Une entreprise capitaliste

Il semble que l'Hermitage ait été une plantation auto-suffisante très rapidement, car les livres de comptes montrent que Jackson vendait bon nombre de ses produits au magasin qu'il possédait avec Hutchings et Coffee à Clover Bottom. En outre, le type de produits négociés témoigne du degré élevé d'équipement dont bénéficiait la plantation 494. Brigance (1976 : 33) pense que le moulin qu'il possédait permettait à Jackson de vendre le surplus de farine au magasin, ou bien d'écouler le whiskey fabriqué dans sa distillerie , dont l'alambic avait une contenance de 600 litres — “125 gallons . Il possédait également une des égreneuses à coton qui révolutionnaient la production dans le Sud. Il était l'un des vingt-quatre planteurs à posséder une telle machine dans le comté, pour la somme annuelle de vingt dollars (Remini, I : 134). De même, il était propriétaire d'une presse qui permettait de compacter les balles de coton plus sûrement et plus rapidement (Smith, I : 279-80). Ce dernier équipement témoigne de la modernité de son entreprise. Si l’on en croit Chaplin, le coton était généralement fourré tel quel dans des sacs jusqu’au début du xixe siècle (1991 : 188).

L'importance des investissements dans l'équipement lourd souligne le caractère très mercantile de l'entreprise. L'accroissement de la population servile témoigne également de la prospérité grandissante de l'exploitation. Traditionnellement, le planteur est un homme qui possède au moins une vingtaine d'esclaves . Jackson en possédait dix en 1794, quinze en 1798 (Remini, I : 133). Bassett (1916 : 34) souligne pourtant qu’il dut en vendre plusieurs pour faire face à ses dettes en 1804. Walker (1943 : 30) précise que le nombre s'élevait à vingt esclaves en 1812. Quelque dix ans plus tard, ils étaient quatre fois plus nombreux, ce qui démontre une ascension économique certaine. Le nombre d'esclaves augmenta dans de telles proportions que Rachel se plaignait de leur nombre en 1814 : ‘“if I live we will own fewer of them for theay vex me often and in my situation it is hurtful”’ (Moser, III : 59). Pour des raisons d’ordre plus économique, l’associé de Jackson, James Jackson, affirmait lui aussi que la population servile à l’Hermitage était trop importante pour la taille de l’exploitation :

‘you have too great a quantity of Negroe property. that part not absolutely necessay for the suport of the farm, would sell on such a credit for paper payable at Bank as would secure a good price & would also reduce all other stock much (...) after that was done, in my opinion, the remaining Negroes and stock would produce more profit from your farm & your property more secure, more easily managed & fully as saleable (Moser, III : 158).

Il se peut que les conditions difficiles de la guerre aient été défavorables à une propriété en pleine expansion, que le taux d’investissement en esclaves et en animaux ait été soudain trop fort pour les capacités du marché. David Hoth suggère que les essais d’implantation de Jackson dans les nouvelles terres d’Alabama après la guerre seraient en partie dûs à cet excédent d’esclaves qu’il fallait rentabiliser (correspondance privée, 1998). En tous cas, la croissance de la population servile fut certainement irrégulière, mais elle montre un enrichissement progressif et continu. Ainsi que pour le territoire de la propriété, les aléas du marché faisaient varier le nombre d’esclaves présents à la plantation. De moyens de production, ils devenaient objets d’échange lorsque le besoin s’en faisait sentir (Kolchin, 1993 : 96-98).

L'impact de la croissance démographique à l'Hermitage influença certainement la géographie de la plantation ainsi que l'organisation du travail. Comme le disait James Jackson dans sa lettre, l'augmentation de population signifiait plus de logements, plus de nourriture à fournir, plus de force de travail, plus d'activité, davantage d'espace cultivé. Onze ans après la mort de Jackson, son fils dut vendre la propriété. Il passa une petite annonce dans le journal à l'été 1856, ce qui permet d’avoir le détail des installations existant à cette époque; : ‘“remaining half of 1000 acres of the Hermitage tract (...) about 300 acres finely timbered. Several fine springs, good cotton gin, overseer's house, saw mill, four double brick negro cabins, blacksmith and carpenter's shops, &c”’ (Union and American, 13 juin 1856). On voit combien la propriété comportait de corps de métiers, d'installations, de bâtiments réservés aux employés, aux esclaves. L'Hermitage était une énorme entreprise commerciale alliant un réseau complémentaire d’activités artisanales destinées à rendre la propriété auto-suffisante.

Notes
494.

Dans sa conclusion à l'étude archéologique du premier Hermitage, Smith (1976 : 285) déduit de l'absence de restes de gibier dans les artéfacts retrouvés sur les lieux que le style de vie propre à la frontière avait très rapidement disparu : “The first [conclusion] concerns the rapidity with which a basic farm economy must have been replacing the preceding frontier life style.”