Le duel

Au-delà du symbolisme de la pratique, il est une réalité de la rencontre au champ d’honneur dont la mythologie d’Ancien Régime, les romans de cape et d’épée et les westerns modernes ont rendu suffisamment compte. Pourtant, il apparaît utile dans le cadre de cette étude du quotidien vécu par Andrew Jackson, de mettre en contexte cette circonstance éminemment romantique et d’en exposer les implications, afin que précisément l’affaire ne soit pas qu’une image d’Épinal, mais qu’elle s’inscrive dans des pratiques sociales courantes dans le Vieux Sud d’avant-guerre (Stowe, 1990 : 5). Passée la querelle de mots, les armes parlaient et de même que la rixe laissait libre cours aux pulsions, le duel montre le caractère tragique d’une mort annoncée. Loin du romantisme littéraire, cette pratique se révèle alors dans toute la crudité de son expression et la violence qui lui est inhérente.

L’affrontement ritualisé du code de l’honneur était le duel. Cette pratique fut empruntée à la fin du xviiie siècle aux officiers français et anglais venus combattre lors de la guerre d'Indépendance (Wyatt-Brown, 1983 : 354). Le terreau culturel de Virginie et des États sudistes se prêtait parfaitement à l'adoption de cette pose aristocratique et perdura dans les États du Sud très tard dans le xixe siècle 438. Les historiens du Sud, dont Wyatt-Brown, soulignent l’adéquation du besoin de reconnaissance des jeunes gens et du caractère éminemment valorisant du duel :

‘Quite often their arrogance masked an uncertainty about their place in society and, indeed, about their manhood as well. The inexperienced youth was very likely to take his own measure of public opinion of himself, an inclination that forced a good number to fight—and die—when peers demanded it (1983 : 357).

Stowe confirme ce besoin de correspondance entre la conscience de soi et le regard des autres : ‘“the affair interpreted a man's private sense of himself as tightly bound up with public display”’ (1990 : 49). L’extériorisation des sentiments éprouvés par ces gentilshommes établissait une carte sociale de territoires individuels qu’il était défendu ou dangereux d’envahir. Un des premiers documents de la main d’Andrew Jackson est un billet dans lequel il demande au destinataire, ancien officier révolutionnaire et avocat célèbre de la région, réparation (Satisfaction) d'un affront subi alors que les deux hommes s'opposaient sur un procès mineur :

‘To Waightstill Avery
                           Agust 12, 1788
When amans feekings & charector are injured the ought to Seek aspeedy redress; you recd. a few lines from me yesterday & undoubtedly you understand me. My charector you have Injured; and further you have Insulted me in the presence of a court and a larg audianc I therefore call upon you as a gentilhomme to give me Satisfaction for the Same; and I further call upon you to give me an answer immediately without Equivocation and I hope you can do without dinner untill the business done; for it is consistant with the charector of agentilhomme when he Injures aman to make aspedy reparation; therefore I hope you will not fail in meeting me this day
from yr. obt st
                  Andw Jackson
P.S. This Evening after court adjourned (Smith, I : 12).

Les biographes s'accordent pour dire que la remarque d'Avery ne comportait pas vraiment de caractère aussi insultant qu'il méritât un affrontement. Mais l'échange de coups de feu avec un personnage aussi prestigieux ne pouvait que profiter à Jackson vis-à-vis de la bonne société de la frontière et affirmer son indépendance, sa qualité d'homme respectable, lui qui ne possédait selon la tradition, lors de son arrivée à Nashville, qu'un “cheval et des chiens de chasse” (Remini, I : 37). Comme beaucoup de conflits où le verbe claquait haut et fort, le différend s'arrangea avant la rencontre et les deux hommes tirèrent chacun en l'air, pour faire bonne mesure 439 (Parton, I : 161-162 ; Remini, I : 39). Jackson avait conforté sa place au sein de l'élite puisque Avery avait pris son défi au sérieux.

Le 7 janvier 1806, Andrew Jackson résumait les passions qu’entraînait sa querelle avec Charles Dickinson :

‘when the conversation dropt. between Mr. D[ickinson]. & myself, I thought it was at an end. as he wishes to blow the coal I am ready to light to a blaze that it may be consumed at once, and finally extinguished (Moser, II : 80).

