La moralité

Malgré l’importance grandissante du sentiment dans le choix marital, le respect des conventions ne disparaissait pas pour autant. Jackson, en père attentif, ne permit jamais à Junior une quelconque licence amoureuse, au moins dans les aventures dont il avait connaissance. La vie sentimentale d’Andrew n’échappait pas plus que le reste à la vigilance du père, d’autant que celui-ci voulait éviter toute compromission du fils du président 379. .:Vie sentimentale; La correspondance entre le père et le fils permettait à Jackson de maintenir une surveillance régulière sur les agissements de Junior. A été évoqué le goût de Jackson pour les histoires d’amour de ses proches et le soutien qu’il apporta à l’accomplissement de plusieurs d’entre elles malgré les oppositions parentales. Cependant, sa tolérance des amours passionnées contrariées par des desseins parentaux souvent différents demeurait attaché à un désir d’intégration dans la société. Il ne s’agissait pas de jouer à la passion sans lendemain. À l’instar de sa propre histoire, Jackson ne favorisait une telle situation que si l’issue en était le mariage.

La vie amoureuse des pupilles de Jackson ne connut cependant pas les événements mouvementés qui illustrèrent sa propre union. Les amourettes passagères ne retenaient pas l’intérêt du tuteur et il les écartait bien vite de leurs plans de vie. Quand le jeune homme paraissait avoir trouvé sa promise, pourtant, il le pressait de régler les détails du mariage et de ne pas perdre une minute. Jackson n’aimait pas les choses qui traînent et les attentes sans réponses :

‘I have only to remark that no good can flow from long courtship. Therefore I would recommend to you to be frank with her, say to her at once the object of your visit and receive her anser at once. Should Miss Flora not favour your wishes, then my son, I have one request to make of you, that is that you will give all idea of Marriage for the present, until you see and advise with me (Bassett, IV : 56-57).

Fi du romantisme et du plaisir de la cour. Jackson exige avant tout d’être informé sincèrement des développements de cet “important sujet”, comme le serait un confident : ‘“So soon as you see and converse with her write me and write me with candor the truth on this important subject to yourself and no less to me as a father and friend”’ (Ibid.). Jackson se présentait comme le guide le plus sûr pour préserver l’honneur de son fils, un sentiment commun aux planteurs sudistes : ‘“Though careful in their material calculations, the planters, like their moralists, perceived courtship as furthering extensive goals of character and honor” ’(Stowe, 1990 : 99). Là encore, les sentiments et l’intérêt matériel se trouvaient étroitement liés.

Une cour trop longue comportait trop de tentations pour demeurer vertueuse. D’ailleurs, les jeunes filles étaient prévenues du risque toujours présent dans leurs relations avec les hommes : ‘“Approaching men and courtship, the moral advisers became strikingly vague in both literary style and intellectual content (...) This cautious rhetoric was matched by the obscure content of the moralist’s advice about men in general”’ (Stowe, 1990 : 53). L'amour autorisait bien des transgressions, mais pas la légèreté, moralement inacceptable. Un mariage d’amour entre égaux sociaux ne mettait nullement la société et l’honneur en danger. Au contraire, il contribuait à insérer deux jeunes membres de la même caste dans leur communauté. Loin de tolérer de la part de son fils des écarts propres aux jeunes gens de sa caste, Jackson le pressait de faire montre de l’attitude la plus chevaleresque et responsable.

Lorsque Junior annonça son mariage avec Sarah Yorke, orpheline d’un marchand Quaker de Philadelphie, Jackson accueillit la nouvelle avec enthousiasme, mais dans une lettre à Coffee, il s’inquiéta un peu de n’avoir pas plus de renseignements sur elle. Toutefois, il reconnut que le bonheur de son fils passait avant des considérations financières :

‘He regretted that the Yorke family fortune had not been “carefully attended to—I know not what she is worth, as on the subject I never made inquiry—it was enough for me to know that he loved her, that she was respectable & accomplished, and not one of the modern fashionables.” Still “I would have been better satisfied,” Jackson admited, “if he had married in a family I knew” (cité dans Remini, II : 335).

