Introduction

Thomas Jefferson avait ses raisons pour craindre les débordements de la part d’Andrew Jackson, qui venait de précipiter, par son invasion de la Floride (contraire à la Constitution américaine, aux traités internationaux ainsi qu’aux ordres officiels de ses supérieurs [Rossignol, 1997] ), la vente de ce territoire espagnol aux États-Unis. Jackson avait montré son irrascibilité face à l’administration et pris des initiatives que le pouvoir n’avait pas explicitement autorisées. D’ailleurs, on peut dire que jamais dans la vie de Jackson il n’y eut une période qui n’était pas riche en conflits personnels et publics. Ses actions militaires contre les Anglais puis contre les Espagnols (1812-1818) furent l’occasion de nombreux points de discorde, publique et privée 391. L’image d’un Jackson hargneux, voire sadique et meurtrier, date de ces années-là 392.

À l’arrière-plan de ce comportement se dessine une attitude personnelle qui s’ancre aussi dans un état d’esprit lié à la frontière, au contexte sudiste dans lequel évoluait le général et à la tension nerveuse suscitée par des années de guerre desquelles il sortit physiquement effondré (Remini, I : 365, 422). Sa susceptibilité à toute ébauche de critique envers ce qu’il considérait comme une mission divine et un sacrifice de sa personne à la nation ne sortit que renforcée par les souffrances de la guerre et surtout par les attaques dont il fut l’objet. Les querelles éclatent toujours à des moments psychologiques forts en charge émotionnelle, soit dans le registre de la colère, de l’orgueil ou de la maladie.

Outre le code, les réflexes agressifs générés par la frontière, liés à un certain rejet de l’autorité et de la contestation quand l’intérêt personnel était en jeu, poussaient des hommes qui se jugeaient respectables à des actions violentes et primaires dignes des ruffians les plus fieffés de la frontière 393. Nous nous proposons ici de nous faire l'écho de quelques-unes de ces contradictions et des aberrantes conséquences entraînées par ces comportements obligés — accompagnés de la violence inhérente aux hommes issus des conditions de la frontière, soumis à tout une gamme de pressions psychologiques, sociales, économiques, politiques et financières, mais aussi à leur âpreté au gain, à leur soif de pouvoir, et peut-être aussi, qui sait ?, à leur nature profonde...

Cette partie donnera d’abord les définitions des termes du code, puis s’appliquera à illustrer les enjeux et les expressions d’une querelle définie et régie par les mots. Une troisième partie s’attachera enfin à montrer ce que Steven Stowe (1990) considère comme l’échec de la parole dans le règlement des oppositions personnelles, résultant dans l’affrontement armé au cours du duel.

Notes
391.

Voir la querelle qui l’opposa au général Adair à propos de l’attitude des troupes du Kentucky pendant la bataille de Chalmette, Gillig (1984, 177-182) ; ou celle qui faillit le mener au duel avec le général Scott (Remini, 1977, I : 342-343), dont les excuses n’empêchèrent pas Jackson de lui conserver quelque rancune : “This, if ever I had, had such intention (of challenging Scott) <is known> the humble, & extraordinary answer of Gen Scott to my letter has put to rest, and has shielded this, vain pompous nullity, from any personal conflict with me” (Moser, IV : 223) ; voir également l’enquête législative lancée par le Congrès à propos de son invasion de la Floride en 1818, jugée illégale (elle l’était juridiquement), Adams (1968, 46-50) ; enfin, on pourra lire le discours de Henry Clay du 20 janvier 1819 sur la guerre contre les Séminoles (Watson, 1998 : 135-143).

392.

Voir la controverse du “Coffin Hand Bill” pendant la campagne de 1828, dans laquelle Jackson fut accusé d’avoir exécuté six de ses miliciens en fin d’engagement pendant la campagne contre les Creeks (1813). Jackson y avait vu une désertion et avait fait fusiller les six jeunes gens (Remini, II : 122). Voir également l’exécution de Arbuthnot et Ambrister, deux Anglais accusés d’aider les Indiens pendant la première guerre contre les Séminoles (1818) (Remini, I : 358-359).

393.

Voir par exemple le récit rocambolesque du combat de rue opposant Jackson aux frères Benton en septembre 1813 à Nashville (Remini, I : 184-186).