La dispute avec William Cocke concernait une indiscrétion, le différend avec John Sevier reposait sur la rivalité politique et la querelle avec les frères Benton sur une erreur de jugement de Jackson. L'affaire Dickinson expose une querelle qui va jusqu’au bout de son développement, sans obstacles ni compromis. La haine contenue dans les lettres se libère le jour de la rencontre et seule la mort règle le différend. Jackson se montra tour à tour conciliant et implacable, mais résista finalement à toute forme de médiation, s’arc-boutant au code, jurant qu’il laverait l’offense dont il avait été victime dans le sang de son adversaire. Répétons ici que le duel était une affaire de pouvoir entre des hommes de la même classe sociale : ‘“Duels were a method for ascertaining who should exercise the power that the community of men was willing to accord the winners”’ (Wyatt-Brown, 1983 : 357). Instrument et expression de pouvoir, le duel comportait des éléments ritualisés très rationnels, mais dépendait souvent de comportements individuels irrépressibles et imprévisibles.

L’affaire commença par une course de chevaux qui n’eut pas lieu. Andrew Jackson tirait un profit extraordinaire de sa grande connaissance des chevaux. Il possédait une écurie conséquente et ses poulains gagnaient course sur course. Le fleuron de son haras se prénommait Truxton et avait déjà rapporté à son propriétaire des sommes considérables. Au début de l'hiver 1805, le 28 novembre précisément, Truxton devait courir contre le cheval de Joseph Ervin , Ploughboy. Or, Ploughboy s’était blessé et Ervin préféra déclarer forfait et payer les huit cents dollars de gage. Cet arrangement agréait également son beau-fils, Charles Dickinson. Jackson et ses deux partenaires, John Verell et Samuel Pryor, acceptèrent des billets à ordre, à condition que la moitié au moins fût payable immédiatement car Verell et Pryor devaient quitter le Tennessee sur l'heure. L'arrangement semblait avoir été accepté par les deux parties. Or, un ami de Jackson, Patton Anderson, affirma que les billets fournis par Ervin ne correspondaient pas à ceux pour lesquels les protagonistes s'étaient mis d'accord 440.

Jackson parut confirmer l'accusation lors d'une entrevue avec Thomas Swann, un ami de Dickinson. Swann rendit compte à Ervin qui, accompagné de Dickinson, rencontra Jackson le 28 décembre, date à laquelle Jackson nia les faits et traita l'auteur d'une telle fable de menteur (a damn'd Lyar). Piqué, Swann demanda alors des explications par écrit à Jackson (signe avant-coureur d'un possible conflit entre gentilshommes) :

‘The harshness of this expression has deeply wounded my feelings; it is language to which I am a stranger, which no man acquainted with my character would venture to apply to me, and which should this information of Mr. Dickinson be correct I shall be under the necessity of taking proper notice of (Moser, II : 78).

Désireux d'éviter un duel, Jackson signifia à Swann que le jeune homme n'était pas de sa caste, alors que Swann était venu de Virginie avec une lettre d'introduction pour un planteur établi, Edward Ward 441, un ami et voisin de Jackson.

Jackson répondit à Swann le 7 janvier, à son retour de Haysborough. Il prit très mal le ton de Swann et stipula que seul son statut d’“étranger” le poussait à répondre à la lettre (le jeune homme était nouveau à Nashville), ainsi que la mention de “proper notice”, expression familière du vocabulaire duelliste qui exigeait réponse. Jackson rappela sèchement quelques règles au jeune homme et le sermonna d’un ton supérieur (Moser, II : 79-81). Stowe mentionne la nécessité d’en imposer afin d’éviter de trop nombreux ennuis : ‘“a steady look and a firm voice are good armor against impertinence”’ (1990 : 22). Jackson usa de cette stratégie avec le jeune homme, d’autant que son statut de gentilhomme n’était pas entièrement reconnu par les notables de la région 442.