Cette citation montre bien la peur de tomber sur une coquette qui séduirait son fils pour le plaisir. D’ailleurs, dans sa réponse à la lettre envoyée par Sarah, Jackson presse Junior de régler l’affaire au plus vite :

‘I find you are engaged to each other; the sooner this engagement is consummated the better. Both your minds will be at rest, and if it suits the wishes and convenience of Sarah, my choice would be that the nuptials be celebrated in due time before the meeting of Congress (Bassett, IV : 365).

Il y a surement dans cette peur des coquettes un brin, sinon de misogynie, au moins de cette crainte de la femme qui incarne le Mal et dévoie les innocents. Non seulement Jackson n’aimait pas que traînent les affaires de coeur, mais il était heureux de voir son fils installé dans la vie. C’est que les aventures sentimentales d’Andrew Jackson, Jr. avaient donné quelque souci à son père adoptif durant les deux années précédentes. La première alarme concernait une certaine Miss Flora, la pupille du Colonel Ward, voisin des Jackson à l’Hermitage. Flora et Junior étaient des amis d’enfance, mais la jeune fille semble avoir hésité à convoler immédiatement avec ce childhood sweetheart. La période de cour permettait en effet aux jeunes filles une liberté que le mariage n’autorisait plus et une insouciance que la maternité rejettrait dans la nostalgie des souvenirs. Catherine Clinton définit ainsi ces quelques années inoubliables :

‘These few years between puberty and marriage were the closest that most women came to freedom. The great decision of their lives—the choice of when and whom to marry—lay ahead, and their time to choose was filled with fun and frivolity. This period—when women were most carefree, most hopeful—was therefore cherished by planter-class females (1982 : 62).

Connaissant le sort qui attendait les femmes mariées (Scott, 1970 : 6 ; 23-26 ; Clinton, 1982 : 59-86), les jeunes filles pouvaient passer quelque temps à s’assurer que leurs soupirants les désiraient avec suffisamment de passion avant de dire oui (Clinton, 1982 : 63-64 ; Stowe, 1990 : 50-55). Sans même parler de coquetterie, on peut dire que les femmes avaient le loisir de revenir sur leur choix initial sans encourir l’opprobre des leurs. Ainsi, Andrew J. Donelson présente en ces termes à la famille Coffee l’union projetée de Mary Eastin avec un “officier respectable” de la Marine : ‘“Altho her friends here could have wished that her choice would have fallen on one not dependent on a service that will detach him so entirely from her relatives, yet his good qualities and standing were such that we could not advise her against rejection of him”’ (Burke, 1941, II : 11). On voit combien l’union familiale entrait en jeu dans le mariage. Pour ces planteurs attachés à l’unité de lieu, un marin jeté sur les mers du monde paraissait trop peu ancré dans le tissu familial.

Les craintes de Donelson n’eurent pas de suite puisque Mary usa de son privilège de jeune fille et épousa finalement Lucius Polk (cousin de James) le 10 avril. Sans autre commentaire, Jackson écrivit laconiquement : ‘“I believe I may say that Miss Mary Eastin will be married on Tuesday evening next to Mr. Lucius Polk. The guests are all invited and I trust that it will take place.”’ L’absence de remontrance envers l’attitude de Mary semble confirmer la grande liberté laissée aux jeunes dans le choix de leurs conjoints, tant que les intérêts et les conventions de la famille n’étaient pas menacés (Burke, 1941, II : 10-13).

Outre les accidents pré-nuptiaux toujours à craindre 380, l'urgence du mariage avait une raison claire : la peur de tomber sur une coquette qui s’amuse à plaire et à séduire sans intention de se marier avec le beau. Clinton évoque la coquetterie comme inhérente au système :

‘Coquetry was a staple of the southern social scene (...) Most men met with at least one rebuke during their romantic careers. Ladies, as a matter of propriety, discouraged proposals, and most females had spurned several suitors before they settled on a fiancé (...) Most women would, as a matter of course, refuse a man’s first marriage offer, an action that did not necessarily signal defeat or reflect on the man’s character (1982 : 63-64).

