Hunter's Hill (1795-1804)

En 1796, les affaires avaient prospéré, malgré la déroute de l’affaire Allison 468, et Jackson acheta une propriété plus grande et plus confortable, Hunter’s Hill. Celle-ci était située à une dizaine de kilomètres de Nashville, près de la propriété de son beau-frère, John Donelson, non loin de Poplar Flat d’ailleurs. Ironiquement, la plantation était située sur le terrain que Lewis Robard, l’ex-mari de Rachel alors résidant au Kentucky, avait acheté en 1788 pour s’installer avec sa femme au Tennessee (Smith, I : 84).

Jackson agit selon les règles, ainsi que le lui recommandait son ami Mark Mitchell le 21 novembre 1795, qui lui envoya un régisseur pour prendre en main la gérance de l’exploitation et surtout permettre à Jackson de ne pas perdre son temps aux champs 469 :

‘The Barer Mr. David lile is the man I have promist to Send you for an Overseer you may Depend On him put your Negros Under him and as Many Horses and Tools as he wants and Keep Out of the field your Self and you may Depend on a crop (Smith, I : 77).

James (1938 : 76) souligne que Jackson fit construire sa maison en planches (cut limber [sic]), un signe d’aisance en ces temps où la cabane en rondins constituait encore le modèle des habitations de la frontière. Comme le fait justement remarquer Mary French Caldwell, l’affaire Allison , toute désastreuse qu’elle fût, n’empêcha pas Jackson d’investir des sommes importantes pour son confort personnel 470 :

‘It is a significant fact, however, that Allison’s failure, which occured about 1795, did not result in the sale of Hunter’s Hill until July 6, 1804. It is reasonable, then, to suppose that the Allison failure by no means crippled Jackson (...) although it undoubtedly marked the beginning of a long struggle (1933 : 21).

Il faut se rappeler que Jackson devait de l’argent à ses créditeurs, or c’est précisément ce dont les hommes de la frontière manquaient le plus. Leur richesse tenait dans leurs avoirs fonciers, leurs esclaves et le produit à venir de leur récolte. Le troc remplaça très souvent l’argent dans les premières années de développement. Lorsqu’il était procureur, les honoraires de Jackson lui étaient payés en terres et en esclaves. Les magasins de détail offraient des produits de consommation courante qu’on payait en échangeant du coton ou du maïs. Les marchands étaient aussi des banquiers ou des prêteurs et pouvaient se porter caution en faveur de certains clients (Stilgoe, 1982 : 72). Le développement économique appelait naturellement l’établissement d’institutions bancaires pour faire face aux besoins d’investissement. La première banque du Tennessee fut la Nashville Bank, créée en 1807, suivie de la State Bank of Tennessee en 1811 (Abernethy, 1932 : 224).

Une activité intense régnait à la propriété, partagée entre l’agriculture et le commerce. Jackson avait acquis une machine à égrener le coton, la fameuse invention d'Eli Whitney et Phineas Miller de 1793. En juillet 1802, il présida à l’établissement d’une résolution (Resolution of Cotton Gin Committee) pour que l’État du Tennessee acquière les droits d’exploitation de la machine et prélève une taxe sur chaque utilisateur du procédé :

‘Whereas the cultivation of Cotton, has become an object of great importance to this state, and in all probability, an article upon which the riches of the country will depend,471 it is therefore worthy the attention of the legislature: and whereas many of the citizens have hitherto been and now are detered from making and using Ginns, lest they should trespass on the patent right of Miller and Whitney, & thereby subject themselves to heavy penalties and damages, therefore,
Resolved, That it Will tend much to the agricultural and commercial interest of this state, that the legislature thereof, at their next session, purchase the patent right of the said saw Ginn, for the use and benefit of its citizens, and lay a tax on the makers and users of the said Ginns, to discharge the sum which may be contracted to be given to the patentees for their patent right aforesaid.
That these resolutions be published in the Tennessee Gazette, for the information of the citizens of the state, in order that if it meet their approbation, it may be represented as the general wish of the people (Smith, I : 303-304).

Jackson tira grand profit de sa machine en égrenant le coton de ses voisins. Il installa également une distillerie sur sa propriété, dont il vendait la production dans le magasin qu’il y avait établi (James, 1938 : 84-85) 472.

En février 1802, il s’associa avec un planteur voisin, Thomas Watson , et le neveu de sa femme, John Hutchings . Le contrat stipulait qu’il y aurait une égreneuse par magasin sur chaque plantation, sans compter la distillerie sur la plantation de Jackson. Enfin, Jackson et Watson s’engageaient à partager les pertes et les profits qu’une telle entreprise supposait (Smith, I : 278-280). Cet exemple rappelle que la plantation était un lieu économique dont les activités dépassaient de loin la seule agriculture. En cela, James (1938 : 89) — avec d'autres — a raison de rappeler le caractère capitaliste de l'activité de Jackson, une agriculture commerciale, dans le sens où la diversité de ses intérêts le mettait à l’abri d’une dépendance trop grande à l’égard d’un seul secteur d’activité.