Pourtant, c'est à Dickinson qu'il réserve les mots les plus durs de sa vindicte : ‘“When the base, poltroon and cowardly <assassin> tale bearer, will always act in the <dark> back ground you can apply the Two latter, to Mr Dickinson, and see which best fits him, <and> I write it for his eye—and the latter I emphatically intend for him”’ (Moser, II : 80). Malgré l’adresse directe et l’insulte assumée, Dickinson lui faisait remarquer dans sa lettre du 10 janvier que ses propos sont obscurs, une indication qu’il cherchait sans doute à minimiser la portée de la missive : ‘“Your letter is so replete with equivation [equivocation] that it is impossible for me to understand you”’ (Moser, II : 81). Là encore, les mots créaient du flou dans le but d’atténuer les passions. Il semble que Jackson et Dickinson aient tous deux tenté, à diverses reprises, de rattrapper l’affaire.

A la fin de sa lettre à Swann, Jackson avait assuré qu'il fournirait toutes les explications nécessaires pour soigner le “Spleen” de Dickinson, plus l'aspirine pour les maux de tête : ‘“at all times be assured I hold myself answerable for any of my conduct, and should any thing herein contained give Mr D. the Spleen—I will furnish him with an anodine as soon as I return”’ (Moser, II : 80). Une métaphore reprise allègrement par Dickinson, qui accentue ainsi l'escalade des mots entre les deux aphoristes : ‘“I shall be very glad to know in what manner you give your Anodines and hope you will take in payment one of my most moderate Cathartics. Yours at command”’ (Moser, II : 82). La métaphore devenait meurtrière.

Ironiquement, le calmant auquel il est fait allusion ne fit qu'enflammer le mal un peu plus. On voit ici que la raison de cette querelle s'efface très rapidement pour laisser la place aux sentiments exaltés, à l’orgueil des principaux et à l'irrationnel des passions. Les mots ne font plus office de catalyseurs. Ils ne se substituent plus au combat, mais le préparent, l'attisent, l'avivent. Les épistoliers se repaissent des mots comme d'un hors-d'oeuvre. Les insultes ne suffisent plus à calmer l'orgueil, la rage et leur soif de défi.

Jackson se trouvait de la sorte aux prises avec deux hommes qui lui demandaient réparation. Jackson rossa Swann dans une taverne et continua de lui refuser le titre de gentilhomme 443 : ‘“He had previously every assurance that I would not treat him like the gentleman, but that a caning would be given him in return for a challenge”’ (Bassett, I : 138 ; voir aussi Moser, II : 130-131). Jackson traita le jeune homme comme un gueux indigne de plus d’attention que quelques coups, ainsi qu’on en appliquait aux valets. L’épisode, haut en couleurs, vit Jackson assener un coup violent à Swann, celui-ci fit mine de dégainer une arme, Jackson sortit alors la sienne, se prit les éperons dans une chaise et tomba à la renverse, rattrappé de justesse par ses amis avant de s’écrouler dans l’âtre qui rougeoyait derrière lui 444.

L'affaire prenait de telles proportions que les sages de l'État tentèrent d'intervenir auprès de Jackson, qui, à 39 ans, se devait de ne pas “permettre à la passion de prendre le meilleur sur [son] bon sens”. James Robertson , comme nous l’avons vu, lui écrivit la lettre mentionnée plus haut. Les deux hommes se connaissaient bien et s'appréciaient, mais Jackson n’écouta pas. Pourtant, la démarche de Robertson était publique. Dans une lettre à John Overton datée du 8 mars 1806, John Brahan, un capitaine de l'Armée en poste à Fort Southwest Point, informe le juge de l'intervention de Robertson afin de mettre un peu d'ordre dans le chaos de Nashville :

‘I am told that (...) Genl Robertson had interfered in order to put a stop to the business; & had got the whole of the parties bound over, to Keep the peace (...) I now enclose you Eastins paper[Impartial Review], which contains all the publications on the existing wars now in the vicinity of Nashville (Moser, II : 90 ).

