L’irresponsabilité

Les règles sociales n’étaient pas toujours faciles à appréhender. De plus, il fallait inculquer le sens de l’argent à des jeunes hommes qui avaient bénéficié pendant leur jeunesse de la vie tapageuse et dorée des fils de planteurs. Les garçons profitaient pendant l’adolescence d’une liberté qui rendait l’ajustement à la rigueur de la vie d’autant plus difficile. Ces années de formation devaient assurer la transition entre l’insouciance et la responsabilité. Le passage pouvait parfois être douloureux pour les uns et les autres.

La patience de Jackson atteignait parfois ses limites quand il sentait un manque de personnalité derrière les frasques. Au moins un pupille perdit un temps les bonnes grâces de son tuteur. Anthony Wayne Butler, le frère d’Edward, avait décidé d’aller à Princeton au lieu de Yale, contre l’avis de Jackson. Finalement, il alla à Yale, mais son attitude irrita beaucoup le tuteur. De plus, Anthony, qui dépendait à présent du soutien financier de son cousin Richard Butler 344, avait encore demandé de l’argent à Jackson, pour acheter des “montres”, ce que le tuteur n’appréciait guère, ayant à payer l’éducation de deux cadets à West Point et devant faire face à la “panique de 1819” causée par la chute du prix du coton qui priva les gens de l’Ouest d’espèces et les obligea à payer leurs dettes à l’Est avec l’argent de l’Est 345.

Après les années de prospérité qui suivirent la guerre de 1812, la “panique de 1819” plongea le pays dans une récession économique et financière. Face à la crise, la contraction monétaire opérée par la Banque des États-Unis pour mettre un frein à la montée des prix après des années de politique inflationniste créa subitement une pénurie d’argent à l’Ouest. Les banques firent faillite en grand nombre et endettèrent une majorité d’investisseurs. La rareté des liquidités empêchaient les hommes d’affaires d’obtenir des fonds en dollars reconnus par les institutions financières dominantes du Nord-Est (Abernethy, 1932 : 225-229 ; Schlesinger, 1945 : 30-31).

Malgré les circonstances très précaires, Jackson pourvut aux besoins de Donelson et n’hésita pas à consacrer les revenus de sa récolte à l’éducation de son neveu. Voici un extrait de la longue lettre du 23 juillet 1819 à Andrew J. Donelson, dans laquelle il rend compte de la difficulté de la situation :

‘I have recd. a letter from Anthony dated at yale college. I am happy he has at last gone there, his breach of promise to me, his stay in Newyork, and his extravagance, under his circumstances, displeased me very much—for having violated his word pledged to me has destroyed all confidence or reliance in his promises, and untill I find he has reformed, I cannot have confidence in his word—when a youth becomes so far lost to propriety, as to forfeight his word to his friend, he is on the road to ruin—I hope he has reformed—it will be a source of great pleasure to me to find that he really has—he has called on me for funds, he well knows—& so it was clearly understood—that his cousin Richard was to finish his education & I was with the Little funds in my hands to finish Edwards—the whole amount of the two sons were $1400 This you know is a sum in the support & education of two youths is soon expended—out of this sum I advanced the mother [Isabella Butler Vinson] $200 now when his cousin furnis[hed] him so bountifully—that he should draw on [me] for funds to buy watches, when the wants of his Mother, the pittance that was in my hands & Edwards education to compleat is such an act of wanton extravagance that has hurt me much—I have not wrote him yet, altho I mean to do it, & in such terms as I hope will bring him to his Senses & induce him to attend to his Studies, and in such a way as he ought—his conduct to his friend and patron Colo. Richard Butler has been unpardonable (Moser, IV : 304).

Ce long extrait montre la révolte de Jackson devant l’irresponsabilité et l’égoïsme du jeune homme. C’est le manquement d’Anthony à sa parole et son “extravagance”, sous-entendu ses dépenses outrancières et son irresponsabilité envers sa mère, qui sont l’objet de sa disgrâce. Il faut souligner que la patience de Jackson était plus grande avec son fils dont le train de vie à Nashville en 1825 semblait princier. Il faut dire qu’à cette période, les finances de Jackson étaient confortables avec la hausse des prix du coton. Les conseils de modération prodigués par Jackson eurent toutefois peu d’impact sur le goût de Junior pour les belles choses. James décrit ainsi le jeune dandy de 16 ans :

‘Andy II lived like a young lord. He had his own horse and a body servant to care for a wardrobe which included such newly purchased items as a suit, seventy-six dollars and eighty-seven cents; a hat, ten dollars; silk hose, a dollar fifty a pair, and imported kerchiefs. In six and one half months, the young man incurred indebtedness of three hundred and nine dollars to the establishment of Josiah Nichol (...) The sum would have kept the average Tennessee family for a year (1938 : 450).

Junior suivait sans doute l’exemple des autres fils de familles de la région, et James semble ici trop sévère, comme le montre Galloway  :

‘Up to this time Andrew Junior had always had the best money could buy; for a lad of sixteen suddenly to become careful of his spending money is too much to expect. There is no evidence at this point that the boy incurred his parents displeasure over his expenses at school (1950 : 210).

Suivant les époques, Jackson se montrait plus ou moins libéral avec ses pupilles, mais il fut toujours indulgent avec les extravagances de son fils . Sa clémence s’explique également par la prise en compte de la crise d’adolescence propre à l’évolution vers l’âge adulte.

Notes
344.

Sans doute à cause de la crise de 1819, comme on peut le déduire de la lettre citée plus bas.

345.

Dans une lettre à Andrew J. Donelson du 19 juillet 1819, Jackson expose ainsi la situation à son neveu : “I regret that Mr Kirkman found it inconvenient to furnish you with the funds you wanted, as from the great pressure of the times & our banks having suspended Specie payments it is dificult to procure Eastern paper—in fact I have been trying to obtain some to remit you & as yet have entirely failed” (Moser, IV : 303-304).