Jackson ne semblait pas entrer dans les mécanismes de ce jeu subtil. En août 1829, il s’inquiétait des conséquences de cette situation pour son jeune et naïf fils adoptif : ‘“I would like to hear how you have settled you matter with Miss F. she is a fine girl, but you being young she may try to keep you within her toils, without giving you a definitive answer.” ’En accusant Miss Flora de mauvaises intentions, peut-être Jackson tentait-il indirectement de détourner Junior des siennes. Junior avait été impliqué dans une précédente aventure pour laquelle il n’avait pas respecté les usages, obligeant son père à écrire une lettre d’excuses au père de la jeune fille (Remini, II : 249 ; voir infra, 341). Jackson connaissait bien le rituel social qui précédait le mariage. Une fois encore, il préconisait une solution franche et définitive qui s’accommodait peu de l’ambiguïté requise par la cour d’une femme :

‘have a final and positive answer, and let it be as it may, close the matter finally with her. if favorable, Marry, and bring her on with you, if unfavorable, wish her happy, cherish her as a friend, but have it understood that hereafter you remain her friend without any other views (Bassett, IV : 63).

Le guerrier préférait l’assaut de la citadelle à son siège. Le président voulait sans doute éviter un scandale peu favorable à sa réputation politique.

À l’évidence, Jackson n’appréciait pas cette Miss Flora et ne brûlait pas de la voir épouser son fils. Pourtant, il prétendit laisser la décision à ce dernier. À moins que son expérience ne lui ait indiqué que Miss Flora jouait effectivement les coquettes et n’accepterait pas la proposition d’Andrew. À la fin de sa lettre, il glisse un mot à Junior qui en dit long sur son état d’esprit concernant l’affaire : ‘“Remember my son, that you are now the only solace of my mind, and prospects of my happiness here below, and were you to make an unhappy choice, it would bring me to the grave in sorrow.”’ Le chantage affectif avait aussi sa part dans le choix matrimonial et rappelait au jeune homme que son mariage impliquait d’autres personnes que lui.

Le 21 septembre, Jackson laissait éclater sa joie à l’annonce de la rupture avec Miss Flora. La jeune fille avait rejeté la demande et plus que jamais, le père enjoignait son fils de l’écouter : ‘“I expected the result you name with Flora—she is a fine little girl (...) but as I told you she has given herself up to coquetry and I warned you of the fact.”’ Jackson se réjouissait de l’issue de cette affaire qui l’avait beaucoup inquiété : ‘“Therefore I am happy you are clear of your little engagement with Flora, and all I request is, that you will ingage in no other without first obtaining my advice”’ 381. La justesse de ses observations justifiait d’après lui une direction morale des affaires de coeur de son fils. Celui-ci, démuni devant les aléas de la vie, ne pouvait faire face sans les conseils judicieux de son père. Junior ne répondit rien.

C’est que le choix d’une femme ne pouvait se faire à la légère, car il engageait non seulement le bonheur d’Andrew, mais aussi celui de son père, qui depuis la mort de Rachel, ne vivait désormais que pour son fils, comme il le lui avait maintes fois affirmé : ‘“I seldom ever saw a coquett, make a good wife, and when you marry, if ever, I wish you to marry a lady who will make a good wife, and I, a good daughter, as my happiness depends much upon the prudence of your choice”’ (Bassett, IV : 76). La mariée devrait, le jour venu, non seulement devenir épouse mais aussi bru, et cette fonction-ci ne serait pas la moins exigeante.