Les têtes brûlées passèrent outre les conseils de prudence, d'où qu'ils vinssent. Le tragique rocambolesque s'accrut encore quand le conflit s'étendit aux seconds. Nathaniel McNairy, l'ami de Swann, provoqua John Coffee en duel, après avoir répondu aux allégations de Jackson mettant en doute son intégrité de gentilhomme. Comble d’absurdité, McNairy tira avant le compte de trois et blessa Coffee à la jambe, ce qui poussa celui-ci à l’insulter sur le champ d’honneur. Toutes les règles de bienséance se trouvaient ainsi bafouées (Parton, I : 286-289).

Dans le très long article du 10 février, publié dans l’Impartial Review, Jackson reprenait toute l'affaire et réitérait ses accusations à l'encontre de Swann et de Dickinson :

‘“Mr. Swann on this occasion has impertinetly and inconsistently obstruded himself, he has acted the puppet and lying valet for a worthless, drunken, blackguard scoundrel, who now is at war and flatly contradicts and gives Mr. Swann the lye (Bassett, I : 138).

La course avortée de novembre 1805 eut lieu malgré tout le 3 avril 1806. L'événement hippique, là encore, aurait pu faire office de combat symbolique, mais il ne fit qu'attiser les passions. Jackson fit tout pour que son cheval gagne la course, alla même jusqu'à le forcer à courir malgré une blessure, ainsi qu'il le raconte à John Hutchings : ‘“Truxton had on Tuesday evening before got a serious hurt in his thigh, which occassioned it to swell verry much, and had it not have been for myself, would have occasioned, the forfeight to have been paid—but this I was determined not to permit”’ (Moser, II : 94). Connaissant l’amour de Jackson pour les chevaux, cet entêtement criminel prouve la hargne qu’il mit à gagner. On imagine aisément que Jackson aurait préférer tuer son cheval que de verser une compensation à ses ennemis de six mois ! La course fut brillamment remportée par Truxton et rapporta l'énorme somme de dix mille dollars (Moser, II : 92). Hutchings répondit qu'il aurait aimé annoncer la nouvelle à Dickinson pour savourer son “agonie”, mais celui-ci avait déjà quitté la Nouvelle-Orléans, où il séjournait, pour Nashville (Moser, II : 95).

Le retour au Tennessee de Charles Dickinson recentra les points d’intérêt. Le 21 mai, il fit publier un article appelant Jackson au champ d'honneur, le qualifiant ainsi : ‘“worthless scoundrel (...) a poltroon and a coward”’ (Moser, II : 97). Jackson répondit le 23 mai à cette ultime provocation par un message relativement court qui augurait d'une résolution sans appel ni faux-semblants : ‘“I hope sir your courage will be an ample security to me, that I will obtain speedily that satisfaction due me for the insults offered”’ (Moser, II : 98). Après les événements périphériques des derniers mois, le dialogue codé des adversaires s’épurait de toute querelle pour laisser la place au langage froid des dispositions à prendre.

La brièveté et la concision de la rédaction prouve cet état d’esprit chez les deux hommes. La réponse de Dickinson tient en trois lignes : ‘“Your note of this morning is received, and your request shall be gratified—My friend who hands you this, will make the necessary arrangements—I am &c”’ (Moser, II : 99). Les mots laissaient la place aux actes, le silence régnerait bientôt entre les deux hommes pour laisser parler les armes.

Thomas Overton était le second de Jackson et Hanson Catlet, un chirurgien, celui de Dickinson. Les deux hommes mirent au point les détails de la rencontre entre le 23 et le 24 mai, ce qui prouve l’accélération décisive de l’affaire. Le duel aurait lieu au Kentucky, pour ne pas enfreindre la loi du Tennessee :

‘                 Nashville May 23rd. 1806
On Friday the 30th Inst. we agree to meet at Harrisons mills on red river in Logan County State of Kentucke for the purpose of settling the affair of honor between Genl Jackson and Charles Dickinson, Esq—Farther arrangements to be made—It is understood that the meeting will be at the hour of seven in the morning.
                 Nashville May 23rd. 1806
It is agreed that the distance shall be 24 feet, the parties to stand facing each other with their pistols down purpindicularly—When they are ready, the single word fire, to be given, at which they are to fire as soon as they please—Should either fire before the word given, we pledge ourselves to shoot him down instantly—The person to give the word, to be deturmined by lot, as also the choice of position
We mutually that the above regulations shall be observed, in the affair of honor depending between Genl. Andrew Jackson and Charles Dickinson esqr—
Tho. Overton, Hanson Catlet (Moser, I : 99-100).

