Les transactions

À l’instar des pionniers de l’Ouest, Jackson avait spéculé énormément durant ses premières années dans le Tennessee, achetant sans cesse et revendant toujours avec un confortable profit. Caldwell (1933 : 16-20) donne une liste non exhaustive des transactions enregistrées dans le comté de Davidson 480 (Nashville) entre 1793 et 1797 : ‘“A rough estimate of sixteen land deals (...) shows that between May 3, 1793 and February 18, 1797, he had bought something like twenty-seven thousand acres of land at an expenditure of $20,000”’ (Caldwell, 1933 : 15). La terre était le produit commercial et spéculatif par excellence, une marchandise sans affect particulier pour des hommes qui en tiraient avant tout un profit pécuniaire.

Les 420 acres de l'Hermitage représentaient un peu plus de la moitié de la parcelle originale ayant appartenu à Nathaniel Hays. D'après Brigance (1976 : 62), qui repose ses affirmations sur une carte d'arpentage datant certainement de l'été 1804, seule la maison fortifiée (blockhouse) 481 qu'habitèrent les Jackson pendant plus de quinze ans existait à l'acquisition du terrain. Rachel Jackson emporta avec elle son clavecin, un instrument peu à sa place dans ce décor sommaire, mais qui égaya sans doute la rusticité des lieux (James, 1938 : 99).

La transaction suivante est la vente pour mille dollars de 100 acres du domaine le 10 novembre 1806 à Francis Sanders. Celui-ci en possédait déjà 240 achetés à Nathaniel Hays, divisant le terrain original de l'Hermitage en deux parts égales entre Sanders et Jackson (Moser, II : 541).

Brigance (1976 : 62-65) mentionne ensuite la transaction compliquée de la préemption de Hugh Hays, six cent quarante acres de terres situées au nord de la propriété de Jackson. Celui-ci convainquit son beau-frère William Donelson d'acheter ces parcelles avec lui afin de les offrir à Samuel Donelson , frère de William et ancien partenaire commercial de Jackson, qui subissait à l'époque de sévères revers de fortune. Willam accepta de payer la moitié à condition que Samuel le remboursât. Mais Samuel Donelson mourut à l'été 1804. Jackson transféra la propriété du terrain aux trois fils de Samuel. Cette transaction semble avoir eu lieu avant même l'acquisition de l'Hermitage par Jackson. Il est fait mention dans l'acte du 23 août 1804 du transfert de propriété aux descendants de Donelson (Brigance, 1976 : 64).

Le 11 décembre 1806, un contrat fut signé entre William Donelson et Jackson dans lequel ce dernier recevait un titre d'obligation concernant la seconde moitié du terrain 482. Ainsi, les six cent quarante acres firent partie de l'Hermitage dès 1806. En tant que tuteur des enfants de Donelson, Jackson géra ces terrains comme les siens jusqu'à la majorité de ses pupilles (Moser, V : 311) 483. En octobre 1824, il acheta les 3481/4 acres de Springdale que vendait Francis Sanders 484 : ‘“Mr F Sanders having proposed to sell & I fearf[ull] of a bad neighbour I have bought & paid hi[m] for his plantation.”’ Jackson préférait réunir sa famille autour de lui. Pour le mariage d'Andrew Jackson Donelson avec sa cousine Emily en 1824, Oncle Jackson leur fit don de la propriété 485 qui devint plus tard Tulip Grove (Burke, 1941 : 142 ; Moser, V : 311). Beaucoup de transactions impliquèrent des membres de la famille de Rachel, d'autant que les Donelson occupaient massivement les environs de l'Hermitage.

Il échangea vingt-cinq acres en 1810 contre vingt-cinq autres, mais une nouvelle acquisition n'est pas enregistrée avant le 15 mars 1811, au cours de laquelle Jackson acheta cent acres aux héritiers de Samuel Hays, dont il avait été le tuteur (Moser, II : 530). Cette parcelle était située au sud de l'Hermitage (Brigance, 1976 : 65). Les documents de toutes les transactions ne semblent pas avoir survécu si l'on en croit la déclaration d'impôts de 1812, dans laquelle Jackson déclare 640 acres comme lieu de résidence (l'inventaire que nous avons présenté n'atteint pas cette somme) (Brigance, 1976 : 66).

