Un pupille moins raisonnable : Andrew Jackson Hutchings

Andrew J. Hutchings était beaucoup moins responsable avec les sommes allouées, mais le jeune homme, malgré ses frasques et sa défection de la prestigieuse université de Virginie, n’avait pas fondamentalement démérité aux yeux de son oncle, comme ce dernier l'explique à John Coffee le 26 mars 1832 :

‘his professors bear ample testimony, in three letters to me, of his good moral conduct, and say, ‘that in all things he has acted like a gentleman’—but in some instances inattentive. The truth is, the students have two parties per week, and this takes two evenings in the week from study, and it is this that has drained the purse (cité dans DeWitt, 1931 : 92).

Jackson devait certainement avoir en tête ses propres extravagances lorsqu’il était étudiant en droit à Salisbury , il connaissait bien les tentations de la jeunesse pour y avoir été fortement soumis lui-même. Malgré l’importance prêtée à l’argent, Jackson donnait la précédence à l’honneur, dont la valeur excédait tous les vices et toutes les vertus (Stowe, 1990 : 131).

Pourtant, le financement des études de ses pupilles impliquait un lourd investissement de temps et d'argent. Jackson veillait à ce que les jeunes étudiants fussent conscients des difficultés de leur tuteur à réunir l'argent nécessaire en les rappelant constamment à leurs devoirs. Le 11 février 1832, après avoir appris une nouvelle défection de Hutchings, Jackson clot l’exposé de sa déception par ces mots :

‘On the receipt of this you will apprise me of your pecuniary situation, the amount that will close all your accounts, and take you to Tennessee, where you will await my further instructions after you receive the funds to take you there. Your affectionate but much distressed uncle (cité dans DeWitt, 1931 : 91).

Le financement des études de Hutchings s’effectuait sur les revenus de la plantation que gérait Jackson jusqu’à la majorité du jeune homme, cependant, la responsabilité de la bourse incombait à Jackson et il entendait la préserver de ponctions inutiles et préjudiciables. Surtout, il voulait faire comprendre à Hutchings qu’il était responsable de ses dépenses. Le conseil n’était pas seulement circonstantiel, mais faisait office de philosophie.

La précarité financière (due aux revers de fortune, ou à une mauvaise récolte) menaçait sans cesse l’indépendance proclamée des gentilshommes (une valeur républicaine du siècle précédent 338). Il fallait allier une économie n’entravant pas le superbe mode de vie qu’un planteur se devait d’arborer aux yeux du monde, à un sens de la mesure (live within your means) qui garderait l’autonomie financière du jeune entrepreneur des affres de l’endettement. L’affaire Allison 339, la panique de 1819, son côté presbytérien, mais aussi un bon sens “paysan” ne doivent pas être étrangers à la phobie des dettes éprouvée par Jackson, car en avoir, c’est “devenir esclave”, dira-t-il à Hutchings le 18 avril 1833 :

‘live within your means, never be in debt, and by husbanding your money you can always lay it out well—but when you get in debt you become a slave, therefore, I say to you never involve yourself in debt—and become no man’s surety—if your friend is in distress aid him if you have the means to spare (...) settle all your debts on the first of every year and you will know your means, and can keep within it (Bassett, V : 61).

Bien entendu, la référence à l’esclavage pour un planteur n’est jamais innocente. Devenir esclave par manque d’argent, c’est perdre son statut, et pire, c’est devenir l’être le plus abject de la société, dans un renversement complet des rôles et des valeurs. Une économie saine est non seulement une nécessité commerciale, mais aussi un impératif social afin que la société ne soit pas littéralement bouleversée par un retournement des statuts.

Jackson lui-même avait souvent été pressé de trouver rapidement des fonds pour payer ses créditeurs et il serait amené de plus en plus dans les dernières années à lutter contre l’endettement croissant de sa propriété, causé principalement par les investissements malheureux de son fils (Remini, I : 317) 340. Il répéta souvent à Hutchings combien il était difficile de faire fortune et surtout de la conserver une fois acquise :

‘I have only time to add one more word by way of paternal advice—you are young and inexperienced, have no knowledge how hard it is to make a fortune, and what great care and proper economy it requires, when you have a fortune, to retain it—therefore it becomes you now to act for yourself—steer clear of parsimony, but upon all occasions use a proper economy (...) he who is in debt is a slave, therefore, shun it (Bassett, V : 105).

C’est une leçon de mesure que donne ici Jackson, incitant son neveu à faire la part des choses et à apprécier le plus justement les différentes attitudes à adopter. La vie d’un planteur se mesurait le plus souvent au jugement qu’il émettait sur les situations qui se présentaient à lui.

Notes
338.

L’indépendance de la période révolutionnaire exprimait l’absence de dépendance envers les autres. C’est ainsi que Jefferson justifiait la propriété : “Dependence begets subservience and venality, suffocates the germ of virtue, and prepares fit tools for the designs of ambition” (cité dans Boorstin, 1993 : 199).

339.

En 1795, Jackson avait vendu des terres à Philadelphie contre des billets à ordre avec lesquels il avait acheté de la marchandise pour ses magasins. Son acheteur ayant fait faillite, il dut régler en argent le montant de ses achats, ce qui l’endetta pour plusieurs années et le contraignit, entre autre, à quitter sa plantation pour une cabane en rondins sur le domaine alors très réduit de l’Hermitage (Abernethy, 1932 : 166-167). L’affaire Allison est détaillée dans l’étude intitulée “Les hommes du Tennessee” (II : 117-128). Voir aussi Abernethy (1932 : 262 passim).

340.

David Hoth (1998) suggéra lors d’une conversation que cette obsession des dettes se retrouve dans l’application de Jackson à régler la dette américaine, ce qu’il fit en 1835.