducation dans les conditions de la frontière et l’influence de John Locke qui vanta les mérites du système tutorial pour les élites. Il insiste également sur le caractère rural de la société sudiste et de son isolement, loin des grands centres d’instruction américains, sans parler d’un certain anti-intellectualisme propre à la frontière et au Sud en général (voir également Wyatt-Brown, 1983 : 94). Ce sont ces paramètres qui définissent, dans des proportions variables selon les lieux, les époques et les circonstances, l’établissement de lieux éducatifs dans le Sud d’avant-guerre (ante 1861).

Le réseau scolaire de la frontière était loin de satisfaire aux besoins des enfants et des parents, même dans les années 1820-1830 qui sont l’objet de cette étude. Les professeurs étaient difficiles à recruter. Copeland écrit :

‘Teachers were not easy to find, and planters of the eighteenth and nineteenth centuries employed means similar to those used today. Letters were written to friends asking for suggestions, the planter’s factor was sometimes enlisted in the search, an advertisement might be inserted in newspapers, or perhaps the tutor himself might advertise and apply in person (1965 : 37).

Les engagements des professeurs duraient généralement un an. La mobilité des personnes et la précarité des situations ne permettaient pas d’assurer un suivi dans l’éducation des jeunes enfants. On trouve dans la correspondance de nombreuses références à de multiples professeurs pour les pupilles de Jackson, les factures couvrant la plupart du temps des périodes d’une année, voire moins.

L’un des tuteurs les plus connus de la littérature fut Philip Vickers Fithian , qui résida chez le Virginien Robert Carter en 1773-1774 331. Les tuteurs pouvaient être des aventuriers en quête de nouveauté, d’autres enseignaient pour survivre (on dit que Jackson fut instituteur pendant plusieurs mois... 332), d’autres encore étaient d’anciens étudiants frais émoulus de l’université à la recherche d’argent pour poursuivre leurs études de droit ou de théologie en vue du séminaire (Copeland, 1965 : 39). Les sujets pouvaient varier selon l’âge et la capacité des élèves : ‘“The subjects taught reflect the emphasis placed upon literature and the classics (...) the planter generally sought a tutor who could offer instruction in reading, writing, Latin, Greek, and mathematics; to this might be added geography, spelling, and French or some other language”’ (Copeland, 1965 : 42). On note le caractère traditionnel de cet enseignement, loin des préoccupations utilitaristes de Jefferson à l’université de Virginie.

L’éducation des enfants élevés par Jackson eut lieu dans ce que les pionniers appelaient une “field school”. Ancêtre de l’école privée, cette école de campagne regroupait surtout les enfants des familles qui pouvaient se permettre la dépense, une attitude propre au Sud : ‘“since leadership in the colonial South had been preempted by the wealthy, education was in large measure reserved for those who could afford to pay”’ (Copeland, 1965 : 37). Ainsi, qu’il s’agisse du tuteur en poste dans une plantation, ou un professeur créant une école à proximité de plusieurs plantations, le système sudiste réservait l’accès à l’éducation aux enfants de l’élite afin que celle-ci perpétue sa domination. H. M. Doak (1903), dans son article sur le développement de l’éducation au Tennessee, remarque que celle-ci était presqu’absente des préoccupations de la Caroline du Nord, parent administratif du Tennessee jusqu’en 1796. La première Constitution du territoire devenu indépendant ne mentionnait aucune clause à ce propos (Lacy, 1969 : 77-84).

Cette apparente indifférence constitutionnelle s’accorde mal avec les efforts consentis par les administrateurs de la Davidson Academy, une des premières institutions éducatives à l’ouest des Appalaches. Doak (1903 : 83) montre l’évolution des mentalités et les efforts étatiques ultérieurs pour instaurer un système éducatif cohérent au Tennessee. En 1823, une loi-cadre imposa l’élection de recteurs dans chaque comté afin d’engager des professeurs, de construire des écoles et même de permettre l’accès de l’école aux pauvres. La nouvelle constitution de 1834 mentionne, de manière volontairement floue, le besoin d’un projet viable 333 (Lacy, 1969 : 180). Stowe (1990 : 132) stipule que le développement des académies après 1820 participa de ce désir croissant d’éducation, sans toutefois supprimer le tutorat, jugé parfois moralement supérieur aux institutions collectives trop propices à des découvertes 334 que certains trouvaient parfois déplacées (Censer, 1984 : 56-57).

Lieu d’apprentissage et lieu de vie, le tout formant deux facettes d’une même recherche de raffinement et d’intégration à la société, l’académie permettait aux parents de confier leurs enfants à des institutions autonomes qu’ils payaient, sans avoir à recruter les professeurs ou à organiser eux-mêmes les structures (Stowe, 1990 : 134 ; 142, passim). De même, Stowe montre clairement le double objectif, éducatif et symbolique, à l’oeuvre dans le développement des académies :

‘Increasingly concerned that home education was not intellectually efficient, many elite parents also supported institutions as a clear sign of class cohesion. Academies, especially after 1820, were organized by groups of local planters, financed by tuition and by the sale of shares of subscriptions, and sometimes chartered by the state (1990 : 132).

L’institution scolaire servait non seulement à l’enseignement, mais également au sentiment identitaire de la classe dominante qui pouvait ainsi se mirer dans ses valeurs et les inculquer à la prochaine génération. Le facteur de domination social était donc une partie constitutive de l’éducation, et il n’est pas étonnant que le rôle de l’argent dans son histoire apparût comme un facteur déterminant de développement.

Notes
330.

Les plus riches planteurs des XVIIe et XVIIIe siècles envoyaient bien entendu leurs fils en Grande-Bretagne pout leurs études.

331.

Seuls les plus riches planteurs pouvaient accueillir un professeur à demeure. Fithian décrit le confort du bâtiment réservé à l’école sur la propriété de Carter, l’un des hommes les plus opulents de Virginie : “First the School-House is forty-five feet long, from East to West, & twenty-seven from North to South; It has five well-finished, convenient Rooms, three below stairs, & two above; It is built with Brick a Story and a half high with Dormant Windows; In each room is a fire; in the large Room below-Stairs we keep our School; the other two Rooms below which are smaller are allowed to Mr. Randolph the Clerk; The Room above the School-Room Ben and I live in; & the other Room above Stairs belong to Harry & Bob. Five of us live in this House with great Neatness, & convenience; each one has a Bed to himself” (Williams, 1900 : 130).

332.

Remini (I : 28) donne cette version des faits d’après Parton (1861, I : 98-99) qui cite trois témoins “crédibles”. Or, la biographie de Reid et Eaton (1817) rédigée sous l’oeil de Jackson, ne mentionne pas cette activité. Parton publie la déclarattion d’un certain John Porter, 78 ans, dont les frères et soeurs auraient fréquenté les cours dispensés par Jackson en 1783 ou 1784, dans le district de Lancaster, près de l’église méthodiste épiscopale de la région de Waxhaw (Caroline du Nord).

333.

L’article XI, section 10, de la constitution d’État débute ainsi : “Knowledge, learning and virtue being essential to the preservation of republican institutions, and the diffusion of the opportunities and advantages of education throughout the different portions of the State being highly conducive to the promotion of this end, it shall be the duty of the General Assembly, in all future periods of this Government, to cherish literature and science” (Lacy, 1969 : 180).

334.

Amitiés fortes, amours, baisse de l’influence des parents, goût immodéré pour l’éducation et perspectives de carrière personnelle jugés impropres à la position d’une dame.