Après le mariage de Donelson en 1824, la restitution des parcelles de son père (Samuel) et le don fait par Jackson des terres achetées à Sanders, les listes de taxes foncières du comté de Davidson en 1825 indiquent que la superficie de l'Hermitage était de six cent quarante acres. En 1827, Jackson acheta cent quatre-vingt dix-huit acres aux héritiers d'Anthony Winston, des parcelles adjacentes situées au Nord-Est des terres d'Andrew J. Donelson. En 1830, il acheta à Peter Mosely cent cinquante et un acres en bordure de ceux ayant appartenus à Winston. Un an plus tard, il lui acheta encore deux cent cinquante acres qu'il échangea contre les cent dix de Thomas J. Donelson situés au flanc ouest de l'Hermitage. Il acquit deux autres lots des frères de Thomas, les trois parcelles faisant originellement partie de la propriété de Severn Donelson, un frère décédé de Rachel (Brigance, 1976 : 67). Ces trois lots sont mentionnés dans les deux testaments de Jackson rédigés à dix ans d'écart, le premier en 1833, le définitif en 1843. Brigance présume que les trois lots couvraient environ trois cents acres et constituaient une partie de l'Hermitage vendu à l'État en 1856.

En 1833, Jackson racheta Hunter's Hill , qu'il appelait indifféremment du nom de ses précédents propriétaires, Baldwin place, ou Ward place, ou simplement Hunter's Hill. La plantation occupait la bordure septentrionale de l'Hermitage, au bord de la rivière Cumberland. En 1840, les difficultés financières créées par les maladresses de Junior obligèrent Jackson à revendre le domaine 486. Le 14 juillet de cette même année, Hunter's Hill devint la propriété d'Eliza E. Donelson qui, après la mort de son mari, quitta l'Alabama pour s'en retourner auprès des siens (Brigance, 1976 : 69). Si la vente lui procurait l’argent nécessaire, les terres restaient dans la famille et l’acquisition aidait une parente dans le besoin 487.

Brigance observe encore que Jackson et Andrew J. Donelson entamèrent en 1827 une série de transactions dans lesquelles Jackson racheta une partie des terres boisées de Donelson. Plus tard, il céda ses parcelles achetées à Winston et rendit cinquante acres de son précédent achat. Finalement, Donelson reçut gracieusement de Jackson deux cent quarante-sept acres de terres (Brigance, 1976 : 68). La fin de ces transactions est fixée par Brigance à août 1834, date à laquelle l'Hermitage atteignit l'acmé de sa superficie. Ensuite, il est difficile de suivre l'évolution de l'Hermitage d'après les taxes foncières par comtés, car la plantation comprenait des terres à cheval sur les comtés de Davidson et de Wilson. De plus, il faut se soucier de savoir si les taxes collectées concernent les terres habitées par le contribuable ou simplement possédées par lui, ce qui n'est pas toujours mentionné dans les registres.

En 1841, Jackson envoya un état des lieux à William B. Lewis dans le but de présenter l'Hermitage comme caution à un prêt que les investissements calamiteux de Junior rendaient nécessaire. La superficie totale du domaine était fixée à neuf cent quatre-vingt acres 488 (Bassett, VI : 119). Ce chiffre demeura inchangé jusqu'à la mort de Jackson. Il fut même confirmé par l'homologation du testament, le 4 août 1845 (Brigance, 1976 : 70).

Il fallut seulement onze ans à Andrew Jackson, Jr., pour ruiner la propriété et la vendre, amputée de la moitié de sa superficie, à l'État du Tennessee, en 1856. Les conseils de prudence du père ne furent jamais suivis, malgré d’incessants rappels à l’ordre comme celui-ci :

‘my dear Andrew, the looseness with which you have attended to this business, has occasioned me much trouble (...) you will have to be guarded in your contracts, attentive to your own business, and be always hereafter acquainted with the amount of cotton made and shipped, and your means, before you make purchases (Bassett, V : 262, 263).

