Les conséquences des querelles

Les séquelles: réactions

L’importance des seconds doit être rappellée. Le code de 1838 rédigé par le gouverneur Wilson prêtait aux seconds une importance capitale, tant pour faire respecter les règles de procédure que pour éviter le duel en obtenant une réconciliation honorable (Williams, 1980 : 40). L’implication de nombreuses personnalités dans les querelles de gentilshommes entraînait parfois des conflits secondaires et d’autres querelles. Ayant accepté de seconder un ami ou de servir d’intermédiaire, un gentilhomme se trouvait dans l’obligation de répondre à tout écart de langage ou de comportement.

L’intensité des sentiments était telle que les sous-entendus provoquaient d’autres blessures qui exigeaient à leur tour réparation. Dans une diatribe contre Jackson publiée dans l’Impartial Review du 1er février, Nathaniel McNairy écrivait :

‘Let this suffice as a relish for the gentleman General until I shall have the time to answer the charges exhibited by the braggadocio General; especially as it regards his honorable certifier, Mr. Coffee, who was under the necessity of being sworn, because he is not only honorable, but religious (Parton, I : 286).

Coffee releva immédiatement l’insinuation et envoya un défi à McNairy. Les deux hommes se rencontrèrent le 1er mars au Kentucky. McNairy tira avant le signal et blessa Coffee à la cuisse. Malgré l’ire de Coffee, les seconds parvinrent à réconcilier les adversaires, laissant une porte de sortie honorable à chacun. Robert Purdy, le second de Coffee à cette occasion, parvint à régler le différend sans que Coffee exigeât un autre coup de feu. Voici la fin de son compte rendu :

‘Mr. McNairy observed to me, that he always had a good opinion of Mr. Coffee, and that Coffee had been dragged into the business as well as himself. We then retired (Parton, I : 288).

Les paroles rapportées de McNairy confirment l’absence de réels sentiments dans l’affaire, au profit d’une opposition de circonstance induite par les pratiques du code. Elles montrent également que les possibilités de réconciliation étaient grandes, dépendant avant tout de la volonté des deux principaux.

Une autre fonction des seconds, en sus de régler les détails de l’affaire et de tenter des compromis pacifiques, consistait à témoigner publiquement de la bonne conduite du duel, surtout s’il y a avait eu mort d’homme. Les témoignages suivant l’affaire Dickinson sont à l’image de l’affaire elle-même, sujets à caution et au doute. L’émoi suscité par la mort de Dickinson fut augmenté par les circonstances du coup fatal (Jackson ayant réarmé son pistolet). Hanson Catlet, le second de Dickinson, mit une dizaine de jours pour confirmer le bon déroulement de la rencontre, et d’aucuns affirment qu’il aurait subi des pressions de la part des amis de Jackson afin que sa déclaration soit la plus favorable à ce dernier (Moser, II : 104).

Parton (I : 305) souligne néanmoins l’impopularité de Jackson suite à l’événement : ‘“it is certain that at no time between the years 1806 and 1812, could General Jackson have been elected to any office in Tennessee, that required a majority of the voters of the whole State.”’ Cette opprobre rappelle bien sûr celle qui affecta le vice-président des États-Unis Aaron Burr lorsqu’il tua Alexander Hamilton en 1803 446. Seuls les amis proches de Jackson ne parurent pas affectés par la mort de Dickinson. Le 1er juin, John Overton apprenait à Jackson que des paris avaient été engagés et que les perdants faisaient triste mine :

‘Apropos, aside, there is a few long faces in town, though but few, for it seems that this new-fangled Ajax had even went so far as to bet in town, before he went over, that he would kill Genl. Jackson (Moser, II : 100).

On voit où l’immoralité de certains pouvaient conduire, ce qui ne manquait pas d’alimenter les critiques contre cette pratique. Certains nordistes dénoncèrent même l’affaire d’honneur comme contraire aux préceptes bibliques. Mais, Wyatt-Brown (1983) ne voit pas de préoccupation chrétienne au coeur du concept de l’honneur. Pour lui, la dimension éthique est plutôt issue du paganisme et ne s’encombre que bien peu de la notion de péché. Dans un monde où la mort frappait si souvent les hommes, les femmes et les enfants (l’espérance de vie au Sud était plus courte qu’au Nord), le destin ou la providence expliquaient les échecs et les défaites de manière plus satisfaisante que le sentiment de culpabilité ou la reconnaissance des erreurs commises (Wyatt-Brown, 1983 : 28-30). On se souvient combien Jackson se représentait comme l'instrument providentiel dans la guerre contre les Anglais. Il semble qu'il ait considéré la totalité de ses actes comme issus de la volonté divine, passant outre l'opprobre de ses concitoyens en se plaçant sur un plan supérieur, tout comme le duel plaçait les protagonistes dans une sphère dégagée des règles légales de la société.

L’épisode du bandeau noir 447 avait provoqué une autre querelle avec l’instigateur supposé, Thomas Watkins, dont Jackson voulait à présent obtenir des explications, voire des réparations (Moser, II : 106-107). Cependant, même Overton, qui avait pourtant félicité Jackson après le duel en juin, le pressait en septembre de ne plus s’engager sans réfléchir contre de jeunes hommes indignes de sa considération :

‘the respect you owe to the opinion of your friends, the duties you owe to your family, and to the world, forbids the idea of your putting yourself upon a footing with boys, especially when they are made the instruments of others (Moser, II : 108-109).

Overton rappelle ici combien l’honneur est lié au réseau social de la famille et des amis. Il met en garde Jackson contre une attitude irresponsable qui placerait l’honneur de ses proches dans une position inacceptable pour leur statut social. De plus, l’enchaînement des querelles peut ainsi s’étendre à l’infini, si chaque mot, chaque attitude devient objet de suspicion, entraînant alors des disputes infantiles indignes d’un gentilhomme. Clairement, l’harmonie recherchée disparaît par les instruments mêmes censés la préserver du chaos. C’est alors le rôle des proches de rappeler les combattants à l’ordre social et de les replacer dans le cadre de la loi. C’est ce qu’avait tenté Robertson avant le duel, mais les choses avaient été trop loin. À présent, Overton pouvait plus facilement montrer à Jackson que ces querelles de second ordre portaient réellement préjudice à sa réputation. Il lui rappelait les devoirs dûs à sa famille en tant que chef, à ses amis en tant que pair, au monde en tant qu’homme public. La loi revient dans le discours alors qu’elle avait été, sinon bafouée, tout au moins mise un temps à l’écart par l’exaltation des sentiments. Dans un mouvement caractéristique, le rappel à l’ordre vient de la source même qui avait exigé l’affaire d’honneur, démontrant dans cette circularité la domination incontestable de la société sur l’individu.

Notes
446.

L’écho fut retentissant et la carrière politique de Burr fut brisée. Jackson fut informé de la mort d’Hamilton par un ami qui insista sur l’émoi provoqué par cette mort à Philadelphie et à New York (Moser, II : 26). Il faut remarquer que le duel se déroula au nord de la ligne Mason-Dixon. Burr acquit à l’issue de ce duel une réputation extraordinaire dans le Sud (sans doute aussi parce que Hamilton était fédéraliste...).

447.

Des citoyens firent orner les journaux du lendemain d’un bandeau noir (voir Supra, 407 et Moser, II : 101).