Au-delà du problème de la coquette, un principe plus profond anime Jackson quand il avertit son fils des dangers de l’aventure amoureuse. L’“engagement” dont il parle stipule que Junior a fait une promesse, a engagé sa parole envers Flora, un acte qui ne tolère aucune légèreté, aucun sous-entendu ludique, car c’est l’honneur du gentilhomme qui est le garant de cette parole. Tout manquement à cette éthique signifie la mort de sa crédibilité aux yeux du monde : ‘“you know I have councilled you from your childhood, to make no promises, or engagements, but what you punctually perform, therefore before engagements are formed, or promises made, it ought to be on mature reflection, and when made religiously performed”’ (Bassett, IV : 63). Cette attention à la parole donnée avait de tout temps préoccupé Jackson et avait constitué le fond moral de l’éducation de son fils 382. Devant l’importance du sujet, on comprend que Jackson veuille garder son fils de tout engagement irréversible. Cependant, la décision, quand elle est prise, nécessite une action immédiate.

Comme à son habitude, Andrew Jr. ne fit pas cas des conseils de son père et se remettait à peine de ses déboires avec Flora quand l’une des jeunes filles qui venaient régulièrement à la Maison-Blanche attira son attention. Mary Smith, de Abington, en Virginie, était une proche de Mary Eastin, nièce et confidente d’Emily Donelson, la femme d'Andrew J. Donelson officiant comme “Première Dame” du pays auprès du président en veuvage. Marquis James (1938 : 546-547) précise que Mary Smith fit rapidement oublier Flora dans le coeur d’Andrew. Le jeune homme poursuivit Mary en Virginie et le feu de sa passion lui fit oublier l'étiquette à laquelle Jackson voulait précisément qu'il s'attache. La jeune femme le renvoya sans ménagement à Washington.

Jackson, une fois de plus, vint à la rescousse de son fils. Il écrivit une lettre au père de la jeune fille, excusant Junior pour son manque de manières ; faisant amende honorable, il le recommanda aux bonnes grâces des Smith. Junior fut chargé de remettre la lettre en mains propres, ce qu’il fit le 19 mai 1829 :

‘Maj. Francis Smith, Dear Sir, This will be handed to you by my son (...) He has erred in attempting to address your daughter without first making known to you and your lady his honorable intentions and obtaining your approbation. Admonished of this impropriety, he now awaits upon you to confess it. I find his affections are fixed upon her, and if they are reciprocated, with your approbation, he looks upon the step which would follow as the greatest assurance of his happiness. Mine, since the loss of my dear wife, has almost vanished except that which flows from his prosperity. He is the only hope for the continuation of my name ; and has a fortune ample enough with prudence and economy (...) With these prospects he presents himself again to your daughter (Bassett, IV : 36).

On trouve dans cette lettre une des rares allusions de Jackson à l’espoir qu’il met en Junior pour perpétuer son nom. On pourrait penser qu’une telle référence visât simplement ici à respecter l’étiquette. Jackson mêle ici adroitement son strict respect des conventions sociales et sa vision personnelle du bonheur de son fils. Dans son article sur la cour des femmes et la sphère féminine, Stowe rappelle la canalisation sociale des passions : ‘“romantic love was not simply a matter of personal preference, but was shaped by conventions which allowed two people to reach a mutual perception of an otherwise confusing experience” ’(1983 : 84). L’ardeur de Junior avait sans doute dépassé la romance et l’avait mené au-delà des garde-fous sociaux. La rebuffade avait mis fin à la cour. Avec sa missive, Jackson restorait la primauté des conventions, sans toutefois manquer d’y ajouter ses propres considérations envers la possible union des jeunes gens.