Toutefois, Jackson se limita au commerce et ne se lança jamais dans l’industrie textile, à si petite échelle que ce fût, suivant ainsi la préférence sudiste d’exporter avant tout la matière première vers les centres industriels sans se soucier d’établir un tissu industriel régional (Chaplin, 1991 : 172, 198-199). Hunter’s Hill, tout comme le serait l’Hermitage plus tard, était une exploitation agricole orientée vers le marché et la recherche de profit.

Cependant, les créditeurs liés à l’affaire Allison se faisaient de plus en plus pressants et, en 1804, Jackson dut se résoudre à mettre Hunter’s Hill en vente : ‘“Necessity compelled me to sell the Hunter’s Hill tract”’ (cité dans Horn, 1950 : 11). Edward Ward, un voisin et partenaire commercial occasionnel, accepta d’acheter la propriété pour dix mille dollars. On se souvient que Jackson en avait donné sept cents à John Shannon huit ans auparavant. Les aménagements de la plantation et la hausse des prix fonciers furent assez substantiels pour la revendre près de quinze fois plus cher 473. D’après Brigance , qui cite les livres de comptes, il semble que Jackson ait procédé à des rénovations importantes avant de quitter Hunter’s Hill, dont l’application d’une nouvelle tapisserie et d’une couche de peinture :

‘A July 14, 1804, account between General Jackson and Charles F. Lorumier (a mutilated fragment) is for ‘painting and papering Madam(?) room in different color and graining paint (...) painting Dining(?) room (...) painting the passes and bannister.’ This account obviously deals with work being one on a dwelling but doesn’t seem to be in character with the Hermitage log cabins. It is work more apt to have been done to the Hunter’s Hill house to make it more attractive to a buyer (1976 : 40).

Quelques temps avant la vente, il avait acheté à Philadelphie des chaises de salon et un canapé pour sa femme, ce qui, selon James (1938 : 96-97), constituait une “extravagance”. Jackson comptait absolument sur l’envoi à la Nouvelle-Orléans de cinquante-six mille soixante dix-sept livres de coton ainsi que d’une cargaison de peaux, d’autant qu’il devait acheter des marchandises pour ses magasins lors de son prochain voyage à Philadelphie.

Les meubles n’ornèrent jamais les pièces confortables de Hunter’s Hill. En effet, à la suite de ses revers financiers, il dut vendre la propriété en 1804 474 et déménager tout à côté, sur les 320 acres à peine développés de l’Hermitage. De par la modestie de ses installations, la nouvelle propriété était clairement un revers de fortune pour Andrew Jackson (Moser, II : 27). Il démissionna du poste de juge qui lui prenait trop de temps et ne lui rapportait pas assez. L’emménagement dans la cabane en rondins se fit dès septembre 1804, si l’on en croit les en-têtes de lettres qu’il envoyait et les adresses de son courrier qui indiquent son changement de foyer à cette date (James, 1938 : 807-808 ; Smith, 1976 : 33).

Notes
468.

On se rappellera que Jackson avait vendu des terres à Allison en échange de billets à ordre avec lesquels il avait immédiatement acheté des marchandises pour ses magasins. Allison fit faillite et se défaussa. Jackson dut alors régler les billets et évita de peu la prison pour dettes (voir notre étude “Les hommes du Tennessee”, II : 117-128).

469.

Les petits propriétaires d'esclaves qui n'étaient pas assez riches pour acquérir suffisamment de main d'oeuvre ou pour engager un régisseur, ainsi que les nouveaux planteurs dans la phase d’installation, travaillaient souvent aux côtés de leurs esclaves (Arnow, 1960 : 308 ; Cashin, 1991 : 63-64).

470.

Pour preuve, l’acquisition de la propriété est postérieure à la débâcle. On se rappellera que Jackson reçut les premières nouvelles de la faillite d’Allison dès le 11 août 1795 (Smith, I : 64).

471.

Il faut noter combien l’enthousiasme des premières années de cultivation fit place, dans les années 1840, à la conclusion que le climat difficile du Tennessee rendait l’exploitation du coton trop peu rentable par rapport aux vastes plantations du Mississippi et de l’Alabama. Le gel était le grand ennemi et en 1836, Jackson demandait à son régisseur de diversifier les cultures vers le chanvre et la tabac pour ne pas dépendre uniquement du coton (Walker, 1943 : 22).

472.

L’auteur n’est pas très clair quant à la chronologie des activités ; nous ne le citons donc que pour les faits bruts qu’il énonce.

473.

Jackson eut cependant du mal à obtenir le paiement des traites. Ward versait des sommes différentes chaque mois, ou bien voulait régler le solde en esclaves ou en terre. Mais, Jackson lui faisait remarquer que ses créanciers lui réclamaient de l’argent liquide. Il menaça même Ward de vendre le contrat pour la somme restante.

474.

Voir la lettre à Edward Ward du 10 juin 1805 (Moser, II : 59-60). À son acheteur mauvais payeur, Jackson écrivit cet ultimatum : “next week I must have money, and should I not receive it from you will be compelled to bring your Bond into markett and raise what money on it I can to meet my pressing demands (...) But my Engagements I must meet, this was the object of my sale of my Possessions” (60).