La distance était respectable, mais plus courte que celle agréée pour le duel Coffee-McNairy. On remarquera également qu’il n’y avait pas de décompte, alors que McNairy avait tiré avant que l’on ne compte trois et crie “feu”, comme établi au préalable 445 (Parton, I : 287).

Charles Dickinson était l'un des meilleurs tireurs du Vieux Sud-Ouest. Sa balle se logea à quelques millimètres du coeur de Jackson, si près que le général la garda jusqu'à sa mort, trente-neuf ans plus tard. Jackson, pourtant, ne perdit pas contenance. Il laissa la poussière de son manteau, soulevée par le passage de la balle, retomber, leva son arme et tira. Le chien se bloqua à mi-course. Jackson réarma et tira de nouveau. Cette procédure n’aurait pas été acceptée dans le duel Coffee-McNairy où le coup, même raté, aurait été considéré comme tiré, ainsi qu’il fut stipulé au préalable : ‘“a snap or flash to be considered as a fire” ’(Parton, I : 287). Le code de l’honneur irlandais rédigé aux assises de Clonmell en 1777 stipule dans la règle 20 : ‘“In all cases a miss-fire is equivalent to a shot, and a snap or a non-cock is to be considered as a miss-fire”’ (Williams, 1980 : 103). Cette règle étant généralement appliquée au xixe siècle, Jackson avait clairement dépassé les limites de la bienséance en réarmant son pistolet pour tirer une seconde fois. Cette fois, le coup partit et Dickinson s'effondra en se tenant le ventre. Jackson ne bougea pas. Telle était sa détermination qu'il déclara plus tard : ‘“I should have hit him, if he had shot me through the brain”’ (Parton, I : 297). Ces mots, puis le silence qui s’en suivit, transforment l’anecdote en récit implacable d’une mort rituelle et inévitable.

Dans une lettre du 30 juin, William Harrison (le futur président), qui avait recueilli le jeune duelliste dans sa ferme du Kentucky après le duel, faisait part à Jackson du sentiment général tout en disant respecter ses sentiments au moment du duel : ‘“there has many people Said that had they ben in your place they would not have Shot Dickeson after the first pass but you must no them people Could not be a Judge of your fealings at that Time”’ (Moser, II : 105). En dernier ressort, il apparaît que là encore, les sentiments personnels, la rage ou la passion, débordaient du cadre fragile du code et créaient du chaos là où l’harmonie devait régner.

L'affaire Dickinson est entachée de sang et de mystère. Car enfin, il y a un petit détail qui aurait dû intriguer davantage les commentateurs : le post-scriptum d'une lettre de Jackson écrite le 7 février 1806 à Thomas Swann et dont la teneur est déjà dans la déclaration de Swann faite le 1er février pour l'Impartial Review. Dans ces quatre lignes, Jackson stipule que la rencontre avec Dickinson le 28 décembre n'avait pas pour objet le différend concernant les billets à ordre, cause supposée et acceptée de toute l'affaire : ‘“There were no notes delivered at the time of making the race as stated in your letter, nor was the meeting between me and mr D at mr Winn's tavern on that subject; the subject of the notes was introduced by mr. D. as an apology for his conduct, the subject of conversation”’ (Bassett, I : 124). Il s’était passé autre chose durant cette rencontre, et des paroles furent si blessantes pour Jackson qu’il alla jusqu’au bout de sa colère.

Quel pouvait être cet écart de conduite qui nécessitât une rencontre et des excuses de Dickinson ? Aucune allusion n'a été faite à cette affaire durant les joutes épistolaires par quiconque. Des biographes ont pensé que Dickinson avait insulté Rachel, ce qui expliquerait la fureur de Jackson et son désir de tuer Dickinson. Mais les éditeurs des Papers affirment n'avoir découvert aucun document allant dans ce sens et réfutent cette thèse émise par James Parton, qui citait Sam Houston comme sa source (Moser, II : 78). Il est d'ailleurs étonnant, voire contre-nature, que dans cette hypothèse, Jackson n'y ait jamais fait référence. Sevier s'était permis une telle liberté et on se souvient de la référence explicite que Jackson y fait (‘“in an ungentlemanly manner [you] took the Sacred name of a lady in your poluted lips” ’[Moser, I : 376]).