En assurant les parents de la pureté et de la droiture des intentions de son fils et de ses confortables revenus à venir, Jackson dresse un portrait idéal du soupirant tel que l’exige la société des planteurs. Catherine Clinton en donne la description suivante, faisant écho au scénario projeté par Jackson :

‘Following the girl’s acceptance of a gentleman’s proposal, her father expected the young man to make a formal declaration to him as head of the household, stating in writing the gentleman’s affection for the planter’s daughter, his ability to maintain a family, and his hopes for a favorable reception. This declaration was as crucial to the marital outcome as was the girl’s acceptance of the gentleman’s proposal. Many hopeful beaux supported their suits with letters from their parents or mutual family friends (1982 : 65). ’

D’ailleurs, un ami de Jackson, John Campbell, écrivit à son frère en Virginie pour lui demander d’aider Junior : ‘“Go with him to Smith’s. He is after Mary & you must throw all facilities in his way”’ (cité dans James, 1938 : 547). Malgré cette mobilisation, le belle résista aux avances et Junior rentra seul à l’Hermitage.

Le 16 septembre 1831, après les deux aventures précédentes, Jackson tenta résolument de lui donner une piste. Parlant de la fille de son conseiller et ami William B. Lewis, Mary Ann, qui avait été élevée par les Jackson à l'Hermitage à la suite de la mort de sa mère (Stickley, 1965 : 192), il ne tarissait pas d’éloge sur cette “belle” du Tennessee qui avait déjà séduit le tout New York :

‘Have you seen Miss Mary Ann Lewis and presented my regards to her—you know she is a great favorite of mine, and that she was also of your dear departed mother—she is a sweet disposition, and I am sure will make a very fine and elegant woman, it is said here she is esteemed as one of the Belles of New York—I have no doubt but that she would make a sweet and affectionate companion (Burke, 1941, II : 3).

Les paroles de Jackson restèrent sans effet puisque Mary Anne se fiança quelques mois plus tard avec un jeune diplomate français, Alphonse Joseph Yves Pageot (Stickley, 1965 : 195). Jackson cherchait tout de même à placer son fils avec une jeune fille respectable et digne des exigences de son futur beau-père.

Finalement, en octobre 1831, Jackson reçut une lettre de son fils l’informant de son mariage prochain avec Sarah Yorke, de Philadelphie. Junior ne tarissait pas d’éloges sur la jeune femme. Jackson répéta avec insistance l’importance que revêtait le choix d’une épouse pour le bonheur de son fils à présent que Rachel n'était plus :

‘I have perused with great interest the letter of Sarah’s which you have submitted to me. Since my heavy and irreparable bereavement in the death of my dear and ever to be lamented wife, the only object that makes life desirable to me is to see you happy and prosperous, and permanently settled in life ; united to a wife of respectability, one whose disposition and amiable qualities are calculated to make you happy.’

Apparemment satisfait des assurances d’Andrew et de la lettre que lui avait adressé Sarah, Jackson donna sa bénédiction à Andrew avec un air de solennité qui confirme l’importance qu’avait pour lui ce mariage. Sarah devenait non seulement la femme de Junior mais la “fille” d’Andrew senior :

‘You say that Sarah possesses every quality necessary to make you happy. The amiability of her temper and her other good qualities which you represent is a sure pledge to me that she will unite with you in adding to my comfort during my life. You will please communicate to her that you have my full and free consent that you be united in the holy bonds of matrimony ; that I shall receive her as a daughter, and cherish her as my child (Bassett, IV : 365).

Un mois après avait lieu le mariage auquel Jackson ne put assister, trop pris par les affaires de l’État. Il se fit représenter par son ami, le peintre Ralph E. W. Earl, qui apporta à la cérémonie un cadeau du président : une bague montée d’une perle avec une mèche de ses cheveux à l’intérieur (Burke, 1941, II : 6).