Quelque cent ans plus tard, la Ladies Hermitage Association, en charge de la propriété, était parvenu à racheter, au cours d’un lent processus d’acquisition, l'ensemble des terres qui constituaient l'Hermitage au temps du général Jackson. Depuis, aucune transaction n'est venue troubler l'intégrité imaginaire d'une propriété qui ne cessa d'évoluer dans ses limites, jusqu’à la vente par l’héritier direct de celui qui avait tout fait pour lui en assurer la jouissance.

Après avoir examiné l’économie géographique de la plantation, nous nous attacherons à étudier son organisation spatiale. L’étude archéologique du site nous intéresse, car elle nous renseigne sur la distribution des différentes activités de l’Hermitage, un aspect que les témoignages des contemporains négligent singulièrement. Une telle absence de description dénote certainement le caractère conforme de l’Hermitage aux canons organisationnels des plantations du Sud au début du dix-neuvième siècle. Ce présupposé nécessite bien sûr une étude approfondie des vestiges que renferment les différentes aires de la propriété.

Notes
480.

Les transactions concernant le centre et l’ouest du futur État (1796) étaient enregistrées à Nashville puisque ces territoires n’étaient encore ni colonisés ni organisés administrativement (Calwell, 1933 : 16). Le comté de Davidson a pour siège Nashville.

481.

La traduction est difficile et le terme insatisfaisant. “Fortin” rend bien l’idée de fortification, mais peut-être insuffisamment celle de lieu de vie civile. Originellement, la taille et la structure renforcée de ces cabanes en rondins avaient permis une défense efficace des colons contre les raids indiens des vingt premières années de colonisation. Des perforations à l’image des chateaux-forts étaient pratiquées dans les murs pour y glisser le canon des fusils. L’espace plus vaste que dans les traditionnelles habitations de pionniers permettait d’accueillir davantage de défenseurs potentiels en cas d’attaques, alors très fréquentes. Toutefois, la “blockhouse” reste un lieu d’habitation et d’exploitation civil.

482.

Après la mort de William en 1821, Jackson reçut des héritiers le titre de propriété des trois cent vingt acres (Brigance, 1976 : 66).

483.

Le 11 octobre 1824, Jackson et Andrew J. Donelson signèrent un acte de séparation concernant les terrains détenus par Jackson. Brigance fait cependant remarquer, citant une lettre à James Jackson datée de 1814, que Jackson n'était pas tuteur des Donelson à cette époque (voir citation dans le texte).

484.

La propriété, appelée Springdale, fut rebaptisée Tulip Grove par les Donelson, et fait aujourd'hui partie du domaine de l'Hermitage.

485.

Cette propriété faisait originellement partie des 640 acres de terrain de l'Hermitage. Nathaniel Hays avait vendu 220 acres à un certain Taylor qui les avaient revendus à Sanders. Jackson avait acheté les 420 restant et vendu 100 acres supplémentaires à Sanders l'année suivante (1805), pour lui “donner de la place”. Jackson avait par la suite racheté toutes ces parcelles, dont celle de Sanders, afin, écrivit-il, de se préserver contre de mauvais voisins (Brigance, 60). Toutefois, David Hoth (1998) suggère que ces regroupements fonciers pourraient avoir des raisons économiques de développement des activités de la plantation (correspondance privée).

486.

Devant l'absence d'acheteurs parmi ses amis, Jackson publia une annonce dont le texte donne une idée de l'état de la propriété : look at this! a great bargain to be had: a valuable tract of land , containing 850 acres; bounded on the south by the Hermitage, and fronting on its north side, on the Cumberland river, for upwards of one mile. The improvements consist of a comfortable brick dwelling house, kitchen and smokehouse. Also frame carriage house, stables, two large barns, negro cabins, &c. It is well calculated for either a cotton or stock farm, being well watered, and having about 70 acres in grass and clover...it will be exposed to public sale, together with some fine-blooded horses, cattle and sheep. Terms made known on the day of the sale” (cité dans Brigance, 1976 : 69). On connaît l’opulence de ces propriétés grâce à de telles annonces, fréquentes dans les nombreux journaux de l’époque.

487.

Eliza Eleonor Butler avait épousé en 1823 John Donelson IV [1787-1840], un neveu de Rachel Jackson.

488.

Et non 960 comme l’écrit Brigance (1976 : 69).