Nous achoppons sur ce mystère. Notre regret ne tient pas tant dans l'aporie historique que dans le manque de motif clair expliquant l'action de Jackson. Il n'a pas l'habitude d'agir sans définir ses actes par écrits ; c'est d'ailleurs un de nos présupposés que de montrer cette cohérence de la parole mise en acte dans le monde et débattue sur le papier, comme re-produite, ré-agie. Le malaise était profond puisque les années qui suivirent furent parmi les plus noires de sa vie adulte. Jusqu'en 1812, l'orientation de sa vie semble floue et incertaine, sous le coup d'un ennui qu'il ne parvint pas à maîtriser. Nous avons vu son désir de déménager dans le territoire du Mississippi en 1810. La guerre de M. Madison (1812) a sauvé Andrew Jackson de lui-même.

Notes
438.

La Caroline du Sud, d’où émanent bien des codes écrits sur le duel, fut le dernier état à légiférer contre cette pratique bannie dans certains États du Nord depuis le siècle précédent (Stowe, 1990 : 6).

439.

Un exemple célèbre de conflit similaire qui se termina sur une note d’humour concerne Henry Clay et John Randolph, deux éminents personnages politiques de la période jacksonienne. La balle de Clay avait troué le manteau de Randolph. Celui-ci tira en l’air et ajouta : “You owe me a coat, Mr. Clay” (Williams, 1980  59). Il est à noter cependant que le code irlandais de 1777 rejette catégoriquement le tir en l’air, le jugeant indigne du champ d’honneur : “Rule 13 : No dumb-shooting, or firing in the air, admissible in any case (...) children’s play must be dishonorable on one side or the other, and is accordingly prohibited” (Williams, 1980 : 102). Cela prouve encore une fois combien les duellistes accommodaient les règles à leur guise.

440.

Ces billets à ordre étaient des paris déjà émis en vue de la course annulée. Ce résumé est issu du texte d'introduction à l'année 1806, (in Moser, II : 77). On peut également lire la déclaration sous serment de Joseph Ervin, datée du 4 janvier, qui relate les faits tels que nous venons de le faire (Ibid., 79).

441.

Ward était le planteur qui avait racheté l'ancienne propriété de Jackson, Hunter's Hill, quelques années plus tôt. Plus tard, Andrew Jr s’éprendrait de la pupille de Ward, Flora. Swann était sans conteste membre de la caste.

442.

On se souvient qu'un certain jour de 1788, le jeune Andrew Jackson défia le respectable Avery Waightstill pour des motifs tout aussi incertains. A présent, Jackson était le notable et prenait l'attaque de haut. Concernant le statut de Swann, Jackson fit rédiger à trois de ses amis des déclarations indiquant qu’il n’avait pas la qualité de gentilhomme et Nathaniel McNairy, un allié de Swann, proposa une “cour d’honneur” pour décider de son statut (Parton, I : 281-283).

443.

Ce refus visait probablement à ne pas multiplier les duels, puisque Swann produisit de nombreuses lettres de gentilshommes virginiens attestant de son caractère (Bassett, I : 138n3). Nathaniel McNairy, l’ami de Swann, dénonça d’ailleurs cette attitude et accusa le général de poltronerie (Bassett, I : 140n2).

444.

“John Coffee’s affidavit” cité dans Parton (I : 278-281).

445.

Parton reproduit la déclaration du major Robert Purdy, le second de Coffee, qui explique ainsi les conditions décidées en accord avec le second de la partie adverse : “‘[T]he usual distance, thirty feet’ (...) [F]irst, the word, ‘Make Ready;’ at which time the parties were to raise their pistols; then, distinctly count, ‘one, two, three,’ and then the word ‘Fire;’ at which time the parties were to fire” (Ibid.).