Il y eut un dîner à la Maison-Blanche en l’honneur des jeunes mariés, auquel furent invités une quarantaine de personnes ; puis plus de trois cents invités vinrent pour le bal, dont les membres du Cabinet et du Corps Diplomatique, sans oublier la cour des proches du “Roi Andrew” 383, Mary Eastin, la nièce de Jackson, et les frères d’Andrew Junior. On trouve des échos de l’impression produite par la belle-fille de Jackson et de la magnificence de la réception donnée en son honneur dans une lettre d’Emily Donelson à sa soeur Catherine. D’après elle, Jackson paraissait enchanté de sa bru, ce qui ne fit que se confirmer par la suite. Ainsi va la description d’Emily :

‘Cousin Andrew arrived last Sunday with his bride, she is quite pretty has black hair and eyes and is about an inch lower than myself—she is quite agreeable & we are all pleased very much with her, and Uncle seems very much pleased (...) The dinner party were invited at 5 O’clock & at 8, three hundred were invited to spend the evening—We had all the fashion in the city—the band of music and dancing—the party was very brilliant and everything went off well (cité dans Burke, 1941, II : 7).

Emily donne ici la version festive en omettant un incident qui faillit envenimer l’atmosphère presque familiale de cette brillante soirée . Burke (1941, II : 8) raconte l’anecdote qu’elle tient de Margaret Bayard Smith, la chroniqueuse mondaine du tout-Washington pendant les quarante premières années de la capitale fédérale 384. Au moment de se rendre dans la salle de réception, une controverse opposa le secrétaire d’État et les membres du Cabinet aux officiers du Corps Diplomatique afin de déterminer qui ouvrirait la marche. Le protocole dictait que le président passait d’abord, puis le secrétaire d’État, le Corps Diplomatique et enfin les membres du Cabinet. Mais à cette occasion, ces derniers voulaient accompagner le secrétaire, ce à quoi les diplomates s’opposaient. L’affaire fut portée à la connaissance de Jackson qui prit le bras de sa belle-fille et ouvrit la marche sur ces mots : ‘“Well, I will lead the Bride, it is a family fête—so we will wave all difficulties, and the company will please follow as heretofore.”’ Les fêtes de famille ne souffraient pas de problèmes d’étiquette et Jackson, d’habitude soucieux du paraître, jubilait trop pour s’inquiéter de l’ordre que devaient occuper ses cohortes.

Notes
379.

Junior était né en 1809 et atteignit l’âge adulte au moment où Jackson devint président (1828-1836).

380.

Johnson (1931 : 392) ne précise pas l’importance de ce phénomène, mais affirme qu’il n’était pas rare, au vu des demandes de reconnaissance d’enfants présentées à la législature. Une partie non négligeable de ces demandes provient des classes supérieures désireuses d’assurer un héritage futur aux enfants en leur donnant le nom du père.

381.

Johnson (1931 : 389-92) relate les mésaventures d’un jeune épris d’une coquette. Celui-ci épousa, à l’instar de Junior, une autre femme.

382.

 En 1824, Jackson écrivait déjà à Rachel à propos de Junior : “Tell him that <it is> his <good consuct> happiness thro life, <that> depends upon his procuring an education now; and with it, to imbibe proper moral habits that can entitle him to the possession of them. To acquire those proper habits, he must beware religiously on all occasions to adhere to truth, & on no occasion to depart from it — never to make a promise unless on due consideration, and when made, to be sure to comply with it. This rule observed, with a proper attention now to his learning, will make him a great, good, & usefull man” (Moser, V : 376).

383.

Surnom donné au président pour sa conduite très personnelle et dirigiste des affaires du pays par ses opposants. Il existe une lithographie d’Edward Williams Clay datant de 1834, intitulé “King Andrew the First, ‘Born to Command’”, représentant Jackson avec une couronne sur la tête, vêtu du manteau royal, une tiare à la main droite et son droit de veto dans la gauche, debout devant le trône, les pieds sur la Constitution. Une des doléances inscrites sous le titre dénonce son train de vie : a king who, while he was feeding his favourites out of the public money, denied a pittance to the Old Soldiers who fought and bled for our independence” (Barber, 1991 : 197).

384.

Margaret Bayard Smith (1906 : 326). Cet ouvrage est une mine de renseignements sur les intrigues et autres petites ou grandes affaires de la capitale, de la présidence de Thomas Jefferson à celle de Martin Van Buren.